« être.2 », définition dans le dictionnaire Littré

être

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

être [2]

(ê-tr') s. m.
  • 1État, existence, qualité de ce qui est. La nature dure et se maintient perpétuellement dans son être, Pascal, dans COUSIN. Le peu que nous avons d'être, Pascal, ib. Si notre être, si notre substance n'est rien, tout ce que nous bâtissons dessus, que peut-il être ? Bossuet, Duch. d'Orl. Avant qu'il [Dieu] eût donné l'être, rien ne l'avait que lui seul, Bossuet, Hist. II, 1. Qui a un cœur et qui peut aimer l'auteur de son être, Massillon, Prière I. Le corps politique ou le souverain ne tirant son être que de la sainteté du contrat, Rousseau, Contrat, I, 7.

    L'être suprême de Dieu, son existence suprême. Ô Dieu ! si c'était là le caractère de votre être suprême…, Massillon, Carême, Avenir.

    Le non-être, le néant, l'anéantissement. … Peut-être Que mon cœur combattu par la peur du non-être, Boursault, Ésope à la cour, III, 3.

  • 2Ce qui est. Le péché qui est le véritable néant, parce qu'il est contraire à Dieu, qui est le véritable être, Pascal, Lett. à Mme Périer, 1er avril 1648. Je sens que je peux n'avoir point été ; car le moi consiste dans ma pensée ; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé ; donc je ne suis pas un être nécessaire ; je ne suis pas aussi éternel, ni infini ; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini, Pascal, Pens. art. I, 11. Moi néant, moi ombre de l'être, je vois celui qui est, Fénelon, Exist. 345. Ô Dieu ! ô le plus être de tous les êtres ! Fénelon, ib. 264. J'aurais prié ce Dieu, seul être que j'adore, Voltaire, Alz. v, 1. Une existence évanouie Ne fait pas baisser d'une vie Le flot de l'être toujours plein, Lamartine, Harm. IV, 9.

    Être suprême, l'être au-dessus de tout. Dieu étant par sa nature au-dessus de tout, rien ne peut entrer en comparaison, ni ne doit être mis dans un degré d'égalité avec ce premier être, cet être suprême, Bourdaloue, Pensées, t. I, p. 39. S'il y a au-dessus de nous un être suprême, auteur de cet univers, Massillon, Car. Prière II.

    Absolument, l'être suprême, Dieu. Le sang le plus abject, le sang des plus grands rois Ne sont-ils pas égaux devant l'être suprême ? Voltaire, Olympe, II, 2.

    Le grand être, Dieu. Ne pouvant élever mes faibles conceptions jusqu'au grand être, je rapprochais les rapports infiniment éloignés qu'il a mis entre sa nature et la mienne, Rousseau, Ém. IV.

    Être des êtres, Dieu. Être des êtres, je suis parce que tu es, c'est m'élever à ma source que de te méditer sans cesse, Rousseau, ib.

    Dans l'être suprême, l'être des êtres, le grand être, l'être souverain, qui, pris absolument, signifient Dieu, on met un E majuscule. Quand être suprême n'est pas pris absolument, l'e est minuscule.

    Terme de métaphysique. La science de l'être, ou ontologie, étude de l'être en soi, de l'être absolu, indépendamment de toutes les propriétés qui le déterminent.

  • 3Tout ce qui existe, considéré comme ayant l'existence d'une façon quelconque. Les êtres de la nature. L'ensemble des êtres vivants. [Il] Est devant tous les temps et devant tous les êtres, Rotrou, St Genest, III, 1. Tout en tout est divers ; ôtez-vous de l'esprit Qu'aucun être ait été composé sur le vôtre, La Fontaine, Fabl. IX, 12. En comparant les propriétés à moi connues de cet être que je nomme le corps, avec les propriétés à moi connues de cet être que je nomme l'âme, je découvre que les deux êtres ne sont pas de même nature, Bonnet, Ess. analyt. ch. 10.

    Dans le langage philosophique. Il ne faut pas multiplier les êtres, il ne faut pas supposer des êtres qui n'existent point.

    Être pensant, l'être qui est doué de la pensée. Citoyen, l'homme adopte une forme de gouvernement ; être pensant, il n'a de patrie que l'univers, Mirabeau, Collection, t. v, p. 363.

