« jurer », définition dans le dictionnaire Littré

jurer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jurer

(ju-ré) v. a.
  • 1Prendre, par serment, Dieu, ou quelqu'un, ou quelque chose à témoin. Jurant même la mer et ses vagues profondes, Régnier, Élég. V. Je jure les rayons du jour qui nous éclaire Que tu ne mourras point que de la main d'un père, Corneille, le Ment. V, 3. Moi, je jure des dieux la puissance suprême, Et, pour dire encor plus, je jure par vous-même, Corneille, Pomp. v, 1. Le Dieu que j'ai juré connaît tout, entend tout, Corneille, Théod. II, 4. Et l'assembleur de nuages Jura le Styx, et promit De former d'autres orages, La Fontaine, Fabl. VIII, 20. Je jure les puissances De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé, La Fontaine, Fabl. XI, 3. …je vous jure ma foi qu'invoquer saints…, La Fontaine, Orais. Je jure le ciel que je le défendrai ici contre qui que ce soit… et, pour adresser vos coups, il faudra que vous me perciez, Molière, Festin, III, 5.

    Jurer ses grands dieux, affirmer de la façon la plus formelle. Temple assura qu'elle ne regardait plus Rochester que comme un monstre de perfidie, et jura ses grands dieux qu'elle ne l'écouterait de sa vie, Hamilton, Gramm. 10.

  • 2Assurer, promettre quelque chose par serment. Jurer fidélité au souverain. Il a juré de dire la vérité. Ils [les Vaudois] défendaient de jurer pour rendre témoignage à la vérité devant le magistrat ; et en même temps ils juraient tout ce qu'on voulait pour tenir leur secte et leur croyance cachées, Bossuet, Var. XI, § 48. Avec nous tu juras une sainte alliance, Racine, Esth. I, 4. Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée, Racine, Andr. IV, 5. Idoménée et les autres rois jurent la paix, Fénelon, Tél. X. Viens au pied de l'autel Me jurer à genoux un hommage éternel, Voltaire, Mérope, vV 2. Correa terminait une guerre vive avec le roi de Pégu, et les deux partis devaient jurer l'observation du traité sur les livres de leurs religions ; Correa jura sur un recueil de chansons, et crut éluder un engagement par ce vil stratagème, Raynal, Hist. phil. I, 24.
  • 3Promettre fortement et comme par une espèce de serment. Et jure à tous les deux des respects immortels, Corneille, Pomp. V, 6. Ma bouche mille fois lui jura le contraire, Racine, Brit. II, 3. Hé quoi ! vous me jurez une éternelle ardeur, Et vous me la jurez avec cette froideur ? Racine, Bérén. II, 4. Un reste de honte de violer nos promesses, un moment après que nous venions de les jurer aux pieds des autels, nous a soutenus les premiers jours, Massillon, Carême, Pâques.

    Se jurer, jurer l'un à l'autre. Conforme à cette amitié que vous vous êtes jurée, Sévigné, 37.

  • 4Résoudre fermement une chose, et comme si on en avait fait le serment. Votre perte est jurée, Corneille, Héracl. III, 1. Je sais bien qu'Amurat a juré ma ruine, Racine, Bajaz. I, 1. S'il est vrai qu'en ces lieux ma honte soit jurée, Crébillon, Électre, I, 6.
  • 5Blasphémer. Il ne fait que jurer le nom de Dieu. Jurer Dieu.
  • 6 V. n. Faire serment. Il a juré faux. Quiconque jure par le temple et par celui qui y habite, Sacy, Bible, Év. St Math. XXIII, 21. Ils craignaient Dieu, juraient en son nom, Bossuet, Hist. II, 3. On jure par plus grand que soi, c'est-à-dire on jure par son souverain, par son juge… on jure par quelque chose d'immuable, Bossuet, Polit. VII, V, 17. Ainsi que par César, on jure par sa mère, Racine, Brit. I, 2. Pour moi, qui le premier secondai vos desseins, Qui fis même jurer l'armée entre ses mains, Racine, ib. III, 3. J'en jure par les ondes du Styx, Fénelon, Tél. VII. Il [Amilcar] me fit jurer [à moi Annibal] sur les autels, à l'âge de neuf ans, que je serais jusqu'à la mort ennemi des Romains, Fénelon, Dial. des morts anc. 37. Jurez donc avec moi, jurez sur cette épée, Par le sang de Caton, par celui de Pompée, Voltaire, Mort de Cés. II, 4.

    Il ne parierait pas, mais il en jurerait, locution qu'on attribue à ceux qui tiennent plus à l'argent qu'à un serment. Je ne le parierais pas, mais j'en jurerais, Voltaire, Écoss. II, 3.

