« ôter », définition dans le dictionnaire Littré

ôter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ôter

(ô-té) v. a.
  • 1Tirer une chose de la place où elle est. Il a ôté tous les meubles de la maison. Ôter le couvert. Ôter la nappe. Vous devriez brûler tout ce meuble inutile… M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans Cette longue lunette à faire peur aux gens, Molière, Femm. sav. II, 7.

    Ôter un voile, écarter le voile qui couvre quelque chose.

    Fig. Ôter le voile, un voile, dissiper quelque obscurité. Je sens de la pitié et de l'horreur pour eux [les Juifs], et je prie Dieu avec l'Église qu'il leur ôte le voile qui les empêche de voir que Jésus-Christ est venu, Sévigné, 26 juin 1689. Il regardait son corps comme un voile qui lui cachait la vérité éternelle, et il avait une impatience de philosophe et de chrétien, que ce voile importun lui fût ôté, Fontenelle, Renau.

    Ôter de devant les yeux, écarter de devant la vue quelque objet.

    Fig. Ôtez de devant mes yeux cette épée qui m'éblouit et me blesse ; elle n'a que trop bien fait son devoir, et le sceptre est abandonné ; la carrière des rois de votre étoffe est grande, et vous êtes encore loin du terme, Rousseau, au roi de Prusse, Corresp. t. V, p. 249, dans POUGENS.

  • 2Déplacer, tirer une personne de la place où elle est, faire changer de lieu. Ôtez cet enfant d'auprès du feu. Je suis venu t'ôter de leurs barbares mains, Mairet, Mort d'Asdr. IV, 4. Qu'on l'ôte de mes yeux, et que l'on m'obéisse, Corneille, Poly. V, 3. Mme de Chaulnes… va vous écrire ; outre le plaisir que je lui fais [en allant chez elle], elle a celui de croire qu'elle vous en fait un très sensible de m'ôter des Rochers, Sévigné, 30 juill. 1689. On ôte de Calais le vieux Courtebonne, craignant qu'à son âge il ne soit pas assez éveillé, Sévigné, 31 janv. 1689. On a ôté le parlement ; c'est le dernier coup, car Rennes sans cela ne vaut pas Vitré, Sévigné, 27 oct. 1675. Ôtons vitement cette bonne femme de l'étable où elle est, et la mettons dans un de ces petits lits, Bossuet, Anne de Gonz. Il entre une autre fois dans une assemblée, se place où il se trouve, sans nulle attention aux autres ni à soi-même ; on l'ôte d'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle du duc et pair, La Bruyère, II. Mais si vous êtes père, ôtez-moi de ces lieux, Voltaire, Tancr. III, 7.

    Ôter du monde, se dit de Dieu qui retire la vie. J'ignore si celui qui m'a créé ne m'ôtera point bientôt du monde, Sacy, Job, XXXII, 22.

  • 3En parlant des vêtements, déposer, quitter, se dépouiller. Ôter son habit, son manteau, ses souliers, sa cravate, ses gants, son épée. Il [un estropié] a déjà ôté son œil et sa moustache postiche, avec sa perruque qui cachait une tête chauve ; il attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois pour se mettre au lit avec le reste, Lesage, Diable boit. ch. III, p. 19, dans POUGENS.

    Ôter son chapeau à quelqu'un, le saluer.

