« tromper », définition dans le dictionnaire Littré

tromper

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

tromper

(tron-pé) v. a.
  • 1Induire en erreur en employant la ruse, l'artifice, le mensonge. Il me répondit en se moquant de moi, que je devais avoir observé que le monde veut être trompé ; ce mot est vrai, et se vérifia en cette occasion, Retz, Mém. t. III, liv. IV, p. 125, dans POUGENS. Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre, La Fontaine, Fabl. IV, 19. Il faut que les princes ou leurs ministres s'étudient… à le séduire [le peuple] et tromper par les apparences, le gagner et tourner à leurs desseins, Naudé, Coups d'États, ch. IV, édit. de 1667, p. 242. Si je voulais, je citerais M. de la Rochefoucauld, qui était aussi aisé à tromper que moi, Sévigné, 435. Quand, pour punir les scandales, ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il [Dieu] permet à l'esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, Bossuet, Reine d'Anglet. Il fut donné à celui-ci [Cromwell] de tromper les peuples et de prévaloir contre les rois, Bossuet, ib. On ne permet à un homme de bien d'être trompé qu'une fois, Bossuet, Rem. Réponse, IX, I, 14. S'il y avait moins de dupes, il y aurait moins de ce qu'on appelle des hommes fins ou entendus, et de ceux qui tirent autant de vanité que de distinction d'avoir su pendant tout le cours de leur vie tromper les autres, La Bruyère, XI. Je m'imaginais n'être trompé qu'à demi, puisque je savais que j'étais trompé, Fénelon, Tél. XII. On disait à Ferdinand, roi d'Aragon, que le roi de France se plaignait qu'il l'avait trompé deux fois : il en a menti, répondit-il, je l'ai trompé plus de dix, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. IV, p. 381, dans POUGENS. Ne dites point qu'il faut tromper les hommes au nom de Dieu ; ce serait le discours d'un diable, s'il y avait des diables, Voltaire, Philos. Déf. Bolingbr. Axiomes, 1. Des questions très intéressantes et très utiles, celle-ci par exemple : S'il peut être utile de tromper le peuple ? nous n'avons jamais osé à l'Académie française proposer ce beau sujet, D'Alembert, Lett. au roi de Pr. 22 sept. 1777. Moi qu'ils ne trouvent pas digne d'être trompée, je vois leurs actions, Graffigny, Lett. péruv. 2.

    Absolument. On la croyait incapable ni de tromper ni d'être trompée, Bossuet, Anne de Gonz. Jadis l'homme vivait au travail occupé, Et, ne trompant jamais, n'était jamais trompé, Boileau, Épît. IX. L'enseigne est à leur porte [des maisons de jeu] ; on y lirait presque : ici l'on trompe de bonne foi, La Bruyère, VI. N'est-ce pas tromper que d'entretenir quelqu'un dans son erreur ? Comte de Caylus, Acad. de ces dames, Œuv. t. XII, p. 223, dans POUGENS.

    Cette femme trompe son mari, elle lui est infidèle.

    Au jeu, tromper, tricher. Je me donne au diable, s'il est possible que vous gagniez. - Et d'où vient ? dit Caméron, qui commençait à s'impatienter. - Voulez-vous le savoir ? dit Matta ; ma foi, c'est que nous vous trompons, Hamilton, Gram. III.

  • 2Séduire, en parlant des femmes qu'on trompe. Mathurine à don Juan : Ne m'allez pas tromper, je vous prie, il y aurait de la conscience à vous ; et vous voyez comme j'y vais à la bonne foi, Molière, Festin, II, 2. Trop crédules esprits que sa flamme [de Thésée] a trompés, Racine, Phèdre, I, 1. Les filles, en ce temps si souvent attrapées, Sur la foi des serments avaient été trompées, Regnard, Ménechm. v, 1.
  • 3Échapper à quelqu'un. Tromper des surveillants. Il a trompé la vigilance de ses gardiens. J'ai su tromper les yeux par qui j'étais gardé, Racine, Phèdre, III, 5. Mais pouvaient-ils tromper tant de jaloux regards ? Racine, Bajaz. I, 1. Il trompa leur poursuite à la faveur de l'obscurité, Lesage, Diable boit. 1.

    Tromper la loi, l'éluder.

  • 4En parlant des choses, donner lieu à une erreur, à une méprise. L'horloge nous a trompés. Mes yeux, moyennant ce secours [du toucher], Ne me trompent jamais en mo mentant toujours, La Fontaine, Fabl. VII, 18. Pendant qu'un philosophe assure Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés, Un autre philosophe jure Qu'ils ne nous ont jamais trompés, La Fontaine, ib.

    Absolument. Cet homme a une mine qui trompe.

