« jugement », définition dans le dictionnaire Littré

jugement

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jugement

(ju-je-man) s. m.
  • 1 Terme de jurisprudence. Action de juger ; décision prononcée en justice. Jugement d'un procès. Prononcer un jugement en faveur de quelqu'un. Subir un jugement. Exécuter un jugement. Il rendit un jugement injuste contre le fils de Jonathas, Pascal, Prov. XVIII. La compagnie où l'on renversait avec tant de facilité les jugements de toutes les autres, ne respectait pas davantage les siens, Bossuet, le Tellier. La loi est déchirée, comme disait la prophétie, et le jugement n'arrive jamais à sa perfection, Bossuet, ib. Il n'était pas permis en Égypte de louer indifféremment tous les morts ; il fallait avoir cet honneur par un jugement public ; aussitôt qu'un homme était mort, on l'amenait en jugement, Bossuet, Hist. III, 3. Il rendait justice et jugement à son peuple, Fléchier, le Tellier. Dieu disposa lui-même M. de Lamoignon à porter ses lois, et à exercer ses jugements dans le plus auguste sénat du monde, Fléchier, Lamoign. Un jugement inique a poursuivi ton sang, Voltaire, Scythes, II, 4. Combien nos jugements sont injustes et vains ! Voltaire, Tancr. IV, 6.

    Fig. C'est là [dans le tombeau] que les plus grands rois… viennent subir, sans cour et sans suite, le jugement de tous les peuples et de tous les siècles, Bossuet, Duch. d'Orl.

    Mettre quelqu'un en jugement, lui faire un procès criminel.

    Ester en jugement, être partie dans un procès. La femme ne peut ester en jugement sans l'autorisation de son mari, Code Nap. art. 215.

    Jugement avant laire droit, celui qui, avant de statuer définitivement, prescrit une mesure préalable.

    En parlant des cours supérieures, on dit arrêt et non jugement.

    En jugement, séance tenante.

    Jugement de paysans, se disait de toute sentence qui partage un différend par la moitié.

  • 2Il se dit de l'intervention de Dieu dans les choses humaines, de ses décrets, de ses desseins. Retirons nos regards de cet objet funeste, Pour admirer ici le jugement céleste, Corneille, Hor. V, 1. Les jugements de Dieu sur le plus grand de tous les empires de ce monde, c'est-à-dire sur l'empire romain, ne nous ont pas été cachés, Bossuet, Hist. III, 1. Le jugement qu'il [Dieu] exerce avec une si terrible exactitude sur ceux que ses dons obligent à une fidélité plus parfaite, Bossuet, ib. II, 3. À quelle perfection l'âme chrétienne ne peut-elle pas aspirer dans l'auguste et saint ministère de la justice, puisque, selon l'Écriture, l'on y exerce le jugement non des hommes mais du Seigneur même ? Bossuet, le Tellier. Il faut que je m'élève au-dessus de l'homme pour faire trembler toute créature sous les jugements de Dieu, Bossuet, Reine d'Angl. Dieu, dont les jugements sont impénétrables, Fléchier, Aiguillon. Ô mon Dieu ! vous exercez des jugements terribles et sévères, Massillon, Carême, Parole.
  • 3 Particulièrement. Jugement de Dieu, nom donné aux épreuves extraordinaires, comme le duel, l'épreuve du feu, du fer chaud, etc. auxquelles, dans le moyen âge, on recourait pour décider certaines contestations. Ces jugements étaient nommés jugements de Dieu, parce que l'on était persuadé que l'événement de ces épreuves, qui aurait pu en toute autre occasion être imputé au hasard, était dans celle-ci un jugement formel par lequel Dieu faisait connaître clairement la vérité en punissant le parjure, Duclos, Mém. épreuves, Œuvr. t. I, p. 299, dans POUGENS. La loi des chevaliers ordonne ces combats ; Le jugement de Dieu dépend de notre bras ; C'est le glaive qui juge et qui fait l'innocence, Voltaire, Tancr. II, 6.
  • 4Le jugement dernier, le jugement par lequel, suivant les chrétiens, Dieu jugera les vivants et les morts à la fin du monde. Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre [les Confessions] à la main, me présenter devant le souverain juge, Rousseau, Conf. I.

    Le jugement universel, le grand jugement, le jugement final, et, absolument, le jugement, le jugement dernier. Le jour du jugement. Le dernier jugement Finira ton tourment, Complainte du Juif errant.

    Jugement particulier, celui par lequel Dieu juge les âmes aussitôt après la mort.

    Jugement dernier, tableau qui représente le jugement dernier. Il y a des Jugements derniers de différents peintres, mais le plus célèbre est celui de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine à Rome.

