« idée », définition dans le dictionnaire Littré

idée

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

idée

(i-dée) s. f.
  • 1Représentation qui se fait de quelque chose dans l'esprit, soit que cette chose existe au dehors, ou qu'elle soit purement intellectuelle. Quelle idée attachez-vous à ce mot ? Tant de choses en font concevoir une haute idée que…, Pascal, Prov. 1. Il me donnait une grande idée de l'excellence de cet ouvrage, Pascal, ib. 5. L'étrange idée qu'on leur a donnée de la dévotion ! Pascal, ib. 9. Il est aisé de concevoir quelle idée l'Église a de l'homicide, Pascal, ib. 14. Ce que nous concevons par une bête, est un certain animal qui pense, mais qui pense peu, qui n'a que des idées confuses et grossières, et qui n'est capable de concevoir qu'un fort petit nombre d'objets, Nicole, Ess. mor. 1er traité, ch. 10. Je m'en fais une jolie idée, Sévigné, 326. Il a une grande idée de toute votre personne, Sévigné, 49. Nous avons des idées très claires non-seulement de notre liberté, mais encore de toutes les choses qui la doivent suivre, Bossuet, Lib. arb. 2. L'idée de celui qui nous a créés est empreinte profondément en nous, Bossuet, la Vallière. L'histoire nous donne l'idée de l'empire suprême de Dieu, Bossuet, Hist. II, 1. Les idées qu'elle [la nation juive] avait conçues de son Christ, Bossuet, ib. II, 10. Tout ce qui pouvait donner aux peuples une grande idée de leur patrie, Bossuet, ib. III, 6. Quelque idée que je me fusse faite de votre procédé, il va encore plus loin, Maintenon, Lett. à de Villette, 5 avril 1682. Il me serait difficile de te faire sentir ce que c'est ; car nous n'en avons point précisément d'idée, Montesquieu, Lett. pers. 90. On dit que ces brigands aux meurtres acharnés… Ont d'un Dieu cependant conservé quelque idée, Voltaire, Orph. I, 1. Je ne puis douter que Dieu n'ait accordé des sensations, de la mémoire, et, par conséquent, des idées à la matière organisée dans les animaux, Voltaire, Philos. ignor. quest. 29e. L'idée seule de cette aventure fait frémir, Voltaire, Lett. Tabareau, juill. 1770. Voulez-vous prendre une idée de l'éducation publique ? Rousseau, Ém. I. Le goût des plaisirs faisait perdre aux Romains cette idée de liberté si chère à leurs ancêtres, Duclos, Mém. jeux scéniques, Œuv. t. I, p. 347, dans POUGENS. Je crois que nous avons plus d'idées que de mots ; combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! Diderot, Pensées de la peinture, Œuv. t. XV, p. 170.

    Demi-idée, idée incomplète. J'ai quelquefois des demi-idées, comme quand je vois des objets de loin confusément, Voltaire, Dial. VIII, 1.

    Familièrement. Le pays des idées, région imaginaire où l'on relègue ce qui n'existe pas réellement.

    Donner une idée d'une chose, la faire concevoir en gros. Il ne sera pas hors de propos de donner une idée de la cour d'Angleterre, Hamilton, Gramm. 6. Sa figure donnait une idée de l'aurore, Hamilton, ib. 9. On aurait désiré que le rédacteur eût imité le cardinal de Retz, qui commence ses mémoires par donner une idée des personnages qu'il va faire paraître sur la scène, Voltaire, Observ. sur les Mém. de Noailles. Voilà une idée générale de ce qu'il expose en détail dans ses sommaires et plus amplement dans ses dialogues, Diderot, Opin. des anc. phil. (Jordanus Brunus).

    Avoir une idée, se représenter. Si vous y joignez deux chèvres… et un gros chien… vous aurez une idée de tout le revenu et de tout le domestique de ces deux petites métairies, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg.

    Familièrement. Avoir idée, penser, s'imaginer. Rosine : Bon ! c'est la lettre de mon cousin l'officier qui était tombée de ma poche. - Bartholo : J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 15.