  • 4Prendre, enlever, retirer. Les voleurs lui ont ôté son habit. On lui a ôté un coin de son parc. Il craint qu'on ne lui ôte son emploi, une portion de ses appointements. Vous m'ôtez le soleil. Votre bise vous ôte la canicule, Sévigné, 31 août 1689. J'ai déjà dit que ce grand Dieu enseigne les princes et en leur donnant et en leur ôtant leur puissance, Bossuet, Reine d'Anglet. Il [Cromwell] ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance, Bossuet, ib. Ses enfants, que le ciel lui donna pour accomplir ses désirs, et lui ôta pour éprouver sa résignation, Fléchier, Mar.-Thér. Cette langueur ennemie qui lui ôtait incessamment quelque partie d'elle-même, et qui lui portait tous les jours quelque trait mortel dans le sein, Fléchier, Mme de Mont. Ô dieux ! il fallait, ou ne le montrer point aux hommes, ou ne le leur ôter jamais ! Fénelon, Tél. II. Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'oracle de Delphes l'avertit qu'il se donnât de garde des 73 ans ; que Néron crut qu'il ne devait mourir qu'à cet âge-là, et ne songea point au vieux Galba, qui, étant âgé de 73 ans, lui ôta l'empire, Fontenelle, Oracl. II, 3. Il est bien rare d'ôter à un roi sa couronne sans lui ôter la vie, Voltaire, Hist. parl. XLVI.

    Cet objet ôte la vue de tel autre, il empêche de le voir.

    Fig. Ôter le pain de la main à quelqu'un, l'empêcher de gagner sa vie.

    Fig. Ôtez cela de vos papiers, n'ayez pas cette opinion, ne comptez pas là-dessus.

    Ôter la vie, faire mourir. Parce qu'il a plu à la Providence de conserver les sociétés des hommes, et de punir les méchants qui les troublent, il a établi lui-même des lois pour ôter la vie aux criminels, Pascal, Prov. XI.

  • 5 Fig. Il se dit des choses morales ou intellectuelles retirées, enlevées. Je ne veux pas vous ôter le plaisir de lui apprendre cette bonne nouvelle. Le vin lui a ôté la raison. Et ce nouvel amour qui t'ôte la pitié Te pourra consoler de mon inimitié, Mairet, Mort d'Asdrub. IV, 4. Je les laisse en latin, de peur que ma traduction n'ôte trop de leur grâce et de leur force, Corneille, Pomp. au lecteur. Ôte-lui ton amour, mais laisse-nous sa vie, Corneille, Cid, IV, 2. Un roi de qui l'autorité ôte aux vivants l'espoir, aux morts la sépulture, Rotrou, Antig. V, 1. Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre Les hommages d'un cœur aussi cher que le vôtre, Molière, Femm. sav. V, 1. Si vos opinions paraissaient tout à coup dans leur dernier excès, elles causeraient de l'horreur ; mais ce progrès lent et insensible y accoutume doucement les hommes et en ôte le scandale, Pascal, Prov. XII. Les hommes n'ont… ni force pour le posséder [un bien] ; il en est de même de la science, car la maladie l'ôte, Pascal, Pens. III, 12, édit. HAVET. J'admirerai la Providence, qui permet qu'avec tant de grandeurs et de choses agréables dans votre établissement, il s'y trouve des abîmes qui ôtent tous les plaisirs de la vie, et une séparation qui me blesse le cœur, Sévigné, 28 déc. 1673. Il n'y a que l'éternité qui soit un bien que le temps amène et ne peut ôter ; tous les autres sont ôtés dans le moment qu'ils sont donnés, Sévigné, juill. 1690. Que Dieu me fasse la grâce de l'aimer encore plus que vous… cette petite circonstance d'un cœur que l'on ôte au créateur pour le donner à la créature me donne quelquefois de grandes agitations, Sévigné, 15 déc. 1673. Les peuples ont dans le cœur je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, si on leur ôte ce frein nécessaire [la religion], Bossuet, Reine d'Anglet. Que d'années la mort va ravir à la jeunesse de Madame ! que de gloire elle ôte à ce mérite ! Bossuet, Duch. d'Orl. Rome, que tu [Annibal] tenais, t'échappe, et le destin ennemi t'a ôté tantôt le moyen, tantôt la pensée de la prendre, Bossuet, Reine d'Angl. Sa maxime était qu'il est inhumain de s'en prendre aux gens à qui la crainte et le respect ôtent la liberté de se défendre, Fléchier, Dauphine. Il vous rapporte un cœur qu'il n'a pu vous ôter, Racine, Andr. II, 1.

