« suffire », définition dans le dictionnaire Littré

suffire

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

suffire

(su-fi-r'), je suffis, tu suffis, il suffit, nous suffisons, vous suffisez, ils suffisent ; je suffisais ; je suffis ; je suffirai ; je suffirais ; suffis, suffisons ; que je suffise, que nous suffisions ; que je suffisse ; suffisant, suffi (invariable) v. n.
  • 1Pouvoir fournir, pouvoir satisfaire, en parlant des choses. Il fallait que cette modique somme suffît pour élever trois orphelins. Attendons-nous que Dieu ressuscite les morts pour nous instruire ? ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir, Bossuet, Duch. d'Orl. Le moindre rayon de beauté qu'elle [l'âme] y aperçoit [dans le corps] suffit pour l'arrêter ; elle se mire, pour ainsi parler, et se considère dans ce corps, Bossuet, la Vallière. C'est trop pour un mortel de tenter un effort Où les forces d'un dieu ne suffisent qu'à peine, Quinault, Phaéton, IV, 11. Un père, en punissant, madame, est toujours père ; Un supplice léger suffit à sa colère, Racine, Phèdre, III, 3. La France seule pouvait à peine suffire à réparer des pertes si énormes, Racine, Louis XV, 35. Ces bruits publics qui ont éclaté dans tous les temps et dans tous les États à la mort des princes enlevés par une mort prématurée, comme si la nature ne suffisait pas à nous détruire, Voltaire, Russie, II, 17. Une seule partie de l'histoire naturelle, comme l'histoire des insectes ou l'histoire des plantes, suffit pour occuper plusieurs hommes, Buffon, Hist. nat. 1er disc. Ce qu'il faut pour le bonheur physique d'un seigneur, suffirait souvent pour faire celui de tout son village, Duclos, Consid. mœurs, 15. Quand on juge d'après ses craintes, ce qui ne suffirait qu'à la rigueur ne suffit pas ; et on croit ne trouver ce qui suffit que dans ce qui abonde jusqu'à un certain point, Condillac, Comm. gouv. I, 4.

    Cela me suffit, cela suffit, ou, simplement, suffit, voilà qui est bien, c'est assez. Suffit, je t'entends bien, Hauteroche, App. tromp. I, 2. Le comte de Bussy ne laissa pas d'adresser ce qu'il avait fait [traduction des Amours d'Hélène], si ce fut à Mme de Sévigné ou bien à Mme de la Fayette, je ne sais ; suffit que ce fut à une femme de beaucoup d'esprit, Courier, Éloge d'Hélène.

  • 2Il se dit des personnes en un sens analogue. Les nomades n'ont bergerie Qu'il [le lion] ne suffise à désoler, Malherbe, III, 3. Le roi leur montra bien qu'il suffit à tout, Pellisson, Lett. hist. t. III, p. 115. Jérémie lui-même, qui seul semble être capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets, Bossuet, Reine d'Anglet. Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices, Racine, Athal. I, 1. Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés, Suffisent à ma cendre et l'honorent assez, Racine, Mithr. v, 5. Si vous m'aimez, je dois vous suffire, Duclos, Œuv. t. VIII, p. 87. Ah ! si j'avais suffi à son cœur, comme elle suffisait au mien, quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble ! Rousseau, 9e prom. La surprise, la joie, trop de mouvements agitent mon âme, elle ne peut y suffire, Genlis, Théât. d'éd. Zélie, v, 10.
  • 3Il s'emploie impersonnellement. Tout beau, que votre haine, en son sang [celui de Pompée] assouvie, N'aille point à sa gloire ; il suffit de sa vie, Corneille, Pomp. II, 2. On recherche les honneurs ; elle a jugé qu'il suffisait de s'en rendre digne, Fléchier, Duch. de Mont. Dans le crime il suffit qu'une fois on débute ; Une chute toujours attire une autre chute, Boileau, Sat. X. Il suffit de tes yeux pour t'en persuader, Racine, Phèdre, II, 5. Que de choses depuis Varron, que Varron a ignorées ! ne nous suffirait-il pas même de n'être savants que comme Platon ou comme Socrate ? La Bruyère, XII. Il me suffit d'avoir mené votre esprit aussi loin que vont vos yeux, Fontenelle, Mond. 5e soir. Il suffit que M. le marquis ait du goût ; c'est aux artistes à travailler pour lui, Voltaire, Jeannot et Colin. Je sais qu'aux Castillans il suffit de l'honneur, Voltaire, Alz. I, 1.

