« faillir », définition dans le dictionnaire Littré

faillir

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

faillir

(fa-llir, ll mouillées, et non fa-yir), je faux, tu faux, il faut, nous faillons, vous faillez, ils faillent ; je faillais, nous faillions ; je faillis, nous faillîmes ; je faudrai, nous faudrons ; je faudrais, nous faudrions ; que je faillisse, que nous faillissions ; faillant ; failli, faillie (les trois personnes du présent au singulier, le futur et le conditionnel vieillissent, et c'est dommage ; les personnes qui ont besoin du futur ou du conditionnel et qui en ignorent la véritable forme, les composent suivant la règle des verbes en ir, et disent : je faillirai, je faillirais ; c'est un barbarisme, mais qui a chance de s'introduire et de devenir correct ; déjà quelques grammairiens disent que ce verbe, dans le sens de faire faillite, se conjugue régulièrement sur finir : Quand un négociant faillit, les créanciers, etc. ; s'il faillissait, vous seriez ruiné ; si la baisse continue. il faillira ; c'est un usage tout moderne qui cherche à s'introduire) v. n.
  • 1Manquer le but, ne pas toucher ce qu'on vise. Son coup [d'épée] par un bonheur coule au long d'une côte ; L'esclave avait failli, Desmarets, Mirame, V, 8. Si je faux [avec ma flèche], dis qu'ils [les Perses] ont raison, et que je ne sais ce que je fais, Courier, II, 157.

    Jouer à coup faillant, à coup failli, jouer à la place du premier des joueurs qui manque ; se dit au volant, à la paume, etc.

  • 2Faire défaut, manquer à. Pas n'y faudrai, lui repartit la dame, La Fontaine, Coc. Deux jours après, la commère ne faut De mettre un fil, La Fontaine, Gag. M. Jourdain : Il suffit que, si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien. - Mme Jourdain : Oui attendez-vous à cela. - Assurément, ne me l'a-t-il pas dit ? - Mme Jourdain : Oui, oui, il ne manquera pas d'y faillir, Molière, Bourg. gent. III, 3.

    J'irai là sans faillir, j'irai sans faute, sans y manquer.

    En parlant des choses, faire défaut. Supplice qui jamais ne faut Aux désirs qui volent trop haut, Malherbe, V, 18. Tour ni détour, ruse ni stratagème Ne vous faudront, La Fontaine, Cuv. Or la grâce ne peut faillir ; Puisqu'il sème, il doit recueillir, Béranger, Mon curé.

  • 3Se tromper, se méprendre en quelque chose. Ce sculpteur a failli dans les proportions. Tu faux, de Pré, de nous portraire Ce que l'éloquence a d'appas ; Quel besoin as-tu de le faire ? Qui te voit ne la voit-il pas ? Malherbe, IV, 13. Prince, ne cachez plus ce que le ciel découvre, Vous devez être las de nous faire faillir, Corneille, D. Sanche, IV, 2. Mais je dénie qu'ils faillent contre les règles, Corneille, Épître à la Suite du Menteur. Pas ne faillit dedans sa conjecture, La Fontaine, Mal.
  • 4Tomber en faute, avoir tort, pécher. Il n'est pas bienséant à un homme sage d'avoir tant de regret pour une chose où il n'a point failli, Voiture, Lett. 89. Non pas que je ne faille en cette préférence, Corneille, Médée, II, 6. Quand le bras a failli, l'on en punit la tête, Corneille, Cid, II, 9. Qu'une âme généreuse a de peine à faillir ! Corneille, Cinna, III, 3. Ai-je failli de me payer moi-même ? La Fontaine, Rich. Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort ; Mais pourquoi moi pleurer, puisque je n'ai point tort ? Molière, Sgan. 17. Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement et nous arracher cet aveu d'avoir failli qui coûte tant à notre orgueil, Bossuet, Reine d'Anglet. Aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui, Racine, Phèd. I, 1. Jeune si j'ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie, Beaumarchais, Mère coup. v, 8.
  • 5Céder, manquer. Cet édifice a failli par le pied.
  • 6Être au bout, au terme. Le jour commençait à faillir.

