« émouvoir », définition dans le dictionnaire Littré

émouvoir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

émouvoir

(é-mou-voir), j'émeus, tu émeus, il émeut, nous émouvons, vous émouvez, ils émeuvent ; j'émouvais ; j'émus ; j'émouvrai ; j'émouvrais ; émeus, qu'il émeuve, émouvons, émouvez, qu'ils émeuvent ; que j'émeuve, que nous émouvions, que vous émouviez, qu'ils émeuvent ; que j'émusse ; émouvant ; ému v. a.
  • 1Mettre en mouvement. Six chevaux attelés à ce fardeau pesant Ont peine à l'émouvoir sur le pavé glissant, Boileau, Sat. VI.
  • 2Agiter, troubler. Cette drogue émeut les humeurs. Cela lui émut un peu le pouls. Ayant ému les flots, apaisez la tempête, Tristan, Panthée, III, 1. Il ne faut rien pour vous émouvoir en l'état où vous êtes, Molière, Mal. imag. II, 3.

    Fig. Émouvoir la bile, exciter la colère. Et je vais lui dicter une lettre d'un style Qui de madame Argante émouvra bien la bile, Regnard, Légat. II, 6.

  • 3Faire naître, susciter. Souffrez qu'on vous appelle Pour être entre nous deux juge d'une querelle, D'un débat qu'ont ému nos divers sentiments Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants, Molière, Fâch. II, 4. Si je ne vous vois arriver, je croirai que cela vient de la guerre que cette préférence aura émue entre eux, Sévigné, 92. On émeut des troubles contre eux, Bossuet, Avert. 5. S'était-on avisé d'émouvoir une question si frivole ? Bossuet, Var. 15. Ces jours passés, chez un vieil histrion, Un chroniqueur émut la question, Quand dans Paris commença la méthode De ces sifflets qui sont tant à la mode, Racine, l'Origine des sifflets (Épigr. contre Fontenelle) On a ému la question si…, Voltaire, Dict. philos. IV, 487.
  • 4Pousser au soulèvement, à la sédition. M. de Beaufort ne savait pas que qui assemble le peuple l'émeut toujours, Retz, IV, 169. [Ils] courent parmi la ville Émouvoir le soldat et le peuple imbécile, Corneille, Sert. V, 3. Il lui faut me bannir, de crainte que mes cris Du peuple et de la cour n'émeuvent les esprits, Corneille, Perthar. V, 3. Antoine émut le peuple contre ceux qui l'avaient tué [César], Bossuet, Hist. III, 7. La guerre émut l'Asie et l'Égypte alarmée ; Et la terreur s'accrut comme ta renommée, Lemercier, Louis IX, III, 3.

    Exciter des troubles, des séditions. Si tu n'étais qu'un lâche, on aurait quelque espoir Qu'en fin tu pourrais vivre et ne rien émouvoir, Corneille, Perthar. V, 5.

  • 5 Fig. Produire sur l'âme un mouvement comparé au mouvement physique. Mais mon déplaisir ne vous peut émouvoir, Corneille, Poly. I, 2. Il émut le sénat pour des rois outragés, Corneille, Pomp. III, 2. Je ne saurais voir d'honnêtes pères chagrinés par leurs enfants que cela ne m'émeuve, Molière, Fourber. II, 8. … Le cœur qu'un vrai mérite émeut, Th. Corneille, Ariane, IV, 2. Ces yeux que n'ont émus ni soupirs, ni terreur, Racine, Brit. V, I. Quand mes larmes en vain tâchaient de l'émouvoir, Racine, Bajaz. III, 3. Mais, si mes vœux ardents vous peuvent émouvoir, Racine, Phèd. III, 5.

    Émouvoir à, porter à un sentiment. On prend plaisir à se sentir émouvoir à toutes sortes de passions, Descartes, Pass. 94. Pour vous émouvoir à compassion, Perrot D'Ablancourt, Tac. 93. Si rien à la pitié ne peut vous émouvoir, Crébillon, dans DESFONTAINES.

    Absolument. On n'émeut point sans être ému ; et le langage de l'enthousiasme a cela de commun avec toutes les passions, qu'il est ridicule lorsqu'il n'est qu'imité, Turgot, Ébauche du 2e disc. Progrès de l'esprit humain, p. 305.

    Il se dit aussi des sentiments qu'on met en mouvement. Mon père tout caduc émouvant ma pitié, Corneille, Médée, I, 1. Mon crime redoublé n'émeut point ta colère, Corneille, Hor. IV, 7. Je pourrai de mon père émouvoir la tendresse, Racine, Phèd. III, 6. Je ne cherche qu'à émouvoir sa sensibilité, et je ne veux point exciter sa crainte, Genlis, Adèle et Théod. t. I, lett. 25, dans POUGENS.

  • 6S'émouvoir, v. réfl. Éprouver une émotion. À ces souvenirs de son enfance il s'émut. L'un s'émeut de pitié, l'autre est saisi d'horreur, Corneille, Hor. III, 2. L'orateur recourut à ces figures violentes Qui savent exciter les âmes les plus lentes ; Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put ; Le vent emporta tout, personne ne s'émut, La Fontaine, Fabl. VIII, 4. Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir, Racine, Athal. V, 2. Votre cœur malgré vous s'émeut et s'adoucit, Voltaire, Alz. I, 1.

    Par extension. La terre s'en émeut, l'air en est infecté, Racine, Phèd. V, 6.

