« noyer.2 », définition dans le dictionnaire Littré

noyer

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noyer [2]

(no-ié ; plusieurs prononcent noi-ié ; quelques-uns prononcent neyer, dit Chifflet, Gramm. p. 200 ; cette prononciation s'entend encore quelquefois. L'y se change en i devant l'e muet : je noie, je noierai. Je noyais, nous noyions, vous noyiez ; que je noie, que nous noyions, que vous noyiez) v. a.
  • 1Faire mourir d'asphyxie par immersion. Dieu, qui a tout fait et par qui tout subsiste, va noyer [par le déluge] tous les animaux avec tous les hommes, Bossuet, Hist. II, 1. À la noyer [ma femme] cent fois je m'étais attendu ; Mais je n'en ai rien fait de peur d'être pendu, Regnard, Démocrite, IV, 7. Carthage avait un singulier droit des gens : elle faisait noyer tous les étrangers qui trafiquaient en Sardaigne et vers les colonnes d'Hercule, Montesquieu, Esp. XXI, 10.

    Fig. L'intérêt de la tendresse est noyé dans celui de l'orgueil, Sévigné, 368.

    Il n'est bon qu'à noyer, se dit d'une méchante personne ou d'une personne, d'un animal qui n'est bon à rien. Ah ! maudit animal qui n'est bon qu'à noyer, La Fontaine, Fabl. XI, 3.

  • 2 Fig. Causer la perte, la ruine d'une personne. Tout ce qui me fâche, c'est de faire du mal ; mais, quand je joue à noyer, et que je me demande lequel je noie de M. de la Jarie ou de moi, je dis sans balancer que c'est M. de la Jarie, et cela me donne du courage, Sévigné, 427. Presque tous les hommes noient leurs parents et leurs amis, pour dire un mot de plus au roi et pour lui montrer qu'ils lui sacrifient tout, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 15 nov. 1695. Mme de Saint-Simon convint qu'un refus nous noierait en effet sans retour, Saint-Simon, 269, 139. Pour couronner l'affaire, Achevons de brouiller et de noyer Valère, Gresset, Méchant, IV, 9.

    Il se dit, dans un sens analogue, de choses dont on veut détruire l'autorité. Plutôt que de conserver les livres de la Sagesse et les autres, vous aimez mieux noyer sans ressource l'Épître aux Hébreux et l'Apocalypse, Bossuet, Projet de réunion, 2e part. Lett. XLI, 25.

  • 3Perdre le souvenir de… Noyer son chagrin dans le vin. Et soient dans les coupes noyés Les soucis de tous ces orages, Malherbe, III, 1. Et noyons dans l'oubli ces petits différends, Corneille, Hor. I, 4. Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse Noyait son souci dans les pots, La Fontaine, Fabl. VI, 12. Que fait un acteur lorsqu'il veut jouer naturellement une passion, que de rappeler autant qu'il peut celles qu'il a ressenties, et que, s'il était chrétien, il aurait tellement noyées dans les larmes de la pénitence, qu'elles ne reviendraient jamais à son esprit ? Bossuet, Coméd. 4. Buvez un peu ; c'est dans le vin qu'on noie L'ennui, l'humeur et les chagrins, Béranger, Mes cheveux.

    Noyer sa raison dans le vin, perdre la raison à force de boire.

  • 4Inonder. À Doesbourg, ils [les Hollandais] ont inondé et noyé une partie des environs, Pellisson, Lett. histor. t. I, p. 159, dans POUGENS. Il empêcha la perte d'un pays qu'il voulait noyer pour prévenir le siége de Dunkerque, Fontenelle, Vauban.

    Noyer les poudres, introduire de l'eau dans une poudrière, ou dans la soute aux poudres d'un bâtiment, pour prévenir une explosion.

    On noie un bâtiment, lorsqu'on le coule à marée haute, à l'effet de faire périr les animaux nuisibles.

    Mouiller fortement, en parlant de la pluie. Une pluie traîtresse, qui, sans se faire craindre, se met d'abord à nous noyer, mais noyer à faire couler l'eau de partout nos habits, Sévigné, 23 août 1671.

    Noyer son vin d'eau, mettre trop d'eau dans son vin.

