« voilà », définition dans le dictionnaire Littré

voilà

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

voilà

(voi-là ; vela dit par quelques-uns au XVIIe siècle, et condamné par Chifflet, Gramm. p. 201 ; c'est pour rendre cette prononciation, qui n'a pas disparu complétement, que Beaumarchais fait dire à Figaro : la v'là ! la v'là ! Barb. de Sév. I, 6 ; vela se disait aussi au XVIe siècle d'après H. Estienne) loc. prépos. qui est formée de l'impératif du verbe voir et de l'adverbe là : vois là.
  • 1Il sert à désigner, à indiquer une personne ou un objet un peu éloigné de la personne à qui l'on parle, par opposition à voici. Parlons à ce rival, le voilà qui s'avance, Corneille, Sertor. II, 3. Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant : voilà celui qui nous menait dans les hasards…, Bossuet, Louis de Bourbon. La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable, Boileau, Lutr. IV. Voilà Ulysse lui-même ; voilà ses yeux pleins de feu, et dont le regard était si ferme ; voilà son air d'abord froid et réservé, qui cachait tant de vivacité et de grâces, Fénelon, Tél. IX. Le défunt n'est pas mort ; le voilà que je vous amène, Dancourt, Mari retrouvé, sc. 23. Il [Charles XII] dit tout haut après la conférence [avec Stanislas] : voilà un homme qui sera toujours mon ami ; et on s'aperçut bientôt que ces mots signifiaient : voilà un homme qui sera roi, Voltaire, Charles XII, 3. Monsieur croit donc que l'on arrive là Comme chez tout le monde, en disant : me voilà, Al. Duval, Fille d'honneur, II, 8.
  • 2Il se dit des choses dont il est question dans le discours, se rapportant toujours à ce qui vient d'être dit, au lieu que voici se rapporte à ce qui va être dit. Valeur, magnanimité, bonté naturelle, voilà pour le cœur ; vivacité, pénétration, grandeur, et sublimité de génie, voilà pour l'esprit, Bossuet, Louis de Bourbon. Voilà donc deux mortelles maladies qui affligent le genre humain : juger les autres en toute rigueur, se pardonner tout à soi-même, Bossuet, Sermons, Jugem. hum. Préamb. Jetez les yeux de toutes parts, voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros : des titres, des inscriptions…, Bossuet, Louis de Bourbon. Voilà, voilà les cris que je craignais d'entendre, Bossuet, Iphig. IV, 5. Si ma religion était fausse, je l'avoue, voilà le piége le mieux dressé qu'il soit possible d'imaginer, La Bruyère, XVI.

    Voilà où, voilà le point, l'endroit où. Voilà où elle [la sévérité chrétienne] est plus austère, parce que c'est là qu'elle fait un plus grand sacrifice ; voilà où elle est plus méritoire, puisque le mérite croît à proportion de la difficulté, Bourdaloue, Domin. 3e dim. après la Pentec. Sur la sévérité chrétienne, p. 347.

    Voilà comme, voilà la façon suivant laquelle. Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue, Racine, Andr. III, 8.

    Vous lui remettrez cette lettre et ce paquet, voilà tout, c'est-à-dire voilà tout ce que je vous prescris de faire.

    Voilà ce que c'est que de, il est ainsi de. Voilà ce que c'est que du monde, Molière, Préc. 18.

    Familièrement. Voilà ce que c'est que de faire l'impertinent, tels sont les désagréments, les traitements fâcheux auxquels on s'expose quand on est impertinent.

    Fig. Voilà l'homme, tel est le caractère de l'homme. Pour dire la vérité, quoique je n'eusse aucun ressentiment contre ce seigneur, je ne fus pas fâché de lui rendre ce bon office ; voilà l'homme, Lesage, Gil Blas, XI, 5.

  • 3Il s'emploie pour marquer un état prochain ou actuel, une action qui a lieu présentement. Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes ; Je te fais juge souverain : Voilà notre berger la balance à la main, La Fontaine, Fabl. x, 10. L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé, Molière, Critique, 6. Voilà M. de Turenne tué : voilà une consternation générale ; voilà M. le Prince qui court en Allemagne ; voilà la France désolée, Sévigné, 199. La justice que tu croyais endormie, s'est éveillée contre toi ; la voilà qui est à la porte, Bossuet, 2e sermon, Impénit. 2. Les voilà comme des bêtes cruelles qui cherchent à se déchirer ; le feu brille dans leurs yeux…, Fénelon, Tél. XVI. Comme il prononçait ces paroles en poussant de profonds soupirs… voilà la base de la montagne qui s'ouvre…, Voltaire, Blanc et noir. Voilà donc enfin Marmontel de l'Académie, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 8 déc. 1763.

    Voilà… à, voilà la personne dont il s'agit, se mettant à. Voilà Madame à crier, à pleurer [pour la mort de son père]…, Sévigné, 18 sept. 1680.

  • 4Voilà qui…, voilà ce qui. Voilà qui le brouillera [M. d'Aleth] avec M. votre père [Arnauld d'Andilly], Sévigné, à Pompone, 1664, t. I, p. 435, édit. RÉGNIER.

    Voilà qui est fait tout à l'heure, cela ne tardera pas à être fait.

    Voilà qui est bien, c'est assez.

    Voilà qui va bien, qui marche bien, cela va bien et promet d'aller bien pour la suite.

