« gouverner », définition dans le dictionnaire Littré

gouverner

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gouverner

(gou-vèr-né) v. a.
  • 1Diriger avec le gouvernail (ce qui est le sens étymologique). On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison, Pascal, Pensées, art. v, 10, édit. LAHURE, 1860.

    Absolument. Ce pilote gouverne bien, gouverne mal. Où va-t-il ? il gouverne au berceau du soleil [vers l'Orient], Lamartine, Harold, 10.

    Gouverner à la lame, fuir vent arrière par un très gros temps pour éviter de recevoir des lames. Gouverner sur son ancre. sur sa bouée, se dit lorsqu'étant au mouillage dans une rivière, l'action irrégulière du courant fait faire au navire de grandes embardées. Gouverner à telle aire, à tel vent, courir sur cette aire de vent. Gouverner où est le cap, se maintenir dans la route que l'on suit actuellement. Gouverner à barre franche, gouverner à la roue, suivant qu'on manœuvre le gouvernail avec une simple barre ou avec une roue.

    Fig. et familièrement. C'est lui qui gouverne la barque, c'est lui qui a la direction de l'entreprise, de l'affaire.

    Bien gouverner sa barque, conduire sagement sa fortune.

  • 2 Par extension, diriger, conduire. On n'est point encore parvenu à gouverner les aérostats. Ce cocher ne sait pas gouverner ses chevaux. On s'aperçut d'abord à la manière dont Itobad gouvernait son cheval que ce n'était pas à un homme comme lui que le ciel réservait le sceptre de Babylone, Voltaire, Zadig, 19.

    Fig. Il semblait à son gré gouverner le tonnerre, Racine, Esth. III, 9.

  • 3 Fig. Régir, conduire avec autorité. C'est au père à gouverner ses enfants. Prétendrais-tu nous gouverner encor, Ne sachant pas te conduire toi-même ? La Fontaine, Fabl. VI, 6. La reine obtint aux catholiques le bonheur singulier d'être gouvernés sucessivement par trois nonces apostoliques, Bossuet, Reine d'Anglet. Je ne vois rien de plus remarquable que le jugement si réglé avec lequel elle [une abbesse] a gouverné les dames qui lui étaient confiées, Bossuet, Yol. de Monterby. Qu'aux larmes, au travail le peuple est condamné, Et d'un sceptre de fer veut être gouverné, Racine, Athal. IV, 3. Dans les mains des Persans jeune enfant apporté, Je gouverne l'empire où je fus acheté, Racine, Esth. II, 1. Pendant que Rome ne domina que dans l'Italie, les peuples furent gouvernés comme des confédérés : on suivait les lois de chaque république, Montesquieu, Esp. XI, 19. Que les peuples vaincus gouvernent les vainqueurs, Voltaire, Orphel. v, 6. Quelle est donc la destinée du genre humain ? presque nul grand peuple n'est gouverné par lui-même, Voltaire, Dict. phil. Gouvern. § 2. Un aigle gouvernait les oiseaux de tout le pays d'Ornithie ; il est vrai qu'il n'avait d'autre droit que celui de son bec et de ses serres ; mais enfin, après avoir pourvu à ses repas et à ses plaisirs, il gouverna aussi bien qu'aucun autre oiseau de proie, Voltaire, ib. § 4.

    Absolument. Le roi règne et ne gouverne pas, dans le régime parlementaire. Eux qui, pour gouverner, sont les premiers des hommes, Corneille, Nicom. v, 1. Le lion, pour bien gouverner, Voulant apprendre la morale, Se fit un beau jour amener Le singe, maître ès arts chez la gent animale, La Fontaine, Fabl. XI, 5. Il y a peu de règles générales et de mesures certaines pour bien gouverner : l'on suit le temps et les conjonctures, et cela roule sur la prudence et sur les vues de ceux qui règnent, La Bruyère, X. Une liberté modérée par la seule autorité des lois, dont ceux qui gouvernent ne devraient être que les simples défenseurs, Fénelon, Dial. des morts anc. dial. 16. De leurs voisins soumis heureux législateurs, Gouvernant sans conquête, et régnant par les mœurs, Voltaire, Orph. IV, 2. Il faut que le plaisir de gouverner soit bien grand, puisque tant de gens veulent s'en mêler, Voltaire, Dict. phil. Gouvern. § 1. La force de ceux qui gouvernent n'est réellement que la force de ceux qui se laissent gouverner, Raynal, Hist. phil. XVIII, 39.

