« silence », définition dans le dictionnaire Littré

silence

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

silence

(si-lan-s') s. m.
  • 1Etat d'une personne qui s'abstient de parler. Il supportait beaucoup de choses qu'il n'approuvait pas [chez les prédicateurs] ; et, comme il ne refusait jamais ses louanges au mérite, il donnait volontiers son silence à ce qui ne méritait pas d'être loué, Guez de Balzac, Socrate chrét. X. Faites-lui du silence, et l'écoutez parler, Corneille, l'Illus. comique, II, 1. Notre reine… Doit rompre aux yeux de tous son silence obstiné, Corneille, Rodog. I, 1. Il y a un silence de discrétion et de repos, La Rochefoucauld, Réfl. div. p. 129. Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir que de Dieu, qu'on sait être la vérité, Pascal, Pens. XXIV, 37, éd. HAVET. En amour un silence vaut mieux qu'un langage ; il est bon d'être interdit ; il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire, Pascal, Amour. Rappelez en votre mémoire avec quelle circonspection elle ménageait le prochain, et combien elle avait d'aversion pour les discours empoisonnés de la médisance ; elle savait de quel poids est non-seulement la moindre parole, mais le silence même des princes, Bossuet, Reine d'Anglet. La reine d'Angleterre disait que les princes devaient garder le même silence que les confesseurs, et avoir la même discrétion, Bossuet, ib. Il y a trois sortes de silence : le silence de zèle, le silence de prudence dans les conversations, et le silence de patience dans les contradictions, Bossuet, Instr. aux Ursulines sur le silence, préamb. Nous avons fait silence afin de l'écouter, Quinault, Agrippa, V, 3. … Un des campagnards, relevant sa moustache… Impose à tous silence…, Boileau, Sat. III. Sa réponse [de Néron] est dictée, et même son silence, Racine, Brit. I, 1. Pour garder jusqu'au bout un silence perfide, Racine, Bajaz. III, 4. Elle [Rome] se tait du moins ; imitez son silence, Racine, Brit. III, 8. Toute la troupe, étonnée, demeura dans le silence, Fénelon, Tél. VII. D'abord il se fit un profond silence dans toute l'armée, Fénelon, Tél. X. Bientôt règne entre nous ce doux silence qui est le plus tendre langage des amants, Montesquieu, Temple de Gnide, 5. Obéir en silence est votre seule gloire, Voltaire, Fanat. III, 6. Le silence n'est point une contradiction, Voltaire, Dict. phil. Contradictions. Je voudrais bien savoir à quoi sert le silence ; Il ne guérit de rien ; au contraire, il aigrit Les maux et les tourments du cœur et de l'esprit, Lachaussée, Gouvern. I, 1. Le peuple n'a pas sans doute le droit de murmurer ; mais sans doute aussi il a le droit de se taire, et son silence est la leçon des rois, L'Abbé de Beauvais, Or. fun. Louis X. Le silence est profond : la parole ferait un mal insupportable dans cet état de l'âme où tout est intime et intérieur, Staël, Corinne, X, 4. Un regard, un silence, un accent de sa voix… ô lyre, en disent plus que ta vaine harmonie, Lamartine, Nouv. méd. X.

    Il se dit au pluriel. J'aime assez qu'on s'explique ; Les silences de cour ont de la politique, Corneille, Pulch. V, 4.

    Elliptiquement, silence ! Chères sœurs, suspendons nos chants : Respectons ses chagrins ; elle approche, silence ! Delavigne, Paria, II, 6. Silence au camp ! la vierge est prisonnière… Silence au camp ! la vierge va périr, Delavigne, Messén. Mort de Jeanne d'Arc. Son cercueil est fermé : Dieu l'a jugé ; silence ! Lamartine, Nouv. Médit. Bonaparte.

    On dit aussi quelquefois : du silence, un peu de silence.

    Fig. Réduire au silence, ôter tout moyen de faire une réponse qui satisfasse. Qu'on me parle tant qu'on voudra de combinaisons et de chances ; que vous sert de me réduire au silence, si vous ne pouvez m'amener à la persuasion ? Rousseau, Ém. IV.

    Fig. Imposer silence aux médisances, à la calomnie, au mensonge, etc les réduire au silence, faire que les médisances, que les calomnies, que les mensonges ne trouvent plus crédit et n'osent plus se produire. Prêt d'imposer silence à ce bruit imposteur, Racine, Iphig. III, 1.

