« dernier », définition dans le dictionnaire Littré

dernier

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dernier, ière

(dèr-niê, niê-r') adj.
  • 1Qui vient après tous les autres. Le dernier soldat de la file. La dernière année de son règne. Les derniers rangs d'une troupe. Le sort m'y réservait le dernier de ses coups, Racine, Bérén. I, 4. La guerre est le dernier des remèdes : avant que de l'employer, il faut avoir essayé de tous les autres, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. XI, 1re part. p. 296, dans POUGENS. Les dernières levées étaient trop jeunes et trop faibles, il est vrai ; mais l'armée avait encore beaucoup de ces hommes forts et tout d'exécution, accoutumés aux situations critiques et que rien n'étonnait, Ségur, Hist. de Nap. III, 3.

    Dernier à, avec un infinitif, en parlant des personnes. Dernier à faire une chose, celui qui la fait après tous les autres. Nous serons les derniers à faire ce que nous avons écrit et ce que les autres nations exécutent, D'Alembert, Lettre au roi de Prusse, 11 oct. 1781.

    Dans les phrases qui suivent, dernier n'est qu'en apparence construit avec à : exemple à… qui est le dernier, chose à… qui est la dernière. Le dernier exemple à imiter, l'exemple qu'on ne doit imiter qu'après tous les autres Dans un ouvrage de philosophie ou de littérature, les beaux vers, les sentences sont les dernières choses à louer, Diderot, Règne de Claude et Néron, II, § 7.

    C'est le dernier homme à qui je me confierais, c'est-à-dire il n'y a point d'homme à qui je ne me confiasse plutôt qu'à lui.

    Manger des cerises à la dernière ; trois ou quatre personnes se réunissent autour d'un panier de cerises et les mangent une à une et tour à tour jusqu'à la dernière ; celui à qui elle échoit paye les cerises, ou, si elles ont été payées, en paye de nouvelles.

    Terme de jeux. Qui ne doit jouer qu'après tous les autres. Le dernier en cartes. Au piquet, où on n'est que deux, le dernier est le second, et on dit substantivement : c'est moi qui suis en dernier.

    Dernier venu, dernière venue, qui vient le dernier, la dernière ; et, substantivement, le dernier venu, la dernière venue. Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n'y trouvent à glaner, La Fontaine, Fabl. III, 1.

  • 2Précédent. L'année, la semaine dernière. Étiez-vous à la dernière séance ? Dimanche dernier, nous sommes allés nous promener.

    Il s'emploie, en ce sens, substantivement, pour désigner, entre plusieurs objets, celui qui a été nommé après les autres. Votre ami et son frère sont venus ; ce dernier a dit… Il y a plus d'outils que d'ouvriers, et, de ces derniers, plus de mauvais que d'excellents, La Bruyère, II.

  • 3Le plus éloigné dans l'avenir. Les derniers temps. La dernière postérité.
  • 4Le seul qui reste, la seule chose qui reste. Il a employé jusqu'à son dernier sou. Je n'ai point maintenant de tes lettres sur moi ; Mais j'en ferai du feu jusques à la dernière, Molière, Dépit am. IV, 4. Mon dernier fils, ma fille, aux chaînes réservés, Voltaire, Zaïre, II, 3. Conserve au moins le jour au dernier de mes fils, Voltaire, Orphel. I, 2. Il est temps que mon cœur De ses derniers replis t'ouvre la profondeur, Voltaire, Fanat. II, 4.

    Terme du jeu de whist. Dernier en atout, celui qui en possède encore quand les autres ont épuisé les leurs.

    Au domino, avoir le dernier dé, le dernier deux, le dernier trois, c'est-à-dire avoir encore un deux, etc. quand les autres n'en ont plus.

  • 5Final, définitif. C'est la dernière ici des importunités Que vous aurez jamais de mes vœux rebutés, Molière, Dépit am. IV, 3. Tout ce que j'aimerai jusqu'au dernier soupir, Racine, Bérén. III, 1. J'ai fait de mon courage une épreuve dernière, Racine, ib. V, 7. Elle m'a déclaré sa volonté dernière, Racine, Baj. III, 2. Hélas ! si vous m'aimez, si, pour grâce dernière, Vous daignez d'une amante écouter la prière…, Racine, Iphig. III, 6. Peut-être nous touchons à notre heure dernière, Racine, Athal. V, 1. Cet effort généreux que je n'attendais pas Porte le dernier coup à mon âme éperdue, Voltaire, Tancr. II, 6.

    Rendre le dernier devoir, les derniers devoirs, prendre part aux cérémonies religieuses après la mort de quelqu'un.

    Au dernier mot, c'est-à-dire sans rien rabattre.

    En dernier lieu, à la fin, après tout le reste. Ce fut en dernier lieu qu'il parla de ce qui l'intéressait le plus.

