« livrer », définition dans le dictionnaire Littré

livrer

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livrer

(li-vré) v. a.
  • 1Remettre ce qui a été acheté, payé, convenu. Livrer de la marchandise. Livrer un ouvrage pour un certain prix. Je me charge de vous livrer la vigne de Naboth de Jezrahel, Sacy, Bible, Rois, III, XXI, 7. Ces ouvriers, n'ayant plus la liberté de choisir entre plusieurs acheteurs, ont été forcés de livrer le fruit de leur travail, pour le prix qu'on a bien voulu leur en donner, Raynal, Hist. phil. III, 38.

    Familièrement et fig. Je vous en livre autant, c'est-à-dire je suis dans le même cas que vous. Bellegarde : Cela fait le désespoir, à coup sûr, d'une très grande dame qui ne m'avait pas destiné à souper ce soir avec le roi. - Concini : Je vous en livre autant, Collé, Part. de chasse de Henri IV, I, 1.

  • 2Mettre au pouvoir de, dans les mains de, soit une personne, soit une chose. Livrer un coupable à la justice, aux mains, entre les mains de la justice. J'ai craint un ennemi, mon bonheur me le livre, Corneille, Héracl. IV, 4. Le ciel te livre exprès une grande victime, Corneille, Perthar. IV, 4. Ce Dieu que tu bravais en nos mains t'a livrée, Racine, Ath. V, 5. Je ne condamne plus un courroux légitime, Et l'on vous va, seigneur, livrer votre victime, Racine, Andr. II, 4. Cette pente à imiter qui est dans les enfants, produit des maux infinis quand on les livre à des gens sans vertu qui ne se contraignent guères devant eux, Fénelon, Éduc. filles, ch. IV. Les loups demandèrent un jour aux brebis, que, pour avoir la paix avec eux, elles leur livrassent les chiens qui les gardaient, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 182, dans POUGENS. Le comte de Maillebois me livra tous les papiers de son père et les siens, Marmontel, Mém. IX.

    Livrer un manuscrit, un ouvrage à l'impression, le faire imprimer. J'avais livré cet article sur la girafe à l'impression, lorsque j'ai reçu, le 23 juillet 1775, la belle édition que M. Schneider a faite de mon ouvrage, Buffon, Quadrup. t. IX, p. 219.

    Fig. et familièrement. Je vous livre cet homme-là marié avant qu'il soit peu, je vous le livre ruiné dans un an, etc., c'est-à-dire je vous assure qu'il sera marié avant qu'il soit peu, qu'il sera ruiné dans un an. Je vous le livre chez vous à telle heure, c'est-à-dire je vous réponds que je le mènerai chez vous à telle heure, que je l'obligerai de s'y rendre.

    Si vous avez besoin de lui dans telle affaire, je vous le livre, c'est-à-dire je vous réponds qu'il vous servira.

    Fig. et familièrement. Je vous livre cet homme-là pieds et poings liés, c'est-à-dire il fera ce que vous voudrez, vous en disposerez comme il vous plaira.

    On disait autrefois qu'un coupable était livré au bras séculier, quand le juge ecclésiastique le remettait au juge laïque pour l'application des peines afflictives.

    Fig. et familièrement. Livrer au bras séculier, abandonner ce dont on ne se soucie plus, ce dont on n'a plus besoin. Les restes du dîner ont été livrés au bras séculier, c'est-à-dire aux domestiques.

    Livrer à la mort, au supplice, faire subir à un condamné la mort, le supplice. Mais siérait-il, Abner, à des cœurs généreux De livrer au supplice un enfant malheureux ? Racine, Ath. V, 2. Et fais livrer sans crainte aux supplices tout prêts L'assassin de ton fils, et l'ami d'Alvarez, Voltaire, Alz. V, 5.

  • 3Remettre entre les mains de, avec l'idée qu'il y a trahison de la part de ceux qui livrent. Judas livra Jésus aux Juifs pour trente deniers. Les Écossais, à qui il [Charles 1er] se donne, le livrent aux parlementaires anglais, Bossuet, Reine d'Anglet. Il fut résolu qu'on lui livrerait la citadelle de Corinthe, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VII, p. 569, dans POUGENS. L'assaut sera-t-il prêt, si par nos conjurés Les remparts cette nuit ne nous sont point livrés ? Voltaire, Brutus, III, 1.
  • 4Exposer à. Livrer une ville au pillage. Livrer les voiles au vent. Vous qui livrez la terre aux discordes civiles, Corneille, Pomp. II, 2.

    Fig. Remettre en abandon. Livrer ses secrets à un imprudent. Livrer son âme à la douleur, à l'espérance. Et que le choix des dieux contraire à mes amours Livrait à l'univers le reste de mes jours, Racine, Bérén. II, 2. Reviens me joindre ici, sois fidèle, ou je cours Livrer au peuple entier mon secret et mes jours, Delavigne, Paria, III, 4.

