« sens », définition dans le dictionnaire Littré

sens

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

sens [1]

(san ; l's se lie : un sen-z actif ; il ne faut pas faire entendre l's, ni dire : les cinq sans', un homme de sans', Au XVIIe siècle, Chifflet, Gramm. p. 211, recommande de toujours prononcer l's finale pour le distinguer de sang, c'est ainsi, dit-il, que parlent les plus diserts) s. m.

Résumé

  • 1° Appareil qui met l'homme et les animaux en rapport avec les objets du dehors.
  • 2° Sens musculaire.
  • 3° Sens interne.
  • 4° Sixième sens.
  • 5° Sens moral.
  • 6° Sens pratique.
  • 7° Les sens, concupiscence, sensualité, plaisir de l'amour-propre.
  • 8° La faculté de sentir, en général.
  • 9° La faculté de comprendre les choses et d'en juger sainement.
  • 10° Le bon sens.
  • 11° Sens commun, l'intelligence et la lumière ordinaire avec laquelle naissent la plupart des gens.
  • 12° En une autre acception, sens commun, concentration de toutes les impressions et de toutes les idées.
  • 13° Sens froid. Sens rassis.
  • 14° Sens réprouvé.
  • 15° Avis, opinion.
  • 16° Il s'est dit pour idée, pensée.
  • 17° Signification, manière de comprendre.
  • 18° Ce qui fait la solidité d'un discours.
  • 19° Manière, façon, par extension d'acception, de signification.
  • 20° Un des côtés d'une chose, par extension de manière, façon.
  • 21° Direction.
  • 22° À contre-sens.
  • 1Appareil qui met l'homme et les animaux en rapport avec les objets du dehors par le moyen des impressions que ces objets font directement sur lui. Les cinq sens de nature. Il y a cinq sens, le toucher, le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue. Pendant qu'un philosophe assure Que toujours par les sens les hommes sont dupés, Un autre philosophe jure Qu'ils ne nous ont jamais trompés, La Fontaine, Fabl. VII, 18. Mais aussi, si l'on rectifie L'image de l'objet sur son éloignement, Sur le milieu qui l'environne, Sur l'organe et sur l'instrument, Les sens ne tromperont personne, La Fontaine, ib. Ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu'ils manquent chacun de sincérité, s'abusent réciproquement l'un l'autre ; les sens abusent la raison par de fausses apparences ; et cette même piperie qu'ils apportent à la raison, ils la reçoivent d'elle à leur tour, Pascal, Pens. III, 19, éd. HAVET. Parce, dit-on, que vous avez cru dès l'enfance qu'un coffre était vide lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez cru le vide possible ; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu'il faut que la science corrige, Pascal, ib. III, 3. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême : trop de bruit nous assourdit…, Pascal, ib. I, 1. Nous devons observer exactement cette règle de ne juger jamais par les sens de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais seulement du rapport qu'elles ont avec notre corps, Malebranche, Rech. I, 5. Il est évident de tout ceci, que les sens ne nous sont donnés que pour la conservation de notre corps, et non pour apprendre la vérité, Malebranche, ib. I, 10. Aujourd'hui même encor, de deux sens affaibli, Retiré de la cour, et non mis en oubli, Boileau, Épît. X. C'est lui ! d'horreur encor tous mes sens sont saisis, Racine, Athal. II, 7. On a dit qu'il pourrait bien nous manquer un sixième sens naturel, qui nous apprendrait beaucoup de choses que nous ignorons ; ce sixième sens est apparemment dans quelque autre monde, où il manque quelqu'un des cinq que nous possédons, Fontenelle, Mondes, 3e soir. Un homme à qui ses cinq sens disent sans cesse qu'il est tout, et que les autres ne sont rien, est naturellement paresseux, ignorant, voluptueux, Montesquieu, Esp. II, 5. Toute l'antiquité a maintenu que rien n'est dans notre entendement qui n'ait été dans nos sens, Voltaire, Dict. phil. Sensation. Il se peut que, dans d'autres globes, on ait des sens dont nous n'avons pas d'idée ; il se peut que le nombre des sens augmente de globe en globe, et que l'être qui a des sens innombrables et parfaits soit le terme de tous les êtres, Voltaire, ib. Nos sens, qui sont les seules sources de toutes nos idées, Voltaire, ib. Distance. Il nous est impossible de savoir comment nous pensons, par la même raison qu'il nous est impossible d'avoir l'idée d'un sixième sens ; c'est parce qu'il nous manque des organes qui enseignent ces idées, Voltaire, Traité de métaph. 3. Les sens sont des espèces d'instruments dont il faut apprendre à se servir, Buffon, De l'enfance. L'homme, supérieur à tous les êtres organisés, a le sens du toucher et peut-être celui du goût plus parfaits qu'aucun des animaux ; mais il est inférieur à la plupart pour les trois autres sens, Buffon, Ois. t. I, p. 17. Je trouvais que, de tous les sens, l'œil était le plus superficiel ; l'oreille, le plus orgueilleux ; l'odorat, le plus voluptueux ; le goût, le plus superstitieux et le plus inconstant ; le toucher, le plus profond, Diderot, Lett. sur les sourds-muets. Toutes nos connaissances viennent des sens ; or nos sens ne pénètrent point jusqu'à la substance des choses, ils n'en saisissent que les qualités, Condillac, Traité des syst. 10. Chacun de mes sens est en rapport avec la manière d'agir des objets dont il me transmet les impressions ; chaque sens a sa fin, et la structure de chaque sens est le moyen ou l'assemblage des moyens relatifs à cette fin, Bonnet, Œuvr. mêlées, t. XVIII, p. 240, dans POUGENS. Les sens sont à l'âme ce que les machines sont au physicien, Bonnet, ib. p. 109. …Chaque sens par un heureux concours Prête aux sens alliés un mutuel secours, Delille, Imag. I.

