« ruine », définition dans le dictionnaire Littré

ruine

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ruine

(ru-i-n') s. f.
  • 1Destruction d'un bâtiment qui tombe de lui-même ou qu'on fait tomber. Cette prédiction de la ruine du temple réprouvé, qui figure la ruine de l'homme réprouvé qui est en chacun de nous, Pascal, Lettr. à Mlle de Roannez, 9. Toutes les ruines sont réparées [en Judée], les villes et les bourgades sont magnifiquement rebâties, Bossuet, Hist. II, 5. Ces barbares [les Germains], dont l'art et le génie n'étaient guère d'attaquer les villes, et encore moins de les défendre, en laissèrent tomber les murailles en ruine, Montesquieu, Rom. 20. Le palais de votre capitale [Paris] menace ruine ; la façade en est cachée par des masures, Voltaire, Pol. et lég. Ce qu'on ne fait pas. Chaque jour, je trouvais sur ma route des champs abandonnés, des villages désertés, des villes en ruines, Volney, les Ruines, I.

    Fig. Il [l'homme] est tombé en ruine par sa volonté dépravée, le comble s'est abattu sur les murailles, et les murailles sur le fondement, Bossuet, la Vallière.

    Battre une place en ruine, la battre avec la grosse artillerie, la bombarder.

    Fig. Battre en ruine quelqu'un, chercher à détruire son crédit, sa position, sa puissance. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet écrivain [dans la Gazette de Hollande], Molière, Comtesse, I.

    Fig. Tomber de ruine en ruine, tomber d'un état grave dans un état pire. C'est en cette sorte que les esprits une fois émus, tombant de ruines en ruines, se sont divisés en tant de sectes, Bossuet, Reine d'Angleterre.

    Fig. Les ruines du visage, état d'un visage dévasté par la vieillesse. Assurez-vous que, quand vous n'aurez plus que de l'éloquence, personne ne la viendra chercher dans les ruines de votre visage, Guez de Balzac, liv. III, lett. 20. Les ruines d'une maison Se peuvent réparer : que n'est cet avantage Pour les ruines du visage ! La Fontaine, Fabl. VII, 5.

  • 2Il se dit aussi de toute espèce de destruction. …Le Scythe alors lui demanda [au jardinier qui taillait ses arbres] : Pourquoi cette ruine : était-il d'homme sage De mutiler ainsi ces pauvres habitants ? La Fontaine, Fabl. XII, 20. On peut suivre la ruine des continents terrestres et leur abaissement sous les eaux, en parcourant les îles de la mer du Sud, Buffon, Min. t. IX, p. 18.
  • 3Les débris, les restes d'un édifice, d'une ville. Voilà une belle ruine. Cyrus… Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines ; Et le temple déjà sortait de ses ruines, Racine, Esth. III, 4. Si quelque reste des arts asiatiques mérite un peu notre curiosité, ce sont les ruines de Persépolis, décrites dans plusieurs livres et copiées dans plusieurs estampes, Voltaire, Mœurs, 5. Deux choses nous annoncent notre sort et nous font rêver : les ruines anciennes et la courte durée de ceux qui ont commencé de vivre en même temps que nous, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 14 août 1759. Les ruines doivent être solennelles, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 284, dans POUGENS. Près du Liban était Héliopolis, nommée depuis Baalbeck, fameuse encore par ses ruines subsistantes, Bailly, Atlantide, p. 123. Au sortir de cette vallée, j'aperçus dans la plaine la scène de ruines la plus étonnante, Volney, les Ruines, I. Les ruines répandent un singulier charme sur la campagne d'Italie, Staël, Corinne, VIII, 4.

    Fig. Infortuné le peuple… Qui voit… périr son nom et son orgueil, Sans qu'un beau souvenir reste sur sa ruine, Hugo, Odes, IV, 4.

    Fig. Ce n'est plus qu'une ruine, se dit d'une personne qui a perdu, en vieillissant, sa beauté ou son talent.

    Pierres de ruines, pierres figurées, sur lesquelles on voit des représentations de vieilles ruines, aussi naturelles que si elles étaient l'ouvrage du pinceau.

  • 4 Terme de peinture et d'architecture. Représentation des édifices ruinés. Une belle ruine. Les ruines de ce peintre sont estimées. Orner un jardin de ruines pittoresques. On n'y voit point ces tombeaux vides et ces ruines toutes neuves qui ne retracent aucun souvenir, Genlis, Mères riv. t. I, p. 3.
  • 5 Fig. Il se dit des États, de la puissance, des institutions, des grandeurs, des croyances que la destruction atteint. Ainsi, par la vertu de la croix, la religion païenne, confondue par elle même, tombait en ruine, Bossuet, Hist. II, 12. On appela [lors des guerres de religion] les étrangers de toutes parts au sein de la France, comme à un pays de conquête ; et on mit ce florissant royaume, l'honneur de la chrétienté, sur le bord de sa ruine, Bossuet, 5e avert. 5. Tout est perdu, c'est fait de l'État, il est du moins sur le penchant de sa ruine, La Bruyère, X. Vous ne trouvez plus ici maintenant que les tristes restes d'une grandeur qui menace ruine, Fénelon, Tél. III. Ithaque ne se relèvera jamais de sa ruine ! Fénelon, ib. XVIII. Les malheurs et la ruine entière de Jérusalem, Massillon, Petit car. Obstacl. Si jamais les jésuites sont détruits en France, Tellier [jésuite confesseur de Louis XIV] aura été le principal auteur de leur ruine, Duclos, Œuv. t. V, p. 118.