    N'avoir pas la première idée d'une chose, y être tout à fait ignorant. La marine de la compagnie est commandée par des officiers qui ont tous commencé par être matelots ou mousses ; ils sont pilotes, ils sont manoeuvriers, mais ils n'ont pas la première idée des évolutions navales, Raynal, Hist. phil. II, 25.

    Familièrement. Avoir peu d'idées d'une chose, n'avoir pas assez d'intelligence, d'esprit pour y songer. Mme de Beuzenval était une très bonne femme, mais bornée, et trop pleine de son illustre noblesse polonaise : elle avait peu d'idées des égards qu'on doit aux talents, Rousseau, Conf. VII.

    Familièrement. Ne pas se faire d'idée, ne pouvoir comprendre. Je ne me faisais pas d'idée de l'ennui d'un semblable esclavage, Genlis, Théât. d'éduc. la Bonne mère, I, 3.

    Par exagération et familièrement. On n'a pas d'idée de cela, se dit de ce qui paraît extraordinaire, excessif, offensant, etc. Vous n'avez pas d'idée de cette situation, Genlis, ib. la Curieuse, III, 1.

  • 2Dans le langage psychologique. Fait intellectuel qui répond dans notre esprit aux objets dont nous avons pris connaissance. L'origine, la génération des idées. Par le nom d'idée j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées, Descartes, Rép. aux secondes obj. 58. Qu'est-ce qu'une idée, qu'est-ce qu'une sensation, une volonté ? c'est moi apercevant, moi sentant, moi voulant, Voltaire, Dict. phil. Idée. Il n'a pas dépendu de moi ni de recevoir dans ma cervelle ni de rejeter toutes les idées qui sont venues y combattre les unes contre les autres… quand elles se sont bien battues, je n'ai recueilli de leurs dépouilles que l'incertitude ; il est bien triste d'avoir tant d'idées et de ne savoir pas au juste la nature des idées, Voltaire, ib. Qu'est-ce qu'une idée ? c'est une image qui se peint dans mon cerveau, Voltaire, ib. Malebranche a prouvé très bien que nous n'avons aucune idée par nous-mêmes, et que les objets sont incapables de nous en donner ; de là il conclut que nous voyons tout en Dieu ; c'est au fond la même chose que de faire Dieu l'auteur de toutes nos idées, Voltaire, Dict. phil. âme. Les idées ne sont que des sensations comparées, ou, pour mieux dire, des associations de sensations, Buffon, Disc. nat. anim. Œuv. t. LVI, p. 296. Une idée est un mode de l'âme, et, comme nous ne savons pas ce que l'âme est en elle-même, nous ne savons point non plus ce qu'un mode de l'âme est en lui-même, Bonnet, Ess. analyt. Ame, ch. 8.

    Idées innées, voy. INNÉ.

    Idées générales, les idées les plus étendues auxquelles les idées particulières sont subordonnées, et que l'on obtient par différents procédés intellectuels. Toutes les idées générales renferment des idées différentes qui approchent ou qui diffèrent plus ou moins les unes des autres, Buffon, Animaux, ch. VIII.

    Terme de philosophie de Kant. Idées pures et nécessaires, concepts rationnels dont l'objet ne peut être fourni par l'expérience. Idées formelles ou subjectives, idées considérées relativement à leur forme dans l'esprit. Idées objectives, idées considérées relativement à leur matière ou à leur objet.

  • 3 Terme de philosophie. Type, modèle éternel des choses. Les idées de toutes choses sont en Dieu.

    Les idées de Platon, les archétypes qui, suivant ce philosophe, sont les modèles des choses terrestres.

    Fig. Dans les idées de Platon, c'est-à-dire ce qui est dans les nuages, ce qui est ajourné indéfiniment. Croyez, ma fille, que ce n'est pas sans une douleur profonde que je vois votre retour dans ces idées de Platon, Sévigné, 27 mars 1672.