    Sixième sens, nom qu'on a donné quelquefois aux sensations de l'amour physique.

    Fig. Mettre, appliquer tous ses sens, et, familièrement, tous ses cinq sens de nature à quelque chose, y employer tous ses soins, y faire tous ses efforts.

    Cela tombe sous les sens, sous le sens, cela se conçoit aisément, cela est évident. Il ne tombe pas sous le sens qu'on puisse haïr la vérité prise en elle-même, Bossuet, 2e sermon, Dimanche de la Passion, préambule.

    Terme de théologie. La peine du sens, la peine du feu, dans l'enfer.

    Fig. Il manque un sens aux incrédules ; et ce sens, c'est Dieu qui le donne, selon ce que dit saint Jean : il nous a donné un sens pour connaître le vrai Dieu, Bossuet, Anne de Gonz. Tu souffres la louange adroite, délicate, Dont la trop forte odeur n'ébranle point les sens, Boileau, Épît. IX.

  • 2Sens musculaire, nom donné improprement, puisqu'il n'y a pas d'appareil propre pour cette sensation, au sentiment de l'action des muscles, à la fatigue, etc.

    Sens de la douleur, nom quelquefois donné, mais improprement, au phénomène physiologique qui a reçu le nom de douleur.

  • 3Sens interne, nom sous lequel on désigne la faculté qu'a le cerveau de percevoir une foule de modifications produites, dans l'intérieur même de l'organisme, par le jeu plus ou moins régulier des viscères.

    Sens interne, perception de certains rapports esthétiques ou moraux. Pour distinguer le sens interne des facultés corporelles connues sous ce nom, j'appelle sens interne du beau, la faculté qui discerne le beau dans la régularité, l'ordre et l'harmonie, Diderot, Rech. philos. sur le beau, Œuvr. t. II, p. 415, dans POUGENS. Le sens interne du beau est une faculté par laquelle nous distinguons les belles choses, comme le sens de la vue est une faculté par laquelle nous recevons la notion des couleurs et des figures, Diderot, ib. p. 413.

