« aucun », définition dans le dictionnaire Littré

aucun

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

aucun, une

(ô-kun, ku-n' ; l'n se lie, aucun ami, dites : ô-ku-n ami ; plusieurs prononcent ô-kun-n ami, liant, mais conservant la nasalité. Aucun conserve sa nasalité même devant une voyelle, s'il n'est pas suivi immédiatement d'un mot auquel il se rapporte ; je n'en veux aucun à ma suite, dites : ô-kun, et non o-ku-n à ma suite ; au pluriel, l's se lie ; aucuns amis, dites ô-kun-z amis) adj.
  • 1Quelque. Avez-vous entendu aucun discours qui vous fît croire… ? Ont-ils dans notre armée aucun commandement ? Corneille, Sert. I, 2. Non que pour moi, sans vous, ce trône ait aucun charme, Corneille, Othon, IV, 1.

    Aucun, au sens de quelque, s'emploie très bien dans les phrases dubitatives ou interrogatives, mais autrement c'est un archaïsme ; ici par exemple : Aucuns des vins sont approuvés, La Fontaine, Cas.

  • 2Il s'emploie comme pronom indéfini, dans le sens de quelqu'un. Je ne crois pas qu'aucun puisse y parvenir. Ce que pour lui mon bras chaque jour exécute, Me défend de penser qu'aucun me le dispute, Corneille, Cid, I, 1.

    Au plur. quelques-uns, en style de palais et en style marotique ou familier. Ce fait est raconté par aucuns. Phèdre était si succinct qu'aucuns l'en ont blâmé, La Fontaine, Fab. VI, 1. À pas un d'eux elle [couronne] ne convenait, Plusieurs avaient la tête trop menue, Aucuns trop grosse, aucuns même cornue, La Fontaine, ib. VI, 6. Aucuns ont assuré comme chose constante, La Fontaine, Fiancée. Aucuns disent, et je n'ai pas de peine à le croire, que…, Courier, I, 102. Pour Gabrielle, en son apoplexie, Aucuns diront qu'elle parle longtemps, Voltaire, Stances, 17.

  • 3Aucun, aucune, adj. avec une négation ou la préposition sans, pas un. Aucun physicien n'ignore que… Aucun d'eux n'assouvit la soif qui me dévore, Racine L. Relig. ch. II. Aucun de nos grands écrivains n'a travaillé dans le genre de l'épopée, Voltaire, Essai s. la poésie ép. ch. IX. Elle eût beaucoup mieux fait De passer son chemin sans dire aucune chose, La Fontaine, Fab. X, 3. Aucun de nous ne serait téméraire Jusqu'à s'imaginer qu'il eût l'heur de vous plaire, Corneille, Rod. IV, 1. Sans violence aucune J'aurais vu Nicanor épouser Rodogune, Corneille, ib. II, 2. Sans réserve aucune, Molière, Sgan. sc. 7. Sans me nommer pourtant en aucune manière, Ni faire aucun semblant que je serai derrière, Molière, Éc. des f. IV, 9. Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon, Molière, l'Étour. I, 4.

    Ne… aucun… que, signifiant pas un, si ce n'est. N'ayant aucun emploi qu'à passer une vie douce et innocente, Descartes, Méth. Cette tournure est élégante.