    Sans complément. Le président [du bureau d'élection] nous donna des billets… mais il fallait jurer d'abord ; nous jurâmes tous, nous levâmes la main de la meilleure grâce du monde et en gens exercés, Courier, Lett. partic. II.

    Par extension. Un honnête homme qui dit oui ou non mérite d'être cru ; son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance, La Bruyère, V.

    Ne jurer que par quelqu'un, le croire en tout. Vous étiez la coqueluche ou l'entêtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, La Bruyère, V. Dès ce moment on ne jura plus dans l'hôtel de Son Excellence que par le seigneur Guzman, Lesage, Guzman d'Alfar. III, 9.

    Jurer sur la parole du maître, accepter aveuglément tout ce que le maître dit.

    On a dit en un sens analogue : jurer pour. Il n'y a que la populace réfugiée et les ministres du tiers état, dont le nombre est vingt fois plus grand que celui des bonnes têtes et des savants, qui jurent pour lui [Jurieu], Bayle, Lett. à Minutoli, 27 août 1691.

  • 7Promettre fortement comme par une espèce de serment. Mon Dieu ! ne jurez point, de peur d'être parjure, Molière, Éc. des f. IV, 8. Comme s'il eût juré de me poursuivre partout, Hamilton, Gramm. 8. Les janissaires jurèrent sur leur barbe qu'ils n'attaqueraient point le roi, et qu'ils donneraient les trois jours qu'il demandait, Voltaire, Charles XII, 6.
  • 8Affirmer comme par une espèce de serment. Souvenez-vous… Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire, Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas, Molière, Éc. des f. IV, 8. Quittez cette ingrate princesse Dont la haine a juré de nous troubler sans cesse, Racine, Alex. IV, 4. Il s'éleva un grand murmure ; Cicéron s'arrêta un moment ; et, renforçant sa voix noble et sonore, il dit pour toute harangue : je jure que j'ai sauvé la patrie ; l'assemblée enchantée s'écria : nous jurons qu'il a dit la vérité, Voltaire, Dict. phil. Cicéron. De fort savants esprits jurent sur leur salut Que vous êtes sur terre un fils de Belzébut, Voltaire, Loi nat. 3e part.

    Je vous jure, c'est-à-dire je vous affirme, je vous proteste. Ce moi, plus tôt que moi, s'est au logis trouvé, Et j'étais venu, je vous jure, Avant que je fusse arrivé, Molière, Amph. II, 1. Ah ! vous m'avez fait, je vous jure, Et trop de grâce et trop d'honneur, Quand vous dites…, Voltaire, Lett. roi de Prusse, 29 août 1742.

    Je ne jurerais pas, je ne voudrais pas jurer, c'est-à-dire je n'affirmerais pas. Nous allons demain à Rennes ; on fait de si grands préparatifs pour nous recevoir, que je ne voudrais pas jurer que nous ne fussions nommées dans le Mercure galant, Sévigné, 446. Malgré tout cela, je ne voudrais pas jurer que ma discrète mère n'eût point un troisième galant de race roturière, Lesage, Guzm. d'Alfar. I, 4.

    On jurerait, c'est-à-dire on affirmerait, on se persuaderait. On aurait juré que c'était une terre véritable, Bernardin de Saint-Pierre, Harm.

    Jurer de, assurer, affirmer fortement. Vous avez beau faire la garde, j'en ai juré, elle sera à nous, Molière, Sicil. 9. Et l'on ne doit jamais jurer, sur de tels cas, De ce qu'on pourra faire ou bien ne faire pas, Molière, Éc. des f. I, 1.

    Il ne faut jurer de rien, il ne faut jamais répondre de ce qu'on fera, ni de ce qui peut arriver. Laisse faire le temps et ne jure de rien, Th. Corneille, l'Amour à la mode, I, 5.

  • 9Jurer, faire des serments sans nécessité, par emportement, par mauvaise habitude. On ne croit pas ceux qui jurent tant.
  • 10Faire des jurements, blasphémer. Jurer comme un païen, comme un charretier. Le voilà qui déteste et jure de son mieux, La Fontaine, Fabl. VI, 18. Morbleu ! — vous jurez, monsieur, vous jurez, vous me faites trembler, Dancourt, Bourg. à la mode, IV, 5. Je jure très joliment, et personne ne prononce mieux que moi un ventrebleu, un diable m'emporte, un la peste m'étouffe, Boissy, Franç. à Londres, sc. 15. Monsieur jure après nous ; Mais à tout qu'il se fasse ; Du livre des époux Il n'est qu'à la préface, Béranger, Soir des noces.

    Il est quelquefois actif en ce sens. Il jura un gros mot.