    Trop gouverner, se dit d'un gouvernement qui se mêle de toute chose et laisse peu ou point d'initiative aux gouvernés. Instruits par l'expérience comme nous le sommes, que trop gouverner est le plus grand danger des gouvernements…, Mirabeau, Collection, t. IV, p. 324.

  • 4Il se dit de l'action de Dieu sur le monde. Dieu, qui gouverne l'univers, n'a-t-il pas donné à de certains hommes plus de lumières, à d'autres plus de puissance ? Montesquieu, Esp. Défense, II, 8e obj. Vous, dieux, qui lui laissiez le monde à gouverner, Voltaire, M. de César, III, 8.
  • 5Avoir empire sur des sentiments, des passions. Gouverner ses passions. Eh bien ! guidez mes pas, gouvernez ma furie, Voltaire, Brut. IV, 3.
  • 6Avoir une grande influence sur quelqu'un, le faire agir à son gré. Sa mère qui le gouvernait, Bossuet, Hist. I, 10. Il y a autant de paresse que de faiblesse à se laisser gouverner, La Bruyère, IV. Pour gouverner quelqu'un longtemps et absolument, il faut avoir la main légère et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance, La Bruyère, ib. D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence, La Bruyère, ib. Un homme sage ne se laisse gouverner ni ne cherche à gouverner les autres ; il veut que la raison gouverne seule et toujours, La Bruyère, ib. Celui qui est à la cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s'il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n'en connaît point les ressorts, Montesquieu, Lett. pers. 107.

    Absolument. Il a reçu du ciel certaine bonté d'âme Qui le soumet d'abord à ce que veut sa femme ; C'est elle qui gouverne ; et, d'un ton absolu, Elle dicte pour loi ce qu'elle a résolu, Molière, Fem. sav. I, 3.

  • 7Se dit des choses qui nous commandent, auxquelles nous obéissons. Faites donc en sorte que mon souvenir vous gouverne, comme le vôtre me gouverne, Sévigné, 422. Il savait que l'amour et les plaisirs gouvernaient un maître qu'il gouvernait à l'exclusion du chancelier, Hamilton, Gramm. 8. L'opinion gouverne le monde, et les philosophes à la longue gouvernent l'opinion des hommes, Voltaire, Lett. d'Argental, 27 janv. 1766.
  • 8Administrer. C'est elle qui gouverne le ménage.

    Administrer avec épargne. Vous n'avez pas beaucoup de provisions, gouvernez-les bien.

  • 9Avoir soin qu'une chose soit en bon état, ne périsse pas. Gouverner le vin. Gouverner une cave.
  • 10Gouverner un enfant, en être le gouverneur. Plus le prince qu'il gouvernait avait de bonté et de docilité naturelle, plus il éloignait tout ce qui pouvait le corrompre, Fléchier, M. de Montausier.
  • 11Prendre soin, en parlant d'enfants, de malades. C'est une femme qui s'entend à gouverner les enfants. On sut que Mme la duchesse d'Arpajon avait pris la petite vérole, qu'elle n'avait jamais eue, en gouvernant sa fille qui l'a depuis un mois, Dangeau, I, 106, 8 janv. 1685. Laissez-moi gouverner votre santé ; vous savez combien je m'y intéresse, Dancourt, Fête de village, III, 5.
  • 12Soigner, élever des animaux. Cet homme sait bien gouverner les chevaux. Gouverner une basse-cour.
  • 13 Familièrement. Vivre en certains termes avec quelqu'un. Comment gouvernez-vous un tel ? Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames, Corneille, Ment. I, 1.

    On dit à peu près dans le même sens : Comment gouvernez-vous les plaisirs, le jeu, la fortune ?

  • 14 Terme de grammaire. Régir. Ce verbe, cette préposition gouverne l'accusatif.
  • 15 V. n. Obéir au gouvernail. Les deux vaisseaux ne gouvernaient plus. Le bâtiment gouverne, lorsqu'il obéit à son gouvernail ; il gouverne bien, il gouverne mal, il gouverne comme un poisson, Willaumez, Dict. de mar. Gouvernail.
  • 16Se gouverner, v. réfl. Régir ses propres affaires, en parlant d'un peuple, d'un État. Les hommes sont très rarement dignes de se gouverner eux-mêmes, Voltaire, Mœurs, 67.

    Être gouverné. Une nation éclairée ne se gouverne pas comme des peuples ignorants et superstitieux.