    Ôter l'honneur à quelqu'un, le diffamer, lui faire un affront sanglant. Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la vie ! Corneille, Cid, II, 2.

    Ôter l'honneur à une femme, la séduire, en abuser.

    Fig. Ôter à quelqu'un une chose de la tête, de l'esprit, de la fantaisie, faire en sorte qu'il n'y songe plus. Tout en tout est divers : ôtez-vous de l'esprit Qu'aucun être ait été composé sur le vôtre, La Fontaine, Fabl. IX, 12. Je vous avoue que nul remède au monde n'est si bon pour me dilater le cœur, que de m'ôter de l'esprit l'état où je vous ai vue ces derniers jours, Sévigné, à Mme de Grignan, 14 juin 1677. J'avoue qu'il y a des choses désagréables dans la vie ; mais je n'en suis encore si dégoûtée que votre philosophie pourrait le souhaiter ; vous aurez bien de la peine à m'ôter cette fantaisie de la tête, Sévigné, 16 mai 1672.

    On dit dans un sens analogue : ôter du cœur. Je ne crois pas qu'elle [Mme de la Fayette] puisse jamais ôter de son cœur le sentiment d'une telle perte [la mort de M. de la Rochefoucauld], Sévigné, 5 avr. 1680.

  • 6Retrancher. Ce morceau de bois est trop long ; il en faut ôter dix centimètres. Ôter une branche d'un arbre. Cinq et quatre font neuf, ôtez deux, reste sept, Boileau, Sat. VIII.

    Fig. 7° Supprimer, retrancher. Ôtez la paix de l'âme, et tous les plaisirs de la vie sont corrompus. Que dites-vous de ce commandement de Bretagne qui doit contenter le maréchal d'Estrées, et dont on ôte la petite circonstance de tenir les états, qui sont réservés pour M. de Lavardin ? Sévigné, 31 août 1689. Le roi a ôté l'obligation de communier dans la cérémonie [de réception de l'ordre du Saint-Esprit], Sévigné, 27 déc. 1688. Respectez votre espèce ; songez qu'elle est composée essentiellement de la collection des peuples, que, quand tous les rois et tous les philosophes en seraient ôtés, il n'y paraîtrait guère, et que les choses n'en iraient pas plus mal, Rousseau, Ém. IV. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme, et tout est bien, Rousseau, ib. Il avait mis Arnauld et Pascal, qui méritaient bien d'y avoir une place distinguée ; mais les jésuites leurs ennemis, dont il serait inutile aujourd'hui de dissimuler les intrigues, puisque notre siècle en a fait justice, firent donner ordre à Perrault d'ôter ces deux noms à son livre, D'Alembert, Élog. Ch. Perrault.

    Absolument. Il ne faut ni ajouter ni ôter à la promesse [de Jésus-Christ], Bossuet, 2e instr. past. 35.

