« transporter », définition dans le dictionnaire Littré

transporter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

transporter

(tran-spor-té) v. a.
  • 1Porter d'un lieu dans un autre. Transporter des meubles, des marchandises. Faut-il le transporter [Joas] aux plus affreux déserts ? Racine, Athal. III, 6. C'est lui [le P. Sébastien Truchet] qui a inventé la machine à transporter de gros arbres tout entiers sans les endommager, de sorte que du jour au lendemain Marly changeait de face, et était orné de longues allées arrivées de la veille, Fontenelle, Truchet. Enfin [après la petite vérole] je fus en état d'être transporté à Paris le 1er décembre, Voltaire, Lett. Breteuil, janvier 1724. L'armée [des Perses] s'assembla aussitôt dans une plaine de Cilicie : six cents vaisseaux la transportèrent dans l'île d'Eubée, Barthélemy, Anach. Introd. part. 2e, sect. 2.

    En termes de l'Écriture, la foi transporte les montagnes, elle produit les effets les plus puissants et les plus merveilleux.

  • 2Il se dit des actions de souverains qui déplaçaient des populations. D'autres [princes] introduisirent la coutume de transporter les peuples entiers avec toutes leurs familles dans de nouvelles contrées, où ils les établissaient et leur donnaient des terres à cultiver, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 7, dans POUGENS. Quand une nation connaît les arts, quand elle n'est point subjuguée et transportée par les étrangers, elle sort aisément de ses ruines et se rétablit toujours, Voltaire, Mœurs, 197.
  • 3Condamner à la peine de la transportation. En Angleterre on n'assassine point, parce que les voleurs espèrent d'être transportés dans les colonies, non pas les assassins, Montesquieu, Esp. VI, 16. Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre ; on les transporte dans les colonies, Voltaire, Pol. et lég. Délits et peines, Peine de mort.
  • 4 Fig. Il se dit de l'action de faire passer d'un lieu à un autre une juridiction, une puissance, etc. Constantin transporta le siége de l'empire romain à Constantinople. Transporter un événement sur la scène. Un bruit confus… Fait croire heureusement à ce peuple alarmé Qu'Amurat le dédaigne et veut, loin de Byzance, Transporter désormais son trône et sa présence, Racine, Baj. I, 2. Si Pygmalion ne change de conduite, notre gloire et notre puissance seront bientôt transportées à quelque autre peuple mieux gouverné que nous, Fénelon, Tél. III. Elle imagina de faire un roman, et de transporter les caractères et les mœurs du temps présent sous les noms de la cour d'Auguste, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 236, dans POUGENS.
  • 5 Fig. Il se dit de passages, de choses littéraires qu'on introduit. Si d'ailleurs quelque endroit, plein chez eux [les anciens] d'excellence, Peut entrer dans mes vers sans nulle violence, Je l'y transporte…, La Fontaine, Poésies mêlées, LXX. Bientôt on sentit qu'il fallait transporter dans notre langue les beautés et non les mots des langues anciennes, D'Alembert, Œuv. t. I, p. 255.
  • 6 Fig. Changer le sens, la portée. Transporter un mot du propre au figuré. Enfin tous, parlant sans cesse de besoin, d'avidité, d'oppression, de désirs et d'orgueil, ont transporté à l'état de nature des idées qu'ils avaient prises dans la société, Rousseau, Inégal. préambule.
  • 7Déplacer. En transportant cent fois et le nom et le verbe, Dans mes vers recousus mettre en pièces Malherbe, Boileau, Sat. II.
  • 8 Terme de droit. Céder à quelqu'un un droit. Transporter une rente, une dette, une créance. À ce frère si cher transportez tous mes droits, Corneille, Nicom. IV, 3. L'acte par lequel le peuple de Dieu transporte à Simon toute la puissance publique et lui accorde les droits royaux, est remarquable, Bossuet, Hist. II, 5. Si vous ne répondez pas à ce dessein de Dieu sur vous… il se servira de quelque autre qui lui sera plus fidèle ; il lui transportera cette couronne qui vous était destinée, Massillon, Carême, Aumône.
  • 9 Fig. Causer des transports violents de passion. Parbleu ! si grande joie à l'heure me transporte…, Molière, Sgan. 18. Parbleu, tu jugeras toi-même si j'ai tort, Et si c'est sans raison que ce coup me transporte, Molière, Fâch. II, 2. Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous font oublier Dieu, Bossuet, Reine d'Anglet. Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ? Racine, Ath. III, 3. L'affront que Philippe faisait à sa mère Olympias en la répudiant, le transporta [Alexandre] hors de lui-même, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 602, dans POUGENS.

