« souverain », définition dans le dictionnaire Littré

souverain

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

souverain, aine

(sou-ve-rin, rè-n' ; c'est une faute de prononcer, comme quelques-uns font, sou-vé-rin) adj.
  • 1Très excellent en son genre, qui est au plus haut degré en son genre. Ne me refusez pas ce bonheur souverain, Corneille, Pomp. v, 4. Les belles soirées et le clair de lune me donnaient un souverain plaisir, Sévigné, 14 août 1676. Qu'y restait-il [dans une âme incrédule], chrétiens, si ce n'est ce que dit saint Augustin ? il restait la souveraine misère et la souveraine miséricorde, Bossuet, Anne de Gonz. Pendant que sa valeur [de Constantin] maintenait l'empire dans une souveraine tranquillité, Bossuet, Hist I, 11. N'est-il pas étrange que, ce règne de Dieu devant être notre souverain bien, nous en redoutions les approches comme notre souverain mal ? Bourdaloue, 15e dim. après la Pentecôte, Dominic. t. III, p. 47. Le roi lui parlait plus sur le siége qu'à M. de Vauban même, qui était trop occupé ; et cet avantage, qui fait la souveraine félicité des courtisans, flatte toujours beaucoup les gens les plus raisonnables, Fontenelle, Renau. Cicéron leur était redoutable par cette souveraine éloquence qui le faisait dominer dans toutes les assemblées, Vertot, Révol. rom. XII, p. 173. Ce langage sonore [le grec] aux douceurs souveraines, Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines, Chénier, l'Invention.

    En mauvaise part. Un souverain mépris, un mépris très grand. Puisque cet enfer que je crains est le souverain malheur, je ne le craindrais pas autant que je dois, si ce n'était pas une crainte souveraine, Bourdaloue, Serm. 19e dim. après la Pentec. domin. t. IV, p. 205.

  • 2Il se dit de l'autorité suprême et de ceux qui en sont revêtus. Dignité souveraine. Souverain seigneur. Souveraine maîtresse. Il sait que, si la prudence du souverain magistrat est obligée quelquefois, dans les cas extraordinaires, de suppléer à la prévoyance des lois, c'est toujours en prenant leur esprit, Bossuet, le Tellier. Triomphant et chargé des titres souverains Qu'ajoute encore aux rois l'amitié des Romains, Racine, Bérén. I, 3. Ma fille ignore encor mes ordres souverains, Racine, Iphig. IV, 6. … Ô mon souverain roi, Me voici donc tremblante et seule devant toi, Racine, Esth. I, 4. Il [Jéhu] me laisse en ces lieux souveraine maîtresse, Racine, Athal. II, 5.

    Prince souverain, prince qui, maître d'un territoire et chef d'un peuple, ne relève d'aucun autre prince.

    Cour souveraine, tribunal qui juge sans appel.

    Jugement souverain, jugement sans appel.

    Juger au souverain, s'est dit pour juger sans appel.