  • 7Ôter quelqu'un, priver de quelqu'un, le faire perdre. Jugez comme je m'accommoderai d'une absence qui m'ôte de légers chagrins, que je ne sens plus, et qui m'ôte une créature dont la présence et la moindre amitié fait ma vie et mon unique plaisir, Sévigné, t. V, p. 521, éd. RÉGNIER. Ces pauvres gens [des capucins qui faisaient la médecine] sont partis pour s'en retourner en Égypte ; les médecins sont cruels, et ont ôté au public des gens admirables et désintéressés, qui faisaient en vérité des guérisons prodigieuses, Sévigné, 22 nov. 1679. Plaignez-moi d'avoir perdu le cardinal de Retz… huit jours de fièvre continue m'ont ôté cet illustre ami, Sévigné, à Bussy, 25 août 1679.
  • 8Retirer de, soustraire à. M. de Mazarin se plaignit au roi de ce qu'on envoyait sa femme à Rome sans son consentement ; que c'était une chose inouïe qu'on ôtât ainsi une femme de la domination de son mari, Sévigné, 27 févr. 1671.
  • 9Faire cesser, faire passer, délivrer de quelque chose qui incommode. Cette eau ôte les taches. Rien ne peut m'ôter mon mal de tête. Ôtez-lui ses chaînes, ses fers. Pour t'ôter le soupçon dont ton âme est atteinte, Mairet, Mort d'Asdr. III, 3. Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte les péchés, Sacy, Bible, St Paul, Épît. aux Hébr. X, 4. Je ne savais pas que vous eussiez le pouvoir d'ordonner sur peine de damnation ; je croyais que vous ne saviez qu'ôter les péchés ; je ne pensais pas que vous en sussiez introduire, Pascal, Prov. V. Je suis effrayée de la fièvre ; je crois que le quinquina ôtera bientôt celle du roi, Sévigné, 22 sept. 1687. Je serai souvent ici [à Rennes] ; et Mme de Chaulnes, pour m'ôter les visites, dira toujours qu'elle m'attend, Sévigné, 26 juill. 1671. Si on pouvait avoir un peu de patience, on épargnerait bien du chagrin ; le temps en ôte autant qu'il en donne, Sévigné, 24 nov. 1675. Je reçois votre lettre ; elle m'ôte l'inquiétude de votre santé, Sévigné, 12 juin 1675. Il [d'Hacqueville] m'a fait grand plaisir de m'ôter la colère que j'avais contre le cardinal d'Estrées, Sévigné, 13 oct. 1675. Dissipez mes soupçons, ôtez-moi cette horreur, Ce trouble qui m'accable au comble du bonheur, Voltaire, Zaïre, II, 3. Ôte-moi du passé le cruel souvenir, Et la douleur présente et les maux à venir, Delille, Paradis perdu, X.
  • 10Rectifier, rétracter. Il faut que je vous reprenne l'âme damnée de la Voisin [l'empoisonneuse] ; on dit au contraire que son confesseur a dit qu'elle avait prononcé Jésus, Marie, dans le milieu du feu ; c'est peut-être une sainte ; voyez comme je suis scrupuleuse à vous ôter les fausses nouvelles, Sévigné, Mercredi des cendres, 1680. J'avais une grande impatience de savoir si on ne s'était point battu ; car on nous avait ôté entièrement la levée du siége de Charleroi, qui s'était faussement répandue, Sévigné, 18 août 1677.
  • 11 Fig. Ôter quelqu'un de, le délivrer, le débarrasser de. Viens me priver du jour, tu m'ôteras de peine, Mairet, Mort d'Asdr. IV, 4. Souffrez que j'aille ôter mon maître de souci ; Il meurt d'impatience à force de m'attendre, Corneille, la Gal. du Palais, IV, 2. Ôte-moi d'un doute, Corneille, Cid, II, 2. Il m'ôte des périls que j'aurais pu courir, Corneille, Poly. IV, 3. Mais tu lèves le masque, et m'ôtes de scrupule, Je ne puis plus garder ce respect ridicule, Corneille, Perth. IV, 2. Mais finissez donc, et que nous recevions une lettre qui nous ôte de toute sorte de peine, Sévigné, 15 déc. 1673.
  • 12 Fig. S'ôter quelque chose, ôter à soi quelque chose, s'en priver. Pour couvrir son relâchement [d'un casuiste], vous lui attribuez un excès de sévérité qui le rendrait répréhensible, et par là vous vous ôtez la créance de l'avoir rapporté fidèlement, Pascal, Prov. XI. Hélas ! on n'a que sa pauvre vie en ce monde : pourquoi s'ôter ces petits plaisirs-là ? Sévigné, 7 oct. 1677. Je lui recommande [à M. de Grignan] Pauline, et le prie de la défendre contre votre philosophie ; ne vous ôtez point tous deux ce joli amusement : hélas ! on n'a pas des plaisirs à choisir, Sévigné, à Mme de Grignan, 23 juill. 1677. Me voilà à soupirer et à pleurer d'une manière si immodérée, que je fus contrainte d'appeler Marie, et avec de l'eau froide et de l'eau de la reine de Hongrie je m'ôtai le reste de mon sommeil, Sévigné, 8 janv. 1676. A-t-on trop bonne compagnie dans les provinces, qu'il faille s'ôter ceux avec qui nous parlerions notre langue, et qui nous entendraient fort bien ? Sévigné, 23 août 1678.

