« espèce », définition dans le dictionnaire Littré

espèce

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espèce

(è-spè-s') s. f.
  • 1Apparence. Ne se dit en ce sens que dans la théologie : dans le sacrement de l'eucharistie, les apparences du pain et du vin après la transsubstantiation. Communier sous les deux espèces. La liberté qu'on avait dans l'Église de participer ou à une ou à deux espèces, fit qu'on fut longtemps sans s'apercevoir de leur perpétuelle affectation [des Manichéens] à rejeter celle du vin consacré, Bossuet, Var. XI, § 12.
  • 2 Terme de métaphysique. Espèces ou images représentatives, sorte d'émanations subtiles que l'on supposait sortir des corps et les représenter dans les organes des sens, par exemple dans la vision. La plus commune opinion est celle des péripatéticiens, qui prétendent que les objets de dehors envoient des espèces qui leur ressemblent, et que ces espèces sont portées par les sens extérieurs jusqu'au sens commun ; ils appellent ces espèces-là impresses, parce que les objets les impriment dans les sens extérieurs, Malebranche, Rech. vér. III, II, 2.
  • 3Sorte, qualité. Les diverses espèces de délit. Marchandises de toutes les espèces. Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces [des maris], Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ? Molière, Éc. des f. I, 1. Mlle Blake était une autre espèce de ridicule ; sa taille n'était ni bien ni mal ; son visage était de la dernière fadeur…, Hamilton, Gramm. 7. M. du Maine voulut se marier ; le roi l'en détournait et lui disait que ce n'était point à des espèces comme lui à faire lignée, Saint-Simon, 4, 61. Le roi ne feignit pas de dire que ces espèces-là [en parlant du duc du Maine] ne devaient jamais se marier, Saint-Simon, 361, 22. Cette loi est établie pour donner à la république des enfants d'une bonne espèce, Montesquieu, Esp. XXVI, 18. Des auteurs de la petite espèce, Le P. Catrou, dans DESFONTAINES.

    Espèce de, suivi d'un nom de personne, se dit de personnes, d'êtres qui n'ont pas toutes les qualités requises, qui ne sont pas tout à fait ce qu'il faudrait qu'ils fussent. On a dit que le singe était une espèce d'homme. Une espèce d'intendant. Une espèce d'avocat. Dans les bureaux des ministres, on avait de tout temps regardé l'abbé de Saint-Pierre comme une espèce de prédicateur plutôt que comme un vrai politique, Rousseau, Confess. IX.

    Espèce de, suivi d'un nom de chose, se dit des choses qui sont très voisines et qui se remplacent presque. L'enseignement est une espèce de sacerdoce. C'est une espèce de prodige que, dans un si vaste empire qui embrassait tant de nations et tant de royaumes, les peuples aient été si obéissants et les révoltes si rares, Bossuet, Hist. III, 6. Espèce d'instinct, dont les inspirations subites lui dévoilaient, dans l'avenir et dans le présent, ce qu'il devait espérer ou craindre, Barthélemy, Anach. Introd. part. II, sect. 2.

    Une pauvre espèce, se dit de gens sans mérite, sans qualités. Il y a longtemps que nous le connaissons pour la plus pauvre espèce d'Angleterre, Hamilton, Gramm. 8.

    C'est une pauvre espèce d'homme, c'est un homme sans mérite.

    La belle espèce, se dit, ironiquement, de gens qu'on trouve doués de très peu de qualités de corps ou d'esprit. Quoi moi ! quoi ces gens-là ! l'on radote, je pense, à moi les proposer [pour maris] ! hélas ! ils font pitié : Voyez un peu la belle espèce ! La Fontaine, Fabl. VII, 5.