    Fig. Modèle, type, idéal. Et [la reine], ternissant le souvenir Des reines qui l'ont précédée, Devient une éternelle idée De celles qui sont à venir, Malherbe, III, 3. Il [Brancas] est mon idée sur la perfection de l'amour, Sévigné, 1er sept. 1680. Ce goût que j'ai pour vous ne m'a point passé, vous êtes mon idée plus que jamais, Sévigné, à Mme de Guitaut, 29 octob. 1692. Ce n'est point là une idée de perfection que j'imagine, Fléchier, Aig.

  • 4Souvenir. En ma présence même en caresser l'idée, Corneille, Sophon. I, 4. Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée, Racine, Esth. II, 1. J'ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente, Lesage, Turcaret, I, 3. Sachez Que le premier devoir est d'étouffer l'idée Dont votre âme à mes yeux est encor possédée, Voltaire, Alz. IV, 2. Des affronts attachés à mon humble fortune, C'est le seul dont je garde une idée importune, Voltaire, Orphel. de la Chine, II, 6. Que cette idée encor m'accable et m'humilie ! Voltaire, Tancr. IV, 2.
  • 5Image. J'en puis voir sa fenêtre ; et de sa chère idée Mon âme à cet aspect sera mieux possédée, Corneille, Ment. IV, 1. Rempli de votre idée, il m'adresse pour vous Ces mots, où l'amitié règne sur le courroux, Corneille, Rodog. V, 4. Je m'en vais avec le bon abbé et mes livres, et votre idée dont je recevrai tous mes biens et tous mes maux, Sévigné, 422. Ne me rappelez point une trop chère idée, Racine, Bérén. V, 5. Mais de ce souvenir mon âme possédée A deux fois en dormant revu la même idée, Racine, Athal. II, 5. Elle ne se le représente [Dieu] plus alors… sous l'idée d'un juge terrible, Massillon, Avent, Mort du péch.
  • 6Vision chimérique. Ce ne sont pas des idées creuses. Il se repaît d'idées.

    Opinion non fondée. Vous croyez qu'il ne viendra pas, quelle idée !

    Fantaisie. Sortir par un temps pareil, quelle idée !

    Vaine apparence, sans réalité ni effet. Le roi n'est qu'une idée et n'a de son pouvoir Que ce que par pitié vous lui laissez avoir, Corneille, Nicom. III, 2. Ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux, Molière, l'Av. III, 5.

    Fig. et familièrement. Petite quantité. Je ne veux qu'y goûter, ne m'en donnez qu'une idée.

  • 7Pensée, conception, opinion. Suivre le fil de ses idées. Cela brouille toutes mes idées. Idée sublime. Noble idée. Mon trouble, il est bien vrai, m'a si fort possédée, Que de le démentir je n'ai point eu l'idée, Molière, Tart IV, 5. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit ou moins nette ou plus pure, Boileau, Art p. I. Crois-tu… Que… D'une si douce erreur si longtemps possédée, Je puisse désormais souffrir une autre idée ? Racine, Bajaz. II, 1. Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées ; Racine se conforme aux nôtres, La Bruyère, I. Moi qui, de tant de feux justement possédée, N'avais d'autre bonheur, d'autre soin, d'autre idée Que de t'entretenir, d'écouter ton amour ? Voltaire, Zaïre, III, 5. Peut-elle réparer les malheurs qu'elle a faits ? En a-t-elle la force ? en a-t-elle l'idée ? Voltaire, Oreste, V, 2. Rassemblons des faits pour nous donner des idées, Buffon, Animaux, Reproduction.

    Avoir une grande idée de…, penser magnifiquement, orgueilleusement de… Vous avez une si grande idée de votre rang, Massillon, Petit car. Vices et vert.

    Par opposition. Avoir, se faire une triste idée, une pauvre idée, penser peu de bien d'une chose.

    Idée fixe, celle qui nous domine, qui nous occupe exclusivement.

    En médecine, idée fixe, forme de monomanie intellectuelle ou délire partiel et chronique, dont il y a autant de variétés que de malades, et dans laquelle le patient demeure obsédé par une idée déraisonnable ou criminelle qui influe sur toutes ses actions.

