« juge », définition dans le dictionnaire Littré

juge

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

juge

(ju-j') s. m.
  • 1Celui qui juge, qui a le droit et l'autorité de juger. Les jurés ne sont juges que du fait. Dieu le souverain juge. L'Église est juge des choses de la foi. La Syrie à vos lois est-elle assujettie Pour souffrir qu'une femme y soit juge et partie ? Corneille, Théod. V, 7. Que je vous fasse vous-même le juge de votre propre cause, Bourdaloue, Jugem. dern. 1er avent, p. 84. Les rois, en des siècles plus innocents, furent autrefois eux-mêmes les juges du peuple, Fléchier, Lamoign. Mais vous avez pour juge un père qui vous aime, Racine, Mithr. II, 2. Tu me parles toujours comme un juge implacable Qui sur son tribunal intimide un coupable, Voltaire, Fanat. I, 4.

    Fig. L'esprit de ce souverain juge du monde [l'homme] n'est pas si indépendant qu'il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui, Pascal, Pens. III, 9, éd. HAVET.

  • 2Homme préposé par autorité publique pour rendre la justice aux particuliers. Pendant que chacun tâche de vaincre [dans une discussion], on s'exerce bien plus à faire valoir la vraisemblance qu'à peser les raisons de part et d'autre ; et ceux qui ont été longtemps bons avocats ne sont pas pour cela par après les meilleurs juges, Descartes, Méth. VI, 5. Le juge prétendait qu'à tort et à travers On ne saurait manquer, condamnant un pervers, La Fontaine, Fabl. II, 3. Ô Seigneur, vous avez fait, comme dit le Sage, l'œil qui regarde et l'oreille qui entend ; vous donc qui donnez aux juges ces regards benins, ces oreilles attentives, et ce cœur toujours ouvert à la vérité, écoutez-nous pour celui qui écoutait tout le monde, Bossuet, le Tellier. On y [dans le Tellier] vit tout l'esprit et les maximes d'un juge, qui, attaché à la règle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées ni des adoucissements ou des rigueurs arbitraires, et qui veut que les lois gouvernent et non pas les hommes, Bossuet, ib. L'ambition a fait trouver ces dangereux expédients où, semblable à un sépulcre blanchi, un juge artificieux ne garde que les apparences de la justice, Bossuet, ib. Trente juges étaient tirés des principales villes pour composer la compagnie qui jugeait tout le royaume [d'Égypte], Bossuet, Hist. III, 3. Aussi disait-il ordinairement qu'il y avait peu de différence entre un juge méchant et un juge ignorant, Fléchier, Lamoignon. Dieu, dont la providence destine les juges pour gouverner son peuple, comme elle destine les prêtres pour le sanctifier, Fléchier, ib. Ceux qui, renversant l'ordre des choses, se font une occupation de leurs amusements, et ne donnent à leurs charges que les restes d'une oisiveté languissante, comme s'ils n'étaient juges que pour être de temps en temps assis sur les fleurs de lis où ils vont peut-être rêver à leurs divertissements, Fléchier, ib. M. le Tellier savait qu'un juge doit rendre compte non-seulement de son travail, mais encore de son loisir, Fléchier, le Tellier. Crois-tu qu'un juge n'ait qu'à faire bonne chère, Qu'à battre le pavé comme un tas de galants ? Racine, Plaid. I, 4. Ne raillons point ici de la magistrature ; Vois-tu ? je ne veux point être un juge en peinture, Racine, ib. II, 13. Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur, La Bruyère, XIV. La maison de M. de Villars ressemblait-elle à ces maisons d'orgueil où ceux que les affaires y attirent pensent plus aux moyens d'aborder leur juge qu'à lui exposer leur droit et leur justice ? Massillon, Or. fun. Villars. Il craignait avec grande raison que la justice ne fût d'une part et les juges de l'autre, Lesage, Diable boit. ch. V, dans POUGENS.

    Autrefois les juges, n'étant pas salariés par l'État, avaient des bénéfices dans les procès. Le devoir des juges est de rendre la justice ; leur métier est de la différer ; quelques-uns savent leur devoir et font leur métier, La Bruyère, XIV.

  • 3Collectivement et absolument, tribunal. Renvoyer devant le juge, par-devant le juge.
  • 4Juges de rigueur, les juges qui doivent prononcer suivant la rigueur de la loi ; à la différence des arbitres, qui peuvent se décider d'après l'équité naturelle.

    Juges de rigueur, s'est dit aussi des juges subalternes ; à la différence des juges qui prononçaient en dernier ressort, et qui se permettaient quelquefois d'adoucir la rigueur de la loi.

    Juges naturels, ceux que la loi assigne aux accusés, aux parties, suivant leur qualité et l'espèce de la cause.