    On dit dans un sens analogue : la ruine des affaires.

    Il se dit souvent au pluriel dans ce sens. S'ensevelir sous les ruines de sa patrie. Élever le déisme sur les ruines du christianisme, Pascal, Prov. XVI. Des ruines de cet empire [de Sardanapale] on voit sortir trois grands royaumes, Bossuet, Hist. I, 7. Ô mère, ô femme, ô reine admirable… vous avez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine ; il ne reste plus désormais, sinon que vous teniez ferme parmi les ruines, Bossuet, Reine d'Anglet. Fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler vos cérémonies et vos pompes avec les pompes funèbres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines ? Bossuet, Mar.-Thér. Ce roi, fils de David, où le chercherons-nous ? Le ciel même peut-il réparer les ruines De cet arbre séché jusque dans ses racines ? Racine, Ath. I, 1. Il craignait d'augmenter sa misère [de Protésilas] en lui montrant la prospérité d'un ennemi qu'on allait élever sur ses ruines, Fénelon, Tél. XI.

  • 6Perte de l'honneur, du crédit, du pouvoir, de la vie, etc. Quel chemin Exupère a pris pour sa ruine ! Corneille, Héracl. V, 7. Ils [les anges rebelles] n'ont plus voulu reconnaître Dieu ; et, quittant cette première bonté, qui n'était pas moins l'appui nécessaire de leur bonheur que le seul fondement de leur être, tout est allé en ruine, Bossuet, 1er sermon, Démons, I. Les pertes et les ruines entrent par trop d'endroits dans la fortune des hommes pour pouvoir être arrêtées de toutes parts, Bossuet, Sermons, Ambition, 2. Cet emploi me tiendra lieu d'un établissement selon le monde ; mais il serait en même temps ma ruine selon Dieu, Bourdaloue, 14e dim. après la Pentecôte, Dominic. t. III, p. 406. Il faut que sa ruine [de Britannicus] Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine, Racine, Brit. IV, 3. Corinne, il fut des anges révoltés… Doux, mais fragile, un seul dans leur ruine Contre ses maux garde un puissant secours : Il reste armé de sa lyre divine, Béranger, Ange exilé.
  • 7 Particulièrement. Perte de la fortune, des biens. Si jamais je me brouille, ce ne sera qu'après la ruine totale de M. Turcaret, Lesage, Turcaret, I, 11. Les ruines amenées subitement ou par le jeu, ou par la dissipation, ou par des entreprises mal calculées, Raynal, Hist. phil. V, 19.
  • 8Ce qui cause la ruine, la destruction. Les excès sont la ruine de la santé. Hélène fut la ruine de Troie.
  • 9Ce qui cause une très grande dépense. Le jeu est une ruine. On me mande que ce régiment est une distinction agréable ; mais n'est-ce point aussi une ruine ? Sévigné, 1er nov. 1671.

HISTORIQUE

XIVe s. Les ruines et embrasemens de la cité prise, Bercheure, f° 112, verso.

XVIe s. Tu as defait mes ennemis, Le meschant en ruine mis, Marot, IV, 241. Et falloit qu'ilz marchassent par dessus les ruines ardentes, Amyot, Dion, 57. Ceste sale me semble, dit-il, petite, pourrie et preste à aller en ruine, Amyot, Anton. 26. Pyrrhus tourna Pantauchus en fuitte, en laquelle il occit grand nombre de gens et prit cinq mille prisonniers : ce qui fut la principale ruine de Demetrius, Amyot, Démétr. 56. Dieu, qui a preservé nos ancestres de tant de ruines, veuille nous garantir des maux qui nous menacent ! Lanoue, 40. … Qui sont des erreurs qui souvent font trebuscher en de manifestes ruines ceux qui les suyvent, Lanoue, 328. Un pan de ruine qui tomba en accabla plusieurs, D'Aubigné, Hist. II, 55. Tirer sans bracquer ny myrer, mais seulement à coups perdus et en ruyne, Carloix, V, 25.

ÉTYMOLOGIE

Bourguign. reugne ; prov. roina, ruina ; espagn. ruina ; ital. rovina, ruina ; du lat. ruina, forme participiale de ruere, tomber (voy. RUER).