  • 5Noyer de larmes, inonder de larmes. Artémise de pleurs se noya le visage, Malherbe, VI, 17. Il noya de pleurs l'une des mains de Psyché, La Fontaine, Psyché, II, p. 206. Que j'ai d'envie de me mettre tout de bon à ma tragédie, et de noyer dans les larmes du parterre le souvenir des crimes de Desfontaines ! Voltaire, Lett. d'Argental, 20 févr. 1739.
  • 6 Fig. Inonder, en parlant de sentiments pénibles. Il faut aimer pendant la vie, la rendre douce et agréable, ne point noyer d'amertume ni combler de douleurs ceux qui nous aiment, Sévigné, 27 avr. 1672.
  • 7 Fig. Exprimer avec une excessive diffusion. Noyer sa pensée dans un déluge de mots, de paroles. M. de Félibien, Qui noie éloquemment un rien Dans un fatras de beau langage…, Voltaire, Temple du Goût. Les fausses idées qu'on donne de l'éloquence dans nos colléges en apprenant à nos jeunes gens à noyer une pensée commune dans un déluge de périodes insipides, D'Alembert, Réfl. sur l'éloc. orat. Œuvr. t. I, p. 169, dans POUGENS.
  • 8 Terme de peinture. Mêler les extrémités des contours avec les contours voisins, de manière qu'ils se fondent insensiblement les uns dans les autres.

    On dit de même : noyer les couleurs.

    Par extension. Quelquefois le souffle du midi noie la perspective dans une atmosphère de poudre, Chateaubriand, Génie, III, V, 2.

  • 9 Terme de marine. On dit qu'on noie une terre, un bâtiment, lorsqu'en s'en éloignant, la convexité du globe en fait successivement disparaître les parties à la vue.
  • 10 Terme de jeu de boule. Noyer une boule, la pousser ou la chasser de manière qu'elle passe une certaine ligne qui est au delà du but.
  • 11 Terme de maréchalerie. Noyer le rivet, l'enfoncer dans la corne.
  • 12Se noyer, v. réfl. Se donner la mort en se jetant dans une eau profonde. Le désespoir le prit, il se noya.

    Ne pas songer à une chose plus qu'à s'aller noyer, en être tout à fait éloigné. Je ne songe non plus à l'amour qu'à m'aller noyer, Marivaux, Surp. de l'amour, II, 5.

    Mourir suffoqué dans l'eau ou dans quelque liquide. Je ne suis pas de ceux qui disent : ce n'est rien ; C'est une femme qui se noie ; Je dis que c'est beaucoup, La Fontaine, Fabl. III, 16. Il y a eu bien des gens de noyés dans ce vaisseau du chevalier de Tourville, qui s'est sauvé à la nage ; je crois qu'un de nos chevaliers de Sévigné s'est noyé, Sévigné, 8 nov. 1679. On plongeait les hommes tout entiers et on les ensevelissait sous les eaux [du baptême] ; et, comme les fidèles les voyaient se noyer, pour ainsi dire, dans les ondes de ce bain salutaire…, Bossuet, 2e panég. St Franç. de Paule, 1.

    Il est si malheureux qu'il se noierait dans un crachat, ou, simplement, il se noierait dans un crachat, se dit d'un homme à qui tout tourne mal, ou qui est malhabile.

    Fig. Se noyer dans une goutte d'eau, échouer devant le moindre obstacle, la moindre difficulté. Vous voyez très bien le faible de celui [raisonnement] du pauvre M. de Cambrai, qui s'égare dans le grand chemin, et qui a voulu se noyer dans une goutte d'eau, Bossuet, Lett. quiét. 270.

    Malheureux comme un chien qui se noie, se dit d'un homme très malheureux.

    Il se prend à tout comme un homme qui se noie, se dit d'un homme qui se sert de toute sorte de moyens pour sortir d'une mauvaise affaire.

  • 13Être plongé dans un liquide trop abondant. Des pois verts qui se noyaient dans l'eau, Boileau, Sat. III.
  • 14 Fig. Se ruiner, se perdre. On se noie en amour aussi bien qu'en une rivière, Malherbe, Lett. I, 30. La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie ; Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie, Boileau, Art p. I.

    C'est un homme qui se noie, c'est-à-dire c'est un homme qui se ruine, qui se perd.

    Se noyer de dettes, contracter des dettes qui dépassent beaucoup l'avoir qu'on a. Il s'est noyé de dettes, La Bruyère, VI.

  • 15Se noyer dans les larmes, pleurer excessivement. Tandis que dans les pleurs moi seule je me noie, Racine, Bérén. V, 5. Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée, Encor dans mon malheur de trop près observée, Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir, Racine, Phèdre, IV, 6.