    Être livré à, être plongé dans, être absorbé, appartenir à. Il est livré à de singulières illusions. Fatigués de carnage et de sang enivrés, Les tyrans de la terre au sommeil sont livrés, Voltaire, Alz. IV, 3. L'univers, disiez-vous, au mensonge est livré, Voltaire, Tancr. IV, 2.

    Faire abandon de. Je sais que, du mensonge implacable ennemie, Josabeth livrerait même sa propre vie, Racine, Athal. III, 4. Je livre mes idées à la postérité et au temps ; c'est à eux à me juger, Raynal, Hist. phil. XVIII, 52.

  • 5 Terme de chasse. Livrer le cerf aux chiens, mettre les chiens après le cerf.

    Livrer en proie, abandonner aux animaux carnassiers ; et fig. abandonner sans réserve à la passion, à la fureur.

  • 6Livrer se dit de celui qui offre la bataille à l'ennemi et engage l'affaire. Livrer une bataille, un combat, un assaut. Quoique les lions marins soient d'un naturel plus doux que les ours marins, les mâles se livrent souvent entre eux des combats longs et sanglants, Buffon, Quadrup. t. XI, p. 224.

    On dit aussi livrer bataille. L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire loup l'eût fait volontiers ; Mais il fallait livrer bataille, Et le mâtin était de taille à se défendre hardiment, La Fontaine, Fabl. I, 5. Quand il fut près du bourg de Franstadt, sur les frontières de Pologne, il trouva le maréchal Renschild qui venait lui livrer bataille, Voltaire, Russie, I, 15.

    Fig. Livrer bataille, livrer combat pour quelqu'un, soutenir fortement les intérêts de quelqu'un.

    Fig. Chaque assaut [donné à la ville] à mon cœur livrait mille combats, Racine, Théb. II, 1.

    On remarquera que, bien qu'on dise livrer bataille, on ne dit pas livrer combat au propre, mais que livrer combat ne se dit qu'au figuré.

    Par une analogie, qui n'est plus guère saisie et employée, livrer un tourment, causer une vive peine. Environné d'amour et du fâcheux tourment Qu'entre tant de regrets son absence me livre, Régnier, Plainte.

  • 7 Terme de jeu de dés. Livrer chance, amener un nombre de points qui fait la chance de l'adversaire.
  • 8Se livrer, v. réfl. Se remettre à, se confier à. Je me promène seule, mais je n'ose me livrer à l'entre chien et loup, de peur d'éclater en cris et en pleurs, Sévigné, 27 septemb. 1684. Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine, Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne, Racine, Andr. I, 1. Roxane, se livrant tout entière à ma foi, Du cœur de Bajazet se reposait sur moi, Racine, Bajaz. I, 4. Quand on apprit à Athènes la manière dont les Phocéens avaient été traités, on comprit, mais trop tard, le tort qu'on avait eu de ne pas déférer aux conseils de Démosthène, et de s'être livré aveuglément aux vaines promesses d'un traître qui avait vendu sa patrie, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 72, dans POUGENS. Combien de son bonheur l'homme aisément s'enivre ! Sans prévoir l'avenir, au présent il se livre, Delille, Én. X.

    Se livrer à quelqu'un, se confier à lui. Il s'était livré à de faux amis qui le trompaient. Si vous avez un ami, acquérez-le avec épreuve, et ne vous livrez point à lui par trop de facilité, Bossuet, Polit. X, II, 8.

  • 9 Fig. S'abandonner à. Que je vous plains de vous livrer aussi cruellement que vous faites à vos inquiétudes ! Sévigné, 9 oct. 1680. N'y a-t-il point de misérable qu'il faille empêcher de se livrer au murmure, au blasphème, au désespoir ? Bossuet, Élév. sur myst. XX, 10. Ne craignez pas que je me livre à ma douleur, Fléchier, Duc de Mont. Un homme qui se livre à ses désirs impatients, Fénelon, Tél. XXIV. Tu vois mon sort, tu vois la honte où je me livre, Voltaire, Zaïre, V, 8. J'avais du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrais volontiers à la folie avec les fous, Marmontel, Mém. IV.

    J. J. Rousseau, avec faire, a fait ellipse du pronom personnel. Une autre idée me fait livrer à mon zèle avec confiance, Lett. à la comtesse de B. 26 janv. 1765. C'est une licence qui n'est pas à imiter.

  • 10Se livrer à, se dévouer à. Eh, bon Dieu ! comment pourraient-ils [les Grignans] ne pas vous aimer, quand ils feront réflexion à ce que vous êtes pour leur maison, à la manière dont vous vous y êtes transmise, et livrée, et abîmée ? Sévigné, 1er nov. 1688.
  • 11Faire don de sa propre personne. Il peut me conquérir à ce prix sans danger ; Je me livre moi-même, et ne puis me venger ! Racine, Andr. V, 2.

    Se livrer, s'attacher exclusivement, s'enchaîner. Vendez ces doux regards, ces attraits, ces appas ; Vous-même vendez-vous, mais ne vous livrez pas, Régnier, Sat. XII.

    Se livrer, se dit d'une femme qui accorde à un homme les dernières faveurs.