    Au plur. C'est une petite ville qui n'est divisée en aucuns partis, La Bruyère, 5. N'ayant aucuns soins ni passions qui me troublassent, Descartes, Méth. II, 1. J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tentent, La Fontaine, Fab. VII, 2. Je ne me mêlai plus d'aucunes affaires, Montesquieu, Lett. pers. 8. Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune, Protée à qui le ciel père de la fortune Ne cache aucuns secrets, Rousseau J.-B. Od. I, liv. III. Le parlement défendit en même temps qu'on prît aucuns deniers dans les recettes publiques pour les soudoyer, Voltaire, S. de Louis XIV, 5. La république n'avait ni aucunes troupes régulières aguerries, ni aucun officier expérimenté, Voltaire, S. de Louis XV, 21. Aucuns tourments n'ont pu empêcher les martyrs de la confesser [la religion], Pascal, Pens. part. II, art. 4. Ne se permettre aucunes démarches que celles qui peuvent compatir avec l'usage de ce sacrement adorable, Massillon, Confér. Commun. Je ne me satisfais d'aucunes conjectures, Corneille, Hor. I, 1. Et quand nous n'en craindrons aucuns ordres sinistres, Corneille, Sertor. IV, 3. Aucuns ordres ni soins n'ont pu le secourir, Corneille, Pomp. V, 3. Aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui, Racine, Phèd. I, 1. Ils sont à leur tour usés sur tous les plaisirs, par cela même qu'ils ne leur coûtent aucunes peines, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg. Il défendit qu'ils fussent jamais recherchés pour aucunes intelligences…, Anquetil, Ligue, III, 330. Je n'ose faire aucuns projets, Voltaire, Microm. chap. 2. Rome n'imposant aucunes lois générales, Montesquieu, Rom. 74. Des gens qui n'ont aucuns besoins, puisque le prince y pourvoit, Montesquieu, Esp. XXVI, 25. Jamais sans doute aucunes larmes N'obscurciront pour eux [mes frères les hommes] le ciel, Lamartine, Harm. I, 9. Il ne garda aucunes mesures, Bossuet, Var. 7. Cet homme [Améric Vespuce] ne méritait certainement aucuns honneurs, Voltaire, Mœurs, 145.

    Aucun pris absolument et elliptiquement, avec le sens négatif. Y avait-il là quelqu'un de vos amis ? Aucun ; c'est-à-dire il n'y en avait aucun.

  • 4Aucun, aucune, pris comme pronom indéfini, avec une négation, dans le sens de pas un. Que chacun se retire et qu'aucun n'entre ici, Corneille, Cinna, II, 1. On entreprend assez, mais aucun n'exécute, Corneille, ib. Par les peines d'un autre aucun ne s'intimide, Corneille, ib. IV, 4. Jusques ici, madame, aucun ne met en doute Les longs et grands travaux que notre amour vous coûte, Corneille, Rodog. II, 3. Aucun n'ose pousser l'histoire plus avant, Corneille, Héracl. II, 1. Martian… à ce nom aucun ne veut répondre, Corneille, ib. II, 1. Faites observer qu'aucun ne nous écoute, Rotrou, Bélis. IV, 2. Qu'aucun par un zèle imprudent, Ne sorte avant le temps et ne se précipite, Racine, Athal. IV, 1. Aucun ne me soutient au bord de cet abîme, Aucun ne m'encourage ou ne m'arrache au crime, Voltaire, M. de Cés. III, 2. Aucun n'est prophète chez soi, La Fontaine, Fab. VIII, 26. Deux jours s'étaient passés sans qu'aucun vînt au puits, La Fontaine, ib. XI, 6.

REMARQUE

1. Quelques personnes doutent si aucun, aucune, avec la négation, peuvent être employés au pluriel. Il est plus ordinaire de mettre le singulier ; mais comme rien n'empêche de nier la pluralité aussi bien qu'on nie l'unité, rien non plus ne peut faire condamner les phrases où aucun est au pluriel. On voit par les exemples que les meilleurs auteurs, en prose comme en vers, se sont servis d'aucun au pluriel. Cet emploi est donc pleinement légitime.

2. Il n'a eu dans toute sa vie aucun moment d'assuré. Dans cette phrase de Fénelon, de est un gallicisme. Ce de se met très bien quand en est joint à aucun ; on dira en parlant de livres, de tableaux : il n'y en a aucun de relié ; il n'y en a aucun d'encadré. Mais, hors de là, il ne faut pas, généralement parlant, mettre ce de devant l'adjectif : il n'a aucun livre relié ; aucun tableau encadré.

3. Il ne faut pas mettre pas ou point avec aucun et dire : je n'ai pas aucun livre. Cependant, quand pas ou point est éloigné d'aucun, cette construction est admissible. C'est de ne pas laisser naître aucun vide dans l'esprit, Pascal, Amour.

4. Aucun se construit très bien avec plus, jamais. Je n'ai jamais fait aucun mal, Fénelon, Tél. XVIII. Mais je n'ai plus, madame, aucun combat à faire, Corneille, D. San. IV, 5.

5. D'aucuns, d'aucunes, quelques-uns, quelques-unes. Archaïsme qui n'est plus guère en usage. Il y en a d'aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, Molière, Malade imag. II, 1.

