« rebuter », définition dans le dictionnaire Littré

rebuter

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rebuter

(re-bu-té) v. a.
  • 1Rejeter avec dureté. Je lui demandai s'ils ne décideraient pas formellement que la grâce est donnée à tous, afin qu'on n'agitât plus ce doute ; mais il me rebuta rudement, et me dit que ce n'était pas là le point, Pascal, Prov. I. Diogène, étant connu à Athènes, alla trouver Antisthène, qui le rebuta fort…, Rollin, Hist. anc. liv. XXVI, 1re part. II, 6. Les prétextes dont vous vous servez tous les jours pour rebuter ces pauvres errants…, Massillon, Carême, Mauv. riche. Pascal, abusant de ce principe [qu'il ne faut aimer que Dieu], traitait sa sœur avec dureté et rebutait ses services, de peur de paraître aimer une créature, Voltaire, Rem. Pens. Pascal, X.
  • 2Il se dit des choses qu'on repousse. Vous rebutiez toujours nos fidèles avis, Tristan, Marianne, II, 8. Vous rebutez mes vœux et me poussez à bout, Molière, Éc. des femm. V, 4. Qu'ils [vos confrères] vous deviennent plus chers à mesure que vous voyez qu'ils s'égarent ; ne vous rebutez pas, quoiqu'ils paraissent rebuter eux-mêmes vos douces remontrances, Massillon, Confér. Retraite pour des curés. Pourrait-il rebuter les pleurs des malheureux ? Voltaire, Orphel. III, 1.
  • 3Écarter. On rebute ceux qui ne sont bons que pour eux, Rousseau, Hél. IV, 10.

    Il se dit des femmes qui refusent l'hommage d'un amant. Mais Alphée aujourd'hui n'est pas tant rebuté ; Vous ne fuyez plus sa présence, Quinault, Proserp. II, 5. Assez coquette pour ne rebuter personne, Hamilton, Gramm. VI. J'ai rebuté Damis : quelle honte de retourner à lui ! D'Allainval, École des bourgeois, III, 5.

  • 4Il signifie quelquefois simplement refuser. Rebuter une pièce de monnaie qui est de mauvais aloi.

    Ne pas vouloir d'une chose. Avant qu'un peu de terre obtenu par prière Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière, Mille de ses beaux traits aujourd'hui si vantés Furent des sots esprits à nos yeux rebutés, Boileau, Ép. VII. Il [l'oiseau royal] rebute celui [riz] qui n'est pas de bonne qualité, Buffon, Ois. t. XIV, p. 21. Si la fonte ne pesait pas au moins cinq cent vingt livres le pied cube, on rebuterait la pièce comme non recevable, Buffon, Hist. min. introd. part. exp. Œuv. t. VIII, p. 143.

  • 5Décourager, dégoûter par les difficultés, par les obstacles. Si cette cruauté ne rebute un amant, Il a beaucoup d'ardeur ou peu de sentiment, Rotrou, Bélis. III, 2. Il est vrai, son humeur a rebuté la mienne, La Fontaine, Florent. I, 8. Ce qui rebute les mauvais chrétiens de la pratique de la vertu…, Fléchier, Serm. Samarit. Le péril ne vous rebute point : cela est fier, cela est héroïque, Regnard, la Sérénade, 7. L'opération de ranger les mots dans leur ordre naturel au milieu des inversions latines demande une contention d'esprit qui fait une véritable peine à leur cerveau [des enfants], et par conséquent qui les rebute, Dumarsais, Œuv. t. I, p. 8. J'étais facile à rebuter, Rousseau, Confess. II.

    Il se dit avec de et un infinitif. On la rebute de venir voir son nourrisson, Rousseau, Ém. I.

    Absolument. Ce n'est point un honneur qui rebute en deux jours ; Et qui règne un moment aime à régner toujours, Corneille, Sophon. III, 6.