  • 7S'emporter, s'irriter. Le jeune homme s'émeut voyant peint un lion : Ah ! monstre ! cria-t-il, c'est toi qui me fais vivre Dans l'ombre et dans les fers, La Fontaine, Fabl. VIII, 16. Rebuté, il s'émeut contre eux, Bossuet, Hist. II, 4. Sans doute à cet aspect sa rage s'est émue, Racine, Andr. V, 6.
  • 8S'inquiéter. Cléopatre s'enferme en son appartement, Et, sans s'en émouvoir, attend son compliment, Corneille, M. de Pomp. III, 1. Viriate, il est vrai, pourra s'en émouvoir, Corneille, Sertor. I, 2. Le lendemain, il apprit qu'on disputait à Delzons la possession de Malo-Iaroslavetz ; il ne s'en émut guère, soit confiance, soit incertitude dans ses projets, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2.
  • 9S'agiter, s'insurger. À ce spectacle, le peuple s'émut : les statues de l'empereur furent renversées en divers endroits, Bossuet, Hist. I, 11. Tout l'empire s'émeut contre l'Église naissante, Bossuet, ib. II, 7. On vit les Gaules, les Espagnes, tous les royaumes dont l'empire était composé, s'émouvoir tout à coup, Bossuet, ib. II, 9.
  • 10S'élever, être suscité. Entre deux bourgeois d'une ville, S'émut jadis un différend, La Fontaine, Fabl. VIII, 19.

    Impersonnellement. Son voisin devint amoureux de sa femme et l'enleva ; il s'émut une grande querelle, Montesquieu, Lett. pers. 11.

  • 11On dit que la graine des vers à soie s'émeut quand elle commence à blanchir.

    PROVERBE

    Il ne faut pas émouvoir les frelons, c'est-à-dire il ne faut point aller irriter des gens irritables.

HISTORIQUE

XIe s. Li amirals qui trestouz les esmut [mit en mouvement], Ch. de Rol. CXCVII.

XIIe s. [Cil] Qui plus ont esmeü la tanson [querelle] et l'envie, Sax. X. Cume ço vit la mere que l'um l'enfant dut detrenchier, tut le quer [cœur] li fud esmeüd, Rois, p. 237.

XIIIe s. La comtesse Marie… si acoucha d'une fille, et après, quant ele fu relevée, si s'esmut [se mit en marche] et ala outre-mer après son seigneur, Villehardouin, CXXX. Et par ce que cis pardons fu si grans, s'esmurent moult li cuer des gens, si que maint s'en croisierent par le monde, Villehardouin, I. Quant la roine vit que li rois s'esmevoit, si l'en pesa, Chr. de Rains, 192. Raison ne s'esmovra jamais à chose qui contre vous aille, la Rose, 10388. Ne m'esmovez pas à ire, Psautier, f° 115. À l'esmouvoir l'ost le roy, r'ot [il y eut de nouveau] grant noise [bruit] de trompes et de cors sarrazinois, Joinville, 227. Garde toy de esmouvoir guerre, sanz grant conseil, contre home crestien, Joinville, 301.

XIVe s. Et la ville s'esmuit ; cascuns keurt [court] tangrement, Pour assalir le [la] tour, que Bauduin deffent, Beaud. de Seb. VII, 783. Frere, dit Gloriant, par Dieu vous dites voir ; Pensons de nous haster et de nous esmouvoir ; Car, s'il se ravisoit, trop nous porroit doloir, ib. IX, 800.

XVe s. Et voyoient tout le pays tourner avec la roine et son ains-né fils, et dresser et emouvoir contre eux, Froissart, I, I, 20. L'un ravist tout, l'autre pert son demaine ; Peuples s'esmuet, l'eglise est subournée ; Noblece fault, tant est mal ordonnée, Deschamps, Souffr. du peuple. Guerre s'esmeut entre eulx pour leur auctorité, qui a duré par longues années, Commines, I, 7. [Louis XI avait recommandé que quand on le verrait en danger de mort] on ne luy dist fors tant seullement : parlez peu, et que on l'esmeut seullement à soy confesser sans luy prononcer ce cruel mot de mort, Commines, VI, 12. Elle alloit et venoit, maintenant ci, maintenant là, tant emue qu'il sembloit qu'elle fust ravie de son sens, Louis XI, Nouv. C.

XVIe s. Charger la parole de Dieu des seditions qu'esmeuvent à l'encontre d'icelle les fols et escervelez - On accusoit les apostres comme s'ils eussent esmeu le populaire à tumulte - Ce ne sommes pas nous qui esmouvons les troubles, Calvin, Instit. dédic. Il estoit esmeu comme la fueille de l'arbre, Calvin, ib. 434. Esmouvoir à commiseration et à pitié - Un trouble s'estant esmeu pendant ce parlement, Montaigne, I, 25. Preparé d'une belle oraison pour l'esmouvoir à la guerre contre…, Montaigne, I, 189. Socrates va tousjours demandant et esmouvant la dispute, jamais l'arrestant, Montaigne, II, 239. Et s'estant esmeu d'adventure quelque debat et different entre les pasteurs, Amyot, Rom. 7. Amulius, esmeu de ces raisons, luy livra entre ses mains Remus pour en faire punition, Amyot, ib. 8. Il ne s'esmeut point autrement de cette nouvelle, Amyot, Public. 27. Il se levoit un grand vent du costé de la mer, qui emouvoit de grosses vagues dedans le canal, Amyot, Thém. 28. Les fondements des plus hautes montagnes Tous esbranlés s'esmurent grandement, Marot, IV, 253.

ÉTYMOLOGIE

Berry, émouver ; provenç. esmover, esmovre ; du latin emovere, de e, et movere, mouvoir (voy. MOUVOIR).