  • 4Sixième sens ou sens général, synonyme de sens interne.

    Sixième sens se dit quelquefois pour conscience. J'ai toujours cru qu'on ne pouvait prendre un intérêt si vif à Héloïse sans avoir ce sixième sens, ce sens moral dont si peu de cœurs sont doués, et sans lequel nul ne saurait entendre le mien, Rousseau, Conf. X.

    J J. Rousseau l'a fait synonyme de sens commun. Il me reste à parler, dans les livres suivants, de la culture d'une espèce de sixième sens appelé sens commun, moins parce qu'il est commun à tous les hommes, que parce qu'il résulte de l'usage bien réglé des autres sens, Rousseau, Ém. II.

  • 5Sens moral, synonyme de conscience. Croire avec Hutcheson, Smith et d'autres, que nous ayons un sens moral propre à discerner le bon et le beau, c'est une vision dont la poésie peut s'accommoder, mais que la philosophie rejette, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 41, dans POUGENS.
  • 6Sens pratique, habileté qui paraît instinctive et qui résulte effectivement de beaucoup d'expérience jointe à beaucoup de jugement. Le sens pratique d'un médecin.
  • 7 Au plur. Concupiscence, sensualité, plaisir de l'amour-propre. Les plaisirs des sens. Il est un autre amour, dont les vœux innocents S'élèvent au-dessus du commerce des sens, Corneille, Othon, I, 5. Je permis à mes sens de se laisser chatouiller par le titre de chef de parti, que j'avais toujours honoré dans les Vies de Plutarque, Retz, Mém. II. Les sens n'ont point de part à toutes leurs ardeurs, Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs, Molière, Femm. sav. IV, 2. Les sens, indépendants de la raison et souvent maîtres de la raison, l'ont emporté [l'homme] à la recherche des plaisirs, Pascal, Pens. XII, 1 éd. HAVET. Cette pensée [la réparation de ses fautes] la sollicite à ne plus rien donner à ses sens, Bossuet, la Vallière. Les hommes portèrent la peine de s'être soumis à leurs sens : les sens décidèrent de tout, et firent, malgré la raison, tous les dieux qu'on adora sur la terre, Bossuet, Hist. II, 1. Un auteur vertueux, dans ses vers innocents, Ne corrompt point les cœurs en chatouillant les sens, Boileau, Art p. IV. Il est peu d'âmes, quelque plongées qu'elles soient dans les sens et dans les passions, dont les yeux ne s'ouvrent quelquefois, Massillon, Avent, Épiph. Il ne faut rien accorder aux sens, quand on veut leur refuser quelque chose, Rousseau, Hél. III, 18.

    Terme de dévotion. Mortifier ses sens, se priver des plaisirs des sens, s'imposer diverses macérations.

    Familièrement. Avoir des sens, être porté aux plaisirs de l'amour. ar extension, la faculté de sentir en général. L'autre tout hors du sens…, Régnier, Sat. X. Mais vous perdez le sens, reprenez vos esprits, Tristan, Panthée, II, 3. Ils s'enivraient, perdaient sens et raison, La Fontaine, Fér. Percé du coup mortel dont vous m'assassinez, Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés, Molière, Mis. IV, 3. Sauvons-le ; nos efforts deviendraient impuissants, S'il reprenait ici sa rage avec ses sens, Racine, Andr. V, 5. Son ami rappela ses sens avec un peu de mauvais vinaigre, Voltaire, Candide, 4.

