« manier », définition dans le dictionnaire Littré

manier

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

manier [1]

(ma-ni-é ; il faut éviter ma-gné, prononciation voisine, mais très vicieuse ; je maniais, nous maniions, vous maniiez ; que je manie, que nous maniions, que vous maniiez) v. a.
  • 1Prendre, toucher avec la main. Manier un drap pour voir s'il est fin. L'autre regardait ma robe, en maniait l'étoffe, Marivaux, Mariane, 5e part.

    Fig. [Certains esprits] étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométrie, et à ne raisonner qu'après avoir bien vu et manié leurs principes, Pascal, Pensées, VII, 2 bis, éd. HAVET. Plaisante raison qu'un vent manie, et à tout sens, Pascal, ib. III, 3, édit. HAVET. C'est ainsi que ces trois messieurs manient entre eux la raison humaine ; l'un faisant toujours l'objection qu'il ne doit point faire, l'autre approuvant ce qu'il ne doit point approuver, et l'autre répondant ce qu'il ne doit point répondre, Boileau, Longin, Subl. réfl. 6.

    Je ne l'ai vu ni manié, se dit pour signifier qu'on ne peut rendre compte de ce qui est demandé.

    En un sens contraire, je l'ai vu et manié, je me suis assuré par moi-même de la chose. Je reviens de Versailles ; j'ai vu ces beaux appartements, j'en suis charmée ; si j'avais lu cela dans quelque roman, je me ferais un château en Espagne d'en voir la vérité ; je l'ai vue et maniée, Sévigné, 9 fév. 1683. Soleri jure qu'il ne retournera plus auprès de vous, qu'il ne puisse vous dire qu'il a vu et manié votre fils, Sévigné, 26 nov. 1688.

    Toucher fréquemment. Ne maniez pas ces fruits, de peur de les meurtrir.

  • 2Se servir de… avec la main. Il manie bien le ciseau, le burin, la plume, l'épée, le pistolet. Ce peintre manie bien la couleur. Dès sa plus tendre jeunesse, il se hâte de lui enseigner à manier la rame, à tendre les cordages et à mépriser les tempêtes, Fénelon, Tél. III. Savoir manier les chevaux et les armes sont des talents communs au chasseur et au guerrier, Buffon, Quadrup. t. II, p. 14.
  • 3Mettre en œuvre, en parlant de l'ouvrier. Ce maçon manie bien le plâtre. Ce serrurier manie bien le fer. Ce sculpteur manie bien la terre, le marbre. Il [Dieu] n'a répandu sur nous ce souffle de vie, c'est-à-dire l'âme faite à son image, qu'après qu'il a donné à la boue qu'il maniait si artistement avec ses doigts tout-puissants, la forme du corps humain, Bossuet, Médit. sur l'Évang. dern. serm. du Sauveur, 41e jour.
  • 4 Fig. Il se dit de la manière d'user des instruments de la pensée. Cet écrivain manie bien la langue, la plume. Homme qui manie bien la parole.

    Employer d'une certaine façon dans le discours écrit ou parlé. Il manie finement l'ironie, la louange. Ce poëte dramatique manie bien les passions. Dacier… prétend que Polyeucte n'est pas propre au théâtre… il attribue tout le succès à Sévère et à Pauline ; cette opinion est assez générale ; mais il faut avouer aussi qu'il y a de très beaux vers dans le rôle de Polyeucte, et qu'il a fallu un très grand génie pour manier un sujet si difficile, Voltaire, Comment. Corn. Poly. V, sc. dernière. Comme, pour manier avec grâce un style naïf, il faut être naïf soi-même, Marmontel, Élém. hist. Œuvres, t. VIII, p. 334, dans POUGENS.

  • 5 Terme de manége. Manier un cheval, le faire aller, le mener. À l'âge de sept ans, il [Charles XII] savait manier un cheval, Voltaire, Charles XII, 1.

    Manier un cheval sur les quatre coins de la volte, le conduire avec tant de justesse qu'à chaque coin, à chaque angle de la volte il fasse une volte étroite, sans perdre un seul temps.

    Fig. Diriger, conduire. Un génie Qui les volontés manie, Malherbe, II, 2. Manier dextrement les desseins de nos princes, Régnier, Sat. XI. Non, l'on n'a point vu d'âme à manier si dure, Ni d'accommodement plus pénible à conclure, Molière, Mis. IV, 1. La force ne se laisse pas manier comme on veut, Pascal, Vrai bien, 13, éd. FAUGÈRE. Esprits difficiles à manier, Bossuet, Hist. III, 6. Ainsi Antiope, sans prendre aucune autorité et sans se prévaloir de ses charmes, maniera un jour le cœur de son époux, comme elle touche maintenant sa lyre quand elle en veut tirer les plus tendres accords, Fénelon, Tel. XXII. Le chancelier mania si habilement l'esprit de l'ambassadeur, que celui-ci engagea son maître à signer la prolongation de la trêve, Duclos, Hist. Louis XI, Œuvres, t. III, p. 221, dans POUGENS. Que ce diable d'homme est rude à manier ! Beaumarchais, Barb. de Sév. III, 3.

  • 6 Fig. Avoir en sa disposition, administrer, gérer. Il manie tous les biens de cette maison. Vous savez, chrétiens, quelle est leur ambition, c'est d'avoir des deniers à manier, Bourdaloue, Serm. 22e dim. après la Pentec. Dominic. t. IV, p. 335.

    Manier une affaire, la diriger, la conduire. Dont la dextérité les affaires manie, Malherbe, IV, 6. Considérons un homme de bien dans la simplicité de sa vie : il ne gouverne point les États, il ne manie point les affaires publiques, Bossuet, Sermons, Loi de Dieu, 3.