  • 3Qui a en soi les signes, les caractères de la souveraineté. Et l'on eût dit à voir ce masque souverain [le visage de Corneille] Une médaille antique à frapper en airain, Th. Gautier, le Soulier de Corneille.
  • 4Il se dit de Dieu et de son autorité suprême. La reine se soumit plus que jamais à cette main souveraine qui tient du plus haut des cieux les rênes de tous les empires, Bossuet, Reine d'Anglet. Soit qu'il [Dieu] élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui, Bossuet, ib. Que s'il est une justice souveraine et par conséquent inévitable, qui nous dira qu'elle n'agisse jamais selon sa nature ? Bossuet, Anne de Gonz.
  • 5Il se dit de l'empire que l'on a sur ses passions, sur son âme, sur le cœur d'un autre. Et sur mes passions ma raison souveraine, Corneille, Poly. II, 2. Croyez que, de tous ces cœurs où vous régnez si bien, il n'y en a point où vous soyez plus souveraine que dans le mien, Sévigné, à Mme de Grignan, 18 sept. 1676. En vain certains rêveurs vous l'habillent en reine [la raison], Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine, Boileau, Sat. IV. Elle [Agrippine] a repris sur vous son souverain empire, Racine, Brit. IV, 4. Du cœur d'Assuérus souveraine maîtresse, Racine, Esth. II, 7.
  • 6D'une efficacité sûre, infaillible. L'affection des honnêtes gens m'est un remède souverain contre les maux de cette nature, Guez de Balzac, liv. VI, lett. 7. Ce beau nom d'héritière 'a de telles douceurs, Qu'il devient souverain à consoler des sœurs [qui ont perdu un frère], Corneille, Mél. IV, 10. Il [le baume tranquille] est souverain à ces sortes de maux, Sévigné, 23 avr. 1690.
  • 7 S. m. Celui en qui réside l'autorité suprême, prince, magistrat, ou peuple. Dans les démocraties, le peuple est le souverain. Il faut obéir aux lois du souverain. Ces petits souverains [les consuls] qu'il [le peuple] fait pour une année, Corneille, Cinna, II, 1. J'ai une vénération toute particulière pour ceux qui sont élevés au suprême degré, ou de puissance, ou de connaissances ; les derniers peuvent, si je ne me trompe, aussi bien que les premiers, passer pour des souverains, Pascal, Lett. à la reine Christine. Sylla se rendit souverain sous le nom de dictateur, Bossuet, Hist. III, 7. Celui-là est souverain qui jouit d'une puissance et d'une liberté telles, qu'il en est autorisé à intervenir aux affaires des nations par ses armes, et à assister dans leurs traités, Diderot, Opin. des anc. philos. (Leibnitzianisme).

    Dans le langage politique, l'être abstrait en qui réside le pouvoir souverain. Le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même, Rousseau, Contr. soc. II, 1. La volonté de tous est l'ordre, la règle suprême ; et cette règle générale et personnifiée est ce que j'appelle le souverain, Rousseau, Lett. de la mont. 6.

  • 8Particulièrement, monarque, prince souverain. Les Parthes, les Persans veulent des souverains, Corneille, Cinna, II, 1. Des personnes assez éclairées ne doutent pas que, si le prince d'Orange voulait, osait ou pouvait entreprendre de se faire souverain de la Hollande, le roi [Louis XIV] ne concourût à ce dessein avec lui, Pellisson, Lett. hist. t. I, p. 251. Je reviens de Versailles… ce qui plaît souverainement, c'est de vivre quatre heures entières avec le souverain, être dans ses plaisirs et lui dans les nôtres, Sévigné, 9 fév. 1683. La princesse Bénédicte épousa Frédéric, duc de Brunswick et Hanovre, souverain puissant, qui avait joint le savoir avec la valeur, Bossuet, Anne de Gonzague. Le caractère des Français demande du sérieux dans le souverain, La Bruyère, X. J'ai fait des souverains et n'ai point voulu l'être, Voltaire, Œd. II, 4. Il [Alexandre] voudrait être l'unique souverain de l'univers, et le seul dépositaire des connaissances humaines, Barthélemy, Anach. ch. 82. L'aspect du souverain porte grâce au coupable, P. Lebrun, Marie, II, 2.

    Petit souverain, prince qui a une domination peu étendue, et même subordonnée à un autre.

    Souveraine se dit d'une femme dans le même sens que souverain. Les ordres qu'il a reçus de sa souveraine. Une grande reine, souveraine de trois royaumes, Bossuet, Reine d'Anglet.

  • 9 Fig. Il se dit de l'autorité exercée soit sur les objets inanimés, soit sur le cœur. Tant qu'ils [les hommes] ne sont qu'amants, nous sommes souveraines, Corneille, Poly. I, 3. Sultane et, ce qu'en vain j'ai cru trouver en toi, Souveraine d'un cœur qui n'eût aimé que moi, Racine, Bajaz. v, 4. Élie aux éléments parlant en souverain, Racine, Athal. I, 1.
  • 10Nom d'une monnaie d'or d'Angleterre, équivalant à 25 fr. 25 centimes ; en anglais sovereign.

    Demi-souverain, monnaie d'or d'Angleterre, qui vaut 10 schellings ou 12 fr. 60 c.