    À jour faillant, à la chute du jour.

    À jour failli, après la chute du jour.

    PROVERBE

    Au bout de l'aune faut le drap, c'est-à-dire à force d'auner on arrive au bout de la pièce de drap, et fig. toutes choses ont leur fin.
  • 7Il se dit des fonctions de la vie qui manquent, qui font défaut. Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause Du marcher et du mouvement Quand les esprits, le sentiment, Quand tout faillit en toi, La Fontaine, Fabl. VIII, 1.

    Le cœur me faut, se dit quand on sent quelque faiblesse, quelque épuisement, et qu'on a besoin de manger.

    Le cœur faut, se dit aussi de l'effet d'impressions morales. Le cœur me faut, Molière, Éc. des f. II, 2. Quand, debout sur le faîte, Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête, Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête, Et se prit à pleurer, Delavigne, Jeanne d'Arc.

  • 8 Terme de commerce. Faire faillite. Ce banquier, ce négociant a failli.
  • 9Être sur le point de. Il leur tint un discours qui faillit à les faire tomber de leur haut, Guez de Balzac, 6e disc. sur la cour. Quand la vieille P… …faillit à mourir l'année passée, Sévigné, (Bussy à Mme de Sévigné), 16 oct. 1677, éd. RÉGNIER. Je faillis à mourir de rire, Hamilton, Gramm. 3. Cette proposition faillit à reculer les affaires pour un temps, au lieu de les avancer, Voltaire, Charles XII, 8. Le jeune homme faillit à se trouver mal, Rousseau, Ém. IV.

    On peut supprimer, et aujourd'hui on supprime communément la préposition à. On prétend qu'on faillit tout gâter en 1694 par l'ordre qu'on voulut mettre au blé, Maintenon, Lett. à Mme de Brinon, t. II, p. 254, dans POUGENS.

    On dit aussi faillir de. J'ai failli de tomber.

    Cette locution, qui s'établit dans le XVIe siècle, s'explique par l'historique, où l'on voit que faillir à signifie proprement ne pas réussir à ; de là le passage est facile au sens de être sur le point de se faire. Cela montre en même temps que la forme la plus correcte, presque exclusivement employée dans le XVIe siècle, est faillir à.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir ; cependant on dira : la mémoire lui a failli ou lui est faillie ; cette race a failli ou est faillie ; ce négociant a failli ou est failli ; suivant qu'on voudra exprimer l'acte ou l'état.

HISTORIQUE

XIe s. Il l'ament tant, ne li faldrunt nient, Ch. de Rol. XXIX. Charles, chevauche ; tei ne faldrat clarté, ib. CLXXV.

XIIe s. Li cuers lui faut, s'a [s'il a] la bouche serrée, Ronc. p. 147. Se ma vertu ne faut, vous le comparrez [payerez] cher, ib. p. 195. Sur toute joie est cele couronnée, Que j'ai d'amor ; Diex ! i faudrai-je donc [y échouerai-je] ? Couci, VI. Car s'il [mon cœur] revient à moi, a il failli, ib. IX. S'ele seüst com s'amors me justise [tourmente], Ja ne faussist pitiez ne l'en fust prise, ib. XVII. Pour li [ma dame] [je] m'en vais souspirant en Syrie, Car je ne doi faillir mon creator, Quesnes, Romancero, p. 93. Quant Dex verra que ses besoins [de Quesnes] est grans, Il lui faudra, car il lui a failli, Hues D'Oisi, ib. p. 103. Mielz valt filz à vilain, qui est prouz e senez, Que ne fait gentilz hum failliz e debutez, Th. le mart. 63.

