« charger », définition dans le dictionnaire Littré

charger

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

charger

(char-jé. Le g prend un e devant a ou o : nous chargeons, je chargeais) v. a.
  • 1Mettre une charge sur. Charger un âne de fruits, des vaisseaux d'armes. On le chargea d'un lourd paquet. Nous chargeons d'un casque nos têtes blanchies. Eh quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique ! La Fontaine, Fab. III, 1. … D'acteurs mal ornés chargeant un tombereau, Boileau, Art p. I.

    Par analogie. Tu serais trop vain Si ce honteux trophée avait chargé ma main, Corneille, Cid, I, 7.

    Terme de marine. Embarquer et arrimer à bord des objets. Charger en cueillette, charger pour plusieurs personnes. Charger à sec, charger pendant la basse marée. Charger en grenier, charger sans emballer.

    Terme de jardinage. Charger une couche, mettre, sur le fumier qui la compose, la terre ou le terreau nécessaire à la culture qu'on veut y établir.

    Terme de trictrac. Charger le bidet, mettre un grand nombre de dames sur une flèche. Vieux.

    Terme de métier. Appliquer des feuilles d'argent sur une pièce de métal ou de bois. Souder du fer à une pièce qui est trop mince. Appliquer certains ingrédients sur les peaux et les cuirs. Mettre dans la cuve ce qui est nécessaire pour faire une teinture. Enfiler une volaille avec une broche.

  • 2Peser d'un trop grand poids sur. Les bagages chargent cette voiture. Cette poutre charge la muraille.

    Par extension. Mille bonbons, mille exquises douceurs Chargeaient toujours les poches de nos sœurs, Gresset, Vert-vert, I.

    Par analogie. La galette charge l'estomac. Se charger l'estomac.

    Fig. Il ne faut pas trop charger la mémoire des enfants, il ne faut pas les obliger à retenir trop de choses. Charger sa mémoire de bagatelles. Les douze vers qui expriment cette moralité en termes généraux ont tellement plu, que beaucoup de gens d'esprit n'ont pas dédaigné d'en charger leur mémoire, Corneille, 1er Discours du poëme dramatique, p. 6.

  • 3Emplir, couvrir, accabler. On chargeait une table de mets. Et chargez de perles vos têtes Comme quand vous allez aux fêtes Où les dieux vous font appeler, Malherbe, III, 2. Telle qu'une bergère aux plus beaux jours de fête De superbes rubis ne charge point sa tête, Boileau, Art p. II.

    Charger de chaînes, enchaîner.

    Fig. Mon courroux n'a déjà que trop de violence, Sans le charger encor d'une nouvelle offense, Molière, Sgan. 6. Corneille a aimé à charger la scène d'événements dont il est presque toujours sorti avec succès, La Bruyère, I.

  • 4Charger quelqu'un de coups, d'injures, de malédictions, l'en accabler. Détournons les yeux des soufflets sacriléges dont on le charge, Massillon, Car. Passion. Il fut craint, mais l'histoire a dans tout l'avenir De haine et de mépris chargé son souvenir, Chénier M. J. Charles IX, III, 1. Il pourrait bien, mettant affront dessus affront, Charger de bois mon dos comme il a fait mon front, Molière, Sgan. 17.

    Absolument, battre. Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance ? Molière, l'Étour. III, 4. Je veux… Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître, Molière, Éc. des f. IV, 9. … Si quelque affamé venait pour en manger, Tu serais en colère et voudrais le charger, Molière, Éc. des f. II, 3.

  • 5Mettre sur, en parlant d'un fardeau. Charger sur ses épaules un fardeau. Énée avait chargé son père sur son dos. Il avait fait charger du blé sur la Saône. Je vois de grands garçons charger un tonneau de vin, Rousseau, Ém. III.
  • 6Charger un registre d'un article, ou charger un article sur un registre.

    Charger une lettre, un paquet, faire constater sur les registres de la poste l'envoi d'une lettre, d'un paquet.

    Charger un mot, écrire un mot sur un autre sans effacer celui-ci.

  • 7Rendre trouble. Un accès de fièvre qui charge l'urine.

    En parlant de la langue, y produire un enduit morbide. Un embarras gastrique charge la langue.

