« mystère », définition dans le dictionnaire Littré

mystère

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mystère

(mi-stè-r') s. m.
  • 1 Terme d'antiquité. Culte secret dans le polythéisme, auquel on n'était admis qu'après des initiations successives. Plutarque dit qu'il n'y avait personne à Delphes ni dans ce pays qui ne fût initié aux mystères, Fontenelle, Oracles, I, 13. Sous Erechthée, l'on marque l'arrivée de Cérès en Attique après l'enlèvement de sa fille et l'établissement des mystères à Éleusis, Rollin, Hist. ancienne, Œuvr. t. II, p. 497, dans POUGENS.

    Petits mystères, mystères qui se célébraient à Agra, près d'Athènes, au mois d'anthestérion, et qui étaient de moindre importance que les grands mystères, qui se célébraient à Éleusis au mois de boédromion.

    Par extension, ce que la religion païenne avait de plus caché. À l'envi l'un et l'autre étalait sa manie, Des mystères sacrés hautement se moquait, Corneille, Poly. III, 2. Ou même s'empressant aux autels de Baal, Se fait initier à ses honteux mystères, Racine, Athal. I, 1. On menace le temple, et les divins mystères Sont bientôt profanés par des mains téméraires, Voltaire, Olymp. II, 5.

  • 2Dans la religion chrétienne, tout ce qui est proposé pour être l'objet de la foi des fidèles, et qui paraît contredire la raison humaine ou être au-dessus de cette raison. Le mystère de l'incarnation. On les tient [les chrétiens] pour sorciers dont l'enfer est le maître, Et, sur cette croyance, on punit du trépas Des mystères secrets que nous n'entendons pas, Corneille, Poly. IV, 6. Le mot de Galilée, que la foule des Juifs prononça comme par hasard, en accusant Jésus-Christ devant Pilate, donna sujet à Pilate d'envoyer Jésus-Christ à Hérode ; en quoi fut accompli le mystère qu'il devait être jugé par les Juifs et les gentils, le hasard en apparence fut la cause de l'accomplissement du mystère, Pascal, Pens. XXIV, 29, éd. HAVET. Le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, Pascal, ib. VIII, 1. Tant qu'on ne voudra point fonder sur une promesse certaine une autorité infaillible qui arrête la pente des esprits… la religion où il y aura le moins de mystères sera nécessairement la plus suivie, Bossuet, 6e avertissement, III, 32. Je n'ai jamais douté des mystères de notre religion, Bossuet, Louis de Bourbon. C'était [la messe] de tous les mystères celui qui lui paraissait le plus incroyable, Bossuet, Anne de Gonz. Alors il se souvint des irrévérences dont hélas ! on déshonore ce divin mystère [la messe], Bossuet, Louis de Bourbon. Les absurdités où ils [les libertins] tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que ses vérités dont la hauteur les étonne ; et, pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent, l'une après l'autre, d'incompréhensibles erreurs, Bossuet, Anne de Gonz. Ceux qui se disent que ce mystère [l'eucharistie] surpasse en sa hauteur toute la mesure du sens humain, veulent néanmoins nous assujettir à résoudre les difficultés que le sens humain nous propose, Bossuet, Euchar. I, 4. Un sang impur offert à Baal, voilà le mystère de l'impiété ; le sang d'un Dieu qui nous purifie, voilà le mystère de l'amour divin, Bourdaloue, Myst. Circoncision de J. C. t. I, p. 61. De la foi d'un chrétien les mystères terribles, Boileau, Art p. III. Tout est mystère dans la conduite du Sauveur, Massillon, Carême, Samar.

    Les saints mystères, les sacrés mystères, le sacrifice de la messe. Lorsqu'ils [les fidèles] participent aux saints mystères, Bossuet, Euchar. IV, 1. Pour assister aux sacrés mystères, Fléchier, Dauph. Vous approchez des mystères saints, mais c'est sans ferveur, Massillon, Carême, Salut.

