« suspendre », définition dans le dictionnaire Littré

suspendre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

suspendre

(su-span-dr') v. a.

Il se conjugue comme pendre.

  • 1Mettre, soutenir un corps en l'air de manière qu'il pende. On lui lia les pieds, on vous le suspendit, La Fontaine, Fabl. III, 1. Ces boucliers, ces devises, ces armes qu'on suspendait dans la lice, Voltaire, Tancrède, Épît. On les suspendait [les protestants sur la place de l'Estrapade] au bout d'une longue poutre, posée sur une poulie au-dessus d'un poteau de vingt pieds de haut, et on les faisait descendre à plusieurs reprises sur un large bûcher enflammé, Voltaire, Hist. Parl. XIX. Au moindre tracas qui survient, on le suspend [l'enfant en nourrice] à un clou comme un paquet de hardes, Rousseau, Ém. I.

    On suspend un cheval, c'est-à-dire on le soutient en l'air, dans certaines opérations, quelquefois pour le ferrer, quelquefois aussi dans certaines maladies, pour l'empêcher de rester couché.

  • 2 Fig. Interrompre, discontinuer, remettre. Elle [l'imagination] fait croire, douter, nier la raison ; elle suspend les sens, elle les fait sentir, Pascal, Pens. III, 3, éd. HAVET. Le ciel, qui semblait suspendre en faveur de la piété de la reine la vengeance qu'il méditait, Bossuet, Reine d'Anglet. Une mort soudaine et surprenante qui a suspendu le cours de nos victoires, Fléchier, Turenne. Dès qu'un léger sommeil suspendait mes ennuis, Racine, Iphig. I, 1. Votre absence en ces lieux suspend toute la joie, Racine, Esth. III, 2. Mes filles, c'est assez ; suspendez vos cantiques, Racine, Ath. II, 1. Donc, mes frères, vous que ce discours regarde, et qui vivez dans des habitudes de crime, que le devoir pascal n'a fait jusqu'ici que suspendre pour un moment, Massillon, Carême, sur la communion. Molière, ayant suspendu son chef-d'œuvre du Misanthrope, le rendit quelque temps après au public, accompagné du Médecin malgré lui, Voltaire, Vie de Molière. Méchants, suspendez vos blasphèmes, Gilbert, le Jugem. dern. Elle [Marie d'Anjou] suspendit le payement de ses officiers pour le joyeux voyage de monsieur saint Jacques en Galice, Duclos, Œuvr. t. II, p. 196. Bientôt le silence de toute la nature l'invite au repos ; un calme délicieux suspend ses sens ; sa paupière s'appesantit, ses idées fuient, échappent, elle s'endort, Condillac, Traité sens. III, 7. Le froid excessif des hivers qui suspendait le cours des fleuves, Raynal, Hist. phil. XVI, 14. Il parut un arrêt du conseil en date du 13 août 1769, par lequel le roi suspendait le privilége exclusif de la compagnie des Indes, Raynal, ib. IV, 26. Ces spectres, ces lutins rôdant dans les ténèbres, Vieux récits, dont le charme, amusant les hameaux, Abrège la veillée et suspend les fuseaux, Delille, Imag. IV.

    Suspendre un travail, des travaux, interrompre son travail, des travaux.

    Suspendre ses payements, se dit d'une maison de commerce qui ne peut pas payer, momentanément au moins, ce qu'elle doit.

    Suspendre son jugement, attendre, pour porter un jugement, qu'on soit plus éclairé. L'art de disputer sur toutes choses, sans prendre jamais d'autre parti que de suspendre son jugement, s'appelle pyrrhonisme, Anal. de Bayle, t. III, p. 393. On doit faire ici ce que les hommes sages font à la lecture de toutes les histoires anciennes et même modernes : suspendre son jugement, et douter beaucoup, Voltaire, Dict. phil. Dénombrement. L'homme éclairé suspend l'éloge et la censure, Gresset, Méch. IV, 4.

  • 3Il se dit de la constitution, d'une loi qu'on interrompt pour un temps. À la suite des troubles la constitution fut suspendue. La liberté du citoyen est si précieuse, que les lois seules peuvent en suspendre l'exercice, Barthélemy, Anach. Introd. part. II, sect. 1.
  • 4Arrêter pour quelque temps. Les troupes ont suspendu leur marche. Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots, suspende l'hémistiche, en marque le repos, Boileau, Art p. I.
  • 5 Fig. Interdire à quelqu'un l'exercice de ses fonctions, sans lui ôter le caractère dont il est revêtu. On a suspendu le maire de cette commune. Suspendre un prêtre de ses fonctions.
  • 6Tenir en suspens, attentif. On demeura surpris : Cela suspendit les esprits, La Fontaine, Fabl. VIII, 8.
  • 7 Terme de musique. Faire une suspension. On ne peut guère passer raisonnablement d'un accord à l'autre, sans trouver une note qu'on peut suspendre et résoudre, Grétry, Méth. pour prél. 15.
  • 8Se suspendre, v. réfl. Se tenir suspendu. Il [le fourmilier] monte sur les arbres, et se suspend aux branches par l'extrémité de sa queue, Buffon, Quadrup. t. IV, p. 56.
  • 9Être interrompu. En vérité, lorsqu'il m'arrive de penser que je suis dans le souvenir de ces deux personnes, pour ce moment toutes mes peines se suspendent, Voiture, Lett. 51.

HISTORIQUE

XIIe s. Teu merite [telle récompense] a au chef deu tor Qui felon est e traïtor, Et pire assez, qu'en le sepent à hautes forches mult sovent, Benoit de Sainte-Maure, II, 8838. Quant l'arcevesque sout et bien li fut nuncié Qu'à Dovre erent li trei qui tant l'unt guerreié, Le brief à l'apostolie baille un vaslet à pié, U cil trei prelat erent suspendu e lacié, Th. le mart. 124.

XIVe s. Especialement en fievre l'usage du triacle [thériaque] soit souspendu, H. de Mondeville, f° 87, verso.

XVe s. Au moins estoit ce tenir les gens en crainte, et par especial ses officiers, dont aucuns avoit supendus pour pillerie, Commines, VIII, 18.

XVIe s. Il se faisoit porter dedans un petit lict suspendu bien près de terre, Amyot, Péric. 52. Sertorius avoit occupé l'Hespagne, tenant les Romains suspendus en grande crainte, Amyot, Pomp. 25. Ilz mettoient leurs roys en justice, et les suspendoient de leur royauté, jusques à…, Amyot, Agis et Cléom. 13. Ma maîtresse avoit un coche de clisse, qui n'estoit gueres supendu que de cordes, D'Aubigné, Faen. III, 2. Quelque edict qui surpendist la persecution des reformez, D'Aubigné, Hist. I, 93. Les larmes que cette aultre plus forte passion avoit suspendues, Montaigne, I, 63. C'est l'enfileure de nos aiguilles [aimantées] suspendues l'une de l'aultre, Montaigne, I, 266. Vault-il pas mieulx suspendre sa persuasion, que de… ? Montaigne, II, 232.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. suspendre ; espagn. suspender ; ital. sospendere ; du lat. suspendere, de susum, en haut, et pendĕre, pendre.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

SUSPENDRE. Ajoutez :
10Suspendre les pas, marcher avec précaution pour ne pas faire de bruit. Voyez-moi ces délicats de qui le sommeil impose silence à toute une maison, pour qui tout ce qu'il est de serviteurs se ferment la bouche et suspendent les pas, s'ils s'approchent d'eux, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.