  • 9La faculté de comprendre les choses et d'en juger sainement. Quelques blasphémateurs… à qui l'excès d'orgueil a fait perdre le sens, Malherbe, I, 1. Vous êtes insensé, Paul ; votre grand savoir vous met hors du sens, Sacy, Bible, Act. des Apôt. XXVI, 24. Rien ne persuade tant les gens qui ont peu de sens que ce qu'ils n'entendent pas, Retz, III, 9. Le peuple s'étonna comme il se pouvait faire Qu'un homme seul eût plus de sens Qu'une multitude de gens, La Fontaine, Fabl. II, 20. Mais il est hors de sens que, sous ces apparences, Un homme pour époux se puisse supposer, Molière, Amph. III, 1. Diverses sortes de sens droit… les uns tirent bien les conséquences de peu de principes, et c'est une droiture de sens ; les autres tirent bien les conséquences des choses où il y a beaucoup de principes, Pascal, Pens. VII, 2, éd. HAVET. Nous avons un autre principe d'erreur, les maladies : elles nous gâtent le jugement et le sens, Pascal, ib. III, 3. Vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser…, Pascal, ib. X, 1. Je ne pouvais jamais mieux faire que d'envoyer à M. de Pompone ce que vous m'écrivez de si bon sens sur l'affaire de Marseille, Sévigné, 16 mai 1672. Il [Turenne] aimait ce berger [qui savait les chemins et le pays], et le trouvait d'un sens admirable, Sévigné, 16 août 1675. Je trouve, à mon petit sens, qu'elle [Bérénice, de Racine] ne surpasse pas Andromaque, Sévigné, 15 janv. 1672. Le sens humain abruti ne pouvait plus s'élever aux choses intellectuelles, Bossuet, Hist. II, 2. Encore que son fonds [de l'idolâtrie] fût une ignorance brutale et une entière dépravation du sens humain, elle voulait se parer de quelques raisons, Bossuet, ib. II, 12. N'est-ce pas assez que nous voyions qu'on ne peut combattre la religion sans montrer, par de prodigieux égarements, qu'on a le sens renversé ? Bossuet, ib. II, 13. Son esprit se trouble, son sens s'égare, Bourdaloue, Carême, II, Enfer, 54. Profite de leur haine [de tes ennemis] et de leur mauvais sens, Boileau, Épît. VII, à Racine. Un vieillard qui a vécu à la cour, qui a un grand sens et une mémoire fidèle, est un trésor inestimable, La Bruyère, XI. La duchesse de Chaulnes avait beaucoup de dignité, une politesse choisie, un sens et un désir d'obliger qui tenaient lieu d'esprit, Saint-Simon, 65, 75. Un homme que quelque sens éclaire, Lamotte, dans DESFONTAINES. M. de Saint-Lambert est un homme d'un sens exquis ; on n'a ni plus de finesse, ni plus de sensibilité que Mme d'Houdetot, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 10 sept. 1760. Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l'histoire…, Chateaubriand, Génie, II, 4, 9.
  • 10Le bon sens, la saine et droite raison. La puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes, Descartes, Méth. I, 1. Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite, La Fontaine, Fabl. X, 10. Tout ce qu'elle dit est juste et de bon sens, Sévigné, 507. Le bon sens, qui est le maître de la vie humaine, Bossuet, Hist. III, 6. Ayant toujours été convaincu que le bon sens, quelque voie qu'on suive, doit être de tout, Bourdaloue, Dimanches, t. II, p. 211, Sur la prière. Tout doit tendre au bon sens ; mais, pour y parvenir, Le chemin est glissant et pénible à tenir ; Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie, Boileau, Art p. I. Aux dépens du bon sens gardez de plaisanter, Boileau, ib. Elle avait un confesseur qui ne manquait pas de bon sens, Hamilton, Gramm. 10. Ce garçon-là me plaît et parle de bon sens, Regnard, Fol. amour. II, 5. Tout écrivain qui ne fait pas son capital du bon sens renonce à l'immortalité, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 109, dans POUGENS. Rien n'était plus contraire au bon sens que le combat judiciaire, Montesquieu, Espr. XXVIII, 23. N'eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se dépouiller ? Rousseau, Orig. 2. Le bon sens est la première qualité du génie ; et l'à-propos, la première loi du bon sens, Marmontel, Œuv. t. VI, p. 194. Le goût n'est rien qu'un bon sens délicat, Et le génie est la raison sublime, Chénier M. J. la Raison.