    Absolument. L'honneur parle, il suffit, ce sont là nos oracles, Racine, Iphig. I, 2. Il suffit ; comme vous je ressens vos injures, Racine, Brit. I, 3. Il a mordu le sein de sa nourrice : elle en est morte la pauvre femme, je m'entends, il suffit, La Bruyère, XII.

    Elliptiquement. Vous croiriez que Pison est plus digne de Rome ; Pour ne plus en douter, suffit que je le nomme, Corneille, Othon, III, 3. Suffit qu'en bel esprit on vous ait érigé, Pour ne pouvoir prétendre à la moindre fortune, Deshoulières, Poés. t. I, p. 37.

  • 4Se suffire, n'avoir pas besoin du secours des autres. Elles se sont toujours suffi. N'attendez rien de grand de qui croit se suffire, Lamotte, Fabl. III, 7. Malgré ses talents et les ressources de son esprit, il [le régent] ne pouvait longtemps se suffire à lui-même ; la dissipation, le bruit, la débauche lui étaient nécessaires, Duclos, Œuv. t. v, p. 201. Quand on se suffit l'un à l'autre, s'avise-t-on de songer à un tiers ? Rousseau, Hél. I, 45. Ah ! ma fille, la triste et pénible résolution que celle de vivre seul, et de suffire à soi-même ! l'homme est trop faible pour se soutenir, Marmontel, Cont. mor. Misanth. corr.

    PROVERBE

    À chaque jour suffit sa peine, il ne faut pas se faire de chagrins d'avance.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

REMARQUE

1. Suffire veut à ou pour devant les noms et les verbes. Peu de bien suffit au sage. La vie, qui est courte et qui ne suffit presque pour aucun art, suffit pour être bon chrétien, NICOLE.

Impersonnellement, il régit de devant un nom et devant un infinitif. Il lui suffira de l'honneur. Il suffit d'être malheureux pour être à plaindre.

2. Avec que, il suffit veut le subjonctif. Il suffit que vous le disiez pour que je le croie. Cependant de bons auteurs ont employé aussi l'indicatif. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver, Molière, Méd. m. lui, I, 1. Ne vous suffit-il pas que je l'ai condamné ? Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée Demande une victime à moi seule adressée ; Qu'Hermione est le prix d'un tyran opprimé ; Que je le hais ; enfin, seigneur, que je l'aimai ? Racine, Andr. IV, 3. Qu'il te suffise donc, pour me justifier, Que je vis, que j'aimai la reine le premier, Racine, Mithr. I, 1. N'allons pas plus loin quant à présent ; il suffit que votre principale question est résolue, Rousseau, Lett. à Mlle D. M. 7 mai 1764.

HISTORIQUE

XIIIe s. Raisons dit qu'il me souffisse, Quant onc j'i osai penser ; Mais amors pas ce ne prise, Couci, p. 119. Fille, dist Blanchefleurs, pas ne me doit soufire, De ce que [je] ne vous voi, Berte, LXXXVIII.

XIVe s. Et soufise ce que nous avons dit de ces choses, Oresme, Éth. 26. Droit naturel, qui souffist estre escrit es cueurs des hommes, Oresme, ib. 167.

XVe s. Avecques tout ce, il lui convenoit [il lui fallait] payer cent mille francs… et tant faire qu'il souffisist au duc, Froissart, II, III, 65.

XVIe s. Lorsqu'on ne peut à bon souhait suffire, Le desir croist toujours en attendant, Saint-Gelais, p. 248, dans LACURNE. Voyans les Genevois [Génois] que breche à suffire avoient pour devoir donner l'assault, Jean D'Auton, Ann. de Louis XII, 1506, 1507. Suffit à un chrestien croire toutes choses venir de Dieu, Montaigne, I, 248. Si ce qu'on a suffit à maintenir sa condition, Montaigne, III, 49. Se sentans incommodez de loger si serré comme ils avoyent fait jusques-là, ils voulurent s'escarter, estimans qu'ayans deux mille harquebusiers, il ne suffisoit qu'à une armée de les deffaire, Lanoue, 646. Jean Buron du bas Poictou, qui, adverti d'appeller, respondit : Ne vous suffit-il pas d'avoir les mains teintes de mon sang sans en souiller d'autres ? D'Aubigné, Hist. I, 79.

ÉTYMOLOGIE

Lat. sufficere, de sub, sous, et facere, faire.