« gâter », définition dans le dictionnaire Littré

gâter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gâter

(gâ-té) v. a.
  • 1Ravager, dévaster (sens vieilli). L'armée ennemie gâta le pays en se retirant. Son discours dura tant que la maudite engeance Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin, La Fontaine, Fabl. IX, 5.
  • 2Mettre en mauvais état, détériorer. Le tailleur a gâté votre habit. Il a gâté sa maison en la voulant embellir. Si je gâte ces fleurs, tu les peux corriger, Rotrou, Herc. mour. I, 3. Les Russes se retirèrent vers le Borysthène, gâtant tous les chemins, Voltaire, Charl. XII, 4. Nous gâtions les outils de mon bon vieux grand-père pour faire des montres, Rousseau, Confess. I.

    Fig. L'âge a gâté la main à ce peintre, à ce chirurgien, à cet écrivain, il leur a rendu la main moins légère.

    Fig. Se gâter la main, s'habituer à négliger les règles de l'art en faisant des travaux peu soignés.

  • 3 Par extension, il se dit des choses qui ôtent la forme, la régularité. On ne s'en tint pas à l'utile, on voulut des embellissements ; des maisons de pierre gâtaient la place du palais [à Vitepsk], l'empereur ordonna à sa garde de les abattre et d'en enlever les débris, Ségur, Hist. de Nap. v, 1.
  • 4 Fig. Altérer les choses morales, intellectuelles, les affaires. L'affectation gâte les dons naturels. Ces fâcheux souvenirs vinrent gâter notre plaisir. Pour moi je ne tiens pas, quelque effet qu'on suppose, Que la science soit pour gâter quelque chose, Molière, F. sav. IV, 3. Vous savez que votre présence ne gâte jamais rien, Molière, Am. magn. I, 1. Redoutons l'anglomanie, elle a déjà gâté tout, Voltaire, Bon Français. Tout cela serait délicieux, mais vous me gâtez tout [par votre absence], Voltaire, Lett. d'Argental, 27 avr. 1751.

    Familièrement. Gâter les affaires, empêcher, par imprudence ou par malice, qu'une affaire ne se conclue, qu'un raccommodement ne s'accomplisse, etc. C'est le moyen de gâter les affaires, Molière, Tart. III, 1.

    On dit dans le même sens : Cet événement pourrait bien gâter les affaires. …Et monsieur là-dessus Est venu brusquement gâter tout le mystère, Regnard, Distrait, IV, 2. Les gens indifférents gâtent tout, Marivaux, Jeux de l'am. et du hasard, III, 8.

    Gâter ses affaires, perdre la faveur qu'on avait auprès d'une personne. Tenez-vous et n'allez point gâter vos affaires, Hamilton, Gramm. 6.

    En un sens contraire. Cela ne gâtera rien, il n'en résultera aucun dommage pour l'affaire dont il s'agit. La présence de monsieur ne gâtera rien, et peut-être pourra-t-il nous être utile, Regnard, la Sérénade, 5. Un Diogène insupportable, Moitié sophiste et moitié chien, Croit placer le souverain bien à donner tous les rois au diable… Mais être roi ne gâte rien, Lorsque d'ailleurs on est aimable, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 76.

    Ce qui ne gâte rien, s'ajoute à une phrase pour relever quelque qualité ou circonstance. Il est bel homme, et de plus riche, ce qui ne gâte rien. Mais quand elle [l'abeille] a le don de plaire, Ce superflu ne gâte rien, Voltaire, Lett. à Cath. 4.

    Gâter le métier, faire trop bon marché de sa peine ou de sa marchandise, en sorte que cela fait tort aux autres.

    Fig. Gâter le métier, faire que ce que font les autres paraît peu de chose. C'est un mari trop complaisant pour sa femme, il gâte le métier. Écrivez à votre frère, il a fort bien fait ; j'ai sa procuration ; on l'admirerait si vous ne gâtiez point le métier ; mais vos sentiments sont d'une perfection qui efface tout, Sévigné, 471.

  • 5Salir, tacher. Ces éclaboussures ont gâté mon habit. Il disait bien, car on n'avait jeté Cette immondice et la dame gâté, Qu'afin qu'elle eût quelque valable excuse Pour éloigner son dragon quelque temps, La Fontaine, On ne s'avise jamais de tout..

    Fig. Gâter du papier, écrire beaucoup et mal, ou écrire des choses inutiles.

