« reprocher », définition dans le dictionnaire Littré

reprocher

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

reprocher

(re-pro-ché) v. a.
  • 1Objecter à quelqu'un une chose ou blâmable, ou fâcheuse. Et le surnom de bon me va-t-on reprochant, D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant, Régnier, Sat. III. Que lui peut-on reprocher [à Charles 1er], sinon la clémence ? Bossuet, Reine d'Anglet. Ne pourrons-nous pas enfin espérer que les jaloux de la France n'auront pas éternellement à lui reprocher les libertés de l'Église toujours employées contre elle-même ? Bossuet, le Tellier. Saint Paul, tout grand apôtre qu'il était, et quoique sa conscience ne lui reprochât rien, ne se croyait pas pour cela justifié, Bourdaloue, Jugem. dern. 1er avent, p. 85. Les dieux toutes les nuits… Me venaient reprocher ma pitié sacrilége, Racine, Iphig. I, 1. Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ? Racine, Esth. III, 4. Celse reprochait à Origène que les chrétiens variaient continuellement dans leurs écrits ; qu'ils changeaient le texte de l'Évangile suivant leurs besoins, Dumarsais, Œuv. t. VII, p. 30.

    Reprocher à quelqu'un une personne, lui reprocher de favoriser, d'employer cette personne. Sans doute M. Cassini, étranger et circonspect comme il était, ne se fût pas chargé d'un neveu dont il n'eût pas beaucoup espéré, et qui lui aurait été plus reproché que tout autre qu'il eût mis à la même place, Fontenelle, Maraldi. Clotaire lui reprocha [à Brunehaut] la mort de dix rois, Montesquieu, Espr. XXXI, 1. On reprochait à Racine d'avoir mis les principes du jansénisme dans le rôle de Phèdre, Voltaire, Lett. Richelieu, 22 juin 1762.

    Fig. Lorsque en proie aux besoins qui pèsent sur leurs têtes, Le cri de leur douleur vous reproche vos fêtes, Delille, Pit. I.

    Reprocher un service, un bienfait à quelqu'un, les lui rappeler pour l'accuser de les avoir oubliés. Ne reproche donc plus à mon âme indignée Qu'en perdant tous les miens tu m'as seule épargnée, Corneille, Héracl. I, 2. Elle [Mme de Montespan] m'a reproché ses bienfaits, ses présents, ceux du roi, Maintenon, Lett. à Mme de St-Géran, 14 juin 1679.

    Familièrement. Reprocher les morceaux à quelqu'un, faire sentir à quelqu'un qu'il mange trop et paraître y avoir regret. On me reprochait chaque jour ma nourriture, on me la refusait souvent, Genlis, Mme de Maintenon, t. I, p. 72, dans POUGENS.

    Reprocher que, avec le verbe à l'indicatif. Vous reprochez à ma triste mémoire, Que par sa propre main [d'Auguste] mon père massacré Du trône où je le vois fait le premier degré, Corneille, Cinna, I, 1.

  • 2Se reprocher, reprocher soi-même, se faire des reproches. Mlle de Guise n'a rien à se reprocher que la mort de son neveu : elle n'a jamais voulu qu'il ait été saigné ; la quantité du sang a causé le transport au cerveau, Sévigné, 73. Ne parlons pas des corruptions qu'on a honte d'avoir à se reprocher, Bossuet, le Tellier. Toute l'indulgence de l'amour propre n'empêche point qu'on ne se reproche du moins une partie de ce qu'on a à se reprocher, Fontenelle, Bonh. L'illustre auteur de Phèdre avait assez d'épigrammes satiriques à se reprocher, pour qu'on doive se faire un scrupule de lui imputer en ce genre des péchés qu'il n'a pas commis, D'Alembert, Éloges, Gasp. Abeille, note 3. On n'est jamais pleinement malheureux quand on n'a rien à se reprocher, Mme de Tencin, Œuv. t. V, p. 63, dans POUGENS.

    Se refuser. L'avare se reproche le nécessaire.

  • 3 Terme de procédure. Reprocher des témoins, alléguer des raisons pour les récuser. Il reprocha tous les témoins.

    Par extension. Moi… Qui reproche souvent mes yeux et mes oreilles, Régnier, Sat. XII.

REMARQUE

Pascal a dit : reprocher de ce que : Paul Émile reprochait à Persée de ce qu'il ne se tuait pas, Pascal, Pens. I, 4 bis, édit. HAVET. Cela n'est pas usité.

HISTORIQUE

XIIe s. N'encore, amors, ne vous ai reprochié Mon service…, Couci, VII.

XIIIe s. Garde que tu ne reproches ce que tu as doné ; car tu le dois oblier, Latini, Trésor, p. 411. Partonopex commence si : Seignor, vos estes mi ami Et mi home, les voz merciz ; Nel vos repruef pas par afiz, Mais por remembrer vos l'amor Que loial home ont à seignor, Partonopex, ms. de St-Germ. f° 167, dans LACURNE.

XIVe s. Si je me porte mal [si je me comporte mal], Polidamas me le reprochera et m'en reprendra, Oresme, Eth. 83. Et se aucunes personnes reprocent ledit compte et facent oppositions…, Du Cange, reprochare.

XVe s. Ce que nous avons dit et juré, nous vous tiendrons loyaument, ni jà ne serons reprochés du contraire, Froissart, II, II, 8. Cestui peril [bataille dans les guerres civiles], quoique tu en eschappes, soit mis en mescompte de tels autres beaux fais ; car à journée reprouchée n'appartient louenge, Christine de Pisan, dans Hist. litt. de la Fr. t. XXIV, p. 464. N'as-tu pas oÿ reprouchier [dire en proverbe], Que l'arbre qui ne porte fruit Sera arrachée et destruit ? Deschamps, Poésies mss. f° 488. Lasche, meschant, reproché homme, pour qui je suis deshonorée, Louis XI, Nouv. IV. Icellui Alain reproucha : ceste vieille ne cessera meshui de gourgousser, Du Cange, reprochare.

XVIe s. Il composa des vers par lesquelz il reprochoit aux Atheniens leurs faultes, Amyot, Solon, 64. Ils n'eslargissent [accordent] rien qu'ils ne le reprochent, ou par fiere mine, ou par parole superbe, Calvin, Inst. 545. Estre reproché de trahison, Montaigne, I, 25. Les Ephesiens luy reprochoient à quoy il passoit son temps à jouer avecques les enfants devant le temple, Montaigne, I, 141. Le juge n'oublia rien à l'ordonnance qui est requise en tel cas ; demanda à Chauvel s'il la veut croire, s'il la veut reprocher, Noel du Fail, Contes d'Eutrapel, ch. XXIII.

ÉTYMOLOGIE

Reproche ; Berry, repreucher ; provenç. repropchar ; espagn. reprochar ; ital. rimprocciare.