    À tromper, de manière à faire illusion. L'épaule est prise si juste, qu'on la voit toute nue à travers le vêtement, et ce vêtement est à tromper, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 274, dans POUGENS.

    Familièrement. C'est ce qui vous trompe, à l'égard de cela vous êtes dans l'erreur.

  • 5Faire tomber dans quelque erreur. Comme ici son orgueil [de l'âme] la trompe, il faut lui faire sentir par quelque autre endroit sa pauvreté et sa misère, Bossuet, la Vallière. Cette vie dont la fuite précipitée nous trompe toujours, Bossuet, Mar.-Thér. Le burlesque effronté Trompa les yeux d'abord, plut par la nouveauté, Boileau, Art p. I.
  • 6Agir contrairement à ce qui était attendu soit en bien, soit en mal. Il a trompé nos espérances. Tromper la confiance. On attendait beaucoup moins de lui, il a trompé tout le monde. Il [Charles de Sévigné] avait pitié de toutes mes douleurs, et le hasard a voulu qu'il ne m'ait trompée en rien de ce qu'il m'a promis, pas même à la promenade d'hier, dont je me suis mieux portée que je n'espérais, Sévigné, 16 févr. 1676. Ils [les dieux] ont trompé les soins d'un père infortuné Qui protégeait en vain ce qu'ils ont condamné, Racine, Iphig. IV, 4. Ce serait grand dommage que vous trompassiez votre vocation, Rousseau, Lett. à Sauttersheim, 20 mai 1764.

    Absolument. Dieu saura vous montrer par d'importants bienfaits, Que sa parole est stable et ne trompe jamais, Racine, Athal. I, 1.

    Il se dit des choses en un sens analogue. L'insolent en eût perdu la vie ; Mais mon âge a trompé ma généreuse envie, Corneille, Cid, I, 8. La retraite presque toujours a trompé ceux qu'elle flattait de l'espérance du repos, Bossuet, le Tellier. Il m'a trompé une fois, ce monde ingrat ; il ne me trompera plus, Fénelon, Dial. des morts mod. 1. Voilà comme les événements trompent presque toujours les politiques, Voltaire, Ann. Emp. Ferdinand II, 1635.

  • 7Faire diversion à. Ô mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie, Bossuet, Duch. d'Orl. Trompons, si nous pouvons notre douleur… par le souvenir de nos joies passées, Fléchier, Mar.-Thér. Trompe leurs inquiétudes ; amuse-les par la musique, les danses, les boissons délicieuses, Montesquieu, Lett. pers. 2. Enfin il est fini ce jour dont rien n'a trompé la longueur, Riccoboni, Œuv. t. I, p. 95, dans POUGENS. Par vous tout s'embellit, et l'heureuse sagesse Trompe l'ennui, l'exil, l'hiver et la vieillesse, Delille, Trois règ. 1.

    Tromper le temps, s'occuper à quelque chose, afin de ne pas trouver le temps long. Si nous ne faisions simplement que vivre, sans qu'il s'y mêlât quelque chose qui trompe et en fasse couler plus doucement les moments, Bossuet, Sermons, sur l'honneur, fragment sur le même sujet. Ils cherchent à tromper le temps par mille sortes d'occupations, Bossuet, 1er panég. St Fr. de Paule, 2.

    Tromper le chemin, faire diversion à la longueur du chemin. Lui discourant, pour tromper le chemin, De chose et d'autre…, La Fontaine, Orais.

  • 8 Terme de manége. Tromper un cheval, changer subitement de main après un seul quart de volte.
  • 9Se tromper, v. réfl. S'induire soi-même en erreur. Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s'en apercevoir, qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent, La Rochefoucauld, Max. 115. Et l'amour-propre engage à se tromper soi-même, Molière, Tart. IV, 3. Nous ne voyions en Madame ni cette ostentation par laquelle on veut tromper les autres, ni ces émotions d'une âme alarmée par lesquelles on se trompe soi-même, Bossuet, Duch. d'Orl. Oui, c'est Joas, je cherche en vain à me tromper, Racine, Athal. v, 6. On croit tromper les autres, mais on ne se trompe jamais soi-même, Marmontel, Œuv. t. VI, p. 168.
  • 10S'abuser, être dans l'erreur. Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu'il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose ; car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse, Pascal, Pens. VI, 26, éd. HAVET. Mais que les hommes ne s'y trompent pas : Dieu redresse quand il lui plaît le sens égaré, Bossuet, Hist. III, 7. Racontait-il [Turenne] quelques-unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre ? on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait ou la renommée, Fléchier, Turenne. Pour ceux qui sont ruinés [par un juge], il importe peu que ce soit ou par un homme qui les trompe, ou par un homme qui s'est trompé, Fléchier, Lamoign. Il écrit une seconde lettre, et, après les avoir achevées toutes deux, il se trompe à l'adresse, La Bruyère, XI. Craignez de vous tromper ; mais ne craignez jamais de laisser voir aux autres que vous avez été trompé, Fénelon, Tél. XXIV. C'est un homme rare que celui qui ne peut faire pis que de se tromper, Fontenelle, Renau. Me trompé-je ? ai-je un bandeau sur les yeux ? Voltaire, Lett. d'Argental, 21 déc. 1768.