    Absolument. Exciter l'admiration. la satisfaction. Oh ! ce discours me transporte, me ravit, Pascal, Pens. x, 1, éd. HAVET. Le P. Bourdaloue fit un sermon le jour de Notre-Dame qui transporta tout le monde, Sévigné, 186. J'avoue que la découverte d'un fait nouveau dans la nature m'a toujours transporté, Buffon, Quadrup. t. VIII, p. 21.

  • 10Se transporter, v. réfl. Se rendre en un lieu. Se transporter chez quelqu'un.

    Il se dit ordinairement de ceux qui vont en quelque lieu par autorité de justice. Le juge s'est transporté sur le lieu du crime. Le lundi 16 janvier 1589, Jean Leclerc, dit Bussi… devenu gouverneur de la Bastille, se transporta à la Grand' Chambre, suivi de cinquante satellites couverts de cuirasses, et le pistolet à la main, Voltaire, Hist. part. 31.

    Aller se fixer en un lieu. Avant que de se transporter à Versailles, il fut quatre ou cinq mois à se rafraîchir la botanique avec M. Marchant, son ami et son confrère, Fontenelle, Bourdelin.

  • 11 Fig. Imaginer qu'on est dans un lieu, dans un temps autre que celui où l'on est. Transportez-vous dans le passé. Transportez-vous en imagination dans l'avenir. Transportez-vous par la pensée au milieu des peuples sauvages.
  • 12 Fig. Être saisi d'un mouvement de passion. Dieu a permis que Mme la Dauphine, ayant su que cette jolie personne [la future de Dangeau] avait signé partout Sophie de Bavière, s'est transportée d'une telle colère, que le roi fut trois fois chez elle pour l'apaiser, craignant pour sa grossesse, Sévigné, 3 avril 1686. Les Français auront beau applaudir aux traits héroïques que vous leur présentez [le siége de Calais], je doute qu'ils les imitent ; mais ils s'en transporteront dans vos pièces, et les aimeront dans les autres hommes, Rousseau, Lett. à Du Belloy, 12 mars 1770.

SYNONYME

TRANSPORTER, TRANSFÉRER. L'on dit transporter des meubles, des marchandises, de l'argent, des troupes d'un lieu à un autre. Mais on dit transférer un prisonnier du Chatelet à la Conciergerie, un corps mort d'un cimetière dans un autre. Quand on transfère un magasin de marchandises précieuses, il faut tâcher de les transporter sans les gâter.

HISTORIQUE

XIIIe s. Ele [une enfant dont une jambe était sèche] ne se pooit ester sur ses piez, ainçois se tresportoit ou trainoit de lieu à autre à ses naches [fesses] et à ses manetes [petites mains], Miracles St Loys, p. 133. Ô dame de grant poesté… Tresporte nous de cest orage… En cel mont, en ce biel esté, cité dans BAUDOIN DE CONDÉ, t. I, préface, XI.

XIVe s. Le souverain empire seroit des peres [sénateurs] au plebe tresporté, Bercheure, f° 75, verso. Tarquin mourit à Cumes, en quel lieu il s'estoit transportez, Bercheure, f° 35, recto.

XVe s. Perducet, je te transporte, en la presence de mes hommes, toute la terre de Chaumont, Froissart, II, II, 167. Mais quant justice y est perie [dans un royaume], Ou y default, meüs [déplacé] sera Ly regnes où elle faurra [manquera], Et sera ailleurs transportez, Deschamps, Mir. de mariage, p. 110. En la dicte nuit, nous, Robert de Tuillieres, lieutenant dessus nommé, nous transportasmes ou [au] dit hostel…, Bibl. des ch. 6e série, t. I, p. 219.

XVIe s. Si quelque sçavant homme les avoit transportées [les spéculations philosophiques] de grec et latin en nostre vulgaire…, Du Bellay, J. I, 14, recto. Ne pensez que jamais gens plus feussent eslevez et transpourtez en pensée, que feurent en ycelle nuyct tant Thaumaste que Pantagruel, Rabelais, Pant. II, 18. C'estoit tout pervertir, de transporter à l'homme mortel ce qui est propre au sainct esprit, Calvin, Instit. 817. Estans enflez d'orgueil, transportez d'indignation, Calvin, ib. 825. Corvées, tailles, ne peuvent estre vendues ni transportées à autrui…, Loysel, 918. Se laisser transporter à une violente cholere, Amyot, Thés. et Rom. comp. 3. Transporté de la cupidité de gloire, Amyot, Thém. 6. Bion accomparoit telles manieres de gens à des vases à deux anses, qui se transportent aisément par les oreilles là où on veult, Amyot, Mauv. honte, 24.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et espagn. transportar, trasportar ; ital. trasportare ; du lat. transportare, de trans, au delà, et portare, porter.