6. Les aucuns, quelques-uns. … Ils tombèrent enfin Sur ce qu'on dit de la vertu secrète De certains mots, caractères, brevets, Dont les aucuns ont de très bons effets, La Fontaine, St-Julien. Cette locution a tout à fait vieilli.

7. On verra, par l'étymologie et par l'historique, que aucun a essentiellement un sens affirmatif ; que le sens négatif ne lui vient que par son adjonction avec la négation ne ; et que, si la fréquence de cette adjonction a altéré la netteté de la signification primitive, elle ne l'a pas détruite en fait, et surtout ne doit pas la faire perdre de vue.

HISTORIQUE

XIe s. E se alquens meist main…, Lois de Guill. 1.

XIIe s. Aucuns messages [messagers] n'a li quens [comte] aparlés, Ronc. p. 19. Faites venir alcun [quelque] demonstrement, ib. p. 173. Je servirai à [selon] mon pouvoir tous dis, Tant que j'aurai vers ma dame trouvé Aucun confort des maus où cil [mon cœur] m'a mis, Le Comte D'Anjou, Romancero, p. 123. Ains se porpensera li rois aucune fie, Qu'il de vous ait la force, le pooir et l'aïe, Sax. XXXII.

XIIIe s. Car gent i ot à grant plenté, Ki portent haces et maçues, Et li alqunt espées nues, Lai de Melion. Et s'à eus ne poés aler, Faites i par aucun parler, Qui soit messagiers convenables, la Rose, 7528. Li aucun des homes si voelent dire, que que se uns de lor homes…, Beaumanoir, X, 9.

XIVe s. Il traitte oppinions aucunes sensibles de felicité, Oresme, Eth. V, 9.

XVe s. Si elle pouvoit trouver voie ou sens parquoi elle pust avoir aucune compagnie de gens d'armes, Froissart, I, I, 9. Les bourgeois de la ville s'en vinrent à l'une des portes et demanderent le seigneur de Mauny, ou aucun grand seigneur de l'ost à qui ils pussent parler, Froissart, I, I, 237. Et s'en allerent les aucuns par les grands rues, Froissart, II, II, 56. Les aucuns [Isabelle] prioit ; aux autres promettoit ou donnoit or, Froissart, I, I, 8. Si en devenoient les aucuns, qui se feroient maistres par dessus les autres, si riches que c'estoit merveille, Froissart, I, I, 325. D'aucuns qui avoient premier loué le voyage, le blasmoient, Commines, VII, 7. Aucuns ont voulu dire que…, Commines, I, 3. Et ouyrent les aucuns messe en attendant le jour, Commines, I, 9. Et portoit ledit conte honneur à tous, aussi devoit bien faire à d'aucuns et à tous, Commines, I, 9. Ils osterent le corpus Domini, et aucun [quelque] autre reliquaire qui là estoit, Louis XI, Nouv. XXXII. Il estoit bien venu des femmes de bas estat, et aussi des aucunes des plus grandes de Rome, ib. XLV.

XVIe s. Les aulcuns dysoient que… les aultres…, Rabelais, Pant. II, 2. Les aulcunes d'entre elles disoyent…, Rabelais, ib. Partant de Poictiers avecques aulcuns de ses compaignons, passarent par Legugé, Rabelais, ib. II, 5. Elle estoyt tant grosse que, par engin aulcun, ne la povoyt on mettre seullement hors terre, Rabelais, ib. II, 7. Voz roys guarissent d'aulcunes maladies par seule appousition des mains, Rabelais, ib. V, 20. Je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée, Montaigne, Au lecteur, p. X. Aulcuns en prinrent argument que…, Montaigne, I, 7. Nous dirons d'aulcuns ouvrages qu'ils puent l'huyle, Montaigne, I, 41. Il ne se faict aucun proufit qu'au dommage d'aultruy, Montaigne, I, 104. Il y en a aulcuns qui, à faulses enseignes, usurpent le nom d'historiens, Amyot, Préf. XII, 39.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. alcun ; espagn. alguno ; portug. algum ; ital. alcuno ; de aliquis (voy. ALIQUOTE), et unus, un (voy. UN). Diez observe qu'il serait possible que les anciennes formes alcon, alquen, fussent composées non pas d'aliquis unus, mais de aliquis homo. Palsgrave, p. 57, remarque que, bien qu'on écrivît aulcun, on prononçait aucun.