  • 12Se mettre au pouvoir de. Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent, Et courent se livrer aux mains qui les attendent, Corneille, Cid, IV, 3.

    S'ôter toute ressource. C'est le denier de la veuve… il est vrai que je me suis livrée tout entière… et j'ai dit : Eh bien ! si on me manque, si on me ruine…, Sévigné, 26 janv. 1689.

    À plusieurs jeux, à l'escrime, se livrer, donner quelque avantage à son adversaire.

    Fig. C'est un homme qui se livre dans la discussion.

  • 13 Absolument. Se livrer, être communicatif. Il est plus facile à un Asiatique de s'instruire des mœurs des Français dans un an, qu'il ne l'est à un Français de s'instruire des mœurs des Asiatiques dans quatre, parce que les uns se livrent autant que les autres se communiquent peu, Montesquieu, Lett. pers. Introd.

    C'est un homme qui ne se livre pas, c'est un homme très circonspect, très réservé.

  • 14Se livrer à, suivre une carrière, une profession, un travail. Je vous avoue que, si je suivais mon goût, je me livrerais tout entier à l'histoire du siècle de Louis XIV, puisque le commencement ne vous en a pas déplu, Voltaire, Lett. d'Argenson, 26 janv. 1740. Jacques Cœur, fils d'un marchand de Bourges, s'était livré au commerce dès son enfance, Duclos, Hist. Louis XI, Œuv. t. V, p. 88, dans POUGENS. Nasiraddin de Tus naquit l'an de l'hégire 1097 ; il étudia la philosophie, et se livra de préférence aux mathématiques, Diderot, Opin. des anc. phil. (Sarrasins).

    Par extension. Ceux qui se livrent à leurs devoirs ne sont connus que par hasard de ceux qui en ont un besoin passager, Duclos, Consid. sur les mœurs, ch. 8.

  • 15Se livrer, être engagé, en parlant de bataille. Des combats violents se livrent entre les cerfs lors du rut.

    PROVERBE

    Tel vend qui ne livre pas, c'est-à-dire on ne réussit pas toujours dans les mesures que l'on prend pour tromper quelqu'un.

SYNONYME

LIVRER, DÉLIVRER (dans le sens de donner). Livrer, c'est remettre ce qui a été stipulé, convenu, vendu : le marchand livre la marchandise à celui qui l'a achetée. Délivrer n'implique pas cette idée ; c'est simplement remettre : un garde-magasin délivre tant de sacs de farine à celui qui est autorisé à venir les prendre.

HISTORIQUE

XIe s. Au destre poing au paien [il] l'a livret [le bref], Ch. de Rol. XXX. Livrez le mei, j'en ferai la justice, ib. XXXVI. Liverai lui une mortel bataille, ib. LI.

XIIe s. [Il] Se velt à vus livrer, Roncis. 7. [La France] Qui à duel [deuil] fu en Rencevals livrée, ib. 156. Li rois respont : touz sui prez de livrer [de produire mon champion], ib. 191. Il livrerent [remirent] la charte au riche Salemon, Saxons, XX. [Ils nous vouloient] Escorchier et livrer à lor ours en chaaine, ib. XX. Là seront li deniers livré [remis] par igal pois, ib. XXXIII.

XIIIe s. Lasse, fait ele, or m'i va malement ; Livrée [je] sui à une estrange gent, Romancero, p. 70. Où mon cors à hontage mie livrés ne soit, Berte, XXVIII. Quant il ne livre pas soufisant soustenance as enfans, selonc lor estat et selonc ce qu'il en tient, Beaumanoir, XXI, 13. Se il est povres ou estranges, par quoi il ne pot pleges livrer, il soufist s'il en done se [sa] foi, Beaumanoir, II, 14. S'en les voloit à mort livrer, Penser devons d'eus delivrer, la Rose, 4771.

XVIe s. Il faut que l'assaut je vous livre, Marot, IV, 156. Dresser des armées, livrer des battailles, Montaigne, I, 114. Il lui feit livrer sept aulnes de drap noir, Rabelais, Garg. I, 20. Je vueil que me livrez, avant le despartir, ce beau Marquet, source de ceste guere, Rabelais, ib. I, 50. Que, si Dieu prend à gré ces premices, je veux, Quand mes fruicts seront meurs, lui payer d'autres vœux, Me livrer aux travaux de la pesante histoire, D'Aubigné, Tragiques, Feux.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. liurar, lieurar, livrar ; catal. lliurar, livrar ; espagn. librar ; ital. librare, liberare ; du lat. liberare, rendre libre. « L'idée moderne, dit Scheler, se déduit naturellement du sens classique : affranchir, détacher une chose ou la laisser partir, la livrer, ne plus la retenir sont des idées qui se tiennent. » Cela est très juste. Liberare avec le sens de remettre se trouve dès les Capitulaires de Charles le Chauve.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

LIVRER. Ajoutez :
16Se livrer, en termes de commerce, prendre livraison. Se livrer d'un chargement de blé.