    S'ôter la vie, se donner la mort, se faire mourir.

  • 13S'ôter, v. réfl. Se séparer de. Voulez-vous donc rompre tout commerce avec votre fils, après avoir tant fait pour lui ? voulez-vous vous ôter à lui ? Ch. Sévigné, à Mme de Sév. t. VII, p. 258, éd. RÉGNIER.
  • 14 Particulièrement. S'en aller, s'éloigner. Insolent, ôte-toi pour jamais de ma vue, Corneille, la Place Roy. II, 2. C'est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous, car il sent, La Fontaine, Fabl. V, 20. Éraste : ôte-toi de mes yeux, maraud ! - Mascarille : Et de grand cœur, C'est ce que je demande, Molière, le Dép. I, 4. Ôtons-nous de ces lieux, Voltaire, Zaïre, V, 9.
  • 15 Fig. Se débarrasser, se délivrer. J'ai cru, pour m'en défaire et m'ôter de souci, Que le meilleur était de l'amener ici, Corneille, Illus. com. IV, 5.

    PROVERBE

    Ote-toi de là, que je m'y mette, locution proverbiale employée pour désigner ceux qui veulent sans droit occuper la place d'un autre, lui enlever ses avantages, etc.

HISTORIQUE

XIIe s. Ostez, sire [c'est-à-dire cessez, sire]…, Chrestien de Troyes, Erec, v. 4793. [Cil] Ne s'aperçoit mie si tost, Que ele fors sa voie l'ost [qu'elle le détourne de son chemin], Chrestien de Troyes, Charrette, v. 1364. À l'aïde de Deu, ce cuit [je pense], Li osterons nos de la teste Tote la rage et la tempeste, Chrestien de Troyes, Chev. au lion, v. 2943. Le pœple [il] oste de la folie Et de cele mahomerie, Wace, St Nicholas, v. 366. Et les reproches des genz furent hostez, Machab. I, 4. Done lor paor, et tote lor force lor ost [oste], ib. I, 4. Jerusalem dont jo hostai toz les vesseaux, ib. I, 6. E comandai que li home que en li habitoient en fussent ostez, ib. Ostier le [removere] de la baillie del reaume, ib. I, 13. Ostez les seles, moult en ont grant mestier [besoin], Ronc. p. 110. Ne de mon cuer [je] ne puis s'amour oster, Couci, XXII.

XIIIe s. Les nappes sont ostées ; quant vint après manger…, Berte, x. Dont [donc] ne lui faites mie du cor la vie oster, ib. XCVII. Noz avons dit que sers doit estre ostés de tesmongnage porter…, Beaumanoir, XXXIX, 66. Sire, je te prie que il te preingne pitié de moy, et m'oste de ces guerres entre crestiens, Joinville, 234.

XVe s. Adonc dit le connestable de France, cette dame nous demeurera ; le roi n'en peut oster ses yeux, Froissart, II, II, 229. Puis à ces mors commettre gens, Qui les veillent tous enterrer, Et qu'i[ils] soyent d'ici hostez, Myst. du siége d'Orleans, p. 775. …Or hoste ton cuer d'elle, Deschamps, Poésies mss. f° 251. Et premierement à hoster deux posteaux…, Bibl. des chartes, 5e série, t. III, p. 241.

XVIe s. Il lui compta tout au long la vision qu'il avoit eue, et comme il avoit totalement resolu d'oster et faire mourir ce jeune homme, Amyot, Démétr. 5. Alexandre n'osta jamais aux autres roys le tiltre et nom de roy, Amyot, ib. 31. Ceste parole [de Sylla] ayant esté rapportée à Caesar, il s'osta de Rome, et demoura longtemps caché au païs des Sabins, Amyot, Caesar, 1. Remede pour oster la douleur de teste, Montaigne, I, 95. Il s'osta la vie de sa main, Montaigne, III, 93.