    Mettre, donner la dernière main à un travail, l'achever, lui donner toute la perfection possible.

  • 6Qui occupe la moindre place dans une hiérarchie, qui est infime. Si vos Romains ainsi choisissent des maîtresses, à vos derniers tribuns il faudra des princesses, Corneille, Sert. II, 2. Quand nous aurions été les dernières personnes du monde, Molière, Préc. 1. Il aurait eu honte, disait-il, de dépenser plus pour sa table et pour ses habits que le dernier des Thébains, Rollin, Traité de Ét. liv. V, 3e part. ch. 2. Ramper au dernier rang des derniers citoyens, Voltaire, Fanat. I, 4.
  • 7Extrême, le plus considérable, le meilleur. Montre d'un vrai Romain la dernière vigueur, Corneille, Cinna, IV, 6. Tu promis au sénat, par les derniers serments, Que tu suivrais la loi de ses commandements, Mairet, Mort d'Asdr. I, 4. Des affaires de la dernière conséquence, Molière, Festin, I, 3. Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner pour lui les dernières tendresses, Molière, Mis. I, 1. Nous vous serons obligés de la dernière obligation si vous nous faites cette amitié, Molière, Préc. rid. sc. 10. C'est là où vous verrez la dernière bénignité de la conduite de nos pères, Pascal, Prov. 9. Vous employez les derniers efforts pour faire croire…, Pascal, Prov. 18. Le cardinal pour lequel j'ai le dernier respect, Bossuet, Lett. 95.

    Extrême, le plus bas, le pire. Tous les dieux irrités Dans les derniers malheurs nous ont précipités, Corneille, Nicom. V, 8. Vos serments m'ont réduit au dernier désespoir, Corneille, Pulch. V, 6. Éternise ton nom par le dernier des crimes ; Que tes enfants et moi te servent de victimes, Mairet, Mort d'Asdr. II, 3. C'en est trop ; ma douleur, à cette triste vue, à son dernier excès est enfin parvenue, Racine, Bérén. V, 6. Ce n'est pas à un père de les y engager [au couvent], et ce serait le dernier abus, de leur faire pour cela violence et de les forcer, Bourdaloue, Dominic. I, Devoir des pères, 16. Toute prudence incompatible avec le salut, lui paraît la dernière des folies, Massillon, Myst. Soum. Ils regardent la mort comme le dernier des malheurs, Massillon, Avent, Mort du pécheur.

    Au dernier point, autant qu'il est possible. Le peuple aime Maurice ; en perdre ce qui reste Nous rendrait ce tumulte au dernier point funeste, Corneille, Héracl. I, 3.

    Le dernier supplice, la peine capitale. L'espoir de deux maisons, le destin le plus beau, Par le dernier supplice enfermés au tombeau, Voltaire, Tancr. IV, 3.

    Le dernier avec un adjectif pris substantivement, ce qu'il y a de plus… Ah ! certes, cela sera du dernier beau, Molière, Préc. sc. 10. Ah ! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois, Molière, ib. 5. Ne me regardez pas, je suis du dernier laid aujourd'hui, Molière, l'Impromptu, sc. 3. Savez-vous qu'ils [des vers] sont du dernier galant ? Jamais les Voiture ni les Pavillon n'en ont fait de pareils, Lesage, Turc. I, 7.

    Être du dernier bien avec quelqu'un, être très lié avec lui ; avec une femme, avoir ses bonnes grâces. On dit qu'avec Bélise il est du dernier bien, Molière, Mis. II, 5.

  • 8 Substantivement. Le dernier, la dernière, celui, celle qui vient, qui est après tous les autres. Il est le dernier de sa classe. On s'étonna qu'il arrivât des derniers dans cette occasion, Hamilton, Gramm. 7.

    Brutus et Cassius furent les derniers des Romains, c'est-à-dire ils furent, parmi les Romains, les derniers qui combattirent pour la liberté. Philopémen a été appelé le dernier des Grecs, comme Brutus le dernier des Romains, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. VIII, p. 513, dans POUGENS.

  • 9Celui qui occupe le rang le plus humble dans le monde. On doit tout quelquefois au dernier des humains, Voltaire, Tancr. II, 1.
  • 10Le dernier, la dernière, la personne, la chose qui est la pire de toutes. Je le tiens pour le dernier des hommes. Ma fille, c'est à vous de montrer qui nous sommes, Et de ne voir en lui que le dernier des hommes, Racine, Iph. II, 4.
  • 11 Terme de certains jeux de course. Ne pas avoir le dernier, n'être pas le dernier touché. Le duc de Coislin avait la fantaisie de ne pouvoir souffrir qu'on lui donnât le dernier, plaisanterie qui fait courre après celui qui l'a donné, et qui ne passe pas la première jeunesse, Saint-Simon, 110, 185.