  • 11Produire une discordance comparée à un jurement, en parlant de choses dont l'union est choquante. Le vert jure avec le bleu. Comme des couleurs mal assorties, comme des paroles qui jurent et qui offensent l'oreille, La Bruyère, VI. Un mari qu'on aime ! cela jure dans le grand monde ; on ne sait ce que c'est, Dallainval, Éc. des bourg. I, 12.
  • 12Faire entendre un son aigre, désagréable, en parlant d'instruments de musique. …Son aigre fausset Semble un violon faux qui jure sous l'archet, Boileau, Sat. III. La qualité d'avoir appris de son père à faire jurer une discordante guitare, Montesquieu, Lett. pers. 78. Hindfort, et vous Ginkel, vous dont le nom barbare Fait jurer de mes vers la cadence bizarre, Voltaire, Lett. roi de Pr. 29 juin 1741.
  • 13Il se dit d'un grondement sourd que fait entendre le chat lorsqu'il est irrité.
  • 14Se jurer, v. réfl. Être assuré par serment. La paix se jura entre les deux adversaires.

PROVERBES

S'il ne tient qu'à jurer, la vache est à nous, se dit d'un homme sans foi à qui un faux serment ne coûte rien.

On vous croit sans jurer, se dit à celui qui affirme une chose connue.

HISTORIQUE

IXe s. Si Lodhwigs sagrament quae son fradre jurat, conservat [garde le serment qu'il jure à son frère]…, Serment.

XIe s. S'il nel pot truver, si jurrad que…, Lois de Guill. 4. Guenes li fels a nostre mort jurée, Ch. de Rol. CXI. [Olivier] Qui me jura come sa pair [femme] à prendre, ib. CCLXX.

XIIe s. Il vous estuet [vous faut] trestouz sur sainz jurer, Ronc. p. 157. Il jure Deu, qui tout a à garder, ib. 185. Et d'ambes parz [des deux côtés] très bien jurer et fiancier Que ne feront jamais guerre recommencier, Sax. IV. En cel contemple ad fait li reis Henris jurer Henri son fil à rei, e sil fist coruner, Th. le mart. 68. E cil li jurerent que il ne savoient où Judas estoit, Machab. II, 14.

XIIIe s. Bien en poés estre asseür ; La rien que plus aim [je] vous en jur [j'en jure par celle que j'aime le plus], Fl. et Bl. 2445. Et tant nous retrait li livres, que il ne furent, par devers la partie as François, que douze qui le serement jurassent, ne plus n'en porent avoir de [que] ces douze, Villehardouin, LIII. Et li Grieu [Grecs] li jurerent la feauté qui mauvaisement fu tenue, Villehardouin, CLI. Je vous pri sur la foy que vous m'avez jurée, Berte, XVI. Tant i ot de croisiés, Bien près de deux cent mil, qui tout jurent lor chiés [par leurs têtes], Que, se Jhesus lor laisse outre la mer nagier, Chascuns se penera de Mahon laidengier [mettre à mal], Ch. d'Ant. I, 884. Qui lors veïst le lion braire, Par mautalent ses crins detraire, Et jurer la vie et la mort…, Ren. 10439. Et puis li rei se lieve et jure au patriarche un tel seirement…, Ass. de Jérus. I, 29. Une chose soit ton affermer et ton jurer, Latini, Trésor, p. 405. Je fus bien XXII ans en sa compaignie [de Louis IX], que onques Dieu ne li oy jurer ne sa mere, ne ses sains, Joinville, 293. Nous voulons et establissons que touz nos prevos et nos baillifs se tiegnent de jurer parole qui tiengne au despit de Dieu, Joinville, 295.

XIVe s. J'ay par mon ire esmeu plusieurs à jurer moult vilainement et de moult vilains sermens, Ménagier, I, 3.

XVe s. Et les jurerent [les trêves] le roi d'Angleterre et le duc de Normandie à tenir, Froissart, I, I, 211. Gautier de Passac avoit juré l'ame de son pere que nuls n'en seroient pris à merci ne à rançon, Froissart, II, III, 23.

XVIe s. Il jura de s'en venger, Montaigne, I, 22. Ennemy juré de…, Montaigne, I, 103. Le secret que j'ay juré ne deceler à nul autre, Montaigne, I, 217. Une assemblée notable seroit requise pour mieux deliberer de toutes choses, et jurer ce qui auroit esté arresté, Lanoue, 400. Qui jure trop, il se damne, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 394. Hé cors Dieu !… - Comment, dist Ponocrates, vous jurez, frere Jan ? - Ce n'est, dist le moyne, que pour orner mon languaige ; ce sont couleurs de rhetorique ciceroniane, Rabelais, II, 39.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et espagn. jurar ; ital. giurare ; du lat. jurare, de jus, juris, le droit. Jus tient au radical yu, lier (voy. JOINDRE, JOUG) ; jurare, pour jusare, en est le dénominatif ; l'ū dans jūs et jūrare est pour le primitif jous, qui représente le gouna de l'u de yu ; comparez dŭcem, dūcere.