    Être dans son bon sens, jouir de la plénitude des facultés intellectuelles. Est-il dans son bon sens, ou suis-je fou moi-même ? Th. Corneille, Feint astrol. V, 2.

  • 11Sens commun, l'intelligence et la lumière ordinaire avec laquelle naissent la plupart des gens. Le mot de commun le dégoûta si fort de celui de sens, que dès lors il se résolut de n'en point avoir, et de laisser cette qualité vulgaire aux personnes médiocres, Guez de Balzac, le Barbon. M. Talon est un fort homme de bien, de grand jugement et d'un esprit fort pénétrant ; le plus beau sens commun qui ait jamais été dans le palais, Patin, Lett. à Falconet, 20 déc. 1652. Riches, pour tout mérite, en babil important, Inhabiles à tout, vides de sens commun, Molière, Femm. sav. IV, 3. Si vous n'avez point de sens commun, je ne puis vous en donner, Pascal, Prov. XVI. D'où vient cette expression sens commun, si ce n'est des sens ? les hommes, quand ils inventèrent ce mot, faisaient l'aveu que rien n'entrait dans l'âme que par les sens ; autrement, auraient-ils employé le mot de sens pour signifier le raisonnement commun ? Voltaire, Dict. phil. Sens commun. On dit quelquefois : le sens commun est rare ; que signifie cette phrase ? que, dans plusieurs hommes, la raison commencée est arrêtée dans ses progrès par quelques préjugés ; que tel homme qui juge très sainement dans une affaire se trompera toujours grossièrement dans une autre, Voltaire, ib. Sens commun… ne signifie que le bon sens, raison grossière, raison commencée, première notion des choses ordinaires, état mitoyen entre la stupidité et l'esprit, Voltaire, ib. Cet homme n'a pas le sens commun est une grosse injure ; cet homme a le sens commun est une injure aussi ; cela veut dire qu'il n'est pas tout à fait stupide et qu'il manque de ce qu'on appelle esprit, Voltaire, ib. Je suis de votre avis sur Rodogune ; il n'y a pas de sens commun dans toute cette pièce qu'on a regardée comme le chef-d'œuvre de Corneille, Voltaire, Lett. d'Argental, 15 déc. 1776. De l'esprit, si l'on veut, mais pas le sens commun, Gresset, le Méch. III, 9.
  • 12En une autre acception, sens commun, s'est dit quelquefois de la concentration de toutes les impressions et de toutes les idées. Cette faculté qui réunit les sensations en tant qu'elle ne fait qu'un seul objet de tout ce qui frappe nos sens, est appelée le sens commun ; terme qui se transporte aux opérations de l'esprit, mais dont la propre signification est celle que nous venons de remarquer, Bossuet, Conn. I, 4.
  • 13Sens froid, calme et fermeté. Tout le monde dit du bien de votre fils ; on vante son application, son sens froid, sa hardiesse, et quasi sa témérité, Sévigné, à Mme de Grignan, 17 nov. 1688.

    On dit de même façon : sens rassis. Lorsque, forcé par la rencontre des choses, il revient à son sens rassis, et ne trouve rien en ses mains de cette haute fortune dont il embrassait une vaine image, Bossuet, Panég Ste Thér. I. Je hais ces vains auteurs… Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis, S'érigent pour rimer en amoureux transis, Boileau, Art p. II.