    Les êtres intelligents, tout ce qui est doué d'intelligence, et, en particulier, l'homme. Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu'ils ont faites ; mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites, Montesquieu, Espr. I, 1.

    Être de raison, ce qui n'existe que dans l'imagination. Il ne me semble pas aussi que vous prouviez rien contre moi en disant que l'idée de Dieu qui est en nous n'est qu'un être de raison ; car cela n'est pas vrai, si par un être de raison l'on entend une chose qui n'est point, mais seulement si toutes les opérations de l'entendement sont prises pour des êtres de raison, c'est-à-dire pour des êtres qui partent de la raison, auquel sens tout ce monde peut aussi être appelé un être de raison divine, c'est-à-dire un être créé par un simple acte de l'entendement divin, Descartes, Rép. II, 10. Un homme doué, à mesure égale, de jugement et d'imagination, de véhémence et de finesse, de bel esprit et de sentiment, est un être de raison, Diderot, Règne de Claude et Néron, II, § 9.

  • 4Une personne. Un pauvre petit être, un enfant malade, souffrant. Je m'arrête et j'entends Le cri d'un être faible et qui souffrit longtemps, Chénier M. J. Fénel. I, 1. Pour cet être enchanteur que le destin combla, Ducis, Oscar, II, 1.

    Personne, avec une signification de dénigrement. Quel être insupportable ! Quel être vil et méprisable !

  • 5Vie, naissance. Mais n'as-tu point appris de qui j'ai reçu l'être ? Corneille, Œdipe, v, 4. Vous ignorez son nom et ceux dont il tient l'être, Molière, Psyché, IV, 2. À cet enfant obscur à qui j'ai donné l'être, Voltaire, Orphel. II, 3. Le présent, l'avenir, et jusqu'à ta naissance, Tout ton être, en un mot, est dans ma dépendance, Voltaire, Mérope, v, 2. Mon être se consume en pénibles combats, Ducis, Oscar, III, 2. Faire un doux emploi de son être, Mes amis, ce n'est pas vieillir, Béranger, Vieill. Que j'ai bien accompli cette loi de mon être [souffrir] ! Lamartine, Méd. I, 2.
  • 6Ce qui constitue la nature, le fond d'une chose. Je soutiens que le temps n'est rien, parce qu'il n'a ni forme ni substance ; que tout son être n'est que couler, c'est-à-dire que tout son être n'est que de périr, et, partant, que tout son être n'est rien, Bossuet, Yol. de Monterby.

    Ce qui constitue le caractère d'un être vivant, et, en particulier, la personnalité d'un homme. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne peut le concevoir, Pascal, Pens. part. I, art. 4. Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître ; nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire, et nous négligeons le véritable, Pascal, Pens. t. I, p. 251, édit. LAHURE. Les anciens amis sont les seuls qui tiennent au fond de notre être, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 27 déc. 1758. Ce monde est un grand bal où des fous… Pensent enfler leur être et hausser leur bassesse, Voltaire, Disc. 1. Je chéris un époux et je révère un maître ; Voilà mes sentiments, et voilà tout mon être, Voltaire, Olympe, I, 3. Disposez de moi comme d'un homme qui n'est plus rien pour lui-même, et dont tout l'être n'a de rapport qu'à vous, Rousseau, Hél. I, 12. Le cheval est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, Buffon, Cheval.

    Un nouvel être, nouveaux sentiments, nouvelles forces, nouvelles ardeurs. J'ai pris un nouvel être. Notre esprit éclairé te doit un nouvel être, Voltaire, Alz. I, 2.

  • 7La réalité. En tout Zadig préférait l'être au paraître, Voltaire, Zadig, 4.

    Existence, importance, en parlant des choses. C'était [porter le bougeoir du roi] une distinction qui se comptait, tant le roi avait l'art de donner l'être à des riens ! Saint-Simon, 102, 92.

  • 8Manière d'être, condition, position dans le monde. Il m'apprit en secret et son nom et son être, Mairet, Solim. I, 5. On pourrait voir chaque chose réduite En son état, s'il arrivait qu'un jour L'autre [le maître] devînt l'intendant à son tour ; Car, regagnant ce qu'il eut étant maître, Ils reprendraient tous deux leur premier être, La Fontaine, Belph. M. d'O fut mis auprès de M. le comte de Toulouse avec le titre de gouverneur et d'administrateur de sa maison ; cela lui donna un être, une grosse subsistance, Saint-Simon, 39, 201. Vaudemont, sans biens, sans être, sans établissement que ce qu'elle lui donnait, s'était soumis aux ordres de l'Espagne, Saint-Simon, 96, 17.