    Juges inférieurs, juges qui prononcent en premier ressort.

  • 5Juge d'instruction, magistrat établi pour rechercher les crimes et les délits, en recueillir les preuves ou indices, et faire arrêter et interroger les prévenus.

    Juge-commissaire, juge désigné par le tribunal dont il fait partie pour procéder à certaines opérations, et en faire son rapport s'il y a lieu.

    Juge de paix, magistrat principalement chargé de juger sommairement, sans frais et sans ministère d'avoués, les contestations de peu d'importance, et de concilier, s'il se peut, les différends dont le jugement est réservé aux tribunaux civils ordinaires.

    Juges extraordinaires, juges qui ne connaissent que de certaines matières distraites par la loi de la juridiction ordinaire.

  • 6Autrefois, juges ordinaires, juges à qui appartenait naturellement la connaissance des affaires civiles ou criminelles ; à la différence des juges de privilége, et de ceux qui étaient établis par commission.

    On appelait aussi juges ordinaires ceux qui servaient toute l'année, à la différence de ceux qui ne servaient que par semestre.

    Juges royaux, ceux qui rendaient la justice au nom du roi. Juges des seigneurs, ceux qui la rendaient au nom des seigneurs.

    Juge d'attribution, juge qui était établi pour connaître de certaines affaires.

    Juge délégué, celui qui était commis pour connaître d'une affaire particulière, par opposition à juge permanent.

    Juge botté, juge qui n'était pas gradué.

    Juge botté ne se dit plus que fig. d'un juge sans lumière et sans capacité.

    Juge a quo [duquel, sous-entendu on pouvait appeler], juge subalterne, juge dont on appelait.

    Autrefois juges et consuls, juges-consuls, aujourd'hui juges consulaires, juges pour les affaires commerciales, juges au tribunal de commerce. Comme les négociants habiles et instruits dans leur art ont acquis par l'habitude et l'usage du commerce une connaissance suffisante pour juger les différends qui concernent le négoce et la marchandise, l'ordonnance [de 1673] a cru devoir ôter la connaissance de ces différends aux juges ordinaires, et en confie la décision aux négociants mêmes, ou du moins aux plus habiles et plus capables d'entre eux, choisis à cet effet dans chaque ville par le corps des négociants, et elle leur a donné la qualité de juges-consuls, Pothier, Commentaire sur l'ordonnance du commerce, Paris, 1761, in-12, p. 216.

  • 7Grand juge, titre donné, sous le premier empire, au ministre de la justice.
  • 8Juge mage ou maje, titre qu'on donnait, dans quelques provinces méridionales de la France, au lieutenant du sénéchal.
  • 9Nom donné à ceux qui sont chargés de prononcer dans un concours. Les juges du concours.
  • 10Toute personne ou ensemble de personnes choisies pour prononcer sur un différend, ou dont le jugement, l'opinion a pouvoir de décider. Puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point, Molière, l'Avare, IV, 4. Il est donc hérétique, me dit-il, demandez-le à ces bons pères. Je ne les pris pas pour juges, Pascal, Prov. I. Je fais M. de Grignan juge de ce que je dis, Sévigné, 590. Combien voudriez-vous donc, monsieur de la Brie ? - Vous-même je vous en fais juge, Dancourt, la Femme d'intrigues, I, 6. Je ne prends point pour juge un peuple téméraire, Racine, Athal. II, 5. Les nations les ont pris pour juges de leurs différends, Fénelon, Tél. VIII. La confiance avec laquelle il a fait l'univers juge de sa conduite prouve assez qu'il ne se reprochait rien, Fontenelle, Czar Pierre. Chacun s'érigera en juge de cette nouvelle démarche, Massillon, Carême, Resp. hum.

    Il se dit, dans le même sens, de toute chose personnifiée. Mon juge est mon amour, mon juge est ma Chimène, Corneille, Cid, III, 1. Dieu conduit l'Église dans la détermination des points de la foi, par l'assistance de son esprit qui ne peut errer ; au lieu que, dans les choses de fait, il a laissé agir par les sens et par la raison, qui en sont naturellement les juges, Pascal, Prov. XVII. Je puis… Lui disputer les cœurs du peuple et de l'armée, Et pour juge entre nous prendre la renommée, Racine, Bajaz. III, 4. Loin du triumvirat va chercher un refuge ; Je prends entre nous deux la victoire pour juge, Voltaire, Triumv. V, 5.