  • 6Gâter quelqu'un, nuire à sa réputation, le desservir. Cette action l'a bien gâté dans le monde, dans l'esprit des honnêtes gens. Puisque je ne trouvais pas ce service [les sacs] au-dessous de moi, les gendarmes et les chevau-légers ne seraient ni déshonorés ni gâtés de m'imiter, Saint-Simon, 1, 29.
  • 7Altérer par la putréfaction. La chaleur ne tarde pas à gâter la viande.
  • 8Communiquer une maladie honteuse. Ah ! voulez-vous, Jean-Jean, nous gâter tous ? Boileau, Épigr. 3.
  • 9Fausser le jugement. Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant, Perd l'esprit, la lecture a gâté Démocrite, La Fontaine, Fabl. VIII, 26. La gangrène ne suppose pas la gangrène dans un corps qu'elle corrompt ; ni par conséquent les hérésiarques ne trouvent pas leur erreur déjà établie dans les esprits qu'elle gâte, Bossuet, Var. XV, § 46. Cette dame, célèbre par ses connaissances singulières en mathématiques, ne pouvait souffrir les fables que le temps a consacrées, qu'il est aisé de répéter, qui gâtent l'esprit et qui l'énervent, Voltaire, Fragm. sur l'hist. art. 1.
  • 10 Fig. Corrompre, dépraver. Cette mauvaise connaissance a achevé de le gâter. Si le monde ne vous gâtait pas, il vous ennuierait, Maintenon, Lett. à M. d'Aubigné, 3 janv. 1681. C'est un fils obéissant, celui-là, qui n'a jamais été gâté par Frontin, Brueys, Muet, I, 6. D'accord, son cœur novice à l'infidélité, Par le commerce humain n'est pas encor gâté, Regnard, Démocr. I, 4. Là les censeurs seraient gâtés par ceux mêmes qu'ils devraient corriger, Montesquieu, Esp. v, 19. Je ne nierai point que Paris ne puisse gâter un jeune homme, Genlis, Théât. d'éduc. le Vrai sage, I, 3.
  • 11Entretenir les faiblesses, les défauts, les vices de quelqu'un par trop de complaisance, de douceur. Je veux être pendu, si nous ne les verrions [les femmes] Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions, Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes Les gâtent tous les jours, dans le siècle où nous sommes, Molière, Dép. am. IV, 2. Vous me gâtez si fort par l'amitié que vous avez pour moi que…, Sévigné, 345. Sa mère regardait déjà Floride comme une reine, et la gâtait par ses complaisances, Fénelon, t. XIX, p. 13. Souvent le plaisir qu'on veut tirer des jolis enfants les gâte, Fénelon, Éduc. filles, chap. 3. Le duc le gâtait par les louanges qu'il donnait à sa voix, Hamilton, Gram. 7. Ne nous gâtez point Soliman, Favart, Soliman, II, II, 14. J'y fus d'autant plus sensible que je n'étais pas accoutumé d'être gâté par les ministres, Rousseau, Conf. X. Vous verrez dans mon discours un petit mot de correction fraternelle pour ce gentilhomme qui était présent, et qui, à ce que je crois, l'aura sentie, car je ne gâte pas ces messieurs, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 2 janv. 1769. Mélanide : Nous avons tort, nous la gâtons. - Dorine : Oh ! madame, ce n'est pas un caractère comme le sien qu'on peut gâter, Genlis, Théât. d'éduc. l'Enfant gâté, I, 1.

    On dit familièrement qu'un homme a été gâté, quand, ayant vu trop de belles choses, il devient difficile et dédaigneux. L'Amérique m'a un peu gâté sur le compte des fleurs, Chateaubriand, Itin. 1re part.

  • 12Se gâter, v. réfl. Devenir détérioré. Comme il est naturel à l'homme de corrompre les meilleures choses, cette science qui a mérité de si grands éloges, se gâte le plus souvent en nos mains par l'usage que nous en faisons, Bossuet, Panég. sainte Cather. Préambule.

    Il se dit des affaires qui vont mal. Les affaires de mon père commençaient à se gâter dans le temps qu'il vint à connaître ma mère, et elles ne firent qu'empirer par cet amour et cet attachement qu'il eut pour elle, où tout allait de grand seigneur à grande dame, Lesage, Guzm. d'Alfar. 1, 2.

    Absolument. Cela se gâte, les choses prennent une mauvaise tournure. S'il ne cesse de le taquiner, cela se gâtera, la personne taquinée se fâchera.

    Le temps, le ciel se gâte, il se couvre de nuages, nous aurons de l'eau.

