« orgueil », définition dans le dictionnaire Littré

orgueil

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

orgueil

(or-gheull', ll mouillées) s. m.
  • 1Sentiment, état de l'âme où naît une opinion trop avantageuse de soi-même. L'orgueil n'est pas toujours la marque des grands cœurs, Corneille, Suréna, V, 1. L'orgueil se dédommage toujours et ne perd rien, lors même qu'il renonce à la vanité, La Rochefoucauld, Max. 33. L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour-propre ne veut pas payer, La Rochefoucauld, ib. 228. La nature, qui a sagement pourvu à la vie de l'homme par la disposition admirable des organes du corps, lui a sans doute donné l'orgueil pour lui épargner la douleur de connaître ses imperfections et ses misères, La Rochefoucauld, ib. Prem. pens. n° 12. L'orgueil qui naît des qualités spirituelles est de même genre que celui qui est fondé sur des avantages extérieurs, Nicole, Ess. de mor. 1er traité, ch. 1. Tout ce qui est au monde ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie, Pascal, Pens. XXIV, 32, éd. HAVET. Jésus-Christ est un Dieu dont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir, Pascal, ib. XVII, 7. La misère persuade le désespoir, l'orgueil persuade la présomption ; l'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu'il a fallu, Pascal, ib. XII, 14. Ils n'ont pu fuir ou l'orgueil ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices, Pascal, ib. XII, 11. Ô hommes… vos maladies principales sont l'orgueil qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence qui vous attache à la terre, Pascal, ib. XII, 2. Orgueil contre-pesant toutes nos misères : ou il cache ses misères, ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connaître, Pascal, ib. II, 2. M. d'Aix doit être bien content que M. d'Arles lui quitte la place ; appelle-t-on cela de l'orgueil ? c'en est un au moins qui contente fort celui de M. l'archevêque d'Aix : ces deux orgueils, dont l'un demeure et l'autre s'en va, s'accommoderont fort bien ensemble, Sévigné, 4 déc. 1689. Les enfers où il [Alexandre] porte la peine éternelle d'avoir voulu se faire adorer comme un Dieu soit par orgueil, soit par politique, Bossuet, la Vallière. Elle croyait voir partout dans ses actions un amour-propre déguisé en vertu… ainsi Dieu l'humiliait par ce qui a coutume de nourrir l'orgueil, Bossuet, Anne de Gonz. L'œil qui monte toujours, Bossuet, Marie-Thér. Vous allez voir une reine qui, à l'exemple de David, attaque de tous côtés sa propre grandeur et tout l'orgueil qu'elle inspire, Bossuet, ib. Saint Augustin définit l'orgueil une perverse imitation de la nature divine, Bossuet, 1er sermon, Nativité, fragment d'un autre sermon. L'âme regarde ces honneurs que le monde vante ; et aussitôt elle en voit le fond, elle voit l'orgueil qu'ils inspirent, et découvre dans cet orgueil et les disputes et les jalousies et tous les maux qu'il entraîne, Bossuet, la Vallière. L'orgueil est l'endroit le plus vif du cœur ; pour peu qu'on y touche, la douleur nous fait jeter de hauts cris, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 106. Cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l'orgueil des enfants d'Ammon et d'Esaü, Fléchier, Turenne. Mais, pour un vain bonheur qui vous a fait rimer, Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer, Boileau, Art p. II. Je l'ai trouvé [Mardochée] couvert d'une affreuse poussière, Revêtu de lambeaux, tout pâle ; mais son œil Conservait sous la cendre encor le même orgueil, Racine, Esth. II, 1. Dois-je au superbe Achille accorder la victoire ? Son téméraire orgueil, que je vais redoubler, Croira que je lui cède, Racine, Iph. IV, 8. C'en est fait : mon orgueil est forcé de plier, Racine, Esth. III, 5. Que son farouche orgueil le rendait odieux ! Racine, Phèdre, III, 1. Il faut définir l'orgueil une passion qui fait que, de tout ce qui est au monde, l'on n'estime que soi, La Bruyère, Théophraste, XXIV. L'orgueil, qui vous tient lieu de raison, fait peut-être que les mœurs au dehors paraissent égales et uniformes, Massillon, Carême, Inconst. C'est le chef-d'œuvre de la plus sincère modestie que d'avouer de l'orgueil et les imprudences de cet orgueil, Fontenelle, Saurin. Notre orgueil nous met si vite au fait de celui des autres, Marivaux, Marianne, XIe part. Nous nous connaissons tous si bien en orgueil, que personne ne saurait nous faire un secret du sien, Marivaux, Pays. parv. part. 4. L'orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, produisit chez les Romains les effets que l'on sait, Montesquieu, Esp. XIX, 9. L'orgueil des petits consiste à parler toujours de soi ; l'orgueil des grands est de n'en jamais parler, Voltaire, Dict. phil. Quisquis, Langleviel. Il se peut que Cicéron, qui d'ailleurs avait souvent vu le peuple romain, le peuple roi, lui applaudir et lui obéir, et qui était remercié par des rois qu'il ne connaissait pas, ait eu quelques mouvements d'orgueil et de vanité, Voltaire, Dict. phil. Orgueil. Piron seul eut raison, quand dans un goût nouveau Il fit ce vers heureux digne de son tombeau : Ci-gît qui ne fut rien ; quoi que l'orgueil en dise, Humains, faibles humains, voilà votre devise, Voltaire, la Vanité. L'orgueil est le premier des tyrans ou des consolateurs, Duclos, Consid. mœurs, 10. L'orgueil humilié et rampant est toujours de l'orgueil, Duclos, ib. 13. On a bien raison de dire : quand l'orgueil arrive, la pauvreté n'est pas loin, Picard, Manie de briller, III, 18.