  • 8Imputer à quelqu'un, et, spécialement, déposer contre lui, l'accuser. Charger quelqu'un de ses propres torts. Les témoins n'ont pas chargé l'accusé. Ils ne cessaient de le charger tantôt d'avarice et tantôt de trahison, Vaugelas, Q. C. liv. X, dans RICHELET. On ne peut les charger d'aucun assassinat, Corneille, Poly. I, 3. Tous deux l'ont accusée, et, s'ils s'en sont dédits Pour la faire innocente et charger votre fils…, Corneille, Nicom. IV, 2. Le récit de ses fautes est pénible ; on veut les couvrir et en charger un autre ; c'est ce qui donne le pas au directeur sur le confesseur, La Bruyère, XI. Chargez-le comme il faut, monsieur, et rendez les choses bien criminelles, Molière, l'Avare, V, 5. Des personnes qui le chargeaient des mêmes choses que vous, Molière, Impromptu, 3. Alors qu'aura servi ce zèle impétueux, Qu'à charger vos amis d'un crime infructueux ? Racine, Baj. II, 3.
  • 9Imposer une charge, une condition onéreuse. Charger les provinces d'un tribut. Il vit heureux [Baléazar], et tout son peuple est heureux avec lui ; il craint de charger trop ses peuples, Fénelon, Tél. VIII.

    Charger une terre d'une redevance. Charger une succession d'un legs.

    Fig. Le grand nombre d'observances dont Moïse a chargé les Hébreux. À quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ? La Fontaine, Fab. XI, 8.

  • 10Donner commission, donner ordre. Il fut chargé du commandement de l'armée. On l'avait chargé de ce soin. Voici ce dont je vous charge. Ils le chargèrent de dire à Alexandre que…, Vaugelas, Q. C. liv. III, dans RICHELET. Rome qui m'a depuis chargé de son empire, Corneille, Othon, III, 3. Zerbinette m'a chargé promptement de venir vous dire que…, Molière, Fourber. de Scap. II, 6. Et qui vous a chargé du soin de ma famille ? Racine, Iph. IV, 6. De péculat, il n'y en avait pas davantage, puisqu'il ne fut jamais chargé ni de l'argent du roi ni de celui de la Compagnie, Voltaire, Louis XV, 34.

    Charger quelqu'un de ses pouvoirs, de sa procuration.

  • 11Mettre dans une arme à feu la poudre et les projectiles. Charger un fusil, un canon.

    Absolument. Charger à balles, à mitraille.

    Chargez, terme de commandement.

  • 12 Par extension. Charger une bouteille de Leyde, une jarre, une batterie électrique, y accumuler l'électricité.

    Charger une bobine, y enrouler la quantité de soie ou de fil qu'elle peut recevoir.

    Charger une quenouille, y mettre de la filasse de lin ou de chanvre.

    Charger une pipe, la remplir de tabac.

    Charger une plume d'encre, un pinceau de couleur.

  • 13Attaquer avec impétuosité. L'infanterie chargea l'ennemi qui pliait. Ils avaient ordre de ne se point découvrir que l'ennemi ne fût passé, pour le charger en queue, Perrot D'Ablancourt, Luc. t. II, dans RICHELET. Joint les ennemis, les combat et les charge, Fléchier, Tur. Les partisans du tribun mirent l'épée à la main et chargèrent la multitude, Vertot, Révol, rom. liv. X, p. 36. Ces paysans chargèrent les bourgeois à coups de pierres et de bâtons, Vertot, ib. X, 10.

    Absolument. Charger à la baïonnette. Charger à la tête de la cavalerie. D'abord il a si bien chargé sur les recors, Molière, l'Étour. V, 1.

  • 14Exagérer, amplifier. Charger le prix d'une marchandise. Charger un article, en grossir le prix. Charger un compte, l'exagérer.

    Outrer. De la manière dont il charge les choses, il semble qu'il ait voulu se faire peur à lui-même, Bossuet, Relat. Pour diminuer l'horreur de l'athéisme, on charge trop l'idolâtrie, Montesquieu, Esp. 24, 2.

    Charger un récit, une histoire, y ajouter, l'amplifier. Un comique outre sur la scène ses personnages ; un poëte charge ses descriptions, La Bruyère, III.

    Absolument. L'homme est né menteur… voyez le peuple, il controuve, il augmente, il charge par grossièreté et par sottise, La Bruyère, XVI.

