« rester », définition dans le dictionnaire Littré

rester

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

rester

(rè-sté) v. n.
  • 1Demeurer, par opposition à s'en aller (sens le plus voisin du latin, qui est s'arrêter). L'armée se mit en marche, et il resta deux bataillons pour garder le défilé. Restez à votre place. Reste, ah ! reste ; ne reviens jamais ; tu viendrais trop tard ; je ne dois plus te voir ; comment soutiendrais-je ta vue ? Rousseau, Hél. I, 29. On dit qu'un des fils d'Onésicrite, étant venu à Athènes, ne voulait plus retourner à Égine, ne pouvant se résoudre à quitter un lieu où il avait le plaisir d'entendre Diogène ; le père envoya son autre fils, qui fut retenu par les mêmes attraits ; enfin il les vint chercher lui-même, et il resta comme ses fils, Condillac, Hist. anc. III, 18. Napoléon [à Moscou] ne se décide encore ni à rester ni à partir ; vaincu dans ce combat d'opiniâtreté, il remet de jour en jour à avouer sa défaite, Ségur, Hist. de Nap. VIII, 11.

    Ce verbe, qui se conjugue d'ordinaire avec l'auxiliaire être, prend l'auxiliaire avoir quand on veut exprimer que le sujet n'est plus au lieu dont on parle, qu'il n'y était plus, ou qu'il n'y sera plus à l'époque dont il s'agit. Il a resté deux jours à Lyon. J'ai resté sept mois à Colmar sans sortir de ma chambre, Voltaire, dans GIRAULT-DUVIVIER. L'engourdissement où ils ont resté si longtemps, Rousseau, Ém. I.

    Les exemples suivants sont incorrects ; il faut l'auxiliaire être. Si j'avais resté trop longtemps avec elle, Rousseau, Conf. I. Comme s'ils allaient se délasser d'avoir resté assis au salon, Rousseau, Hél. VI, 10.

    Fig. Il y est resté pour les gages ou pour gage, se dit de quelqu'un pris ou tué dans une affaire d'où les autres se sont tirés.

    Il est resté sur la place, ou, absolument, il y est resté, il a été tué sur le champ de bataille. La perte des Romains dans cette bataille fut d'environ sept cents hommes ; les Macédoniens y perdirent treize mille hommes, dont huit mille restèrent sur le champ de bataille, et cinq mille furent faits prisonniers, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. VIII, p. 277, dans POUGENS.

  • 2Être de reste (sens qui est une déduction du premier sens). Voilà vingt francs qui restent de votre argent. Ô ciel ! et ne pourrai-je enfin à mon amour Donner en liberté ce qui reste du jour ? Corneille, Pomp. III, 3. Dans un si grand revers que vous reste-t-il ? - Médée : Moi, Corneille, Médée, I, 5. Que restait-il à une âme qui, par un juste jugement de Dieu, était déchue de toutes les grâces, et ne tenait à Jésus-Christ par aucun lien ?… il restait la souveraine misère et la souveraine miséricorde, Bossuet, Anne de Gonz. Il restait seul de notre famille, Racine, Esth. III, 4. Les vertus guerrières restèrent après qu'on eut perdu toutes les autres, Montesquieu, Rom. 10. Amis, que faut-il faire, et quel parti nous reste ? Voltaire, Tancr. V, 1. Henri te reste à vaincre après tant de guerriers, Voltaire, Henr. IX. Rien ne lui reste plus que les chagrins et l'âge, Delille, Én. V.

    Impersonnellement. Si vous étiez en ma place, je suis assuré qu'il ne vous resterait pas plus de loisir qu'à moi, Voiture, Lett. 68. Je ne sais pas si j'ai encore beaucoup de temps à vivre ; mais il me semble qu'il me reste beaucoup d'années à vous aimer, Voiture, ib. 30. Il ne reste plus à l'homme que le néant et le péché, pour tout fonds le néant, pour toute acquisition le péché, Bossuet, Anne de Gonz. Vous avez perdu ces heureux moments où vous jouissiez des tendresses d'une mère… mais il vous reste ce qu'il y a de plus précieux, l'espérance de la rejoindre dans le jour de l'éternité, Bossuet, ib. Sénèque le philosophe nous apprend que Virgile n'avait pas mieux réussi en prose que Cicéron ne passait pour avoir réussi en vers ; cependant il nous reste de très beaux vers de Cicéron, Voltaire, Ess. poés. ép. 3.