  • 14Sens réprouvé, voy. RÉPROUVÉ.
  • 15Avis, opinion. Chacun fait à son sens, Régnier, Sat. V. Pour ce qui touche les mœurs, chacun abonde si fort en son sens, qu'il se pourrait trouver autant de réformateurs que de têtes, Descartes, Méth. VI, 2. Chacun selon son sens en croit diversement, Rotrou, St Gen. II, 8. La reine même donna avec ardeur dans son sens ; mais ce sens ne fut appuyé de personne, Retz, Mém. II. C'était [l'impératrice Justine] une princesse fière, impérieuse, attachée à son sens, et prévenue de toutes les impiétés des ariens, Fléchier, Hist. de Théodose, III, 114. La voie la plus courte pour arriver à la faveur des grands, c'est d'entrer toujours dans leur sens, Fléchier, Commendon, II, 19. Je voudrais dès demain pouvoir vous satisfaire ; Mais, à mon sens, Philis, l'hymen est une affaire Où, plus on est prudent, plus on est empêché, Perrault, Griselidis. Il évite de donner dans le sens des autres et d'être de l'avis de quelqu'un, La Bruyère, V.
  • 16Il s'est dit pour idée, pensée. J'avais corrigé cet article, sans en ôter aucun sens ; mais d'Hacqueville aima mieux l'envoyer promptement, Sévigné, 21 oct. 1676.
  • 17Signification, manière de comprendre. Mais de ses derniers mots voyant le sens douteux…, Corneille, Rodog. V, 4. L'effet expliquera le sens de la menace, Corneille, Théod. I, 2. Vous prenez tout d'un sens contraire à ma pensée, Rotrou, Antig. II, 4. La seule résolution que Mme de Longueville prit de se retirer en Berri avec Mme la Princesse, eut autant de sens et d'interprétations différentes qu'il y eut d'hommes ou de femmes à qui il plut d'en raisonner, Retz, Mém. t. II, liv. III, p. 501, dans POUGENS. Hormidas l'entendant en un mauvais sens, Jean II l'entendant en un bon sens, Pascal, Prov. XVII. J'entends ce mot au sens des molinistes, Pascal, ib. I. Pour entendre l'Écriture, il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s'accordent, Pascal, Pens. XVI, 10 bis. Les prophéties ont un sens caché et spirituel, dont ce peuple [les Hébreux] était ennemi, sous le charnel, dont il était ami, Pascal, ib. XV, 7. Les mots diversement rangés font un divers sens, et les sens diversement rangés font différents effets, Pascal, ib. XXV, 128. Un même sens change selon les paroles qui l'expriment ; les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner, Pascal, ib. VII, 32. Ces demandes sont des demandes au sens que tout le monde entendait, Bossuet, Nouv. Myst. 10. Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, Mon esprit aussitôt commence à se détendre, Boileau, Art p. I. Un oracle toujours se plaît à se cacher ; Toujours avec un sens il en présente un autre, Racine, Iphig. II, 1. Ses paroles étaient entrecoupées, obscures, et quelquefois elles n'avaient aucun sens, Fénelon, Tél. VII. Il y a toujours un sens dans lequel on peut condamner un écrit, et un sens dans lequel on peut l'approuver, Voltaire, Disc. Lisbonne, préf. Toute expression qui ne trouve pas hors de notre esprit un objet sensible auquel elle puisse se rattacher, est vide de sens, Diderot, Opin. des anc. philos. (Locke).

    Sens propre. Sens figuré. Les grammairiens distinguent ordinairement deux espèces de sens dans les mots : le sens propre qui est leur signification originaire et primitive, et le sens figuré par lequel on détourne le premier sens, le sens propre, en l'appliquant à un objet auquel il ne convient pas naturellement, D'Alembert, Œuv. t. II, p. 249.

    Sens par extension, sens différent du sens propre, mais sans être métaphorique. Il y a, outre le sens propre et le sens figuré, un autre sens que j'appelle sens par extension, qui tient en quelque sorte le milieu entre ces deux-là, D'Alembert, ib.

    Contre-sens, voy. CONTRE-SENS.

    Faux sens, erreur commise dans une traduction ; c'est moins que le contre-sens, mais c'est à côté du sens de l'original.