    Rendre ridicule une figure par certains traits qui en grossissent, diminuent ou altèrent quelque partie.

    Par extension, passer la mesure, en parlant du jeu d'un acteur et aussi du style. Cet acteur charge son personnage. Ce comédien a l'habitude de charger tous ses rôles. Ce romancier a chargé le portrait de son héros. Et absolument : Les comédiens de province chargent plus que ceux de Paris.

  • 15 V. n. Ajouter. Sur mon inquiétude ils viennent tous charger, Molière, Amph. III, 1. Vieilli en ce sens.
  • 16 Terme de jardinage. On dit que les arbres chargent beaucoup, quand ils ont beaucoup de fruits noués.
  • 17Se charger, v. réfl. Prendre une charge. Se charger d'un fardeau. Ses vaisseaux en tous lieux se chargent de soldats, Racine, Mithr. IV, 1.

    Absolument. Aide-moi à me charger. Il ne peut se charger tout seul.

    Fig. N'allons point nous charger d'une haine immortelle, Racine, Bérén. III, 2.

    Se charger d'une dette, la prendre à son compte. Il se charge d'une dette et en charge son bien, Patru, Plaidoyer 3.

  • 18Se couvrir. Cette femme ambitieuse et vaine croit valoir beaucoup, quand elle s'est chargée d'or, de pierreries et de mille autres vains ornements, Bossuet, la Vallière.
  • 19Se charger d'un crime, d'une faute, s'en reconnaître l'auteur, en assumer la responsabilité. Et je vous viens, seigneur, offrir une victime, Non pour sauver sa vie en me chargeant du crime, Corneille, Cinna, V, 2. Je me charge devant Dieu de tout le péché, Bossuet, Lett. abb. 89.
  • 20Prendre le soin, la conduite de. Se charger d'une cause, d'une ambassade. Si tu te chargeais de corriger ce livre. Se charger de grands travaux. Que le ciel se chargerait du reste. De l'intérêt du ciel pourquoi vous chargez-vous ? Pour punir le coupable, a-t-il besoin de nous ? Molière, Tart. IV, 1. Et je me chargerais du soin de le défendre, Racine, Phèdr. IV, 5. Je me charge de tout, fût-ce encor de ta haine, Voltaire, Catil. III, 3.
  • 21Se charger de quelqu'un, le prendre à sa charge pour le nourrir, l'entretenir, ou le prendre avec soi pour la vie commune, pour un voyage, etc. D'un gendre sans appui voudra-t-il se charger ? Racine, Mithr. III, 1. Quoi ! votre amour se veut charger d'une furie ? Racine, Andr. III, 1. Moi, j'irais me charger d'une spirituelle Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle, Molière, Éc. des f. I, 1.
  • 22Le temps se charge, il se couvre de nuages. Le ciel se chargeait peu à peu.
  • 23Devenir trouble. À la fin d'un accès de fièvre l'urine se charge.

    La langue se charge, elle se couvre d'un enduit.

  • 24 En termes de manége, se charger d'épaules, de ganache, de chair, se dit d'un cheval quand il engraisse trop.
  • 25Recevoir une charge de poudre. Ce fusil se charge par la culasse.
  • 26S'attaquer l'un l'autre. Les deux troupes se chargèrent avec vigueur.

HISTORIQUE

XIe s. D'or et d'argent quatre cenz muls chargez, Ch. de Rol. III.

XIIe s. Ne de tous ceus que vous cargié m'avez, Roncisv. p. 101. Vous me carjastes vos fils et vos amis, ib. p. 180. M'ame pourroit chargier plus pesant faix [avoir chagrin plus grand], Couci, XXII.