    Orgueil de…, orgueil inspiré par. Madame, ignorez-vous que l'orgueil de l'empire…, Racine, Bajaz. II, 1. Nous ne connaissons point l'orgueil de la naissance, Voltaire, Fanat. I, 2.

  • 2En bonne part, sentiment noble, élevé, qui inspire une juste confiance en son propre mérite. J'ai l'orgueil de croire que je ne suis pas indigne de votre amitié, Dict. de l'Acad. Leur orgueil foule aux pieds l'orgueil du diadème, Voltaire, Brutus, I, 4. Plutôt que jusque-là j'abaisse mon orgueil, Je verrais sans pâlir les fers et le cercueil, Voltaire, Zaïre, I, 1. J'ai pensé qu'un guerrier, jaloux de sa puissance, Peut mettre l'orgueil même à pardonner l'offense, Voltaire, Alz. IV, 2. Soyez béni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre L'innocence et son noble orgueil, Gilbert, Derniers vers.

    Faire l'orgueil de, être l'orgueil de, être un sujet d'orgueil pour. Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère, Racine, Iphig. II, 1. La fille d'Alpéric, l'orgueil de l'Helvétie, Masson, Helv. III. Un chêne antique, orgueil des paisibles hameaux, Baour-Lorm. dans GIRAULT-DUVIVIER.

