« pensée », définition dans le dictionnaire Littré

pensée

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

pensée [1]

(pan-sée) s. f.
  • 1Ce que l'esprit imagine ou combine. Par le nom de pensée je comprends tout ce qui est tellement en nous que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes et en avons une connaissance intérieure ; ainsi toutes les opérations de la volonté, de l'entendement, de l'imagination et des sens sont des pensées, Descartes, Rép. aux secondes obj. 57. Il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple, Pascal, Pens. XXIV, 90, éd. HAVET. Le hasard donne les pensées, le hasard les ôte, Pascal, ib. XXIV, 92. Comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d'autres pensées par leur différente disposition, Pascal, ib. VII, 9. L'armée de M. de Luxembourg n'est point encore séparée… je serai au désespoir, s'il faut que je reprenne encore les pensées de la guerre, Sévigné, 12 oct. 1678. Prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie, Bossuet, Duch. d'Orl. Tant il est vrai que tout se tourne en révoltes et en pensées séditieuses, quand l'autorité de la religion est anéantie ! Bossuet, Reine d'Anglet. Ses paroles précises [de Louis XIV] sont l'image de la justesse qui règne dans ses pensées, Bossuet, Mar.-Thér. Nos pensées qui regardent Dieu et les actions qui sont les effets de ces pensées, ne sont point de son ressort [du magistrat], Burnet, (protestant), dans BOSSUET 6e avert. 112. On lui dit qu'il y avait un art innocent de séparer les pensées d'avec les paroles, Fléchier, Duc de Mont. Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d'un nuage épais toujours embarrassées, Boileau, Art p. I. Les grandes pensées viennent du cœur, Vauvenargues. C'est le sort des pensées d'un grand homme, d'être fécondes non-seulement entre ses mains, mais dans celles des autres, D'Alembert, Disc. prél. Syst. monde, Œuv. t. XIV, p. 90, dans POUGENS. J'appelle pensée tout ce que l'âme éprouve, soit par des impressions étrangères, soit par l'usage qu'elle fait de sa réflexion, Condillac, Conn. hum. III, 16. Oh ! qui m'aurait donné de sonder ta pensée [de toi, Napoléon], Lorsque le souvenir de ta grandeur passée…, Lamartine, Méd. II, 7. Elle veut être seule ; et nous l'avons laissée Elevant vers le ciel sa dernière pensée, P. Lebrun, M. Stuart, V, I.

    De la pensée, par la pensée seulement, quand on ne peut pas parler. L'un et l'autre se dit adieu de la pensée, La Fontaine, Philém. et Bauc.

    Familièrement. Il n'est pas tourmenté par ses pensées, il a peu d'esprit.

    Avoir de mauvaises pensées, penser à des choses funestes ou déshonnêtes.

    Fig. être d'un siècle entier la pensée et la vie, Lamartine, Méd. II, 7.

    La pensée humaine, la succession et l'enchaînement des idées qui ont formé la civilisation. Le développement, l'histoire de la pensée humaine,

  • 2Ce qui a été pensé, produit sous une forme de langage et de style. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? ce n'est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n'a jamais eue ni dû avoir ; c'est, au contraire, une pensée qui a dû venir à tout le monde, et que quelqu'un s'avise le premier d'exprimer, Boileau, 6e préface. Comme le choix des pensées est invention, La Bruyère, I. Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne, La Bruyère, ib. Pourquoi supprimer cette pensée ? elle est neuve, elle est belle, et le tour en est admirable, La Bruyère, ib. Il n'appartient qu'à elles [les femmes]… de rendre délicatement une pensée qui est délicate, La Bruyère, ib. On peut dire qu'une pensée délicate est la plus fine production et comme la fleur de l'esprit, Rollin, Traité des Étud. III, 3. Les pensées sont les images des choses, comme les paroles sont les images des pensées, Rollin, ib. L'histoire des pensées des hommes, certainement curieuse par le spectacle d'une variété infinie, est aussi quelquefois instructive, Fontenelle, Leibnitz. Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c'est lorsqu'on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d'autres, Montesquieu, Goût, Curiosité.

    Terme de rhétorique. Figures de pensée, celles qui tombent sur la pensée même, c'est-à-dire qui consistent dans la tournure qu'on donne à l'expression de cette pensée, et non dans les mots particuliers qu'on emploie, ou dans la construction grammaticale.

    Pensées détachées, livre composé de réflexions qui ne sont point liées les unes aux autres.