XIIIe s. Onques en nul termine ne furent aussi chargié de guerre come il furent à celui point, Villehardouin, CLXIX. Et quant les nés [nefs] furent chargies d'armes et de viande et de chevaliers et de serjans, Villehardouin, XLIV. Et sachiés que il fu moult cargiés et fu feru d'un glaive parmi le cors, Villehardouin, LXXII. Et li rois la fist atourner richement comme fille de roi, et li carga assés or et argent, Chron. de Rains, p. 13. Sovent me semont [Bel Accueil] d'aprochier Vers le bouton et d'atouchier Au rosier qui l'avoit chargié, la Rose, 2885. Nus [nul] arbre qui soit qui fruit charge, ib. 1334. Et lor doit carquier qu'il dient la cause à son home por quoi il est semons, Beaumanoir, 46. Il a esté deffendu, por ce qu'il carquoient si lor mesons et lor heritages de tix [telles] choses… qu'on lessoit après les mesons, porce que eles estoient trop carquies, Beaumanoir, XXIV, 20. Je ne puis pas mon heritage carquier de douaires, fors que selonc ce que coustume done, Beaumanoir, XXXIV, 23. Je, qui n'avoie pas mil livrées de terre, me charjai, quant j'alé outremer, de moy dixieme de chevaliers, Joinville, 211. Il estoit ainsi, que, quant le soudanc vouloit charger [donner un ordre], il envoioit querre le mestre de Haulequa [de la garde], Joinville, 235. Il respondirent touz que avoient chargié [confié] à Mons Guion Malvoisin le conseil que il vouloient donner au roy, Joinville, 255. Et nous chargerent les Sarrazins tous de pyles [javelots] que il traoient au travers du flum, Joinville, 223.

XIVe s. Querir et vouloir estre honoré des humbles et moiens ou petis, c'est une chose charchant et qui n'est pas à loer, Oresme, Eth. 123.

XVe s. Ce voyage chargeoit [contrariait] trop fort le duc de Bourgogne, et disoit que c'estoit une chose et une guerre sans raison, Froissart, III, IV, 29. Ils firent leurs messages sagement et à point, ainsi que chargé leur estoit, Froissart, I, I, 45. Il prit tous ces joyaux et presens, et les chargea à son cousin messire Mansart, et lui dit de les reporter en France, Froissart, I, I, 300. Et laissa le roi pour capitaine Aimery de Pavie ; et lui chargea en garde toute la ville et le chastel, Froissart, I, I, 323. Les vins et marchandises que ils menoient, ils dirent que ils avoient cargé pour mener en Flandre, Froissart, II, III, 34. Et chargeoit le conte de Charolois ces gens de ceste maison d'avoir…, Commines, I, 2. Et chargerent sur nos archiers et ceulx qui les conduysoient, Commines, II, 2. Et lui chargea [recommanda] la dame blanche Qu'il y retournast hardiment, Villon, Repue du Pelletier. Ceux qui avoient esté presents où nostre ivrogne s'estoit chargé [soûlé], Louis XI, Nouv. VI.

XVIe s. Il les chargea [attaqua] touts endormis, Montaigne, I, 27. Charger une narration de circonstances, Montaigne, I, 84. Se chargeant seul de leur faulte commune, Montaigne, I, 97. Les maladies qui se chargent [gagnent] de l'un à l'aultre, Montaigne, I, 101. Charger un pistolet, Montaigne, I, 109. Les premiers fourmis chargent ce ver sur leur dos, Montaigne, II, 179. Le degousté charge [attribue] la fadeur au vin ; l'altéré, la friandise, Montaigne, II, 373. Ses envieux le chargeoient et accusoient en son absence, Amyot, Thém. 45. Après qu'ils se furent bien chargez de pillage et de toute sorte de butin…, Amyot, Cam. 42. Pauvre homme que tu es, comment vas-tu ainsi deschargeant la fortune de ce dont tu la pouvois charger et accuser à ta descharge ? Amyot, P. Aem. 44. [Pyrrhus] d'arrivée chargea sur son arriere garde si vivement, qu'il meit toute l'armée en grand dessarroy, Amyot, Pyrrh. 57. Il attela vistement des bœufs à un chariot, sur lequel il chargea des febves, Amyot, Marius, 64. Depuis cela il chargea une si grande audace et une si grande presumption, qu'on ne le peut plus tenir, Amyot, Nicias, 14. Et d'iceux medicamens en seront chargés les tentes et plumaceaux, Paré, VII, 7.

ÉTYMOLOGIE

Berry, sarger ; picard, carguer, carker ; provenç. et espagn. cargar ; portug. carregar ; ital. caricare ; du bas-lat. carricare, de carrus, chariot (voy. CHAR) : mot à mot mettre sur un chariot.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CHARGER.
14Ajoutez : Il fallait, pour avoir de la réputation, outrer les caractères, charger inconsidérément les muscles, donner à ses figures des contorsions et des attitudes aussi fausses que bizarres, P. J. Mariette, dans J. DUMESNIL, Hist. des amateurs franç. t. I, p. 267.