  • 3Il se dit aussi des choses qui ont le caractère de l'orgueil. J'aurais peine à souffrir l'orgueil de ses reproches, Corneille, Médée, II, 5. Il abaisse à nos pieds l'orgueil des diadèmes, Corneille, Cinna, III, 4. Et c'est là que, fuyant l'orgueil du diadème, Lasse de vains honneurs…, Racine, Esth. I, 1. L'orgueil de vos attraits pense tout asservir, Voltaire, Marianne, II, 2. Moi, que je flatte encor l'orgueil de sa beauté, Voltaire, Alz. IV, 1.
  • 4Faste, pourpre. Le luxe qui l'entoure, dont les pauvres et ses créanciers ont souffert ; l'orgueil de ses édifices, que le bien de la veuve et de l'orphelin, que la misère publique a peut-être élevés, Massillon, Avent, Mort du péch.
  • 5 Terme de construction. Cale de bois, de pierre, ou de toute autre matière dure, qui fait dresser la tête d'un levier employé à soulever un corps quelconque et en soutient l'effort. On peut trouver aussi que l'Académie, en prodiguant les proverbes, a trop épargné certains termes usités des artisans, et qui font des images ou peuvent en fournir… Furetière avait raison de regretter le nom énergique d'orgueil, employé par les ouvriers pour désigner l'appui qui fait dresser la tête du levier, et que les savants appelaient du beau mot d'hypomochlion, Villemain, Préface du Dict. de l'Académie, 1835.

REMARQUE

Scribe a employé le pluriel dans sa comédie du Puff, II, 3 : " J'aurais mieux aimé ne voir chez moi que de bonnes gens, et mon salon est le rendez-vous de tous les orgueils, de tous les ressentiments littéraires. " C. Delavigne avait déjà employé ce pluriel dans le Paria : " Que d'orgueils révoltés ! " et Duviquet, dans l'examen critique de cette pièce, disait : " C'est la première fois que j'ai vu le mot orgueil employé au pluriel ; et je doute qu'il fût possible à M. Delavigne d'autoriser ce pluriel par quelques exemples. " Duviquet se trompait ; on voit dans une phrase de Mme de Sévigné, qu'il est question de deux orgueils. Le pluriel est aussi dans J. Marot.

SYNONYME

ORGUEIL, VANITÉ. L'orgueil fait que nous nous estimons nous-mêmes au delà de ce qui est. La vanité fait que nous voulons être estimés d'autrui.

HISTORIQUE

XIe s. Consels d'orguill n'est dreiz que à plus mont [monte], Ch. de Rol. X. Veez l'orgoil de France la loée, ib. CCXL.

XIIe s. …comment soit Ses grans orgueus [son grant orgueil] abaissez et maumis, Ronc. p. 30. Quant cil est morz qui m'a tolu l'orguel…, ib. p. 102. Pleine d'orgueil et dame sans guerdon, Couci, II. …Tout ce ne lo-je mie [je ne conseille] ; Que trop sembleroit estre orgoil et desverie, Sax. XXII.

XIIIe s. Ha ! frere, vos orgiols vous grevera encore et fera de mescief, Ch. de Rains, p. 206. La premiere avoit non Orguex, L'autre qui ne valoit pas miex Fu apelée Vilenie, la Rose, 965.

XVe s. Grand orgueil est tantost mué, Chartier, Poésies, p. 720.

XVIe s. Vaincu avez le More et son armée ; Genes soubmis, ses orgueilz abbatuz, Marot, J. v, 65. Ceux qui condamnent les autres par orgueil, il avient après que Dieu les condamne par justice, Lanoue, 72. À orgueil ne manque de couvre deuil, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 228. Il n'est orgueil que de pauvre enrichi, Cotgrave Orgueil n'a pas bon œil, Cotgrave Ainsi l'orgueil de Rome est à ce point levé, Que d'un prestre, tout roi, tout empereur bravé, Est marchepied fangeux ; on void, sans qu'on s'estonne, La pantoufle crotter les fleurs de la couronne, D'Aubigné, Tragiques, Misères.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, orgou, ôrgou ; anc. liégeois, orgowe ; provenç. orguelh, erguelh, orguoil, orgoil, argull ; catal. orgull ; espagn. orgullo ; portug. orgulho ; ital. orgoglio ; anc. ital. argoglio ; de l'anc. haut allem. urguol, remarquable, insigne, urgilo, orgueilleux ; anglo-sax. orgel, orgueilleux. L'anc. haut all. se décompose en ur, us, répondant au lat. ex, et guol, gil, gal, pétulant, luxuriant.