  • 11Celui qui est capable de juger d'une chose, de l'apprécier. Vous vous êtes, en ma faveur, trompé en une chose de laquelle vous êtes si bon juge, Voiture, Lett. 37. Toutes les vaines excuses dont vous couvrez votre impénitence vous vont être ôtées… mon discours, dont vous vous croyez peut-être les juges, vous jugera au dernier jour, Bossuet, Anne de Gonz. Un auteur à genoux, dans une humble préface, Au lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce ; Il ne gagnera rien sur ce juge irrité, Qui lui fait son procès de pleine autorité, Boileau, Sat. IX. Pourquoi les amants, qui sont bons juges de ce qui touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit ? Fontenelle, les Mondes, 1er soir.

    Se faire, s'établir, se constituer juge de quelqu'un, de quelque chose, se croire capable de juger quelqu'un, quelque chose.

  • 12Juges du camp, ceux qui, dans les combats judiciaires, dans les joutes et combats de chevaliers, étaient chargés de veiller à ce que tout se passât suivant l'usage et la loyauté.
  • 13Francs juges, voy. VEHME.
  • 14Titre des magistrats suprêmes des Juifs avant l'établissement de la royauté. Depuis le temps des juges qui jugèrent Israël, Sacy, Bible, Rois, IV, XXIII, 22.

    Le livre des Juges ou, simplement, les Juges, le septième livre de l'Ancien Testament, qui contient l'histoire des Juifs pendant la domination des juges.

  • 15Juge et garde de la prévôté, juge subalterne du bailli.

    Juge d'armes, officier qui était chargé de vérifier et de certifier les armoiries et les titres de noblesse.

    Juge-garde, fonctionnaire qui veillait à la fabrication des monnaies.

PROVERBES

De fou juge briève sentence, c'est-à-dire les ignorants décident sans examiner. On a vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 2.

HISTORIQUE

XIIIe s. Grant don fait juges aveugler, Droit abatre, tort elever, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 132. [Hypocrisie] Ses anemis ne prise gaires, Qu'ele a baillis, provos et maires, Et si a juges, Rutebeuf, I, 204. Nus [nul] en sa querele ne doit estre juges et partie, excepté le roi ; car cil pot estre juges et partie en sa querele et en l'autrui, Beaumanoir, I, 24.

XIVe s. Le juge est bon, qui tost entent et tart juge, Ménagier, I, 9.

XVe s. Par ce l'en peult appercevoir Souvent en mainte plaidoyerie Ung homme, affin de recepvoir, Estre ensemble juge et partie, Coquillart, Plaidoyer de la simple et de la rusée. Juge hastif est perilleux, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 132.

XVIe s. Le peuple ne voulut point tirer au sort ceulx qui devroient estre juges de ce jeu, pour adjuger le prix à celuy des poetes qui l'auroit mieulx merité, Amyot, Cimon, 14. Les voulez-vous faire [les philosophes] juges des droicts d'un procez, des actions d'un homme ? Montaigne, I, 140. Et fera le juge d'appel ce que devoit faire le juge a quo, Coust. génér. t. II, p. 413. Les juges [du camp] estoient Hercules, duc de Ferrare, et Louis, marquis de Saluces, lesquels estoient dedans un eschaffault près de celuy du roy, duquel pouvoient veoir tout à clair tous les coings et endroicts du champ, et sans empeschement adviser tout l'exploict de la bataille, Jean D'Auton, Ann. de Louis XII, p. 89, dans LACURNE. Tel juge tel jugement, Leroux de Lincy, t. II, p. 132. …Nommer et elire cinq marchands… le premier desquels nous avons nommé juge des marchands, et les quatre autres consuls desdits marchands… Connoistront lesdits juge et consuls des marchands de tous procès et differends qui seront ci-après mus entre marchands, Édit. de nov. 1563, art. 1 et 3.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. jutge ; espagn. juez ; portug. juiz ; ital. giudice ; du lat. judicem, de jus, droit, et dex, celui qui dit, de dicere. Il est vrai que l'on a dīcere et judĭcis ; mais on doit remarquer que tous les mots tels que dĭcare, causidĭcus etc. ont  ; d'ailleurs on sait que l'ancienne forme de dīcere est deicere, lequel est un gouna du radical diç, montrer, dire.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

JUGE. Ajoutez :
16Le mot juge a pris diverses significations spéciales dans les îles Normandes : A Jersey et à Guernesey, juge délégué, personne désignée pendant la vacance de l'office de bailli, pour en exercer provisoirement les fonctions. A Aurigny et à Serk, autrefois, juge, le premier des jurés chargé de la présidence de la cour. À Aurigny, aujourd'hui, le juge fonctionnaire nommé par la couronne, président de la cour et des États de l'île. Lieutenant-juge, personne désignée pour exercer les fonctions du juge en son absence. Enfin le nom de juge est souvent donné aujourd'hui aux jurés de Jersey.