    Il reste… à, et un infinitif. Dieu a des remèdes pour vous guérir ; et il ne reste qu'à les obtenir par des vœux continuels, Bossuet, Anne de Gonz. Que restait il à la reine à demander au ciel, ou à désirer sur la terre ? Fléchier, Mar.-Thér. Avant de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre ; mais, quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser, Fénelon, Tél. I. Il me reste à parler des guerres que les Carthaginois soutinrent en Sicile du temps de Pyrrhus en Épire, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. I, p. 299, dans POUGENS.

    Il reste… de, et un infinitif. J'ai fait voir combien vous leur aviez imputé d'hérésies l'une après l'autre, manque d'en trouver une que vous ayez pu longtemps maintenir ; de sorte qu'il ne vous était plus resté que de les en accuser, sur ce qu'ils refusaient…, Pascal, Prov. XVIII. Si nos cœurs s'endurcissent après un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose [à la Providence] que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde ? Bossuet, Duch. d'Orl. Vous ne démentez point une race funeste… Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin Que d'en faire à sa mère un horrible festin, Racine, Iph. IV, 4.

    Il reste que, et un subjonctif. Il reste que nous expliquions l'article de la suprématie, Bossuet, Var. 10.

    Avec ellipse de il. Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne dont les gros bataillons serrés… demeuraient inébranlables, Bossuet, Louis de Bourbon. Reste à trente-deux consumés par les flammes, Voltaire, Phil. II, 81.

    Reste tel article à examiner, reste à faire attention, reste à savoir, etc. il reste à examiner tel article, à faire attention, à savoir, etc.

    Reste, ainsi employé, se construit aussi avec de. Reste donc de conclure que la foi de la plus grande partie des chrétiens…, Bourdaloue, Pensées, t. I, p. 180.

    Dans une soustraction, de sept ôtez cinq, il reste deux, ou reste deux (non à deux, comme on le dit quelquefois fautivement).

    Bossuet a conjugué rester avec avoir, bien que la conjugaison ordinaire soit avec l'auxiliaire être : Tant qu'il a resté aux Romains tant soit peu de considération pour les Juifs, jamais ils n'ont fait paraître les enseignes romaines dans la Judée, Hist. II, 9.

  • 3Se rester à soi-même, conserver une juste estime de soi-même, une juste confiance en soi-même. Il n'est pour le vrai sage aucun revers funeste ; Et, perdant toute chose, à soi-même il se reste, Molière, Fem. sav. V, 4.
  • 4Persévérer dans telle ou telle situation. Il est resté stupéfait. Il resta sans appui. Viens, Girot, seul ami qui me reste fidèle, Boileau, Lutr. IV. La seule Roxane est restée dans le devoir, et conserve de la modestie, Montesquieu, Lett. pers. 151. Je resterai dans mon opinion, et vous dans la vôtre, Diderot, Mém. t. IV, p. 84, dans POUGENS. Je resterai proscrit, voulant rester debout, Hugo, Ultimaverba.

    Fig. et familièrement. Rester sur la bonne bouche, s'abstenir de tout après avoir pris quelque chose qui flatte le goût ; et fig. s'arrêter après quelque chose d'agréable.

  • 5Il se dit aussi des choses qui demeurent. La victoire reste indécise entre les deux armées. Cela m'est resté dans la mémoire. Son bras est resté paralytique. Quand j'ai voulu prendre cet outil, le manche m'est resté dans la main. Ruiné depuis deux ans, il ne lui est resté que l'espérance. Je sais ce qu'il en coûte, et qu'il est des blessures Dont un cœur généreux peut rarement guérir : La cicatrice en reste, Voltaire, Tancr. V, 3.

