« répandre », définition dans le dictionnaire Littré

répandre

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répandre

(ré-pan-dr'), je répands, tu répands, il répand, nous répandons ; je répandais ; je répandis ; je répandrai ; je répandrais ; répands, répandons ; que je répande, que nous répandions ; que je répandisse ; répandant ; répandu v. a.

Résumé

  • 1° Épancher, laisser tomber un liquide.
  • 2° Répandre se dit aussi de choses solides.
  • 3° Répandre des soupirs.
  • 4° Il se dit des effusions morales.
  • 5° Disperser, étendre au loin.
  • 6° Fig. Donner de la dissipation, rendre dissipé.
  • 7° Départir, distribuer à plusieurs personnes.
  • 8° Faire paraître.
  • 9° Proférer.
  • 10° Faire entrer dans l'esprit, dans l'âme.
  • 11° Propager.
  • 12° Faire connaître, en parlant de bruits, de nouvelles.
  • 13° V. réfl. Se répandre, être répandu, être versé.
  • 14° Être départi, distribué.
  • 15° Fig être épanché, par assimilation à quelque chose de liquide.
  • 16° Passer dans l'esprit, dans le cœur.
  • 17° Être propagé.
  • 18° Être communiqué.
  • 19° Être ébruité.
  • 20° Se disperser sur la surface d'un pays.
  • 21° Se répandre au dehors, chercher à paraître, à se montrer. Se répandre dans le monde, voir la société.
  • 22° Se répandre en, donner cours à ce qui s'exprime par le langage.
  • 23° Se répandre à, se laisser aller à.
  • 24° Se livrer à une effusion de cœur.
  • 25° Paraître, se manifester au dehors.
  • 1Épancher, laisser tomber un liquide. Répandre de l'eau sur la table. La grandeur… n'est faite que pour l'aider [la bonté] à se communiquer davantage, comme une fontaine publique qu'on élève pour la répandre, Bossuet, L. de Bourbon. Joas vient d'être couronné ; Le grand prêtre a sur lui répandu l'huile sainte, Racine, Ath. V, 1.

    Absolument. Prenez garde de répandre.

    Répandre des larmes, pleurer. Baucis en répandit en secret quelques larmes, La Fontaine, Phil et Bauc. L'illusion, cette reine des cœurs, Marche à ta suite, inspire les alarmes, Le sentiment, les regrets, les douleurs, Et le plaisir de répandre des larmes, Voltaire, Épître à Mlle Gaussin.

    Répandre du sang, blesser ou tuer. On sait… que Constance répandit beaucoup de sang, et que ceux qui résistaient à ses volontés sur le sujet de l'arianisme avaient tout à craindre de sa colère, Bossuet, 2e instr. past. 105. Respectez votre sang …Ne me préparez pas la douleur éternelle De l'avoir fait répandre à la main paternelle, Racine, Phèd. IV, 4. Je ne veux point ici vous rappeler ces temps Où l'État répandait le sang de ses enfants, Voltaire, Tancr. I, 1.

    Répandre son sang, être blessé ou mourir pour une cause qu'on regarde comme honorable et sacrée.