    Manier beaucoup d'argent, faire de grandes affaires.

  • 7 Terme de marine. Diriger un bâtiment.
  • 8 Terme de doreur. Manier les couches de blanc pour dorer, les frotter avec la brosse.

    Terme de couvreur. Manier à bout, réparer le lattis et l'ardoise, ou la tuile d'un toit.

    Terme de paveur. Manier, ôter les vieux pavés pour en mettre de neufs à la place.

  • 9 V. n. Manier, se dit d'un cheval qui obéit au cavalier. Ce cheval manie bien sous l'homme, manie bien à droite et à gauche, il exécute avec docilité tous les mouvements que veut le cavalier.

    Manier de ferme à ferme ou manier en place, se dit de l'action par laquelle le cheval entretient le jeu successif et transversal de ses quatre extrémités qu'il fait mouvoir, mais sans avancer ni reculer.

    Manier sur les hanches, plier les jarrets.

  • 10Se manier, v. réfl. Se toucher soi-même. Les hommes ne sentent pas la chaleur qui est dans leur cœur, quoiqu'elle donne la vie et le mouvement à toutes les autres parties de leur corps ; il faut qu'ils se touchent et qu'ils se manient pour s'en convaincre, parce que cette chaleur est naturelle ; il en est de même de la vanité, elle est si naturelle à l'homme qu'il ne la sent pas, Malebranche, Rech. vér. II, 6.

    Fig. Se manier, se conduire avec adresse et diligence. Chateauneuf savait se manier ; il s'était mis fort avant dans la confiance de la princesse des Ursins, Saint-Simon, 137, 9.

    Terme de marine. Se manier, bien manœuvrer, se bien tirer d'affaire.

  • 11 Fig. Être régi, conduit. Ce peuple ne se manie pas facilement.

    Familièrement. Cela ne se manie pas ainsi, n'est pas si aisé à manier, se dit à quelqu'un qui, dans une affaire, s'avise de mauvais expédients.

  • 12Au manier, loc. adv. En maniant. Vous reconnaîtrez cette étoffe au manier.

    PROVERBE

    On ne peut manier du beurre sans se graisser les doigts, c'est-à-dire on profite toujours à manier de l'argent.

HISTORIQUE

XIIe s. Mais tant en cope [tant coupe d'un soliveau], et du gresle ot ostez ; Por miex tenir l'ot il bien atirez, Bien le manoie tot à sa volentez, Bat. d'Aleschans, V. 6344. Tant requist nuit e jur la mere al creatur Qu'ele li tramesist santé de sa dolur, Qu'à lui vint une nuit la dame de doucur, Dist li que il alast à Thomas senz demur, Fesist li manier sun ventre tut entur, Th. le mart. 94. Sire Raoul, dist la mere Bernier, Nos ne savons nule arme manoier ; Bien nos poez destruire et essilier, Raoul de C. 54.

XIIIe s. Et si ne soit nus [nul] si hardis bourgois ni habitans k'eskievin aient à maniier [gouverner] …, Tailliar, Recueil, p. 415. Et [une femme aveugle] fesoit si com ele pooit miex, en maniant as mains, si come avugles font, Mirac. St Loys, p. 175. Assez vaut mieux riqueche c'on manie, Que plus attendre après la mort d'un oir, Grieviler, dans Bibl. des chartes, 4e série, t. V, p. 23.

XIVe s. Plus est ung faulcon touché et manié, plus s'en asseure, Modus, f° LXXVIII. Un grand villain, plus noirs que meure [mûre], Qui avoit à non desconfort, à manier me print moult fort, Et me fist ma peine doubler, J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 6. Et se tu fais forgier monnoie, Pour Dieu, fai li tele qu'on oie Dire qu'elle est de bon aloy… Car chascuns la tient et manie ; Si n'i a celui qui n'en die Sa maleïsson bas ou haut, Quant on i treuve aucun deffaut, Machaut, p. 121. Pierre Aubert vint devant la boucherie pour y vendre un petit de char, et là survint un jeune enfant qui prist à patoier et menoyier de la dite char, Du Cange, maniare.

XVe s. Si fut tellement le jeune chevalier gascon manié et battu qu'oncques depuis ce tournois n'eut santé et mourut, Froissart, I, I, 240. Peu ou riens faisoit de luy, mais en toutes choses estoit manié et conduit par aultruy, Commines, II, 15.

XVIe s. Manier et employer un subject, Montaigne, I, 34. Je ne parle pas de ces soubdaines inondations, de quoy nous manions [saisissons] les causes, Montaigne, I, 232. Le prince de Sulmone, à Naples, maniant un rude cheval de toute sorte de maniements, Montaigne, I, 369. La Florissante [nom d'un vaisseau], en se maniant pour faire tirer quelques coups, s'assabla sur un banc, D'Aubigné, Hist. II, 302. Leur sagesse à gouverner, leur dextérité à manier leurs peuples, Amyot, Lyc. et Num. 1. Il ne voulut laisser aux Macedoniens, pendant qu'il seroit absent, un si dangereux voisin, et si malaisé à manier, Amyot, Pyrrh. 19. Son mulet estoit plus doux à manier, et plus fort que nul des autres, Amyot, Marius, 22. Pour cognoistre la façon de leurs armes, et leur maniere de les manier, Amyot, ib. 27. Manié de fortune, Cotgrave L'un des plus gentis et dociles chevaux que nous ayons jamais vus ; car, n'ayant que cinq ans, et n'ayant jamais esté dressé, il manioit terre à terre à toutes mains, Sully, Mém. t. I, p. 165, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Berry, magner, maigner, maneier ; provenç. maneiar, maneyar, maniar ; espagn. manejar ; ital. maneggiare ; c'est une forme verbale que les nations romanes ont tiré du latin manus, main.