« songe », définition dans le dictionnaire Littré

songe

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

songe [1]

(son-j') s. m.
  • 1Opérations irrationnelles des facultés intellectuelles en partie éveillées chez une personne qui dort. Un songe en notre esprit passe pour ridicule, Il ne nous laisse espoir, ni crainte, ni scrupule ; Mais il passe dans Rome avec autorité Pour fidèle miroir de la fatalité, Corneille, Poly. I, 3. Je sais ce qu'est un songe et le peu de croyance Qu'un homme doit donner à son extravagance, Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit Forme de vains objets que le réveil détruit, Corneille, Poly. I, 1. N'est-ce pas à Dieu qu'il appartient de donner l'interprétation des songes ? Sacy, Bible, Genèse, XL, 8. Mon songe m'est échappé de la mémoire, Sacy, ib. Daniel, II, 5. 1er médecin : Faites-vous des songes ? - Pourceaugnac : Quelquefois. - 1er médecin : De quelle nature sont-ils ? - Pourc. : De la nature des songes ; quelle diable de conversation est-ce là ? Molière, Pourc. I, 11. Que quitte-t-on en quittant le monde ? ce que quitte celui qui, à son réveil, sort d'un songe plein d'inquiétudes ? Bossuet, Sermons, Oblig. de l'état relig. 1. Ce fut un songe admirable, de ceux que Dieu même fait venir du ciel par le ministère des anges, dont les images sont si nettes et si démêlées, Bossuet, Anne de Gonz. La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable Que m'a fait voir un songe, hélas ! trop véritable ! Boileau, Lutr. IV. C'est une chose assez ordinaire à certaines personnes d'avoir, la nuit, des songes assez vifs pour s'en ressouvenir exactement lorsqu'ils sont réveillés, Malebranche, Rech. vér. II, 3, ch. dern. Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe ?) Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge, Racine, Athal. II, 5. La postérité éclairée pourra-t-elle le croire ? on a fait pendant plus de mille ans une étude sérieuse de l'intelligence des songes, Voltaire, Dict. phil. Figure. Les songes sont une grande partie de l'histoire ancienne, ainsi que les oracles, Voltaire, ib. Somnambules. Dans un de mes rêves je soupais avec M. Toulon, qui faisait les paroles et la musique des vers qu'il nous chantait ; je lui fis ces quatre vers dans mon songe : Mon cher Toulon, que tu m'enchantes Par la douceur de tes accents ! Que tes vers sont doux et coulants : Tu les fais comme tu les chantes, Voltaire, ib. Somnambules, IV. Ce songe est beau [dans les Horaces], en ce qu'il alarme un esprit rassuré par un oracle ; je remarquerai ici qu'en général un songe ainsi qu'un oracle doit servir au nœud de la pièce : tel est le songe admirable d'Athalie, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Hor. I, 3. Je sais bien qu'un songe n'amène pas un événement ; mais j'ai toujours peur que l'événement n'arrive à sa suite, Rousseau, Héloïse, VI, 2. Nos songes sont souvent des délateurs secrets, De nos vœux les plus sourds confidents indiscrets, Ducis, Macbeth, III, 1. Les songes de tes nuits sont plus purs que le jour, Musset, Rolla.

    Fig. Alors on dit [dans les brusques changements] : il me semble que je rêve ; car la vie est un songe un peu moins inconstant [que le songe ordinaire], Pascal, Pens. III, 14, édit. HAVET.

    Il me semble que c'est un songe, que j'ai fait un songe, ou fig. c'est un songe, se dit pour exprimer que ce qui est arrivé ne paraît plus une réalité. Tout ce qui s'est passé n'est qu'un songe pour moi, Racine, Théb. V, 4. Tout ce que Termosiris m'avait prédit, et tout ce que j'avais entendu dans la caverne, ne me paraissait plus qu'un songe, Racine, Tél. II.

    Fig. Est-ce un songe ? n'est-ce point un songe ? se dit pour exprimer qu'on croit à peine ce qu'on voit, ce qu'on entend. Veillé-je ? ou n'est-ce point un songe ? Racine, Iphig. II, 7. Est-ce un songe ? et mes yeux ne m'ont-ils point trompée ? Racine, Bajaz. III, 6.

  • 2 Fig. Fictions comparées à un songe auquel on se livre tout éveillé. Et, fabuleux chrétiens, n'allons point, dans nos songes, Du Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges, Boileau, Art p. III. Il faut avoir absolument la tête vide pour faire des songes aussi creux, Mirabeau, Lett. orig. t. III, p. 452. Qu'un songe au ciel m'enlève ; Que, plein d'ombre et d'amour, Jamais il ne s'achève, Et que la nuit je rêve à mon rêve du jour ! Hugo, Odes, V, 25.

    Faire de beaux songes, concevoir des espérances chimériques. L'on fait, dans la vie, de si beaux songes, que c'est souvent perdre tout son bonheur que de s'apercevoir que ce sont des songes, Comte de Caylus, Acad. de ces dames, Œuvr t. XII, p. 92, dans POUGENS.