XIIIe s. Petit s'en failli que toute l'os [armée] n'en fust perdue, Villehardouin, L. Quant il orent tout porté, si i failli-il trente-quatre mil mars d'argent de la convenance [prix convenu], Villehardouin, XXXVII. [Qu'] Il confonde Tybert le mauvais, le faillit, Berte, LIII. Mais li cuers lui failloit, ib. XXX. Ci faut [finit] li capitres de l'office as baillis, Beaumanoir, 44. On ne doit tenir à heritage nule coze qui muire, car ce qui muert faut, et heritages ne pot faillir, Beaumanoir, XXIII, 8. Tandis que il alloit le pertuis estouper, le pié li failli, et cheï [tomba] en l'yaue, Joinville, 287.

XVe s. Certes, dame, voyez ci votre chevalier qui ne vous fauldroit pour mourir, si tout le monde vous failloit, Froissart, I, I, 14. Et se partirent un samedi, après jour faillant, de Cambray, Froissart, I, I, 100. Et pouvoit estre environ jour failli, Froissart, I, I, 100. Le prince votre ains-né fils ne peut faillir qu'il ne soit encore grand sire sans l'heritage de Flandre [les Flamands deputés, vers le roi d'Angleterre], Froissart, I, I, 249. Pour paour du traict commencerent une grande partie d'eulx à reculer et eux traire en sus, comme lasches et faillis que ils furent, Boucic. I, 24. Le roy faisoit parler à tous ceulx qu'il povoit penser qui lui pourroient ayder, et ne failloit pas à promettre, Commines, II, 9. N'estoit point vray, mais toute mensonge, ou peu s'en failloit, Commines, III, 2.

XVIe s. Le dyable me faille, si j'eusse failly de coupper les jarrets à messieurs les apostres, Rabelais, Garg. I, 39. Je vois bien que, s'il avoit besoin d'excuses, ne lui faudriez d'avocat, Marguerite de Navarre, Nouv. LXVI. Les estançons de bois venus à faillir, Montaigne, I, 26. Icy fault la regle, Montaigne, I, 27. Faillant à sa parole, Montaigne, I, 30. Ne faillez sur vostre vie à me confesser la verité, Montaigne, I, 127. L'archer qui oultrepasse le blanc fault, comme celuy…, Montaigne, I, 224. Voyant que ses gens avoient failly d'enfoncer le battaillon des ennemis [n'avaient pas réussi], Montaigne, I, 367. La navire faillit la Sicile et fut poulsée contre la coste de Tarente, Montaigne, III, 35. Je n'eusse gueres failly de faillir plustost que de bien-faire à leur mode, Montaigne, III, 260. Quand ce vient à combattre, la moitié [des pistolles, pistolets] faillent [ratent], Lanoue, 313. Ce messager faillit à estre pendu, D'Aubigné, Hist. I, 241. Ce sont coustumierement personnes de cœur failly, desquelles les pensées ne s'estendent point plus avant que les vies, Amyot, Préf. VI, 32. Il mourut sans enfants, de sorte que sa race faillit en luy, Amyot, Lyc. 67. Ils faillirent [ne réussirent pas] à s'entre-rencontrer, Amyot, Pyrrhus, 14. Evalcus se jetta à costé, et luy tira un coup d'espée, duquel il faillit à lui couper la main, mais…, Amyot, ib. 70. Il lui en prend comme aux poures orphelins qui sont moins avantagez que leurs freres, d'autant que leur pere est failli trop tost, Béze, Vie de Calvin, p. 2.

ÉTYMOLOGIE

Namur. failli, amaigri ; provenç. falhir, faillir ; catal. falir, fallir ; portug. falir ; ital. fallire ; du latin fallere, changé par les langues romanes en fallire, d'où faillir, falhir, fallire ; et, par le français, en outre en fallēre, d'où falloir (car c'est le même mot) ; comp. le grec σφάλλειν, manquer, et l'allem. fallen, tomber ; la racine est le sanscrit sphal, vaciller. Le latin fallere a passé aisément du sens de tromper à celui de faillir.