  • 3Quelque chose qui est caché avec un certain caractère religieux. Le respect que l'on porte à l'antiquité est aujourd'hui à tel point dans les matières où il doit avoir moins de force, que l'on se fait des oracles de toutes ses pensées et des mystères même de ses absurdités, Pascal, Frag. d'un traité du vide. Nos magistrats ont bien connu ce mystère [l'effet que la pompe fait sur la foule], Pascal, Pens. III, 3. Je ne comprends pas ce grand mystère que vous faites de la providence de Dieu : je ne trouve rien au monde de si aisé à comprendre dès qu'on veut bien le regarder comme le créateur de toutes choses et le maître absolu de ses créatures et de son univers ; il fait agir nos volontés selon les fins qu'il a réglées…, Sévigné, t. X, p. 543, édit. RÉGNIER. C'est l'ordinaire de mêler du mystère dans l'origine des villes et des États pour les rendre plus célèbres, Fléchier, Hist. de Théodose, II, 37.
  • 4En général, secret. Les mystères de la politique. Mystère d'État. Les mystères de cour sont souvent si cachés, Que les plus clairvoyants y sont bien empêchés, Corneille, Nicom. III, 4. Mais d'un sujet au roi, c'est crime qu'un mystère, Corneille, Suréna, IV, 3. Quel mystère est caché dessous cette menace ? Rotrou, Bélis. IV, 10. Tout cela se conduit avec mystère, Pascal, Prov. XVII. Incapable de mystère, Pascal, Pens. XIX, 8. Saint Hilaire explique plus amplement ce mystère d'iniquité [le langage trompeur des Ariens], Bossuet, 2e instruc. pastor. § 111. Ce n'est pas en ces lieux Qu'il faut développer ce mystère à vos yeux, Racine, Brit. III, 6. Ce dessein [l'empoisonnement de Britannicus] s'est conduit avec plus de mystère, Racine, Brit. V, 5. Seigneur, de ce départ quel est donc le mystère ? Racine, Bérén. I, 4. De ses feux innocents j'ai trahi le mystère, Racine, Mithrid. IV, 4. Qui sait même, qui sait si le roi votre père Veut que de son absence on sache le mystère ? Racine, Phèdre, I, 1. Vous seule avez percé ce mystère odieux, Racine, ib. V, 1. Il sait les bruits communs, les historiettes de la ville ; il ne fait rien, il dit ou il écoute ce que les autres font ; il est nouvelliste, il sait même le secret des familles ; il entre dans de plus hauts mystères : il vous dit pourquoi celui-ci est exilé, et pourquoi on rappelle cet autre, La Bruyère, II. Le grand événement qui vous remplit d'effroi, Palmire, est un mystère entre le ciel et moi, Voltaire, Fanat. V. 2. Quel est ce vieillard téméraire Qu'on dérobe à ma vue avec tant de mystère ? Voltaire, Mérope, IV, 1. Les bruyants états de Cythère S'y tenaient sur la fin du jour : De tous les frères de l'amour, Il n'y manquait que le mystère, Desmahis, Poés. p. 116, dans POUGENS. Descends-tu pour me révéler Des mondes le divin mystère ? Lamartine, Médit. le Soir.

    Faire mystère, un mystère d'une chose, la tenir secrète, la cacher avec soin. Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ? Molière, l'Avare, II, 1. Nous ne prétendons point en faire de mystère, Molière, Psyché, I, 2. Le roi m'ordonne de vous dire de ne point faire de mystère de cette lettre s'il y a quelque utilité à parler, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 13 mai 1697.

    Dans le même sens, mettre du mystère à quelque chose. J'exige que la chose soit secrète [la lecture d'une tragédie de Voltaire], et que vos amis aient au moins le plaisir d'y mettre du mystère, si le mystère est un plaisir, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 23 oct. 1772. Le premier pas vers le vice est de mettre du mystère à quelque chose, Rousseau, Hél. IV, 6.

    Familièrement. Il est tout cousu de petits mystères, il est tout mystère de la tête aux pieds, il cache les choses simples, innocentes, visibles, avec autant de soin qu'il ferait les choses compliquées, coupables, mystérieuses. C'est de la tête aux pieds un homme tout mystère, Molière, Mis. II, 5.

  • 5Difficulté que l'on fait touchant quelque chose, importance que l'on y attache (assez souvent en mauvaise part). Du nom de philosophe elle fait grand mystère, Mais elle n'en est pas pour cela moins colère, Molière, Femm. sav. II, 9. Sachons ce qu'il a fait ; et, sans plus de mystère, Concluons son hymen, et finissons l'affaire, Regnard, le Joueur, I, 11. Pour être heureux faut-il tant de mystères ? Favart, Ninette, II, 19. Si vous me promettiez de garder le secret, je vous découvrirais tout le mystère, Lesage, Gil Blas, IV, 5. Électeurs, j'ai, sans nul mystère, Fait de bons dîners l'an passé, Béranger, Ventru.

    Voilà tout le mystère, il n'y a pas plus de difficulté que cela. Voilà tout le mystère de ces difficultés et de ces choix, Bossuet, Nouv. myst. 6. Ma diligence vient de ce que je me corrige, voilà tout le mystère, Marivaux, Marianne, 11e part.

    Ne pas entendre mystère à une chose, n'y pas entendre finesse, n'y voir rien que d'innocent. Et n'entendait aux façons du pasteur Mystère aucun…, La Fontaine, Jum.