    Absolument. On donne le nom de pensées à des livres faits de pensées détachées. Les Pensées de Pascal. Quand on imprima les Pensées du duc de la Rochefoucauld, ou plutôt la pensée qui, présentée sous cent formes différentes, prouve que l'amour-propre est le grand ressort du genre humain, Voltaire, Polit. et législ. Prix de la just. et de l'hum. XI.

  • 3Sens d'un auteur. Ce traducteur n'est pas bien entré dans la pensée de son auteur. Affaiblir la pensée d'un auteur.
  • 4Façon de penser, opinion. J'ai dit ailleurs ma pensée touchant l'infante et le roi, Corneille, Cid, Examen. Sans y perdre de temps, ouvrez votre pensée, Corneille, Sertor. II, 2. Serais-je si malheureuse, madame, que vous eussiez de moi cette pensée ? Molière, Crit. 3. Est-il possible qu'Aristote ait eu cette pensée ? Pascal, Prov. IV. On y vit [chez le Tellier] tout l'esprit et les maximes d'un juge qui, attaché à la règle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées, ni des adoucissements ou des rigueurs arbitraires, Bossuet, le Tellier. Ah ! seigneur, vous parlez contre votre pensée, Racine, Brit. II, 6. Un enfant est peu propre à trahir sa pensée, Racine, Athalie, II, 6.

    Entrer dans la pensée de quelqu'un, adopter son opinion.

  • 5Dessein, projet, représentés comme n'étant encore qu'en idée. Le plus souvent la première pensée Dans le meilleur esprit n'est pas la plus sensée, Tristan, M. de Chrispe, III, 2. Et la seule pensée [de conspirer] est un crime d'État, Corneille, Cinna, IV, 4. Quand malgré ma fortune à vos pieds abaissée J'osai jusques à vous élever ma pensée, Corneille, Héracl. III, 1. Je ne sais comment vous avez pu avoir la pensée de m'accuser, Pascal, Prov. X. Rome, que tu [Annibal] tenais, t'échappe ; et le destin ennemi t'a ôté tantôt le moyen, tantôt la pensée de la prendre, Bossuet, Reine d'Anglet. Ils mourront, dit le prophète, et en ce jour périront toutes leurs pensées, Bossuet, Duch. d'Orl. Je ne marche point dans de vastes pensees, Bossuet, Mar.-Thér. Mais l'homme, sans arrêt dans sa course insensée, Voltige incessamment de pensée en pensée, Boileau, Sat. VIII. Je leur écris qu'Achille a changé de pensée, Racine, Iphig. I, 1. Mme de Maintenon le demanda [Noisy le Sec] au roi pour y mettre Mme de Brinon avec sa communauté ; c'est là qu'elle eut la pensée de l'établissement de Saint-Cyr, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 196, dans POUGENS.

    Espérances. À quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ? Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées ; Quittez le long espoir et les vastes pensées, La Fontaine, Fabl. XI, 8. Il ne fallait qu'en ouvrir l'entrée [des affaires d'État] à un génie si perçant pour l'introduire bien avant dans les secrets de la politique ; mais son esprit modéré ne se perdait pas dans ces vastes pensées, Bossuet, le Tellier. Mais peut-être, au défaut de la fortune, les qualités de l'esprit, les grands desseins, les vastes pensées pourront nous distinguer du reste des hommes, Bossuet, Duch. d'Orl. Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ? Racine, Athal. I, 1. Dans le temps que votre âme empressée Forme d'un doux hymen l'agréable pensée, Racine, Mithr. I, 3.

  • 6 Par métonymie, l'action de penser, l'opération de l'intelligence. Toute notre dignité consiste en la pensée, Pascal, Pens. I, 6, éd. HAVET. Par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends, Pascal, ib. I, 6 bis. La pensée toute seule est donc l'essence de l'esprit, ainsi que l'étendue toute seule est l'essence de la matière, Malebranche, Rech. vér. III, I, 1. Pensée est un acte représentatif et sensible par lequel l'être a perception de lui-même et de tout ce qui lui arrive, ainsi que des objets externes qu'il est capable d'apercevoir ou de connaître en conséquence de l'impression qu'il reçoit, Boullainvilliers, Réfut. de Spinoza, p. 91. Notre âme n'a qu'une forme très simple, très générale, très constante : cette forme est la pensée, Buffon, Hist. anim. chap. 11. Faites-moi donc trouver dans la pensée un asile contre les tourments du cœur, Staël, Corinne, XV, 4. Espérons que bientôt il paraîtra un Newton pour la science de la pensée, qui la trouvera toute prête à recevoir de son génie l'essor le plus heureux, Destutt-Tracy, Inst. Mém. scienc. mor. et pol. t. I, p. 320.