  • 2 Par extension, répandre se dit de choses solides. Répandre du sel, du poivre. Sur l'urne qui contient ta cendre Et que je viens baigner de pleurs, Chaque printemps je veux répandre Le tribut des premières fleurs, Gresset, Épit. P. Bougeant.
  • 3On l'a dit aussi des soupirs. Vous vous souvenez, Dieu de nos pères, de tous les soupirs que j'ai répandus à vos pieds pour détourner votre colère, Massillon, Carême, Injust.
  • 4Il se dit des effusions morales. Mon Dieu, si j'ose répandre mon âme en votre présence, et parler à vous, moi qui ne suis que poussière et que cendre, pourquoi le perdons-nous [Turenne] ? Fléchier, Tur. J'irai répandre à ses pieds toute l'amertume de mon âme, Massillon, Carême. Enf. prod. Je répan drai mon âme au seuil du sanctuaire, Seigneur… dans ton nom seul je mettrai mon espoir, Lamartine, Méd. I, 23.
  • 5Disperser, étendre au loin. Le soleil répand la lumière. Ce fleuve a répandu ses eaux dans la campagne. Ce général répandit ses troupes dans les villages environnants. Hannon, par ordre du sénat de Carthage, répandit trente mille Carthaginois depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'à Cerné, Montesquieu, Esp. XXI, 11. Pavées d'une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle, Voltaire, Candide, 18.
  • 6Fig Donner de la dissipation, rendre dissipé. Les commerces nous répandent trop au dehors, Massillon, Carême, Prière 1.
  • 7Départir, distribuer à plusieurs personnes. Dieu répand ses grâces comme il lui plaît. Répandre des bienfaits. Le roi a fait en Lorraine comme les années passées en Flandre, c'est-à-dire a répandu beaucoup d'argent sur son passage en aumônes et en libéralités, Pellisson, Lett. hist. t. II, p. 20. Je lui faisais des dons ; mais, avec modestie, Il me voulait toujours en rendre une partie… Et, quand je refusais de le vouloir reprendre, Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre, Molière, Tart. I, 6. Ami, cache ta vie et répands ton esprit, Hugo, Rayons et ombres, à un poëte.

    Absolument. La libéralité [du roi] est excessive, et on [Mlle de Fontanges] répand comme on reçoit, Sévigné, 1er mars 1680. [Un roi qui] N'ouvre les mains que pour répandre, Et ne reçoit que pour donner, Rousseau J.-B. Odes, IV, 4.

  • 8Faire paraître. La douleur répandant de nouvelles grâces sur son visage, elle lui parla ainsi, Fénelon, Tél. VII.

    On dit dans un sens analogue : Cet auteur a répandu beaucoup d'agrément, beaucoup de jour sur cette matière. Notre curé de Meudon, dans son extravagant et inintelligible livre, a répandu une extrême gaieté et une plus grande impertinence, Voltaire, Dict. phil. Prior.

  • 9Proférer. Voilà, mes Pères, la source d'où naissent tant de noires impostures ; voilà ce qui en fait répandre à votre Père Brisacier, jusqu'à s'attirer la censure de feu M. l'archevêque de Paris, Pascal, Prov. X. Plus la raison manque, plus un homme violent répand d'injures, Bossuet, 4e avert. 4.
  • 10 Fig. Faire entrer dans l'esprit, dans l'âme. Vous comprenez bien la peine et l'aigreur immortelle que cette affaire [querelle de noblesse entre les Noailles et les Bouillon] répand chrétiennement dans les cœurs, Mme de Grignan, dans SÉVIGNÉ, t. V, p. 395, édit. RÉGNIER. Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur, De la chute des rois funeste avant-coureur, Racine, Ath. I, 2. Partout en même temps la trompette a sonné ; Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné Ont répandu le trouble et la terreur subite Dont Gédéon frappa le fier Madianite, Racine, ib. V, 6.
  • 11Propager. Saint Swibert, saint Willebrod et d'autres hommes apostoliques répandirent l'Évangile dans les provinces voisines, Bossuet, Hist. I, 11. Il y a donc un péché qu'Adam a introduit dans le monde ; qu'est-ce que l'introduire, si ce n'est le communiquer et le répandre ? Bossuet, Déf. de la tradition, IX, 5. La loi de l'holocauste répandit un usage qui se trouvait établi en tant de lieux, Hist. des Vest. dans DESFONTAINES. De là il envoya ses disciples dans toutes les Indes, où ils répandirent sa doctrine, Diderot, Opin. des anciens phil. (asiatiques). [Ulysse] Répandit les soupçons, éveilla les alarmes, Delille, Én. II.
  • 12Faire connaître, en parlant de bruits, de nouvelles. Tous ces messieurs l'ont tellement approuvé, que la chose a été résolue et répandue avant que j'en susse rien, Sévigné, à Bussy, 28 août 1668. Nous avons un peu répandu… les méchantes plaisanteries [touchant le siége d'Orange par M. de Grignan], Sévigné, 24 nov. 1673. La prompte renommée en répand la nouvelle, Voltaire, Tancr. V, 4. Je répandrai le bruit que vous avez pris la route des Indes, Voltaire, Zadig, 8.