  • 13Être attaqué par la corruption. Ces fruits commencent à se gâter. Ce vin s'est gâté.
  • 14 Fig. Se salir. Les affaires publiques sont souvent sales et pleines d'ordure ; on se gâte pour peu qu'on les touche, Guez de Balzac, Ariste ou de la cour, Avant-propos.

    Il s'est bien gâté, il s'est bien décrié, sa réputation a bien déchu.

    Fig. Être changé de bien en mal. Chez ce peuple, le goût et les mœurs se gâtèrent rapidement. Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui, Molière, Éc. des femmes, III, 2. Les autres se gâtaient par le mélange, Bossuet, Hist. III, 7.

HISTORIQUE

XIe s. Charles li magnes ad Espagne guastede, Ch. de Rol. LIV.

XIIe s. Et joie a povre savor, Qui en tel lieu est gastée, Couci, I. Si que mis [mon] sancs i fust en partie wastez, Th. le mart. 129. Ensi est del felun cum il fu del sengler Dont vus avez oï en Avien cunter, Qui soleit les frumenz al riche humme guaster, ib. 31.

XIIIe s. …Li Sarrasin de Perse orent grant force contre les crestiens, et gasterent Jerusalem, Latini, Trés. p. 83. Lores te metras à la voie, Et si iras par tel convent, Qu'à ton esme [dessein] faudras souvent Et gasteras en vain tes pas, Ce que tu quiers ne verras pas, la Rose, 2334. Or m'en lessiés du tout ester [laissez-moi en repos] ; Car vos porriez bien gaster En oiseuse vostre françois, ib. 3098. Moult estoit sa [de Vieillesse] biauté gastée, Et moult est lede devenue, ib. 344.

XIVe s. Ceux qui sont incontinens et qui vivent par desattrempance, et gastent leurs peccunes ou leur substance, nous les appellons prodiges [prodigues], Oresme, Eth. 102. Et en telx choses usent et gastent leur temps, Oresme, ib. 92. Voy comment la nuit et le jour se gaste le temps, Ménagier, I, 3.

XVe s. J'ai tant affaire que je ne sçai au quel entendre, et en ay la teste toute gastée, les Quinze joies du mariage, p. 97, dans LACURNE. Tesmoignerent les dames que aujourd'hui ont esté quatorze chevaulx dessoubz luy que mors que gastez, Percefor. t. III, f° 111.

XVIe s. Par quoy, craignant Gargantua que il se guastast [se blessât], feit faire quatre grosses chaisnes de fer pour le lyer dans son berceau, Rabelais, Pant. II, 4. Il en advint un inconvenient bien grand : tout le bon vin d'Aurelians poulsa et se guasta [devint mauvais], Rabelais, ib. II, 7. Ce n'est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas ; il fault qu'elle nous change en mieulx, Montaigne, I, 147. À faute de cette proportion [dans les leçons qu'on donne] nous gastons tout, Montaigne, I, 160. Qu'on arrose d'eau le jardin ; Mais d'en aller gaster le vin Seroit-ce pas grand offense ? Jean le Houx, IX. Un soudard, mal sain de sa personne, et gasté dedans le corps, Amyot, Pélop. 1. Certaines mariées font mesmes consentir à leurs maris, que la moitié de leur dot se gaste en beaux ornemens pour leurs nopces, Lanoue, 336. Non content de cela, il [Henri IV] se mit à lui retrancher [à d'Aubigné] ses appointemens et prenoit plaisir à gaster ses habits pour le mettre en depence, D'Aubigné, Vie, XLIII. Ces admonitions nous serviront, à ce que nous ne gastions nos serviteurs par trop de douceur, De Serres, 40. Vous mignottez cest enfant si très fort que vous le gasterez, Palsgrave, p. 483. Confesse la verité sans te laisser ainsi gaster [tourmenter par la torture], aussi bien sçavons nous tout, Nuits de Straparole, t. II, p. 301, dans LACURNE. C'est tout un, disent-ils ; pays gasté n'est pas perdu, Montluc, Mém. t. II, p. 167, dans LACURNE. Considerez le avec une comparaison de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, les quelles sont destituées de ces benefices : les uns gastez de corps, de santé, de membres, St François de Sales, p. 464.

ÉTYMOLOGIE

Berry, gâter, blesser grièvement ; picard, water ; provenç. gastar, guastar ; espagn. gastar ; ital. guastare ; du latin vastare, ravager, de vastus, vaste, rendre vaste, désoler. Cependant il y a un mot germanique wastjan, ravager, qui a pu contribuer à changer le v latin en g ou gu, mais qui aurait donné plutôt gastir (gastir a existé en effet ; voy. GÂTINE).