  • 2 Par analogie, il se dit du langage écrit. Le silence des journaux sur ce fait. Le silence est la plus grande persécution : jamais les saints ne se sont tus, Pascal, Pens. XXIV, 66. Le seul qui s'y fait entendre [parmi les protestants] depuis tant d'années, et à qui, par un si grand silence, tous les autres semblent laisser la défense de votre cause, c'est le ministre Jurieu, Bossuet, 1er avertissement, II. Grand roi, si jusqu'ici, par un trait de prudence, J'ai demeuré pour toi dans un humble silence, Boileau, Disc. au roi. J'imite de Conrart le silence prudent, Boileau, Épît. I. Le peu que nous venons de dire est suffisant pour engager les lecteurs éclairés à se tenir sur leurs gardes, à se défier et de la louange et du blâme, et du silence même ; car le silence a aussi sa malignité et son injustice, D'Alembert, Œuvr. t. I, p. 383.

    On dit dans un sens analogue : J'ai adressé une demande à cet administrateur, à cette administration ; mais il garde, elle garde le silence.

    Passer une chose sous silence, n'en point parler.

    Ancien terme de chancellerie et de matière criminelle. Le roi imposait silence à ses procureurs généraux, lorsqu'il leur défendait de poursuivre davantage l'affaire criminelle pour laquelle il avait donné des lettres d'abolition.

  • 3Le silence de la loi, se dit en parlant d'un cas que la loi n'a pas prévu.
  • 4Interruption dans un commerce de lettres. Je ne puis expliquer votre long silence. Après avoir été longtemps sans vous écrire, je romps enfin le silence. La même raison, monsieur, qui fait votre silence, fait aussi le mien, Sévigné, à Lamoignon, 27 août 1690.
  • 5Secret. Tout cela sera plongé, s'il plaît à Dieu, dans le silence ; c'est tout le mieux, Sévigné, 27 déc. 1688. Cet amour s'est longtemps accru dans le silence, Racine, Mithr. I, 1. Le secret et le silence sont les conditions d'un pacte entre le bienfaiteur délicat et son obligé, Diderot, Claude et Nér. II, 58. Ce qui nuirait s'il était connu, doit demeurer à jamais caché ; et la vérité dangereuse a le silence pour asile, Marmontel, Cont. mor. Amitié à l'épr. [à Venise, sous l'inquisition d'État] La mort frappe sans bruit, le sang coule en silence, Ducis, Othello, II, 7.
  • 6Oubli. Elle [cette affaire] n'est bonne qu'à jeter dans l'abîme du silence, Sévigné, 21 janv. 1689. Leur vie [des pécheurs] passe comme l'ombre ; il vient un jour fatal où périssent toutes leurs pensées ; leur mémoire fait un peu de bruit, et va se perdre dans un silence éternel, Fléchier, Mar.-Thér.
  • 7 Fig. Calme, absence de bruit. On n'oit que le silence, on ne voit rien que l'ombre, Théophile, Pyrame et Thisbé, IV, 1. Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie, Pascal, Pens. XXV, 17 bis. Ma sœur, qui peut causer votre sombre tristesse ? Le silence des bois sert à l'entretenir, Quinault, Amad. II, 2. Pour animer ma voix, J'ai besoin du silence et de l'ombre des bois, Boileau, Épît. VI. Là parmi les douceurs d'un tranquille silence, Boileau, Lutr. I. Des victimes vous-même interrogez le flanc ; Du silence des vents demandez-leur la cause, Racine, Iph. I, 2. Il semble pendant la nuit que tout soit en repos ; on s'imagine que les étoiles marchent avec plus de silence que le soleil, Fontenelle, Mondes, 1er soir. Un silence absolu porte à la tristesse ; il offre une image de la mort ; alors le secours d'une imagination riante est nécessaire, Rousseau, 5e prom. Il regarde, il écoute ; hélas ! dans l'ombre immense, Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence, Delille, Imaginat. IV. Le silence des tombeaux s'est substitué au murmure des places publiques, Volney, Ruines, II. Le silence est profond dans cette ville [Venise], dont les rues sont des canaux ; et le bruit des rames est la seule interruption à ce silence, Staël, Corinne, XV, 7. [Durant la nuit] Un silence pieux s'étend sur la nature, Lamartine, Harm. II, 4.

    En le personnifiant. J'écoute, à demi transporté, Le bruit des ailes du Silence Qui vole dans l'obscurité, Saint-Amand, le Contempl.

  • 8 Fig. Absence d'agitation morale. Si nous imposons silence à nos sens, Bossuet, Hist. II, 6.