    Répandre que, faire courir le bruit que. Les ennemis de la princesse des Ursins répandent qu'elle est mal avec le roi, Maintenon, Lett. au duc de Noailles, 3 sept. 1706. On avait répandu en Franche-Comté que le sel de Montmorot gâtait les fromages, objet d'une grande importance pour cette province, et qu'il empoisonnait les bestiaux, Condorcet, Montigni.

  • 13Se répandre, v. réfl. Être répandu, être versé. Les eaux se répandirent dans la campagne. Le sang de ces héros dont tu me fais descendre, Sans tes profanes mains saura bien se répandre, Racine, Iphig. V, 6.

    Fig. Avec ellipse du pronom personnel, faire répandre le verre, se dit, au propre, des gouttes de liquide qu'un verre répand, et fig. de la dernière chose qui produit une explosion de chagrin, de mécontentement, etc. (synonyme de faire déborder le vase). On dit que… le courrier de Bavière…, dont il [Pompone] ne vint rendre compte que le samedi à cinq heures du soir, a été la dernière goutte qui a fait répandre le verre, Sévigné, 6 déc. 1679.

    Être étendu, dispersé. Une odeur qui se répand au loin.

  • 14Être départi, distribué. Les aumônes de Madame, toujours abondantes, se sont répandues principalement sur les catholiques d'Angleterre, Bossuet, Duch. d'Orl. Entrons dans les desseins de la Providence, et admirons les bontés de Dieu, qui se répandent sur nous et sur tous les peuples dans la prédestination de cette princesse, Bossuet, Mar.-Thér. On vit de toutes parts mes bontés se répandre, Racine, Bérén. II, 2.
  • 15 Fig. Être épanché, par assimilation à quelque chose de liquide. La justice passe du prince dans les magistrats, et du trône elle se répand sur les tribunaux, Bossuet, le Tellier. Son génie se répandit sur toutes les parties de l'empire, Montesquieu, XXXI, 18.
  • 16 Fig. Passer dans l'esprit, dans le cœur. Vos lettres sont agréables comme vous ; on les lit avec un plaisir qui se répand partout, Sévigné, à Coulanges, 26 avr. 1695. La terreur se répandit parmi les peuples, Fléchier, Hist. de Théodose, II, 13.

    Se faire sentir. Cette privation [l'absence de biens quand on se marie] se répand et s'étend sur toute la vie, Sévigné, à du Plessis, 23 sept. 1689.

  • 17Être propagé. L'idolâtrie se répandait par tout l'univers, Bossuet, Hist. II, 2. Cité sainte dont toutes les pierres sont vivantes… cité qui se répand par toute la terre, et s'élève jusqu'aux cieux, Bossuet, Mar.-Thér. Voilà, chrétienne compagnie, ce qui fait le sujet de ma douleur, quand je vois se répandre dans le monde tant de livres sans choix, Bourdaloue, 5e dim. après Pâq. dominic. t. II, p. 212.
  • 18Être communiqué. Que peut-être, approchant ces amants trop heureux, Quelqu'un de mes malheurs se répandrait sur eux, Racine, Iphig. II, 1.

    Il se dit des bruits, des nouvelles. Le bruit s'en répandit aux environs, Bossuet, Hist. II, 10. Enfin je l'étouffai entre mes bras [le lion]… le bruit de cette action et celui du beau changement de tous nos bergers se répandit dans toute l'Égypte, Fénelon, Tél. II.

    Impersonnellement. Il s'est répandu que M. de Courtenvaux avait été renversé de quelques sacs de terre que le canon avait jetés sur lui, Pellisson, Lett. hist. t. III, p. 398. Il s'est répandu depuis quelques jours qu'elle [la future Dauphine] est très laide ; voilà tout ce que j'en sais, Maintenon, Lett. à M. d'Aubigné, 8 déc. 1681. Il se répand un bruit tumultueux, que les Parthes renouvellent leurs entreprises, Diderot, Claude et Nér. I, 43.