  • 5Que exclamatif peut se mettre devant voilà. Ha, que voilà bien le monde ! Sévigné, 144.
  • 6On met le conjonctif que entre des noms et voilà ou voici. L'homme que voilà. Les sentiments humains, mon frère, que voilà ! Molière, Tart. I, 6.
  • 7Voilà peut être suivi de que. Voilà qu'il arrive. Ainsi est mort le père Bourgoing ; et voilà qu'étant arrivé dans la bienheureuse terre des vivants, il voit et il goûte…, Bossuet, Bourgoing.

    Voilà que, marque souvent ce qu'une chose a d'inopiné, de subit. Le voyageur s'éloigne : et voilà qu'un nuage L'oblige de chercher retraite en quelque lieu, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Voilà qu'un corsaire de Salé fond sur nous et nous aborde, Voltaire, Candide, 11.

  • 8Voilà se construit avec la préposition de qui alors est prise partitivement. Et puis voilà de ma dévotion ; Voilà mes saints, La Fontaine, Diable. Voilà de tes discours, Molière, le Dép. I, 1. Voilà de mes damoiseaux flouets qui n'ont non plus de vigueur que des poules, Molière, Avare, I, 6.

    Il se construit avec en. Vous voulez de l'argent, en voilà.

    Absolument. En voilà, signifie c'en est assez, la chose est entendue, terminée à partir du moment dont il est question. Et en voilà jusqu'à ce qu'un nouveau dégoût vous rappelle encore de l'ivresse des passions, pour vous faire encore rentrer dans les voies de la justice, Massillon, Carême, Inconstance.

    On dit de même : n'en voilà que trop. Ah ! n'en voilà que trop ! c'est trop me faire entendre, Madame, mon bonheur, mon crime, vos bontés, Racine, Brit. III, 7.

  • 9M'y voilà, je suis rendu au lieu dont il s'agit. Si j'avais consulté M. Fagon, il m'y aurait envoyée [aux eaux], et m'y voilà, Sévigné, 20 sept. 1687.

    Nous y voilà, se dit pour exprimer qu'on arrive à la question, au point intéressant. À cette ouverture que crut me faire M. de Dorsan, et à laquelle il ne douta pas de me voir prendre part, je ne répondis que par un : nous y voilà, je m'y attendais, Marivaux, Pays. parv. 7e part. Ah ! vous y voilà, dit le baron, et cette phrase vous satisfait, Genlis, Vœux témér. t. II, p. 218.

  • 10Ne voilà pas, ou voilà pas, sorte d'exclamation de surprise. Hé bien ! ne voilà pas mon enragé de maître ! Molière, l'Ét. v, 7. Eh bien ! ne voilà pas de vos emportements ! Molière, Tart. v, 1. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait ? Molière, l'Av. I, 3. Voilà pas le coup de langue ? Molière, Bourg. gent. III, 12.

    On dit aussi ne voilà-t-il pas, voilà-t-il pas. Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà, Molière, Tart. I, 1. Voilàt-il pas le patriarche Sergius qui vient de faire décider dans un concile à Constantinople que Jésus avait deux natures et une volonté ! Voltaire, Dict. phil. Volonté. Ne voilà-t-il pas cet abominable homme qui me cite Newton… ? Voltaire, Quest. miracl. 17. Ne voilà-t-il pas mon homme d'esprit qu'un rien distrait, qu'une niaiserie occupe, tandis qu'on agite une question sérieuse ? Boissy, Franç. à Londr. 16.

    La seule tournure correcte est : ne voilà pas ; l'autre est un barbarisme introduit par l'usage. Là, qui est dans voilà, ne comporte pas le t euphonique. Le barbarisme consiste à avoir traité voilà comme un verbe (par exemple comme va-t-il), et y avoir joint le t euphonique et l'il des verbes impersonnels.

  • 11Voilà construit avec un infinitif, comme voici. C'est le coup, scélérat, par où tu m'expédies ; Et voilà couronner toutes tes perfidies, Molière, Tart. v, 7. Voilà bien instruire une affaire ! Racine, Plaid. III, 3. Cette tournure, correcte en soi, peut être imitée.

    On a, d'une façon analogue, construit voilà avec un participe passé. Mais cependant voilà passées une dizaine d'années sans beaucoup de carnage dans le monde, Courier, Collection de lettres et articles au rédacteur de la Quotidienne.

REMARQUE

1. Pour la différence entre voici et voilà, voy. VOICI.

2. Ne dites pas : le voilà qu'il vient, mais le voilà qui vient ou voilà qu'il vient. Voilà est pour vois là ; ce qui indique la construction.

3. Molière a omis ce après voilà. Voilà, voilà que c'est de ne voir pas Jeannette, Molière, l'Ét. IV, 8. C'est un archaïsme tombé en désuétude.

HISTORIQUE

XIIIe s. Sire, ves là Jehan, qui, à tort et sans reson, vint en tel liu et m'a fet tel forche, Beaumanoir, VI, 9.

XVe s. Voylà le roy et tout ce peuple saillir de la ville, Commines, I, 11.

XVIe s. Je m'escure tout le poulmon, et voy me là prest à boyre, Rabelais, Garg. I, 41. Soyez resolus de ne servir plus, et vous voylà libres, La Boétie, 24. Ô le beau garson que voylà ! Montaigne, I, 227. Voylà cinq esclaves, mange les, Montaigne, I, 229.

ÉTYMOLOGIE

Vois, impératif de voir, et  ; Berry, velà ; picard, v'lo ; bourguign. velai.