  • 6Certaines précautions que l'on prend pour n'être pas observé, entendu. Ils sont sortis tous deux en grand mystère. Ils parlent jargon et mystère sur certaines femmes, La Bruyère, VII.
  • 7 Fig. Opérations secrètes de la nature, du cœur, des arts, des lettres. Les mystères du cœur humain. Les mystères de la nature. Tous les arts ont leurs mystères. Tout est mystère dans l'amour, Ses flèches, son carquois, son bandeau, son enfance, La Fontaine, Fabl. XII, 14. Nous n'avons rien à faire ici qu'à tâcher de nous rendre avantageux le développement futur des mystères de notre existence, Marivaux, dans DESFONTAINES. Juvénal admet ces prêtres efféminés dans les mystères de la toilette, Hist. des Vestales, dans DESFONTAINES. Je crois que, si j'eusse dévoilé tous les mystères de la nature, je me serais senti dans une situation moins délicieuse, Rousseau, 3e lettre à M. de Malesherbes.
  • 8Nom, au moyen âge, de certaines pièces de théâtre où l'on représentait quelqu'un des mystères de la religion. Le mystère de la passion de Notre-Seigneur. Les mystères en langue vulgaire ont commencé dès le XIIe siècle. On joua des mystères à l'entrée de Charles VI à Paris, l'an 1380, Voltaire, Mél. litt. Chang. arrivés à l'art trag.

HISTORIQUE

XIIIe s. Un jour en la chambre son pere Fist une estoile et ung mistere [ouvrage] De soie et d'or moult subtilment, Du Cange, misterium.

XIVe s. Veut que les accusez respondent par leurs bouches, sans conseil ne mystere d'aucune personne, Bouteiller, Somme rural, tit. 34, notes, p. 242, dans LACURNE.

XVe s. [Au festin des ambassadeurs de Bohême] il y eut des entremets de morisques, monmeries, et un autre mystere d'enfants sauvages saillant d'une roche fort bien feinte et representée, J. Chartier, Hist. de Charles VII, p. 296, dans LACURNE. Tous ceulx qui pour lors estoient au franc palais avoient esté comme ravis pour les hauts mysteres qu'ilz avoient veus, Perceforest, t. X, f° 2. Le dit Jazon se mit en defense fort bien et en bonne maniere, et faisoient le serpent et l'homme si bon devoir que ce sembloit aigre bataille, sans mystere, Math. de Coucy, Hist. de Charles VII, p. 671, dans LACURNE. De là s'en alla au disner, et estoit environ l'heure de douze heures, et quand le dit mystere [cérémonie] fut commencé, il estoit entre cinq et six heures du matin, Monstrelet, ch. 62, t. I, p. 97, dans LACURNE. Devant la Trinité estoit la passion, c'est à sçavoir comment nostre Seigneur fut prins, battu, mis en croix, et Judas qui s'estoit pendu, et ne parloient riens ceux qui ce faisoient, mais le monstrerent par jeu de mystere, et furent les manieres bonnes et bien jouées, et vivement compassionnées et moult piteuses, Monstrelet, t. II, p. 147. Au carrefour de la grande eglise y avoit un cerf volant bien vivement portrait, le quel portoit à son col une couronne, et s'agenouilla devant le roy par mystere, quand il passa par là pour aller à l'eglise, Berry, Chron. de 1402 à 1461, p. 447, dans LACURNE. Les dames de Romme firent coupper leurs blons cheveulx… et consentirent leur plus chier et naturel ornement estre converti en rude mystere [emploi, engin], Chartier, Quadril. invectif.

XVIe s. Y a il quelque si grand mystere en la coiffure d'une femme, que ce soit un grand crime de sortir en la rue nue teste ? Calvin, Instit. 969. Tout mystere d'amour merite estre caché, Desportes, Élégies, II, 1. La saisie cessera, et jouyra des choses acquises comme il faisoit par avant, sans autre mystere de justice, Coustum. génér. t. II, p. 552. Nous mena dans le trou du fossé pour en estre à couvert, et n'y fusmes pas plus tost que la mine joua son violent mystere contre les nostres, Brantôme, Capit franç. t. IV, p. 83, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Lat. mysterium, de μυστήριον, de μύστης, initié, μύειν, initier, de μυέω, serrer, fermer. Au sens de représentation scénique pieuse, Max Müller prétend que mystère n'a rien à faire avec μυστήριον, et qu'il représente ministerium, office ou service religieux ; mais ministerium a donné mestier, et non mystère. Cependant, qu'il y ait eu tendance à confondre ministerium et mysterium, cela est incontestable par l'historique.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

MYSTÈRE.
5Ajoutez :

Faire mystère de, dans le XVIIIe siècle, considérer comme mystérieux, difficile à comprendre, délicat à expliquer. Aristote, qui a fait un mystère de ce poëte [Homère], et qui l'a pris pour prototype de son art, Chapelain, dans Bibl. des ch. t. XXXI, p. 234. Du nom de philosophe elle fait grand mystère, Mais elle n'en est pas pour cela moins colère, Molière, Femmes sav. II, 9.