  • 19Être ébruité. Ce secret roule sous terre depuis plus de six mois ; il se répand un peu, Sévigné, 7 août 1675. Télémaque avait souvent remarqué que les résolutions du conseil se répandaient un peu trop dans le camp, Fénelon, Tél. XVI.
  • 20Se disperser sur la surface d'un pays. Les Goths, qui conquirent l'Espagne, se répandirent dans le pays, et bientôt se trouvèrent très faibles, Montesquieu, Esp. XV, 14. Ces multitudes prodigieuses de Huns, d'Alains, d'Ostrogoths, de Visigoths, de Vandales, de Lombards qui se répandirent comme des torrents sur l'Europe, au Ve siècle, Voltaire, Dict. phil. Population. Quoique ces casse-noix ne soient point oiseaux de passage, ils quittent quelquefois leurs montagnes pour se répandre dans les plaines, Buffon, Ois. t. V, p. 171.
  • 21Se répandre au dehors, chercher à paraître, à se montrer. Ne pensez pas à cette vaine et fastueuse religion qui se répand toute au dehors, et qui n'a que le corps et la superficie des bonnes œuvres, Fléchier, duc de Mont. Nous ne cherchons qu'à nous répandre au dehors et à exister hors de nous, Buffon, De l'homme.

    Se répandre dans le monde, voir la société. Pour moi, je mène à peu près la même vie que tu m'as vu mener : je me répands dans le monde, et je cherche à le connaître, Montesquieu, Lett. pers. 63. Le premier avantage que les gens de lettres trouvent à se répandre dans le monde, c'est que leur mérite est, sinon plus connu, au moins plus célébré, D'Alembert, Œuv. t. III, p. 30.

    Absolument. Cet homme aime à se répandre, craint de se répandre. Continuellement pressé par les inquiétudes qui le dévoreront, il [le pécheur] se répandra de tous côtés pour se délivrer de ces insupportables agitations de son cœur, Bossuet, Réfl. sur l'état des pécheurs.

  • 22Se répandre en, donner cours à ce qui s'exprime par le langage. Celui qui se répand en tant de paroles, n'écoutera-t-il pas à son tour ? Sacy, Bible, Job, II, 2. Sa fureur contre vous se répand en injures, Racine, Phèd. IV, 4. En lui répondant, il ne fait que se répandre en plaintes vagues, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 311, dans POUGENS. Nous dînâmes ; Mme d'Alain se répandit en cajoleries pendant le repas, Marivaux, Paysan parv. 3e part. Il ne se répandra pas en longs compliments ; mais comptez sur la sincérité de ceux qu'il vous fera, Diderot, Prom. scept. Mém. t. IV, p. 245, dans POUGENS. Il se sera répandu en murmures contre une autorité partiale, injuste, oppressive, Marmontel, Mém. VI.

    On dit en un sens analogue : se répandre sur. Il me semble que vous avez peur que je ne sois ridicule, et que je ne me répande excessivement sur ce sujet [la séparation d'avec Mme de Grignan] ; non, non, ma bonne, ne craignez rien, je sais gouverner le torrent, Sévigné, à Mme de Grignan, 5 juin 1675.

  • 23Se répandre à, se laisser aller à (tournure peu usitée). C'est ainsi qu'aux flatteurs on doit partout se prendre Des vices où l'on voit les humains se répandre, Molière, Mis. II, 5.
  • 24Se livrer à une effusion de cœur. Ils [le duc et la duchesse d'Orléans] me prièrent de les attendre, afin qu'ils me pussent entretenir et se répandre avec moi, Saint-Simon, 272, 178. Si j'écris quelques lignes où mon âme se répande, c'est toi seul qui m'inspires, Staël, Corinne, XVI, 3. … Ces cœurs généreux Qui, méconnus, s'ouvrent encore Pour se répandre aux malheureux, Lamartine, Harm. II, 5.
  • 25Paraître, se manifester au dehors. Souvent une pâleur mortelle se répandait sur son visage, Fénelon, Tél. VII.

ÉTYMOLOGIE

Re…, et épandre.