REMARQUE

Voltaire blâme souverain sur employé par Corneille dans Cinna [Il nous fait souverains sur leurs grandeurs suprêmes, III, 4], mettant en place souverain de, qui est en effet plus usité. Mais cette locution, en soi, n'a rien de vicieux.

HISTORIQUE

XIIe s. E li rois Antiochus aloit par les souveraines [supérieures] contrées, Machab. I, 6. À ton bel cors, à ta figure Bien convendroit tel aventure, Que tu fusses dame del mont [monde], Del souverain et del parfont, Adam, Mystère, p. 23. Dedenz el costé del sud fud l'entrée ; après terre a une vis [escalier] par unt l'um montad al estage meien, e d'iluc al suverain, Rois, p. 247. Aussi come en la mer est puissanz la baleine, Si est lor poestez en terre souveraine, Sax. XX. Saint iglise est espuse al soveraing Seignur, Th. le mart. 128.

XIIIe s. [L'homme] Entendre doit al souvrain bien ; Li souvrains biens c'est Dex lassus, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 8. Et il virent le lonc et le lé de la vile qui de toutes autres estoit soveraine, Villehardouin, LXI. Mais Diex qui est donneres de joie souveraine, Berte, L. [Elle] Tant fist que leens n'out [il n'y eut] nul souverain [maître] de li [d'elle], ib. LIX. En toz les liex que li rois n'est pas nommés, noz entendons de cix qui tienent en baronnie ; car cascuns barons est souvrains en se [sa] baronnie, Beaumanoir, XXXIV, 41. Et por ce que noz avons dit que sapience est le [la] sovraine vertus de toutes celes qui doivent estre en bailli, Beaumanoir, I, 4.

XIVe s. Mais quant. Diex fait à prinche une tel courtoisie, Que villes et chastiaux li met par son aïe, Et le fait souverain d'une chité garnie, Baud. de Seb. x, 357. Lothaire s'en retorna en la soveraine [supérieure] France, qui est le royaume d'Austrasie, Du Cange, supranus. Souverein prelat, l'evesque de Chartres, Du Cange, ib.

XVe s. Et donna encore [Édouard III] à Philippe de Chasteaux, son maistre escuyer et son souverain conseiller [de Jean de Hainaut] cent marcs. Froissart, I, I, 27. Et envoya dedans Tournay messire Godemar du Fay souverain capitaine et garde de tout le pays d'environ…, Froissart, I, I, 94. Se combattit vaillamment, assez près du roy, monseigneur de Chargny ; si estoit toute la presse sur luy, pour ce qu'il portoit la souveraine baniere du roy, Froissart, I, p. 194, dans LACURNE. À l'entrée du chastel, par dedans, a une grosse tour qui est maistresse et souveraine de la porte du chastel, Froissart, IV, p. 35. D'amour touché, Pour contempler sa beauté souveraine, Incontinent je m'en suis approché, Basselin, XVI. Il estoit si petitement en la grace des souverains de la feste, qu'ilz le laisserent aller en sa tente, pour ce qu'il estoit trop bonbancier en ses faitz, Perceforest, t. III, f° 141. Après l'esbatement de la jeune compaignie, j'entendis que la dame ancienne alla dire à sa souveraine : Madame, gardez que le serain ne vous griefve huimais, ib. t. II, f° 77. Ce jour là furent maintes nopces faictes ; mais les souveraines furent de Lyonnel, ib. t. IV, f° 158.

XVIe s. Ce prince [Alexandre] est le souverain patron des actes hazardeux, Montaigne, I, 133. L'autorité du gouverneur doibt estre souveraine sur lui [le jeune homme], Montaigne, I, 165. Cette souveraine et maistresse amitié, Montaigne, I, 215. Un souverain remede, Montaigne, II, 32. C'est la perle de prix, c'est le souv'rain bonheur, Ronsard, 905. Voilà comme d'un mot de souverain qui s'employoit communement à tous ceux qui tenoient les premieres dignités de la France, mais non absolument, nous l'avons avec le temps accommodé au premier de tous les premiers, je veux dire au roy, Pasquier, Rech. VIII, p. 688, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. sôverain ; ital. sovrano ; du bas-lat. superanus, qui vient du lat. super, sur, au-dessus.