    Fig. Un petit jour du jugement, une rude et douloureuse épreuve dans cette vie. Je plains la personne que vous savez… c'est un petit jour du jugement, qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, Pascal, Lett. à Mlle de Roannez, 8.

  • 5En jugement, en débat, en discussion. Vos auteurs s'élèveront en jugement les uns contre les autres, Pascal, Prov. XII. Nous osons sans cesse appeler le Seigneur en jugement avec nous, Massillon, Mystères, Purific. 1. Lorsqu'il s'agit d'entrer en jugement avec leur conscience, Massillon, Carême, Prosp. temp. Que pourrez-vous lui [au Seigneur] dire lorsqu'il entrera en jugement avec vous ? Massillon, Carême, Temps.
  • 6Opinion motivée, rendue sur un point de doctrine, sur une question, sur un livre, etc. Votre Majesté a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement ; ma comédie, sans l'avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau, Molière, Tart 1er placet. Examiner leurs livres pour en faire le jugement, Pascal, Prov. III. Le jugement de l'Académie [sur le Cid] fut rédigé par Chapelain ; il est écrit tout entier de sa main, et l'original est à la bibliothèque du roi, Voltaire, Comm. Corn. Cid.

    Jugement décisif, jugement de personnes constituées en dignité, telles qu'un pape, un concile, un évêque, qui prononcent sur un livre, une proposition, etc.

    Jugement doctrinal, se dit, par opposition à jugement décisif, de l'opinion motivée de personnes doctes et respectables, mais qui n'ont point d'autorité absolue.

  • 7Avis, sentiment. Ce même jugement [admiration de la beauté d'une dame] a été donné si généralement de tout le monde, que ceux qui ne voudraient pas encore entendre tous les jours ses louanges seraient contraints de se bannir de la cour, Voiture, Lett. II. Qu'il est difficile de proposer une chose au jugement d'un autre, sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer !… tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il y en a peu de fermes et stables ! Pascal, Pensées, VI, 39, édit. HAVET. Le roi, dont le jugement est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse, et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges, Bossuet, Duch. d'Orl. Si mon jugement ne me trompe pas, si, rappelant la mémoire des siècles passés, j'en fais un juste rapport à l'état présent, Bossuet, Reine d'Anglet. Tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes, Bossuet, Duch. d'Orléans. Les faux jugements que nous faisons des biens temporels, Fléchier, Serm. II, 205.

    Au jugement, selon l'opinion, selon l'avis. L'affirmative et la négative de la plupart des opinions ont chacune quelque probabilité, au jugement des docteurs, Pascal, Prov. VI.

  • 8Approbation ou condamnation. Vous êtes bien injuste, ma très chère, dans le jugement que vous faites de vous, Sévigné, 22 sept. 1680. Vous avez raison de croire qu'ils [les six menins du Dauphin] ne sont pas tous du prix du chevalier ; Sa Majesté en a fait même jugement, Sévigné, 13 mars 1680. Les hommes toujours hardis à juger les autres, sans épargner les souverains, car on n'épargne que soi-même dans ses jugements, Bossuet, Mar.-Thér. L'honneur est un jugement que les hommes portent sur le prix et sur la valeur de certaines choses, Bossuet, Sermons, L'honneur, préambule. Des jugements d'autrui nous tremblons follement ; Et chacun l'un de l'autre adorant les caprices, Nous cherchons loin de nous nos vertus et nos vices, Boileau, Épître III.

    Jugement téméraire, pensée mal fondée et précipitamment prise touchant une personne ou une action dont on juge trop légèrement. Le jugement téméraire, qui de lui-même est un désordre, dispenserait-il de la réparation d'un second désordre qui est la médisance ? Bourdaloue, 2e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 266. C'est des soupçons et des défiances que naissent les jugements téméraires et les aversions, Bourdaloue, Instruct. charité, Exhort. t. II, p. 375.