    Il se conjugue aussi avec l'auxiliaire avoir. Il a tout perdu, mais il lui a resté l'espérance, Laveaux. (qui admet cet exemple, quand on veut parler du moment où un homme a tout perdu). On ne sait pas comment les choses auraient resté dans cet état, Hamilton, Gramm. 10.

  • 6Rester à quelqu'un en parlant d'un parent, d'un ami que l'on conserve. C'est d'ici que je date ma première connaissance avec mon vieux ami Gauffecourt qui m'est toujours resté, malgré les efforts qu'on a faits pour me l'ôter ; toujours resté ! non, hélas ; je viens de le perdre, Rousseau, Conf. V.

    Il se dit aussi des choses que l'on garde. Le nom lui en est resté. Édouard, après deux victoires remportées en deux jours, prit Calais, qui resta aux Anglais deux cent dix ans, Voltaire, Mœurs, 75.

  • 7Demeurer dans le souvenir des hommes, garder sa renommée. La mode est aujourd'hui de mépriser Colbert et Louis XIV ; cette mode passera, et ces deux noms resteront à la postérité avec Racine et Boileau, Voltaire, Lettr. à Mme du Deffant, 1er nov. 1773. L'ouvrage de Bayle est resté, et Pierre Jurieu [avec ses prophéties] n'est pas même resté dans la bibliothèque bleue avec Nostradamus, Voltaire, Dict. phil. Prophéties. L'avantage unique qui le distingue [le Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune], d'être le seul panégyrique de prince qui soit resté après la mort du prince et de l'orateur, D'Alembert, Éloges, Saci.
  • 8En rester à, se borner à. Quand il aura obtenu quelque avancement, il n'en restera pas là, il voudra avancer encore.

    S'arrêter, ne pas poursuivre. Reprenons notre discours où nous en étions restés. J'en étais resté à vous dire que… La dédicace de vos ouvrages, que vous me faites l'honneur de m'offrir, n'ajouterait rien à leur mérite… je ne dédie les miens qu'à mes amis ; ainsi, monsieur, si vous le trouvez bon, nous en resterons là, Voltaire, Lett. Guiot, novembre 1754. L'occasion que j'avais perdue ne revint plus, et nos jeunes amours en restèrent là, Rousseau, Conf. II.

  • 9 Terme de musique. Faire une tenue. Rester sur une note, sur une syllabe.
  • 10 Terme de manége. Rester dans la main, se dit du cheval qui se retient afin d'éviter la pression du canon sur les barres.
  • 11 En termes de mer, on dit d'un objet quelconque qu'il reste à telle aire de vent ou par telle aire de vent, lorsque, relative ment à un autre, il est dans la direction de cette aire de vent, Jal Le lundi, 20e dudit décembre (1688), à sept heures du matin, le cap de Palos me restait à O. S. O. environ quinze lieues, Journal de la route, dans JAL.

    Rester de l'arrière, marcher moins vite que d'autres bâtiments qui précèdent.

    Rester à l'ancre, ne pas quitter l'endroit où l'on est retenu par ses ancres.

REMARQUE

1. Rester à avec un infinitif ne se dit que dans le sens d'être de reste : La chose qui reste à faire ; mais c'est une faute de dire : Nos amis restent bien à venir (il faut : tardent bien) ; Les maçons restèrent deux ans à bâtir cette maison (il faut : employèrent).

2. C'est aussi une faute de se servir de rester au lieu de loger ou demeurer. On dit : Il demeure dans telle rue, et non : il reste dans telle rue.

HISTORIQUE

XVe s. En toute la salle ne peut appercevoir homme ; ja soit qu'il ne restoit pas qu'il n'y eust plusieurs hommes et femmes devisans les uns aux aultres, Percefor. t. VI, f° 27.

XVIe s. Ma comedie est preste, il ne reste qu'à y adjouster les vers, Montaigne, I, 190. Que luy reste il à desirer ? Montaigne, I, 326. Le fol reste après la feste, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Prov. et esp. restar ; ital. restare ; du lat. restare, rester, demeurer, de re, et stare, être debout (voy. STABLE).