    Se noyer dans le sang, tuer, commettre des cruautés. Dans leur sang, dans le mien il faut que je me noie, Racine, Andr. V, 5.

  • 16 Fig. Se plonger, être plongé dans certaines jouissances ou dans certaines souffrances. Ô vous, tristes plaisirs, où leur âme se noie, Vains et derniers efforts d'une imparfaite joie, Moments pour qui le sort rend leurs vœux superflus, Délicieux moments, vous ne reviendrez plus, La Fontaine, Adonis. Parmi les déplaisirs où son âme se noie, Il s'élève en la mienne une secrète joie, Racine, Andr. I, 1. Ah ! dans le désespoir où mon âme se noie, Voltaire, Oreste, IV, 8. Dans les bons vins que votre âme se noie, Voltaire, Cant. des cantiques.

    Se noyer dans la débauche, dans les plaisirs, dans le vin, faire excès de débauche, de plaisirs, de vin.

  • 17Se noyer, au jeu de boules, pousser sa boule plus loin que la ligne qui est marquée au delà du but.

    PROVERBE

    Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage, ou dit qu'il a la gale, c'est-à-dire on ne manque pas de prétexte pour perdre les gens.

HISTORIQUE

Xe s. Eus noieds, Fragm de Valenc. p. 467.

XIe s. Tuit sunt neiez par merveilleus ahan [souffrance], Ch. de Rol. CLXXVI.

XIIe s. Chetive, lasse, malvenue, Que ma char et mon sanc demaine [propre] [je] Voil metre à dolor e à peine, Ne sai, à vivre ou à neier, Grégoire le Grand, p. 24.

XIIIe s. Et en une nef s'en embla une fois bien cinq cens, qui tuit furent noié, Villehardouin, LIV. Une feme fu trouvée noiée en un puis, Beaumanoir, LXIX, 11. Et puis reclost l'en la porte et l'en boucha l'en bien, aussi comme l'en naye un tonnel, Joinville, 210. Por riens qu'il doint ja point n'en ait, Miex s'arde, ou se pende ou se nait, la Rose, 13250. Mut en ert [était] l'iave blanche et bele ; Fui, Graelent, n'i entre pas ; Se tu t'i mes, tu noieras, Marie de France, Graelent.

XIVe s. Les pugneses [punaises] dites cimices… il sont naiés [tués] o [avec] fume de paille ou o estront de vache, H. de Mondeville, f° 88. Salive d'omme jeun [à jeun] naie [tue] le basilique, H. de Mondeville, f° 88, verso. N'ay que d'une mort à mourir ; Noyer ne peut cil qui doit pendre, J. Bruant, dans Ménagier, t. II, p. 7. Prenez-moi ce glouton [ce misérable], il le nous faut noier, Guesclin. 15132.

XVe s. Noyons nostre soulcy En ce doux dagorie [espèce de cidre], Basselin, XLII.

XVIe s. La plaine, estant au dessoubs de plusieurs fonceaux, vallées et cavains, fut incontinent toute noyée et remplie de force ruisseaux et torrents, Amyot, Timol. 38. Ce fut Icetes qui feit noyer dedans la mer la femme de Dion, Amyot, ib. 44. Je me naye, je me perdz, je m'esguare, quand j'entre on profond abyme de ce monde, Rabelais, Pant. III, 4. Si sommes nayez, ne nayera il pas comme nous ? Rabelais, IV, 21. Au milieu de la muraille posera on les tuiaux, et là, noiés dans le bon mortier bien gras, seront environnés de bonne maçonnerie, De Serres, 766. Et que tout le passé soit tenu pour perdu ; Noyons-en la memoire et l'amour tout ensemble, Desportes, Élégies, II, 2. Et si ledit seigneur noye les prez ou autres de ses sujets par ledit estang, il les peut contenter par eschange advenant, Coust. génér. t. II, p. 121. Quand un chien se noye, chascun luy offre à boire, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Wallon, nèi ; Hainaut, néier ; picard et Berry, neyer ; norm. neucher ; génev. nayer ; provenç. negar ; ital. negare ; du lat. necare, proprement tuer, sens qui se trouve dans quelques-uns de nos textes ; quant à faire mourir dans l'eau, ce sens se trouve dès les lois barbares ; et une inscription latine donne : Eufronia… naufragio necta, Journ. des sav. fév. 1858, p. 91.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

2. NOYER. Ajoutez :
18Se noyer d'eau, boire de l'eau avec excès. Je ne me noie plus d'eau comme je faisais, Racine, Lexique, éd. P. Mesnard.