  • 9Faculté de l'entendement qui saisit les rapports entre les idées, qui apprécie sainement les choses. Le jugement doit conduire toutes nos actions, Malherbe, le Traité des bienf. de Sénèque, IV, 9. Cependant leur savoir ne s'étend seulement Qu'à regratter un mot, douteux au jugement, Régnier, Sat. IX. Mais que mon jugement au besoin m'abandonne ! Corneille, Cinna, IV, 3. Tant l'excès du forfait, troublant leurs jugements, Présente à leur terreur l'excès des châtiments ! Corneille, Pomp. II, 2. Elle montre en cela qu'elle a du jugement, Mairet, Sophon, III, 4. Vous serez toujours… Un envers du bon sens, un jugement à gauche, Molière, l'Ét. II, 14. Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement ? Molière, Mis. IV, 3. Il avait trop de jugement pour croire vos impostures, Pascal, Prov. 16. Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture, Boileau, Sat. III. Il est étonnant qu'avec tout l'orgueil dont nous sommes gonflés, et la haute opinion que nous avons de nous-mêmes et de la bonté de notre jugement, nous négligions de nous en servir pour prononcer sur le mérite des autres, La Bruyère, XII. Dom Jugement, dame Mémoire Et demoiselle Imagination, Quoique n'en dise rien la fable ni l'histoire, Avaient jadis même habitation, Lamotte, Fables, III, 13. Sur son jugement seul un grand homme appuyé…, Voltaire, Tancr. IV, 5.
  • 10 Terme de logique. Acte de l'entendement par lequel on décide qu'il y a convenance ou disconvenance entre deux idées.

    Jugement analytique, celui dans lequel on développe le contenu d'un concept, affirmant pour une chose explicitement des attributs qui étaient déjà partie du concept, et dont l'esprit peut acquérir la notion distincte par la simple analyse de ce concept.

    Jugement synthétique, celui qui, pour une chose, affirme des attributs qui n'étaient pas dans le concept, et que par conséquent nous ne jugeons ni ne pouvons juger être une partie du concept, reconnaissant seulement qu'ils sont conjoints en fait avec les attributs qui composent le concept.

  • 11 Terme de médecine. Crise, terminaison. Le jugement de cette maladie se fit par des sueurs profuses.
  • 12Jugement d'Oléron, ou rôle d'Oléron, collection de décisions coutumières sur la marine recueillies par Éléonore de Guienne, et qui fut le point de départ, au moins partiellement, de l'ordonnance de la marine de 1681.

SYNONYME

JUGEMENT, SENS. Le jugement est un acte de l'esprit qui compare ; le sens est une perception confuse et spontanée des choses. Cet homme a du jugement, veut dire qu'il sait comparer, apprécier, juger. Cet homme a du sens, veut dire qu'il sent les choses telles qu'elles sont. Il y a entre ces deux mots une nuance qui provient de la différence entre juger et sentir, entre le réfléchi et le spontané.

HISTORIQUE

XIe s. Qui faus jugement fait, pert sa were…, Lois de Guill. 15. Sur mei avez turnet fals jugement, Ch. de Rol. XXII.

XIIe s. Al jor du jugement, quant Dex tiendra ses plais, Saxons, X. De Guenelon jugement ferez jà, Ronc. 178. Et fins amans, destrois et angoissos, Doit joie avoir par jugement d'amors, Couci, VII. Pur les oilz Deu [les yeux de Dieu], fait-il, ne volt [il ne veut] acunte rendre, E si est mis huem liges [mon homme lige] : jugement en voil prendre, Th. le mart. 44.

XIIIe s. Saint et martir, apostre et inocent Se plainderoient de vous au jugement, Quesnes, Romancero, p. 102. À ardoir [elle] fu jugée et par droit jugement [et par juste jugement], Berte, XCV. Services et consaus [conseil] poent bien estre vendu, mais ce ne poent ne ne doivent estre li jugement, Beaumanoir, II, 1.

XIVe s. Se il est ainsi que homme vertueux ait en telles choses bon et droit jugement, Oresme, Eth. 19. Et tout autre pain qui est tournez pour vendre dedans le jugement [district] des eschevins, Du Cange, judicium 1.

XVe s. Sans elles [liesse et plaisance], à mon jugement, Ce monde n'est que chose vaine, Orléans, Ball. 61. Et aux mauvais rendre droit jugement, Deschamps, Des vertus nécess. au prince. Bien seroye d'avis que on eust bon jugement quelz sont les personnes [que l'on jugeât bien quelles sont les personnes], Commines, II, 3.

XVIe s. Les memoires excellentes se joignent volontiers aux jugements debiles, Montaigne, I, 34. Homme d'un jugement bien net, Montaigne, I, 256. Les Atheniens, en memoire de ce, firent un jugement des poetes tragiques qui fut fort notable, Amyot, Cimon, 14. Qui tost juge, et qui n'entend, Faire ne peut bon jugement, Loysel, 869. La gent de Westwalie, située entre le Rhin, Phrise, Hollande, au diocese de Coligne, tient encores aujourd'hui une coustume qu'ils appellent jugement occulte [la vehme ; voy. ce mot], Coust. génér. t. I, p. 1046. Fiens de chien et marc d'argent Seront tout un au jour du jugement, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Juger ; provenç. jutjamen ; anc. espagn. juzgamiento ; portug. julgamento ; ital. giudicamento. Dans l'ancien français, on se servait beaucoup de juise, qui est le latin judicium.