  • 17Laisser prendre sur soi de l'empire par quelqu'un. Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus, La Bruyère, IV.
  • 18Tenir une conduite bonne ou mauvaise. Ces femmes de bien qui se gouvernent mal, Corneille, Ment. I, 1. Je vis d'un air dans le monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal, Molière, Critique, 7. Pison y fut appelé [à cette charge] et s'y gouverna au contentement de tout le monde, Perrot D'Ablancourt, Tacite, 269. Les grands se gouvernent par sentiment, âmes oisives sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression, La Bruyère, IX.
  • 19Se maîtriser. Elle n'a pas appris de moi à se gouverner, Sévigné, 262.

    PROVERBE

    Il faut gouverner sa bouche selon sa bourse, c'est-à-dire il ne faut pas faire des dépenses de table au delà de sa fortune.

HISTORIQUE

XIe s. Tei cuvenist [il te conviendrait] helme et brunie [cuirasse] à porter, Espede ceindre cume tui altre per, E grant maisnede [mesnie, maison] douses [tu dusses] guverner, Cum fist tis pedres [ton père] e li tons parentez, St Alexis, LXXXIII. Siglent à fort et nagent et guvernent, Ch. de Rol. CLXXXVI.

XIIe s. Li rois qui nous governe est de mout grant puissance, Ronc. p. 197. Dous [deux] choses a el mund par quei est guvernez, Des reis e des evesques la sainte poestez, Th. le mart. 75. Ço [ce] sace bien li reis, e tu li deiz mustrer, Que cil qui puet les angles et humes guverner…, ib. 90. Mesels [lépreux] fud puis tus jurs jesque à sa mort, e mest [demeura] en unes chambres severalment des gens, e Joatha ses fiz guvernout la terre, Rois, p. 392. Une estele [étoile] qui ne se muet, Qui conoistre la set et puet, Et par li se set governer, Ne puet pas esgarer en mer, Wace, Vierge Marie, p. 54.

XIIIe s. Comment la traïson il devra gouverner [conduire], Berte, XVII. [Elle ne pourrait résister à la peine] Selonc la nourreture dont elle ert [était] gouvernée, ib. XLVI. Et li faites du vostre [de votre bien] si largement doner, Que ses hoirs après li s'en puisse gouverner, ib. CXXXIX. Et ot en cescune esciele [troupe] connestable preudomme et gentil qui les gouvrenoit, Chron. de Rains, p. 76. Totes gens qui sont guovernés par lois et par coustumes, Liv. de just. 3.

XIVe s. Si que il [les fils de Philippe le Bel] puissent profitablement gouverner le pueple des François, H. de Mondeville, f° 3, verso. Gouverne le malade o [avec] bon regime, et purge souvent melencolie, Lanfranc, f° 58. Ceux de Lacedemone ne conseillent pas ou ne traittent pas en leurs conseulx comme ceux de Scite se gouverneront, Oresme, Eth. 66.

XVe s. Et de ce, feurent très mal contents de ceux qui estoient autour du roy et qu'on disoit le gouverner, Juvénal Des Ursins, Charles VI, 1392. Et haultement et en grande auctorité se gouvernoient [conduisaient], Juvénal Des Ursins, ib. Jardins y a, riviere pour voler [chasser au vol], Sauvoirs [réservoirs à poissons] dedenz garenne proufitable, Vignes entour pour l'ostel gouverner [entretenir], Deschamps, Poésies mss. f° 158. Les dessus nommés seront tenus de trouver les despens des quevaulx et logier et gouverner [défrayer] nostre dit procureur et ses gens, Du Cange, gubernantia. Ils se gouvernerent [les Suisses] tres vaillamment en tous les lieux où ils se trouverent, Commines, I, 6.

XVIe s. Il estoit loisible aux censeurs de degrader et oster du senat un senateur qui se gouvernoit indignement, Amyot, P. Aem. 61. Il receut aussi quatre-vingts vaches à laict, et des vachers pour les gouverner, Amyot, Pélop. 56. Tous ces seigneurs estans en sa chambre avec leur greffier, il [St-Valier, détenu pour un procès capital] les pria de se retirer, desirant gouverner [entretenir] à part monsieur le premier president, Pasquier, Rech. liv. VIII, p. 707, dans LACURNE. Un quidam qui gouvernoit la femme de son voisin et l'alloit voir si souvent qu'à la fin le mary s'en aperçut, Bouchet, Serées, liv. III, p. 202, dans LACURNE. Celuy gouverne bien mal le miel, qui n'en taste, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Bourguign. gouvanai ; provenç. governar ; espagn. gobernar ; ital. governare ; du latin gubernare, qui vient du grec ϰυϐερνᾷν.