  • 3Souvenir qui a laissé peu d'impression. Je vous rappelle un songe effacé de votre âme, Racine, Mithr. I, 2.
  • 4 Fig. Ce qui n'a pas plus de solidité, de réalité qu'un songe. Ma gloire n'est qu'un songe et ma grandeur qu'une ombre, Tristan, Marianne, I, 3. Mais, à bien regarder ceux [les maux] où le ciel me plonge, Les vôtres auprès d'eux vous sembleront un songe, Corneille, Hor. III, 4. Elle vous dit par ma bouche que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur, Bossuet, Mar.-Thér. Voilà par quels plaisirs nous tâchons d'abréger le songe de la vie ! Maintenon, Lett. à Mme des Ursins, 17 sept. 1714. Tu n'étais qu'un philosophe chimérique ; ta république n'était qu'un beau songe, Fénelon, Dial. des morts anc. (Platon, Denis le Tyran). Ce qui fait la surprise et le désespoir du pécheur au lit de la mort, c'est de voir que le monde, en qui il avait mis toute sa confiance, n'est rien, n'est qu'un songe qui s'évanouit et qui lui échappe, Massillon, Avent, Mort du péch. La vie n'est qu'un songe ; nous voudrions bien, votre sœur et moi, rêver avec vous, Voltaire, Lett. Mme de Fontaine, 8 janv. 1750.
  • 5 Fig. Ce qui occupe l'esprit, sans avoir une réalité assurée. De ces divisions nous est né ce prétendu règne de Christ, qui devait égaler tous les hommes, songe séditieux des indépendants, Bossuet, Reine d'Anglet. La vie, en commençant, t'a fait d'heureux mensonges ; Je ne veux point t'ôter, mais te choisir tes songes, Delille, Imag. VI.
  • 6Les Songes (avec une S majuscule), divinités qui présidaient aux songes, et qui, la nuit, pénétraient dans les demeures des hommes ; ils étaient les fils du Sommeil ; ils sortaient des enfers par deux portes, l'une d'ivoire qui donnait passage aux Songes vains, l'autre de corne qui donnait passage aux Songes véridiques. Les Songes voltigeants fuyaient avec les ombres, Voltaire, Henr. VII. Dors, ô fils d'Apollon !… De leurs chœurs nébuleux les Songes t'environnent, Hugo, Odes, IV, 2.
  • 7En songe, loc. adv. Pendant qu'on songe en dormant. Une divinité me l'a fait voir en songe, Boileau, Lutr. I. D'où vient qu'on fait quelquefois en songe des discours suivis et éloquents, des vers meilleurs qu'on n'en ferait sur le même sujet, étant éveillé ? que l'on résout même des problèmes de mathématiques ? voilà des idées très combinées qui ne dépendent de nous en aucune manière, Voltaire, Dict. phil. Imagination. Le chien est à la chasse en songe, il aboie, il suit sa proie, il est à la curée, Voltaire, Dict. phil. Somnambules, III.

    Fig. Partout où l'on respire on n'est heureux qu'en songe, Chénier M. J. Fénelon, II, 3.

PROVERBES

Tous songes sont mensonges, tout espoir riant nous trompe. Songe d'amour n'est point mensonge ; Le mien sera bientôt parfaite vérité, Dancourt, Prix de l'arqueb. sc. 5.

Mal d'autrui n'est que songe, on n'est non plus touché du mal d'autrui que d'un songe.

Mal passé n'est qu'un songe, quand un mal est passé, il ne touche plus. On dit que le mal passé n'est que songe : c'est bien mieux, il sert à faire sentir le bonheur présent, Chamfort, March. de Smyrne, sc. 1.

SYNONYME

SONGE, RÊVE. Le langage physiologique distingue le songe du rêve, que confond le langage vulgaire. Quand, durant le sommeil, les sensations et la perception, la locomotion et la voix sont seules suspendues, tandis que les facultés morales et intellectuelles restent en exercice, il y a songe. Quand, les sensations étant suspendues, la voix et le locomotion ensemble ou une seule de ces fonctions continue à s'exercer en même temps qu'une ou plusieurs facultés cérébrales, il y a rêve.

HISTORIQUE

XIIe s. [Il] Sonja un songe qui grant duel [deuil] senefie, Ronc. p. 33.

XIIIe s. Son songe [elle] dist au roi, a bien li averti, Berte, LXXI. Maintes gens dient que en songes N'a se fables non et mençonges, la Rose, 1. Mais l'en puet tiex songes songier Qui ne sunt mie mençongier, ib. 3.

XVIe s. Elle n'avoit qu'un songe et une umbre des biens qu'elle avoit esperez, Amyot, Lucull. 32. Comme grand dormir n'est pas sans songe, Grand parler n'est pas sans mensonge, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 275.

ÉTYMOLOGIE

Berry, sunge ; wallon, song ; provenç. somnhe, songe, somje, somni ; espagn. sueño ; ital. sogno ; du lat. somnium, de somnus (voy. SOMME 3).