« enseigner », définition dans le dictionnaire Littré

enseigner

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enseigner

(an-sè-gné) v. a.
  • 1Indiquer, faire connaître. Enseigner les détours d'un bois. Enseigner le chemin le plus court à un voyageur égaré. Et vous m'avez au crime enseigné le chemin, Corneille, Cinna, v, 2. Qui se lasse d'un roi peut se lasser d'un père ; Mille exemples sanglants nous peuvent l'enseigner, Corneille, Nicom. II, 1. Vous vous mettez fort mal au chemin de régner. - Seigneur, si je m'égare, on peut me l'enseigner, Corneille, ib. III, 1. Pour sortir des tourments dont mon âme est la proie, Il est, vous le savez, une plus noble voie : Je me suis vu, madame, enseigner ce chemin Et par plus d'un héros et par plus d'un Romain, Racine, Bérén. V, 6. Enseignez-moi, Thébains, le palais de vos princes, Chénier M. J. Œdipe roi, IV, 2.
  • 2Faire savoir, démontrer, en parlant d'un art, d'une science, en donner des leçons. Enseigner le latin, le dessin, l'escrime. Parmi les diverses sciences qu'ils [les pédagogues] se vantent de leur enseigner [aux enfants], ils se gardent bien de choisir celles qui leur seraient véritablement utiles, parce que ce seraient des sciences de choses et qu'ils n'y réussiraient pas, Rousseau, Ém. II.

    Absolument. Rien n'étouffe plus la doctrine que de mettre à toutes les choses une robe de docteur ; les gens qui veulent toujours enseigner empêchent beaucoup d'apprendre, Montesquieu, Déf. Esprit des lois, part. 3.

  • 3Faire connaître comme par une sorte de leçon. Quelques animaux nous ont enseigné à bâtir des maisons. Que saurait enseigner aux princes Le grand démon qui les instruit, Dont ta sagesse en nos provinces Chaque jour n'épande le fruit ? Malherbe, III, 2. Instruisez-le d'exemple, et vous ressouvenez Qu'il faut faire à ses yeux ce que vous enseignez, Corneille, Cid, I, 3. L'amour généreux de la vérité fait très souvent perdre les chaires où l'on ne doit enseigner que la vérité, Malebranche, Recherche, IV, 9. Non, quoi que l'ignorance enseigne sur ce point, Boileau, Épît. XI. Méchant, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer, Racine, Athal. III, 4. Il est d'autres vertus que je veux t'enseigner, Voltaire, Alz v, 7. Enseignez la raison, la justice et les mœurs, Voltaire, Orphel. v, 6. Le faux zèle Enseigne à tout souffrir comme à tout hasarder, Voltaire, Henr. ch. x. S'ils se servirent du mensonge pour enseigner des vérités, ils étaient indignes de les enseigner ; ils n'étaient pas philosophes, ils étaient tout au plus de très prudents menteurs, Voltaire, Dict. phil. Philosophe, I. Un sage simple, sans faste, sans imposture [Confucius], qui enseignait aux hommes à vivre heureux, six cents ans avant notre ère vulgaire, dans un temps où tout le septentrion ignorait l'usage des lettres, Voltaire, ib. Tout le monde veut enseigner à bien faire, et personne ne veut l'apprendre, Rousseau, Rép. au roi de Pologne. Les mœurs qu'en ce désert enseigne la nature, Ducis, Macbeth, IV, 6.
  • 4Apprendre à savoir, instruire, avec un nom de personne pour complément direct. Enseigner la jeunesse. [L'ingrat] ne tiendra compte ni de ceux qui l'ont mis au monde, ni de ceux de qui il a mangé le pain, ni de ceux qui l'ont enseigné, Malherbe, le Traité des bienf. de Sénèque, III, 17. Une femme qui peut faire des fautes dans sa langue, si elle n'y a été enseignée, Voiture, Lett. 185. Dans l'Église naissante, on enseignait les catéchumènes, c'est-à-dire ceux qui prétendaient au baptême, avant que de le leur conférer, Pascal, Compar. des chr. J'ai déjà dit que ce grand Dieu les enseigne [les rois] et en leur donnant et en leur ôtant le pouvoir, Bossuet, Reine d'Angleterre. Ils nous ont enseignés par leur ignorance même, Bossuet, Serm. Quinq. Allez, dit-il, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant…, Bossuet, Hist. II, 6. Il [Jésus-Christ] l'a enseignée [l'Église] avec tant de soin, Fléchier, III, 407. Il [Jésus-Christ] inspire des prophètes pour nous enseigner, Massillon, Av. Divinité de J. C. Nous avons enseigné ces braves insulaires, Voltaire, Orphel. v, 5. Les anciens Toscans, qui enseignèrent les Romains, savaient quelque chose de plus que les peuples occidentaux, Voltaire, Mœurs, Av. prop. Ce dogme par qui nous sommes enseignés que les prières des mortels hâtent la délivrance des âmes, Chateaubriand, Génie, II, v, 15.

    En cet emploi, enseigner ne prend ni complément indirect ni verbe après lui.