    Il se dit de soldats qui refusent de continuer le combat. Nos troupes semblent rebutées autant par la résistance des ennemis que par l'effroyable disposition des lieux, Bossuet, Louis de Bourbon. Ils vinrent plusieurs fois à la charge ; mais ils perdirent tant de monde, qu'ils furent enfin rebutés, Fléchier, Hist. de Théodose, II, 14. M. de Luxembourg était, dit-on, quelque chose de plus qu'humain, volant partout, et même s'opiniâtrant à continuer les attaques dans le temps que les plus braves étaient rebutés, Racine, Lett. à Boileau, 36. Les Abydéniens se défendirent quelque temps avec beaucoup de courage, et ils ne désespéraient pas même de rebuter les ennemis, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 205, dans POUGENS.

    Terme de manége. Rebuter un cheval, exiger de lui plus qu'il ne peut faire, et finir par le rendre insensible aux aides et au châtiment.

  • 6Choquer, déplaire, dégoûter par la répugnance. Cet homme a des manières qui rebutent ceux qui ont affaire à lui. Rien ne le rebuta, ni sa vue éraillée [de la femme qu'il voulait épouser], Ni sa masse de chair bizarrement taillée, Boileau, Sat. X. Des mœurs grossières peuvent être comiques ; mais c'est un comique local, dont la peinture ne peut amuser que le peuple à qui elle ressemble, et qui rebutera un siècle plus poli, une nation plus cultivée, Marmontel, Œuv. t. IX, p. 397.

    Absolument. Les vers les mieux pensés et les plus exacts rebutent quelquefois ; on en ignore la raison ; elle vient du défaut d'harmonie, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Rod. I, 2.

  • 7Se rebuter, v. réfl. Se décourager. Vous ne vous rebutez point, et, pied à pied, vous gagnez mes résolutions, Molière, Bourg. gent. III, 18. Voyez, parlez, pressez ; pourquoi vous rebuter ? Th. Corneille, Comtesse d'Orgueil, III, 5. Je suis éloigné de me rebuter de vos faiblesses, Bossuet, Lett. Corn. 118. Il n'était pas homme à se rebuter pour un refus, Hamilton, Gramm. 9. Il [Voltaire] fut occupé huit années entières à leur faire rendre justice [aux Sirven], et ne se rebuta jamais ; il en vint à bout, Voltaire, Comm. Œuv. aut. Henriade. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il [le chien] ne se rebute pas par les mauvais traitements, Buffon, Quadrup. t. I, p. 311. Généralement les hommes sont moins constants que les femmes, et se rebutent plutôt qu'elles de l'amour heureux, Rousseau, Ém. V.

    Se rebuter de, avec un infinitif. Celle [la profession] de perruquier, qui n'est jamais nécessaire, et qui peut devenir inutile d'un jour à l'autre, tant que la nature ne se rebutera pas de nous donner des cheveux, Rousseau, ib. III.

HISTORIQUE

XIIIe s. Blanceflor saut, avant s'est mise ; Et Floires la reboute arriere, Fl. et Bl. 2978. Et ce ne pot fere cil qui ne pot parler, et por ce doit il estre reboutés de estre arbitres, Beaumanoir, XLI, 10.

XVe s. Quand messire Hue de Cavrelée se vit ainsi rebouté de cel evesque qui estoit de grand lignage, Froissart, II, II, 207. D'entour lui [il] doit touz menteurs rebouter, Deschamps, Des vertus nécess. au prince. Seigneurs, ce present ne fait pas à rebouter, puisque c'est envoy de pucelle, Perceforest, t. V, f° 60. Il n'est homme qui n'en fust rompu et rebuté [d'éternels pâtés d'anguille], Louis XI, Nouv. X.

XVIe s. Peu de temps après, il vint à demander le consulat, et fleschissoit desja la commune à sa requeste, ayant aucunement honte de rebuter et esconduire un tel personnage, Amyot, Cor. 19. Il attenta par deux et trois fois de surprendre ce port de Piroee, ne se rebutant point pour avoir failly une fois, Amyot, Aratus, 41. Les appetits charnels, rebutez et endormis, Montaigne, I, 283. La priere me gaigne, la menace me rebute, Montaigne, IV, 68.

ÉTYMOLOGIE

Rebuter est le même que rebouter, de re…, et bouter : bouter arrière, repousser.