    Être représentatif, qualité de représentant, d'ambassadeur. Si les ambassadeurs abusent de leur être représentatif, on le fait cesser, en les renvoyant chez eux, Montaigne, Espr. XXVI, 21.

  • 9 S. m. plur. Les êtres, voy. ÊTRES.

HISTORIQUE

XIIe s. Je deïsse et l'estre et l'errement, Se j'osaisse en faire mention, De la grant cour de France au dous renon, Hues de la Ferté, Romancero, p. 182. 1re et malveis conseil unt le rei deceü, Qui l'unt vers le saint humme issi fort commeü ; Li reis aveit sun estre [sa manière d'être] ainceis bien coneü ; Or cuidout [pensait] qu'il fust tels cum il l'out ainz veü, Th. le mart. 39. Pur espier et aprendre l'estre, e damager le païs, ses messages iad enveied, Rois, p. 151.

XIIIe s. Or me laissiez dont [donc] demander : Venistes vos por truander ? Naie [non], ainz je ving [vins] veoir vostre estre, Ren. 999. Et il lessent la fin commune, à quoi tendent et tendre doivent Les choses qui estre reçoivent, la Rose, 6356. Il [l'homme] a son estre avec les pierres, Et vit avec les herbes drues, Et sent avec les bestes mues, ib. 19246.

XIVe s. Telle personne seroit bien loing de la commune nature et de l'estre des hommes, Oresme, Eth. 97. Le pere est au filz cause de son estre, Oresme, ib. 248.

XVe s. Aucune fois venoit la royne vers luy, ou on lui aportoit ses enfens ; là parloit aux femmes et demandoit de l'estre [de l'état] de ses enfens, Christine de Pisan, Charles V, I, 16. Demanderent l'ung à l'autre dont ilz estoient, et quelle adventure le menoit si seul ; et il lui compte de son estre une partie, Lancelot du Lac, t. II, f° 34. Bons mariniers experts qui sachent l'estre et la naissance de tous vents, le Jouvencel, f° 88, dans LACURNE. Gerard, sachant son estre [ayant l'usage du monde], comme celuy qui à la court avoit esté nourry, les salua moult courtoisement, Gerard de Nevers, 1re part. p. 125, dans LACURNE.

XVIe s. Le masle et femelle ne cerchent seulement leur estre, mais aussi de s'ayder l'un l'autre, La Boétie, 89. Qui ne se savent garder d'adviser à leurs naturels privileges et de se souvenir des predecesseurs et de leur premier estre, La Boétie, Serv. volont. p. 43, édit. FEUGÈRE. Lycurgus n'a point laissé de livres ny de papiers, ains a produit et mis realement en estre une forme de gouvernement que nul avant luy n'avoit jamais inventé, Amyot, Lyc. 65. Nous adorons nostre roy, comme l'image du Dieu de nature, qui maintient toutes choses en leur estre et entier, Amyot, Thém. 49. Il y a encore jusques aujourd'huy en estre quelques uns des dons qu'il a consacrez aux dieux, Amyot, Nicias, 4. Bien que les champs de ton estre [pays]… Du pays qui me vid naistre, Ne se bornent pas bien loin, Ronsard, 548. En dignité pareille il nous faudroit donc estre, Si voulions ressembler les auteurs de nostre estre, Ronsard, Eleg. 10. L'un [au lit de mort] plainct la compagnie de sa femme, l'autre de son fils, comme commoditez principales de son estre, Montaigne, I, 79. Il est du lignage et estre dont l'heritier procede, Coustum. gener. t. I, p. 897. Ne se faut point esmerveiller si nous voyons venir en estre quelque chose qui paravant n'ait point esté, Pasquier, Lettres, t. III, p. 510.

ÉTYMOLOGIE

Être 1.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

2. ÊTRE. Ajoutez : - REM. J. J. Rousseau a dit : encore en être, pour : encore existant. Si ces lettres sont encore en être, et qu'un jour elles soient vues, on connaîtra comment j'ai aimé, Confess. IX. Si jamais, retournant dans ces beaux lieux [Lhéris], j'y retrouvais mon cher noyer encore en être, je l'arroserais de mes pleurs, ID. ib. X.