ÉTYMOLOGIE

Berry, oûter et dôter ; génev. se dôter, s'ôter : dôtez-vous d'ici, mes enfants ; wallon, woisté ; provenç. ostar ; limousin, doustà. Les formes oster, ostar conduisent facilement au latin obstare, faire obstacle ; mais comment passer de faire obstacle à ôter ? Du Cange l'a essayé : il a réuni quelques passages de la basse latinité : viam obstare, barrer la voie, picturam ou picturæ obstare, empêcher de voir un tableau, de via ostatus, ôté, empêché du chemin ; de sorte que, dans la basse latinité, obstare aurait signifié d'abord empêcher la vue, la jouissance de quelque chose, et finalement ôter. Diez n'est pas satisfait de cette étymologie ; il objecte que la leçon viam obstare n'est pas sûre, et qu'au lieu de si quis baroni viam obstaverit, d'autres textes donnent : si quis baronem de via sua ostaverit ; il propose donc une autre étymologie, à savoir le latin haustare, fréquentatif de haurire : haurire signifie d'ordinaire puiser ; mais on trouve haurire arbusta, avec le sens d'enlever les broussailles. On a fait diverses objections : d'abord on a dit que haustare, déjà indiqué d'ailleurs par Ménage, n'existait pas dans la latinité ; mais cette objection doit être sinon écartée, du moins notablement diminuée ; car M. Wagener, de Gand, a trouvé dans Festus la glose exhaustant, efferunt. De là, soutenant l'opinion de Diez, il déclare que l'existence de la forme haustare est suffisamment garantie par la glose de Festus, et que, haustare ayant très probablement le même sens que haurire, lequel peut dans un grand nombre de cas être expliqué par tollere, il y a une analogie incontestable entre la signification de haustare et celle de oster. La trouvaille de exhaustare et les raisons de M. Wagener ont décidé pour haustare M. Scheler, qui d'abord, repoussant obstare et haustare pour les difficultés qui leur sont propres, avait proposé abstare, auquel il a renoncé. Pourtant toutes les objections ne sont pas levées. On a dit que, si haustare était le radical, on trouverait l'orthographe hoster ; cette orthographe se trouve en effet, mais dans des textes très mal autorisés ; car la copie du livre des Machabées est très incorrecte, et, à côté de hoster, on y trouve haage, haidier, haye [aide], qui sont certainement fautifs. Il est bien entendu qu'en cette question il n'y a que les textes très anciens qui aient de la valeur. Enfin on a dit que haustare aurait donné parfois l'orthographe auster ; or celle-là ne se trouve pas dans le français. Maintenant, résumant la discussion, on comprend que, si haustare venant de haurire a pu prendre le sens d'ôter, la même signification a pu aussi être attribuée à obstare devenu actif et signifiant proprement empêcher. De ce côté-là il y a parité, c'est-à-dire qu'il y a dans l'un et l'autre mot un détour d'acception. Mais, quant à l'orthographe, la parité cesse : en effet obstare donne régulièrement en français oster, en provençal ostar ; mais haustare, qui donnera fort bien en français oster, ne donnera en provençal que austar. Sans doute, si l'identité de sens était parfaite entre le mot latin et le mot provençal, on serait peut-être autorisé à passer par-dessus la difficulté. Mais tel n'est pas le cas ; et obstare a l'avantage sur haustare. Les formes du patois dôter, doustá représentent de-oster ; Scheler, dans un travail postérieur à son Dictionnaire d'étymologie, y voit une combinaison romane de de et oster, sans qu'il faille y chercher ni de-obstare, ni de-haustare, comme démener par rapport à mener, déchoir par rapport à choir, défaillir par rapport à faillir, tous mots où la particule n'implique nullement le contraire du primitif. On remarquera aussi que le verbe oster n'appartient qu'à la langue d'oïl et à la langue d'oc, et qu'il est étranger au reste du domaine roman.