    Fig. N'ayez pas le dernier, Molière, Dépit, IV, 3.

    Fig. Il veut toujours avoir le dernier, se dit d'un opiniâtre qui veut toujours répliquer le dernier, porter un coup le dernier. Cinq heures sonnèrent ; personne n'avait dîné, et MM. les présidents eurent le dernier, Retz, II, 253.

  • 12 Terme de jeu de paume. Chacune des deux ouvertures de la galerie qui sont les plus éloignées de la corde.

PROVERBES

Aux derniers les bons, c'est-à-dire ce qui reste après le choix des autres est souvent le meilleur.

Le premier au bois et le dernier à l'eau, se dit de celui qui, toujours prêt au plaisir, ne l'est jamais au travail, à la peine.

REMARQUE

1. Cet adjectif se met ordinairement avant son substantif ; cependant, au féminin, on le met quelquefois après, surtout dans le style élevé : une grâce dernière.

2. Dernier a évidemment le sens d'un superlatif et ne reçoit aucune graduation ; il a une sorte de comparatif dans ultérieur, JULLIEN.

HISTORIQUE

XIIe s. En aventure [peut-être] [je] comens [commence] Ma daerraine chançon, Couci, X.

XIIIe s. Au darrain jor, envoia li empereres, por garder ses coureurs, Ansiel de chaien [céans], Villehardouin, CLXXVII. Où la derraine fois fu Berte d'eus sevrée [séparée], Berte, CIV. Et li prisons estoit jà si eslongiés qu'il estoit as derraines tentes, Chron. de Rains. Portraite fu au darrenier Povreté qui ung seul denier N'eüst pas, s'el se deüst pendre, Tant seüst bien sa robe vendre, la Rose, 443. En ung trop biau leu arrivé Au darrenier [à la fin] où je trouvé Une fontaine sous un pin, ib. 1434. Noz disons que, se li deerains ensoines est de son cors, sans fraude et sans barat, li sires de son office, por cause de pitié, le doit garder de damache, Beaumanoir, 70. En ses darrenieres paroles reclamoit il Dieu et ses sains, Joinville, 201.

XVe s. Si m'a donné tant à faire en mon temps (Nostre Seigneur, Dieu) et au dernier entreprins de tant dure et grieve maladie [c'est Robert Bruce qui parle], Froissart, I, I, 47. Avint que le derrain jour que il vint [Yvain de Galles], ce fut assez matin et faisoit bel et clair, Froissart, II, II, 30. Les blancs chaperons furent ceux qui premiers vinrent au marché et qui darreniers s'en partirent, Froissart, II, II, 60. Lui mettoient sus [les Anglais au ministre d'Édouard II] que les Escots avaient reconquis Bervick et au dernier eux tous destruits et desconfits, Froissart, I, I, 5. Si ne sera mie d'oresnavant des derniers en toutes besongnes belles et honnorables où employer se pourra, Bouciq. I, 8. Je vous dy pour aussi vray que evangile, que jones filles ne doivent jamais manger cerises à la derraine avec leurs amoureux ; car souvent avient que cellui à qui vient la derreniere demeure le derrenier à tous à marier, Évangiles des quenouilles, 1re journée, ch. 16. La mort lui sera le derrain remede, Louis XI, Nouv. XX.

XVIe s. Si te supply qu'en ton divin pretoire Nous vueille mettre à l'heur et jour derraïns, Marot, J. V, 33. D'où le roi encourut sa derniere ruine, Montaigne, I, 23. Ces derniers venus apporterent aux premiers un…, Montaigne, II, 179. L'honneur n'a point de si derniere place, Que des plus grands desirer ne se face, La Boétie, 479. Silanus interpreta son opinion, disant qu'il n'avoit point entendu qu'on les deust faire mourir, pource qu'il estimoit le dernier supplice à un senateur romain estre la prison, Amyot, Cicéron, 24. Le duc de Mercœur, ne voulant pas avoir le dernier, fit ralier ses forces avec Dom Jouan, D'Aubigné, Hist. III, 407. On se deffait des aigneaux les plus mal qualifiés primerains ou dernierains, De Serres, 320. Qui vient le dernier pleure le premier, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 410.

ÉTYMOLOGIE

Picard, dérain, darain, derne, dergner ; Berry, dargne, dergne, darrier, derrier ; wallon, diérain ; namurois, dêrain ; rouchi, darrain ; bourguig. darei ; génev. en dernier, en dernier lieu ; provenç. derrier, derrer, derier, derer, darrier ; catal. derrer, darrer ; d'un mot fictif deretranus, de de-retro (voy. DERRIÈRE). Deretranus a donné derain, d'où derainier, derenier, dernier.