  • 5S'enseigner, v. réfl. Se faire leçon à soi-même. Afin que… aux dépens d'autrui Sage je m'enseignasse, Régnier, Sat. XI. Vous [prêtre] enseigniez les autres et vous ne vous enseigniez pas vous-même, Massillon, Av. Jug. univ.

    Être enseigné, démontré. Les mathématiques s'enseignent dans cet établissement.

SYNONYME

ENSEIGNER, INSTRUIRE. Enseigner, c'est donner l'enseignement ; instruire, c'est donner l'instruction. Il y a donc dans enseigner quelque chose qui regarde moins le résultat et davantage les moyens ; c'est le contraire dans instruire. À un autre point de vue, instruire se dit plus exclusivement de l'enseignement intellectuel, et enseigner de l'enseignement moral : allez et enseignez toutes les nations ; mais on dira à un professeur : instruisez mon fils. Enfin, en plusieurs cas, ces deux mots prennent une signification analogue et se confondent.

HISTORIQUE

XIe s. S'est quil [qui le] demande, ne l'estuet enseigner [il n'est besoin qu'on le lui montre], Ch. de Rol. VIII.

XIIe s. Enseignez moi un home de bernage [vaillance], Ronc. p. 13. Et de bataille hardis et enseignés, ib. p. 65. Je vous ensegnerai [indiquerai] un juïse [jugement, supplice] pesant, ib. p. 199. Isnels [prompt] por enseignier, et tardis [tardif] por oïr, Saint Bernard, p. 553. Cil qui lui ont ensaigné et apris à eslogner ceus de ci environ, Hues de la Ferté, Romancero, p. 184. Herupois sont moult sage, leur gent bien enseignie, Sax. X. Reis, fait li sainz Thomas, mal estes enseigniez ; Vus n'estes mie tels cum estre soliez Al tens que vus servi…, Th. le mart. 118. Les proveires [prêtres] ne deiz enseignier ne mener ; Ensuivre les t'estuet [tu dois les suivre], devant deivent aler, ib. 73.

XIIIe s. Amors proi [je prie l'Amour] ke m'ensaint [qu'il m'enseigne] à faire vo talent, Poésies mss. avant 1300, t. II, p. 959, dans LACURNE. Ainsi caroloient ilecques Ceste gens, et autres avecques, Qui estoient de lor mesnies, Franches gens et bien enseignies [bien élevées], Et gens de bel afetement [manière] Estoient tuit communement, la Rose, 1289. Oncques tel response n'issi [ne sortit] D'omme vilain mal enseignié, ib. 1941. Par cest livre porra il [le comte] estre enseigniez comment il devera garder et fere garder les coustumes de sa terre, Beaumanoir, 12. Le connestable en parla au Beduyn, et il dit que il n'en enseigneroit ja gué, se l'en ne li donnoit les deniers avant, Joinville, 223. Un cordelier vint à li au chastel de Yeres, et, pour enseigner le roi, dit en son sermon, Joinville, 199.

XIVe s. Les autres ars et sciences enseignent ung homme estre bon edifieur et bon paintre, Oresme, Prol.

XVe s. [Édouard fait sortir de Calais tous les habitants pour la repeupler de purs Anglais] et ne retint que trois hommes : un prestre et deux autres anciens hommes, bon coustumiers des lois et ordonnances de Calais ; et fut pour enseigner les heritages, Froissart, I, I, 322.

XVIe s. … Car chacun jour au camp sous leur enseigne Font exercice, et l'un à l'autre enseigne à tenir ordre et manier la picque, Marot, II, 20. Il leur enseigna la sobrieté et les accoustuma à peu parler, Amyot, Lyc. et Num. comp. 7. Il ordonna qu'ilz fussent elevez, instruits et enseignez soubs mesmes maistres, Amyot, ib. 9. Il enleva l'or et tua sur le champ le pauvre Barbare qui le luy avoit enseigné, de peur qu'il ne le dist à d'autres, Amyot, Arist. 13. Ô gentils oiselets que vous estes heureux ! Nature d'elle mesme à l'amour vous enseigne, Ronsard, 181.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. enseignar, ensegnar, esseignar ; catal. ensenyar ; espagn. enseñar ; portug. ensinar ; ital. insegnare ; d'un bas-latin insignare, de in, en, et signum, signe.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ENSEIGNER. Ajoutez :
6Enseigner de, avec un infinitif. Vous avez de quoi remercier les dieux de ce que vous enseignez d'être cruel à un qui ne le peut apprendre, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne. Cette construction, plus rare que enseigner à, n'a rien de fautif.

REMARQUE

Enseigner a été dit dans le XVIe siècle pour infliger la peine de la marque : Sur paine, les femmes d'estre enseignées d'ung peron en visaige à une joinhe [joue], Ordonn. contre les vagabonds, du 5 janvier 1539, dans Rec. des ordonn. de la principauté de Liége, publié par M. Polain. Enseigner est ici pris au sens de : imprimer un signe, une enseigne, une marque ; mais qu'était ce peron qu'on imprimait au visage ?