« regret », définition dans le dictionnaire Littré

regret

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

regret

(re-grè ; le t ne se prononce pas et ne se lie pas dans le parler ordinaire ; au pluriel l's se lie : des re-grè-z éternels ; regrets rime avec paix, succès, traits, etc. Palsgrave, p. 24, dit que devant une voyelle le t se fait sentir) s. m.
  • 1Déplaisir d'avoir perdu, ou de n'avoir pu obtenir quelque chose. Si j'ai quelque regret, ce n'est pas à ma vie, Que le déclin des ans m'aurait bientôt ravie, Corneille, Médée, V, 4. Vous me dites que la beauté de votre fils diminue, et que son mérite augmente ; j'ai regret à sa beauté, Sévigné, 4 mai 1672. J'ai regret à tous mes jours qui s'en vont, et qui m'entraînent sans que j'aie le temps d'être avec vous, Sévigné, 13 nov. 1675. Il avait regret aux heures qu'il donnait au jeu, Hamilton, Gramm. 7. Le sophiste Eunapius, païen, paraît avoir grand regret au temple de Sérapis, Fontenelle, Oracl. II, 4. Une mort semblable à celle des justes, pleine de consolation, sans regret à ce qu'on laisse dans le monde, Massillon, Profess. relig. 4. Les regrets permettent la parole ; mais la douleur est muette, Buffon, Réponse à Chastelux. Qu'un regret inutile est un regret amer ! Mme Riccoboni, Sophie de Vallière, Lett. 43. J'ai grand regret à la féerie, Lebrun, Ép. I, 9. Ah ! plus, amour, tu nous causes de larmes, Plus, quand tu fuis, tu laisses de regrets, Béranger, Fuite de l'amour.

    Familièrement. Il ne doit pas avoir regret à sa jeunesse, se dit d'un homme qui a passé sa jeunesse dans les plaisirs.

  • 2 Particulièrement. Chagrin que cause la mort, la perte, l'absence d'une personne. Qu'il ait regret à moi pour son dernier supplice, Corneille, Médée, I, 4. J'ai regret, disait-il, à mon premier seigneur, La Fontaine, Fabl. VI, 11. Le pauvre M. du Bois [mort], j'y ai un regret extrême, Sévigné, 20 juill. 1694. Par le regret que vous témoignez de la perte d'Ulysse, vous m'apprenez vous-même à sentir le malheur de ne pouvoir retrouver mon père, Fénelon, Tél. IX. Si les regrets de la reconnaissance sont les plus sincères et les plus sûrs, quel deuil a jamais dû être plus universel ? Massillon, Or. fun. Madame. La place [Namur] avait la gloire de n'avoir jamais changé de maître ; aussi eut-elle grand regret au sien, Saint-Simon, I, 31. Allons et rallumons dans ces âmes timides Ces regrets mal éteints du sang des Héraclides, Voltaire, Mérope, I, 2. Ce n'était plus ce prince [Henri III] environné de gloire… Et qui de sa patrie emporta les regrets, Voltaire, Henr. I. La douleur n'est pas la seule marque des regrets ; et, en pareil cas, plus on trouve de plaisir à penser à un ami, plus on sent vivement la perte qu'on a faite, Condillac, Traité sens extr. rais. Œuv. t. III, p. 55. Quel homme… à l'espoir d'un regret ne sent pas quelques charmes, Et des yeux d'un ami n'attend pas quelques larmes ? Delille, Jard. IV. Il y a dans le sentiment même des regrets quelque chose de doux et d'harmonieux qu'il faut tâcher de faire connaître à ceux qui n'en ont encore éprouvé que les amertumes, Staël, Corinne, V, 1. De quelque nom d'ailleurs que le regret s'appelle, L'homme par tout pays en a bien vite assez, Musset, à la Malibran.
  • 3Déplaisir causé par le souvenir de ce qu'on a fait ou omis de faire. Ils disent qu'ils ont regret du passé, Pascal, Prov. X. Un regret immense de ses péchés ne permet pas à Madame de regretter autre chose, Bossuet, Duchesse d'Orléans. Et, si je m'en croyais, ce triomphe indiscret Serait bientôt suivi d'un éternel regret, Racine, Brit. IV, 4. À quels mortels regrets ma vie est réservée ! Racine, Phèdre, V, 6. Vous… qui portez des embarras et des regrets sur la conscience que vous n'éclaircissez jamais à fond, Massillon, Carême, Tiéd. 1. Pourquoi tant de pleurs, chère et douce amie ? pourquoi ces regrets plus grands que ta faute, et ce mépris de toi-même que tu n'as pas mérité ? Rousseau, Hél. I, 30.

    Familièrement, en être aux regrets, se repentir trop tard d'avoir fait ou dit quelque chose.

  • 4Toute espèce de déplaisir. En sorte que les vaincus n'eussent point de regret à mes victoires, Vaugelas, Q. C. 468. J'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi, Molière, Mar. forcé, 16. Je suis fort redevable à vos feux généreux… …Et j'ai regret, monsieur, de n'y pouvoir répondre, Molière, Femm. sav. V, 1. Je suis contente, et n'ai point de regret à mon voyage, Sévigné, 24 oct. 1687. Quand… dix-huit ans [son âge de dix-huit ans] lui donneraient [au jeune Grignan] quelque regret à carême prenant [quitter Paris à ce moment], Sévigné, 25 janv. 1690. Ils [les alliés assiégeant Maestricht] n'ont point voulu attendre le combat ; le prince d'Orange, qui avait regret à ses peines, voulait tout hasarder, Sévigné, 2 sept. 1676. Les pluies nous empêchent de faire les foins, et nous avons grand regret à cette perte, Sévigné, 31 juill. 1680. En vain je veux au moins faire grâce à quelqu'un [des mauvais auteurs] ; Ma plume aurait regret d'en épargner aucun, Boileau, Sat. VII.