    Le silence des passions, le temps où elles laissent l'âme libre et calme. Il faut briser ses chaînes, s'élever par des efforts redoublés jusqu'au monde intellectuel, s'approcher peu à peu de la suprême intelligence, et en contempler la nature divine dans le silence des sens et des passions, Barthélemy, Anach. ch. 54.

    Imposer silence à ses passions, les réprimer, empêcher qu'elles ne troublent l'âme.

  • 9Interruption dans un bruit. Il n'y a point d'intervalle sensible entre les vibrations ; il n'y a point de silence entre les sons : voilà pourquoi le son paraît continu, Condillac, Traité anim. ch. 6. Les échos assoupis ne livrent au zéphire Que des soupirs mourants, de silences coupés, Lamartine, Méd. II, 2.
  • 10 Terme de musique. Chacun des moments pendant lesquels, dans le courant d'un morceau, les chanteurs ou les instruments se taisent. Ces différentes phrases [du chant du rossignol] sont entremêlées de silences, de ces silences qui, dans tout genre de mélodie, concourent si puissamment aux grands effets, Buffon, Ois. t. VIII, p. 121. Les sons et leur durée ne sont pas les seuls éléments de la musique ; le silence plus ou moins long y joue aussi un rôle fort important, Fétis, la Musique, I, 6.

    Par extension. Silences, signes répondant aux diverses valeurs des notes, lesquels, mis à la place de ces notes, marquent que tout le temps de leur valeur doit être passé en silence, Rousseau, Dict. de mus. silence.

  • 11Il se dit, dans la déclamation, des suspensions que fait celui qui parle. Il [Lekain] a quelquefois des silences trop longs ; il en faut comme en musique, mais il ne faut pas les prodiguer, Voltaire, Lett. d'Argental, 17 avr. 1762. Si Mlle Durancey entend, comme je le crois, le grand art des silences, Voltaire, ib. 11 févr. 1767.
  • 12 Terme de peinture. Se dit, par opposition à fracas, du calme ou de la simplicité qui règne dans une composition, dans le coloris et la disposition des lumières. Il y a du silence dans ce tableau.

HISTORIQUE

XIIIe s. Silence te convient avoir, Silence est signe de savoir, le Castoiement d'un père, dans le Dict. de DOCHEZ.

XIVe s. Et fut silence faite, Bercheure, f° 67, recto. Une abusion est entre vous, que, si une de vous soit mise en silence par sa culpe, elle ne devroit lire, ne chanter, ne veer le sacrement de la messe, Du Cange, silentium.

XVe s. En imposant, sur ce, silence à nostre procureur et à tous autres procureurs d'office, Juvénal Des Ursins, Charles VI, 1415. Mais non pourquant tint il au fort Sa silence jusqu'à la mort, Deschamps, Poésies mss. f° 509.

XVIe s. … D'un tel propos la silence rompit, Marot, IV, 22. Tout le monde assistant et escoutant en bonne silence…, Rabelais, Pant. II, 19. Frere Jean rumpant cestuy tant obstiné silence, Rabelais, ib. IV, 63. Ils ne vont pas souvent aux champs, d'autant qu'ils ne peuvent supporter le requoy ni le silence de la solitude, Amyot, De la curios. 13. Soit que la nuict, toute chose appaisant, Couvre la terre et guide le silence…, Desportes, Œuv. chrét. Prière.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. silenci, s. m. et silencia, s. f. ; espagn. silencio ; ital. silenzio ; du lat. silentium, de silere, se taire, qu'on rapproche du goth. silan, être tranquille ; comparez aussi le bas-bret. sioul, tranquille. L'ancienne langue avait le verbe siler, se taire : XIIIe siècle. [Le rossignol] S'en va et si va silant, Bibl. des chartes, 4e série, t. V, p. 323.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

SILENCE. Ajoutez :
13 Terme de télégraphie. Interruption dans la transmission télégraphique. La municipalité a installé M. F…, mort actuellement ; les employés du télégraphe n'ont pas voulu l'accepter, et, vous connaissez l'expression télégraphique, ils ont fait silence ; j'étais à Oran, et, pendant une journée ou une demi-journée, je suis resté sans communications télégraphiques, Journ. offic. 22 avril 1875, p. 2913, 2e col. Des précautions avaient été prises à l'avance, en prévision d'une invasion du télégraphe ; le cas échéant, le signal silence devait être communiqué à toutes sections correspondant avec Alger, ib. 16 avril 1875, p. 2744, 1re col.

HISTORIQUE

Ajoutez : XIIe s. Li intergetteiz silences de la voiz, li Dialoge Gregoire lo pape, 1876, p. 32.