    La faculté de penser. Il a perdu l'usage de ses facultés physiques ; la pensée lui reste seule. De pensers en pensers s'égara ma pensée, Régnier, Dial. J'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente que quelques autres, Descartes, Méth. I, 2. Je la sentis s'animer sous ma main, je la vis prendre la pensée dans mes yeux, Buffon, Des sens.

    L'esprit considéré comme le siége de ce qui est pensé. Polyenne pour lors me vint en la pensée, Régnier, Sat. X. La belle en qui j'ai la pensée, Régnier, ib. XII. J'aurais d'un si grand coup l'âme bien peu blessée, Si de pareils discours m'entraient en la pensée, Corneille, Illus. com. v, 5. Ô mort, éloigne-toi de notre pensée, Bossuet, Duch. d'Orl. J'ai vu ce même enfant… Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée, Racine, Ath. II, 5. Dans vos secrets discours étais-je intéressée, Seigneur ? étais-je au moins présente à la pensée ? Racine, Bérén. II, 4. Monime, qu'en tes mains mon père avait laissée, Avec tous ses attraits revint en ma pensée, Racine, Mith. I, 1.

    Lire dans la pensée de quelqu'un, deviner ce qu'il a dans l'esprit. Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? Racine, Andr. v, 3.

    On dit de même : pénétrer dans la pensée de quelqu'un.

  • 7La pensée, ce qui est marqué par une certaine profondeur. Il y a de la pensée dans cet ouvrage. Celle [la statue] de Laurent de Médicis, méditant la vengeance de l'assassinat de son frère, a mérité l'honneur d'être appelée la pensée de Michel-Ange, Staël, Corinne, XVIII, 3.
  • 8Méditation, rêverie, réflexion. Il est pour la pensée une heure… une heure sainte, Alors que… Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux, Lamartine, Méd. II, 8.

    Il se dit le plus souvent au pluriel en ce sens. Il est attaché à ses pensées, Molière, Am. magn. I, 1. Il allait porter son encens avec peine sur les autels de la fortune, et revenait chargé du poids de ses pensées, Fléchier, Duc de Mont.

  • 9Souvenir. Mais il ne put si tôt en bannir la pensée, Racine, Esth. I, 1.

    En termes de dévotion. N'avoir aucune pensée de Dieu, aucune pensée de son salut, n'y faire aucune attention, aucune réflexion. Celui qui n'a aucune pensée de Dieu ni de ses péchés, Pascal, Prov. IV.

  • 10 Terme de littérature et d'arts. Première idée, esquisse. Il n'a encore jeté sur le papier que la pensée de son ouvrage.

    Le motif d'une composition. J'ai trouvé la pensée de la Vierge que je vous ai promise ; il faut maintenant trouver le temps et la commodité de l'exécuter, Poussin, Lett. 16 fév. 1653. L'allusion de Wels fait toute la pensée du couplet, Hamilton, Gramm. 9.

HISTORIQUE

XIIe s. Et quant je plus sui loinz de sa contrée, Tant est mes cuers plus près et ma pensée, Couci, XVII.

XIIIe s. Rois Flores qui mout ert [était] homs de bone pensée, Berte, CXLII.

XIVe s. Roy Pietres l'amoit plus… Que dame nulle ou monde qui tant fust sa privée, Et celle si l'amoit de toute sa pensée, Guesclin, 9517.

XVe s. Jaques Legris jeta sa pensée sur la femme de Jean de Carouge, Froissart, liv. III, p. 152, dans LACURNE.

XVIe s. Sa pensée luy suggerant [à Xerxès] comme tant de vies avoient à defaillir au plus loing dans un siecle, Montaigne, I, 271. De maniere qu'il venoit en la pensée à plusieurs de dire ces vers du poëte Timothaeus…, Amyot, Agésil. 22.

ÉTYMOLOGIE

Pensé ; wallon, peinsaie. L'ancien français avait aussi le substantif féminin pense ; wallon, pinse ; prov. pensa, pessa.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1. PENSÉE. Ajoutez :
11La libre pensée, l'opinion des libres penseurs.

REMARQUE

Pascal a dit : Une pensée de derrière, pour fond de la pensée (voy. au Dictionnaire le n° 1). Cette forte expression a été reprise sous la forme de : pensée de derrière la tête. Maurice était sincère ; peut-être sa pensée de derrière la tête était-elle de gagner du temps, peut-être avait-il quelque autre intention, V. Cherbuliez, Rev. des Deux-Mondes, 15 janv. 1876, p. 278. Cette dernière forme est elle-même de Pascal : J'aurai aussi mes pensées de derrière la tête, Pascal, éd. de E. Havet, 1852, Appendice, p. 533.