    Absolument. Espèce se dit, par mépris, de personnes auxquelles on ne trouve ni qualités ni mérite. Une espèce comme celle-là [Langlée] dans une cour y est assez bien ; pour deux, c'en serait beaucoup trop, La Fontaine, 95, 233. L'espèce, terme nouveau mais qui a un sens juste, est l'opposé de l'homme de considération ; l'espèce est celui qui, n'ayant pas le mérite de son état, se prête encore de lui-même à son avilissement, Duclos, Considér. sur les mœurs, ch. 5. Angélique : Mais, entre nous, que ferais-je avec un homme de cette espèce-là ? car la plupart de ces gens-là sont des espèces, vous le savez, Marivaux, Préj. vaincu, sc. 4. Ne t'inquiète pas de ces deux espèces dont je daigne à peine te parler, Rousseau, Hél. II, 18. Comme si ce n'était pas trop honorer de pareilles espèces que de faire attention à leurs procédés, Rousseau, Confess. XI.

    De nouvelle espèce, c'est-à-dire qui présente quelque singularité, quelque chose de bizarre. Voilà un philosophe de nouvelle espèce !

    Des gens de toute espèce, c'est-à-dire de toute condition, de tout caractère. Il y avait à cette réunion des gens de toute espèce.

  • 4 Terme de pharmacie. Les poudres mélangées qui forment la base des électuaires.

    Mélange de racines, de fleurs, de semences ou d'autres substances végétales, qu'on suppose douées de propriétés médicinales analogues. Espèces amères, feuilles d'absinthe, de fumeterre, de petite centaurée, fleurs de houblon, de camomille. Espèces anthelmintiques, absinthe, armoise, tanaisie, camomille, etc. Espèces apéritives ou diurétiques, chiendent, racines d'asperge, de fraisier, de petit-houx, de pissenlit, de persil, etc. Espèces aromatiques, sommités fleuries des labiées. Espèces astringentes, tormentille, bistorte, ratanhia, écorce de chêne, roses rouges, etc. Espèces béchiques (pour la toux), fleurs de mauve, de guimauve, de bouillon blanc, de coquelicot, de violette, etc. Espèces émollientes, feuilles de mauve, de guimauve, de molène, etc. Espèces pectorales, feuilles de capillaire, de lierre terrestre, d'hysope, etc.

    Fig. Brouiller les espèces, s'est dit pour embrouiller les choses, empêcher d'y voir clair. Jugez de l'effet de ce contre-temps, si les mesures que j'avais prises avec madame la Palatine ne l'eussent sauvé ; elle s'en servit très finement, cinq ou six jours durant, pour brouiller les espèces que l'impétuosité de Viole avait un peu trop éclaircies, Retz, Mém. t. II, p. 323, édit. CHARPENTIER.

  • 5Division du genre, réunion d'individus sous un caractère commun qui les distingue de ceux qui appartiennent au même genre. Noble et roturier sont des espèces par rapport à homme ; et homme, qui est un genre par rapport à noble et roturier, est une espèce par rapport à animal, Condillac, Gramm. préc. de leç. prél. art. 1er, Œuvres, t. v, p. LXXVIII, dans POUGENS.

    Terme de rhétorique. Un des lieux communs de rhétorique. Le genre et l'espèce.

    En chimie, espèce, collection d'individus identiques par leur composition élémentaire et immédiate.

    En biologie, collection d'individus descendants d'êtres vivants ou ayant vécu, qui se ressemblent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à tous les autres analogues. D'après la plupart des biologistes d'à présent, le caractère fondamental de l'espèce est de reproduire, par la génération, des individus capables de se propager à leur tour. Ce naturaliste a découvert plusieurs espèces en botanique. Les espèces vivantes. Les espèces fossiles. La nature n'est pas moins admirable dans les moyens par lesquels elle conserve les individus que dans ceux par lesquels elle conserve les espèces, Bonnet, Lett. div. Œuvres, t. XII, p. 202, dans POUGENS. Combien, soigneuse encor de leur postérité, Par des moyens divers la nature puissante Conserve chaque espèce à jamais renaissante, Delille, Trois règ. VII.

    L'espèce humaine, le genre humain. Je hais, je fuis l'espèce humaine, composée de victimes et de bourreaux ; et, si elle ne doit pas devenir meilleure, puisse-t-elle s'anéantir ! Raynal, Hist. phil. XI, 24. Assez de monde concourt à propager notre espèce, Béranger, Chap.