    Avoir regret que, avec le subjonctif, être fâché que. J'aurais grand regret d'en payer le port [de ces lettres], si vous me les renvoyiez ; elles sont pleines de tant de bagatelles, que j'ai quelquefois regret que vous le payiez vous-même, Sévigné, 21 sept. 1676. J'ai regret à sa gloire ; J'ai regret qu'aveuglée elle attire sur soi La honte qu'elle croit faire tomber sur moi, Th. Corneille, Comte d'Ess. IV, 1. J'aurais même regret qu'il me quittât l'empire, Racine, Théb. IV, 1.

    Familièrement. Avoir regret à quelque chose, donner, faire cette chose avec peine, faire avec peine la dépense de quelque chose. Il avait regret à ce qu'il mangeait.

  • 5 Au plur. Plaintes, lamentations. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d'une servante qui faisait des regrets, Molière, Fourber. I, 2. Ô prince, le digne objet de nos louanges et de nos regrets, Bossuet, Louis de Bourbon. Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets, Racine, Bajaz. I, 4.

    Coups de cloche intermittents, pendant des funérailles.

  • 6 Au plur. Cendres d'orfévre.
  • 7À regret, loc. adv. Avec répugnance. Je vous quitte à regret ; Mais enfin il le faut, Corneille, Poly. I, 2. Je ne m'étonne plus qu'interdit et distrait Votre père ait paru nous revoir à regret, Racine, Iphig. II, 4. Couchant sur une peau d'ours, et y donnant, à regret encore, peu d'heures au sommeil, Voltaire, Dict. phil. Julien. La terre, à regret cultivée, semble être fertile à regret, et, sous des mains avares de leurs peines, elle est avare de ses dons, Marmontel, Œuv. t. XVII, p. 117. On loue à regret ce qu'on ne voudrait pas imiter, Genlis, Ad. et Th. t. I, p. 219, dans POUGENS.

    L'abbaye de Monte-à-regret [la potence], Dict. argot-franç. à la suite du poëme de Cartouche, par Granval, 1725.

HISTORIQUE

XIIIe s. Ses confors [son confort] fu regrès et plors, Fl. et Blanchefl. V. 1734.

XVe s. Dame Bonne sa femme, sœur au duc de Bar, la quelle durant sa maladie [il] manda pour venir devers luy, ayant desir et regret de parler à elle, Monstrelet, t. I, ch. 138, p. 220, dans LACURNE.

XVIe s. Comblé des saints desirs, si du ciel le sejour Donnoit place au regret, j'auroy regret au jour, Et voudroy…, Desportes, Tombeau de Desportes. Son regret [le regret de sa perte] me console et m'honore, Montaigne, II, 83. Je aurois grant regret, sy ne venés ici avant la grant compaignie, Marguerite de Navarre, Lett. 3. Vous ne deveriés point avoir regret au temps passé, Marguerite de Navarre, ib. IV. Encore neantmoins mouroit il à regret, Amyot, Marius, 86.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, li r'gret d'on mau, le retour d'un mal ; dicton namurois, on a todis des r'grets d'on mau do moeis de maiye, on a toujours des retours d'une maladie gagnée au mois de mai (CHAVÉE, Rev. de ling. t. I, p. 224). La plus ancienne étymologie de regretter et la plus reçue est le latin re-quiritari, composé de quiritari, se plaindre. Pour le changement de q en g, on a l'exemple de Guienne venant de Aquitania ; et, bien que quiritari ait donné crier, on peut expliquer la conservation du t dans regretter, par fugita qui a donné fuite à côté de fuie. Une autre étymologie est celle de Mätzner, qui, appuyant sur le sens de plaindre attaché au mot regretter, renvoie au goth. gretan, ancien scand. grata, anglo-sax. graetan, graedan, pleurer, plaindre ; Diez est favorable à cette étymologie, parce que, regretter ne se trouvant pas dans les langues sœurs, il est probable que l'origine dans le français en est germanique. Enfin Mahn le dérive du lat. gratus ; avec ce radical, regretter signifiera primitivement reprendre avec reconnaissance ; mais, de là, le passage au sens de regretter est difficile. M. Chavée, Revue de linguistique, t. I, p. 224, arguant du sens du mot regret en wallon, y voit le latin recretum, chose qui recroît, qui repousse, de recrescere : le c changé en g, comme dans segret, prononciation très usitée de secret ; le sens de fâcherie attaché à ce mot, comme dans l'italien increscere, rincrescere (il aurait pu ajouter que cette signification de increscere n'est pas étrangère à l'ancien français, encroistre y ayant signifié peiner). En définitive, il faut un mot qui renferme l'idée de retour : regret du passé, d'une perte, recroissance, comme dans le wallon, et, pour regretter, rappeler, invoquer, comme dans certains textes du vieux français. On a repoussé avec raison le lat. regressus, qui aurait donné regrès, non regret ; mais ce sens fondamental apparaît quand on compare regret à degret (voyez l'historique à DEGRÉ) ; regret répond à une forme regradus, comme degret à une forme degradus. De cette façon, on rend raison de toutes les acceptions, en conservant l'analogie entre regret et degret. Une difficulté reste : le radical étant gradus, le verbe devrait être regreder, non regreter ; mais le changement de d en t se voit dans convoitise, de cupidicia, dans piétiner, piéton, de pedem ; et, inversement, de t en d, dans plaider, de placitum, et cuider, de cogitare.