  • 18Ce qui fait la solidité du discours. Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants, Affecta d'enfermer moins de mots que de sens, Boileau, Art p. II. Lycurgue voulait que la monnaie fût fort pesante et de peu de valeur, et, au contraire, que le discours comprît en peu de paroles beaucoup de sens, Rollin, Traité des Ét. V, 3e part. 2. Mérite non commun, savez-vous, ni facile, de clore en peu de mots beaucoup de sens, Courier, Pamphlet des pamphlets.
  • 19Manière, façon, par extension d'acception, de signification. Il faudrait avoir une règle ; la raison s'offre, mais elle est ployable à tous sens, Pascal, Pens. VII, 4. Les hommes, en un sens, ne sont point légers, ou ne le sont que dans les petites choses… fermes et constants dans le mal ou dans l'indifférence pour la vertu, La Bruyère, XI. Rejetons pour toujours et en tous sens cette puissance [de produire l'imparfait] que l'auteur [Malebranche] attribue à Dieu, Fénelon, t. III, p. 31. C'est sans doute un grand avantage, de quelque sens qu'on le considère, Vauvenargues, Justesse. Le bon sens consiste à prendre les choses dans le bon sens, Vauvenargues, B. sens. Pourquoi la peste, la guerre, la famine et l'inquisition ? tournez-vous de tous les sens, vous ne trouverez d'autre solution, sinon que tout a été nécessaire, Voltaire, Dict. phil. Puissance. Il [Guise] était l'idole des catholiques et le maître de la cour, affable, généreux et en tous sens le premier homme de l'État, Voltaire, Mœurs, 171.

    Tourner quelqu'un de tous les sens, le questionner de toute façon pour lui faire avouer quelque chose.

  • 20Un des côtés d'une chose, par extension de manière, façon. On a mis cette étoffe du mauvais sens. La poésie tourne autour de son objet comme la sculpture, et le présente dans tous les sens, Marmontel, Œuv. t. IX, p. 409. Sur toi pèse en tout sens sa fluide colonne [de l'air], Delille, Trois règnes, II.
  • 21Direction. La Méditerranée, cette mer si connue, traversée de tous les sens possibles par une infinité de navigateurs, Fontenelle, Delisle. Pourquoi tourne-t-il [le soleil] sur son axe ? et pourquoi en un sens plutôt qu'en un autre ? Voltaire, Ph. ignor. 15. Un aimant attire le fer de quelque côté qu'on le présente, au lieu qu'il n'attire un autre aimant que dans un sens, et qu'il le repousse dans le sens opposé, Buffon, Min. t. IX, p. 136. Le torrent des préjugés l'entraîne ; pour le retenir, il faut le pousser en sens contraire, Rousseau, Ém. IV.
  • 22À contre-sens, voy. CONTRE-SENS.

    PROVERBE

    Qui perd le sien perd le sens.

SYNONYME

SENS, ACCEPTION. Sens diffère d'acception en ce qu'il a plus d'étendue. On dit : le sens d'un mot et le sens d'une phrase ; mais on dit seulement : l'acception d'un moit, sans pouvoir dire l'acception d'une phrase.

HISTORIQUE

XIe s. À bien petit que il ne pert le sens, Ch. de Rol. XXII. Car vasselage par sens [avec prudence] n'est pas folie, ib. CXXIX.

XIIe s. Se j'avoie le sens qu'ot Salemons, Couci, XII. Car g'i met tout, cuer et cors et desir, Sens et savoir…, ib. XI. Quant Karles li cria : Saisne, que pensestu ? Cuides me tu sorvaincre ? tu as le san perdu, Sax. II. Mais ce poez veoir assez Que c'est li drois chemins batuz ; Dès que je m'i sui anbatuz, Je ne tornerai autre san [côté], la Charrette, 1378. De tutes terres veneient genz pur oïr le senz le rei Salomun, Rois, p. 241. Jà voir, ces murs ne vos auront garant, Ne ces palès où l'or luist et resplant ; Tot le verroiz [verrez] depecier en mil sens, la Prise d'Orange, V. 1103. Quant veü unt e esgardé, Que la paiz lor est saluable, E en tuz sens plus profitable, Benoit de Sainte-Maure, II, 4086.