  • 6 Terme de jurisprudence. Le cas particulier sur lequel il s'agit de prononcer. Cet argument n'est pas admissible dans l'espèce. Cet arrêt n'est point dans notre espèce, Patru, Plaid. 9, dans RICHELET.
  • 7 Terme d'arithmétique. Se dit de quantités, par rapport à leur nature. Dix heures et trois minutes sont des quantités de même espèce ; dix heures et trois mètres sont des quantités d'espèce différente.

    Terme de géométrie. Triangle donné d'espèce, dont chaque angle est donné. Courbe donnée d'espèce, courbe dont la nature est connue ainsi que le rapport qu'ont entre eux les différents paramètres.

  • 8Chose, par opposition à argent. Les saisies et exécutions ne se feront que pour chose certaine et liquide, en deniers ou en espèces ; et si c'est en espèces, sera sursis à la vente, jusqu'à ce que l'appréciation en ait été faite, Ordonn. avril 1667, tit. XXXIII, art. 2. Si vous estimez plus à propos de prendre seulement ce qu'il faut de victuailles en espèces pour lesdits vaisseaux et de leur fournir le reste en argent, Colbert, Correspond. t. III, p. 10.

    Ce sens n'est plus usité. On dit aujourd'hui en nature.

    Terme de pratique. La chose même qu'on a empruntée. Il faut rendre en espèce un cheval qui a été prêté, c'est-à-dire il faut rendre le même cheval.

  • 9 S. f. plur. Espèces sonnantes (c'est-à-dire choses sonnantes), et, absolument, espèces, pièces de monnaie. Payer en espèces sonnantes. Si j'eusse été bien en espèces, je me serais sans doute piqué d'honneur, je n'aurais pas souffert qu'il eût payé pour moi, Lesage, Guzman, I, 6. Le roi Guillaume ordonna le grand renouvellement des espèces d'Angleterre en 1696, Mairan, Éloge de Halley.

    Il se dit aussi au singulier. L'espèce est rare dans sa bourse. Quantité de papier, et fort peu d'argent ; et, pour ne pas manquer quelque bonne affaire, il faut incessamment faire de l'espèce, Dancourt, Agioteurs, I, 8. Toute l'espèce vieille sortira donc de l'État qui fait la refonte, et le profit en sera pour les banquiers, Montesquieu, Esprit des lois. XXII, 10.

HISTORIQUE

XIIe s. En la cited entrad od forment grant cumpaignie, à cameilz [chameaux] ki porterent especes [épices] e or senz numbre, Rois, 271.

XIIIe s. Force de generation, Por l'espece avoir tous jours vive Par renouvelance naïve, la Rose, 7003.

XIVe s. La vertu ymaginative, laquelle reçoi du sens commun les especes des choses sensibles, H. de Mondeville, f° 15. Les diverses espoisses du spasme, H. de Mondeville, ib. f° 66. Une est pour avoir lignée et pour sauver et continuer humaine espece, Oresme, Eth. 254.

XVe s. Et puisque, par bien et par espece de bien et de humilité, vous estes venu en ce pays, vous soyez le bien venu, Froissart, II, III, 46. Luy presente ses deux mil escuz en or, car en auitre espece ne donnoit jamais argent aux gens estrangers, Commines, VI, 2.

XVIe s. Ainsy, soubz espece d'amitié, Antonius attira Artavasdes, puis le feit lier, Rabelais, Pant. IV, 36. Telle attestation, quand elle est deument faite, est une espece de glorifier Dieu, Calvin, Instit. 289. Ils enseignent de cercher Jesus Christ en l'espece du pain, qu'ils appellent, Calvin, ib. 1103. Ceste espece de magiciens sont reputez estre des bons et secourables, Lanoue, 136. Un sols, demysols, carolus et aultres especes françoyses, Carloix, VI, 8.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. especia, specia ; espagn. et portug. especie ; ital. specie ; du latin species, de même radical que spicere, voir (comp. SPECTACLE).