  • 8Il se dit quelquefois pour système philosophique. Les idées d'Aristote ont dominé le moyen âge.

    Les idées nouvelles, les opinions qui tendent à renouveler la société. Partisan, adversaire des idées nouvelles.

    L'idée fouriériste, l'idée saint-simonienne, le système de Fourier, de Saint-Simon, ou du moins le principe de ces systèmes.

  • 9Première conception d'où se développe une œuvre d'art ou de littérature. L'idée de ce tableau est gracieuse. Il a pris l'idée de sa pièce dans tel roman. C'est une idée qui m'avait passé une fois par la tête et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie qui peut-être n'aurait pas fait rire, Molière, Impr. 1.

    Terme de musique. Idée musicale, trait de chant qui se présente à l'esprit du compositeur avec tous les accessoires qu'il comporte.

    Absolument, et souvent au pluriel, les idées, les conceptions qui inventent, qui donnent de l'originalité. Cet auteur a des idées. Il n'y a point d'idées dans ce livre, chez cet artiste. Faute d'idée, il allait faire une ode, Béranger, Vin de Chypre.

    Familièrement. Avoir de l'idée, avoir de l'intelligence, un esprit fécond en expédients.

    Absolument, au singulier, et dans un emploi néologique. L'ensemble idéal des aspirations du génie et de l'époque. Les penseurs sont les serviteurs de l'idée. La forme n'est rien ; l'idée est tout. La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien ; Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée, Hugo, Rayons et ombres, xx. [Paris] Mamelle sans cesse inondée, Où, pour se nourrir de l'idée, Viennent les générations, Hugo, Voix intérieures, IV.

  • 10Invention ; sens peu usité aujourd'hui. L'autre femme est une pure idée de mon esprit, Corneille, Sertor. Au lecteur.
  • 11Esquisse, ébauche. Il en a jeté l'idée sur le papier.

    En mauvaise part. Ce n'est qu'une première idée, qu'une idée informe, se dit d'un ouvrage qui est trop peu achevé.

  • 12Esprit, imagination. En ce sens il ne s'emploie qu'avec les prépositions en, dans, à, de, etc. Il me revient à l'idée, en idée que… On ne peut lui ôter cela de l'idée. J'ai dans l'idée qu'il ne viendra pas. Il s'est mis dans l'idée de faire cela, qu'il devait aller à Rome. Et n'avait rien que Pinuce en l'idée, La Fontaine, Berc. Personne n'aspire à l'égalité ; cela ne vient pas même dans l'idée, Montesquieu, Esp. V, 4.

    En idée, c'est-à-dire en esprit. Va, triomphe en idée avec ta Rodogune, Corneille, Rodog. IV, 5. De pareils lieutenants n'ont de chefs qu'en idée, Corneille, Sertor. III, 2. Général en idée et monarque en peinture, Corneille, Agés. III, 1. Les projets frivoles d'un vainqueur en idée, Fléchier, Tur. Le monde semble respecter la vertu en idée, Massillon, Carême, Injust. Le pape Jean XXII déposa en idée Louis de Bavière par une de ces bulles, Voltaire, Mœurs, 68.

SYNONYME

IDÉE, PENSÉE. L'idée est proprement la représentation d'un objet dans l'esprit ; la pensée est la considération de cet objet dans l'esprit. L'idée est l'élément ; la pensée est la combinaison de ces éléments.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et lor promet, en ses idées, Des œuvres qu'il auront ovrées, Sauvement ou dampnacion, la Rose, 17685.

XVIe s. Sur la plus belle idée au ciel vous fustes faite, Voulant nature un jour monstrer tout son pouvoir ; Depuis vous lui servez de forme et de miroir, Desportes, Diane, II, 67.

ÉTYMOLOGIE

Latin, idea ; du grec ἰδέα, image, idée, de εἴδειν, voir, lequel est le même que le latin videre, voir ; de sorte que c'est le fait de la vision qui a fourni, par figure, la dénomination au fait intellectuel.