XIIIe s. Qui font tant par trop boire Que il en perdent si le sens et la memoire…, Berte, LXVI. Vers le lion [il] s'en va, ou soit sens ou folie, ib. II. Se tu me voloies laissier aler, je t'aprenderoie trois sens qui t'averoient grant mestier, Chr. de Rains, 236. Car quant il vit qu'il ne porroit Acomplir ce qu'il desirroit, Et qu'il y fu si pris du sort, Qu'il n'en pooit avoir confort En nule guise, n'en nul sens, Il perdi d'ire tout le sens, la Rose, 1510. Babiloine, si com je pens, Dure vingt liues de tos sens, Flor. et Bl. 1787. …Se on savoit si tost nostre nom, …por le petit sens qui est en noz, nostre oevre… fust mains prisie, Beaumanoir, Prologue. Quant galiot corent par mer, Et tornent cel sens [de ce côté] por rober, Partonop. V. 1745.

XIVe s. La partie qui congnoist peut estre appellée sens, et celle qui appete est nommée appetit sensitif, Oresme, Éth. 32. Le bon sens naturel que Dieu vous a donné, Ménagier, I, 2.

XVe s. Le sens acquis profite plus, Quant au naturel est unis, Deschamps, Poés. mss. f° 242. Sans nul delay, sy le querons, Et faisons que le trouverons : Je vous dy que nous ferons sanz [sensément], Résurrect. de N. S. Myst. Et fut celle prise moul honorable ; car grande deffense y trouverent, par quoy convint de tant plus grand sens et force à en venir à chef, Bouciq. Hist. I, 19. Et ne m'est pas advis que le sens d'ung homme sceust porter et donner ordre à ung si grant nombre de gens…, Commines, I, 3. Si tost que les princes furent venus devant le roy, il les regarda, puis dist : seigneurs, je m'en vois mourir ; ung sens [sentence] vous laisse, c'est que nul de vous ne vueille herberger jeunes amours en ung vieil corps ; car celluy qui le fait, il herberge sa destruction et sa mort, Perceforest, t. VI, f° 96. Elle y aura employé ses cinq sens de nature, Les 15 joies de mariage, p. 83, dans LACURNE.

XVIe s. La chose est tant abhorrente de sens commun, que…, Rabelais, Garg. I, 31. Chascun abunde en son sens, mesmement en choses foraines, externes et indifferentes, Rabelais, Pant. III, 7. Prester à un escript un sens qu'il n'a pas, Montaigne, I, 131. L'usage des parfums, pour nous resjouir, esveiller et purifier le sens, Montaigne, I, 292. Chascun en peult debattre et dire selon son sens, Montaigne, I, 399. Il n'y a sens qui n'ayt une grande domination, et qui n'apporte par son moyen un nombre infini de cognoissances, Montaigne, II, 359. Il eut en grande admiration son bon sens et sa hardiesse, Amyot, Thém. 51. Leur ayant le mal troublé le sens, ilz se mutinerent contre luy, Amyot, Péric. 66. Caton se levant, non comme picqué de soudaine cholere ny d'envie de contester, ains de sens froid et rassis, Amyot, Cat. d'Utiq. 66. Partout le sens commun est comme un receptacle universel des sens exterieurs, Paré, XVIII, 11. En amour est folie et sens, Cotgrave Il est bien fol qui à fol sens demande, Cotgrave Nul n'a trop pour soy de sens, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Wallon, sain ; du lat. sensus. À côté de sens, l'ancienne langue avait san ou sen (provenç. sen ; ital. senno), qui vient non du lat. sensus, mais de l'allem. Sinn, sens, et qui a donné forcené. Sens et sen avaient pris l'un et l'autre le sens de direction, de côté ; c'est une extension de la signification primitive, qui alla à manière, mode d'être, ainsi que le latin mens l'a fait dans les compositions adverbiales des langues romanes.