    À se tromper, à s'y tromper, au point d'être trompé. Mme Evrard : Cette petite est le portrait de son père. - M. Dubriage : Oui vraiment ! et Julien, il ressemble à sa mère ! - Mme Evrard : à s'y tromper, Collin D'Harleville, Vieux célib. III, 4. Teniers, qui imitait, à s'y tromper, les tableaux des Bassan, Boutard, Dict. des arts du dessin, pastiche.

    Se tromper de route, d'heure, d'adresse, manquer la bonne route, l'heure indiquée, l'adresse véritable d'une personne.

    Fig. et par ironie. C'est un homme qui ne se trompe qu'à son profit, il ne se trompe que quand l'erreur tourne à son avantage.

    Si je ne me trompe, locution employée en forme de correctif, quand on n'est pas très certain d'une chose, ou quand on veut éviter un ton tranchant. Je ne sais si je me trompe ; mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie, Molière, Préc. 10. Tous ces rois-là [de Juda et d'Israël] s'assassinent un peu trop souvent les uns les autres ; c'est une mauvaise politique, si je ne m trompe, Voltaire, Philos. Quest. Zapata, 44.

    On dit dans le même sens : Je me trompe, je suis bien trompé. Je suis bien trompé, s'il n'en est ainsi. Je me trompe, ou vos vœux, par Esther secondés, Obtiendront plus encor que vous ne demandez, Racine, Esth. III, 2. Je suis fort trompé, ou j'ai trouvé un bon expédient pour me démêler d'avec mad…, Fontenelle, Lett. gal. II, 15.

SYNONYME

TROMPER, DÉCEVOIR. Décevoir, c'est abuser par quelque chose d'apparent, de spécieux, d'engageant. Tromper, c'est abuser par la ruse, par le mensonge, par l'artifice.

HISTORIQUE

XIVe s. Icelui supliant veant que ladite femme se trompoit et moquoit de lui, Du Cange, trompator.

XVe s. On ne sçaura trouver mon per [égal], Par saint Jacques, non, de tromper, Patelin, v. 43. Je ne pourrois souffrir qu'une telle gouge se trompast et de vous et de moi si longuement, Louis XI, Nouv. XXXIII. Il semble que vous trompez [vous moquez] des statuts et ordonnances de l'Église, Louis XI, ib. XCIV.

XVIe s. Plusieurs gens malades ont, à la lecture d'ycelles, trompé leurs ennuys, Rabelais, Pant. 4, Prol. Le tromper peult servir pour le coup, Montaigne, I, 24. Pourquoy ne tromperoit-il aux escus, puisqu'il trompe aux espingles ? Montaigne, I, 108. Ils trompent l'esperance qu'on en a conçue, Montaigne, I, 181. Je ne conseille pas qu'on confonde leurs regles ; on s'y tromperoit, Montaigne, I, 214. Je ne sçais si je me trompe, mais il m'a tousjours semblé que…, Montaigne, I, 394. Pour vous donner le moyen de tromper le temps, Despériers, Contes, I. Ainsi prit congé d'elle, et s'en alla pensant bien l'avoir trompée, mais estant bien trompé luy mesme, Amyot, Anton. 106.

ÉTYMOLOGIE

Le sens propre et ancien de tromper est jouer de la trompe. Néanmoins Diez pense que tromper au sens d'abuser vient non pas de là, mais de trompe, qui a signifié toupie (voy. TROMPE 2), et qu'il signifie, au propre, faire aller comme une toupie. Mais l'emploi le plus ancien de tromper au sens d'abuser est se tromper de quelqu'un, ce qui signifie s'en jouer. Tromper, jouer de la trompe, s'est construit avec le pronom personnel comme tant d'autres verbes neutres ; et se tromper a passé au sens de se moquer (voyez, à l'historique de trompette, un exemple de la transition, et comparez se jouer de quelqu'un et jouer quelqu'un).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

TROMPER. - HIST. XIVe s. Ajoutez : Si s'en fussent rallez les Flaments… ainsy se fussent les seigneurs trouvé trompez et desgarnis de leurs gens, J. le Bel, Vrayes chroniques, t. I, p. 191. Et si tu vouldras trumper [mocquer] aucun, dites ainsi : Dieux vous donne bonne nuit et bon repos et bial lit, et vous dehors, Rev. critique, 5e année, 2e semestre, p. 400.