« plaindre », définition dans le dictionnaire Littré

plaindre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

plaindre

(plin-dr'), je plains, tu plains, il plaint, nous plaignons, vous plaignez, ils plaignent ; je plaignais, nous plaignions ; je plaignis ; je plaindrai ; je plaindrais ; plains, qu'il plaigne, plaignons ; que je plaigne, que nous plaignions ; que je plaignisse ; plaignant ; plaint v. a.
  • 1Témoigner un sentiment de chagrin pour les peines d'autrui ou de soi-même. Plaindre les malheureux n'est pas contre la concupiscence [l'ensemble des mauvais penchants] ; au contraire, on est bien aise d'avoir à rendre ce témoignage d'amitié, et à s'attirer la réputation de tendresse sans rien donner, Pascal, Pensées, VI, 34, éd. HAVET. Ceux qui admiraient sa fermeté [de Mme de Montausier malade] perdirent la leur ; ceux qui la plaignaient paraissaient presque les seuls à plaindre, Fléchier, Mme de Mont. Fidèle dans leurs disgrâces [de ses amis], il osa les louer et les servir en des temps où les autres n'osaient presque pas les plaindre, Fléchier, Duc de Mont. Je plaindrais le cardinal de Rohan, si je pouvais plaindre un homme qui a l'honneur d'être la victime de son zèle pour la vérité, Maintenon, Lettre à Mme de Caylus, 10 janvier 1718. Je plains les malheureux depuis que je le suis ; et je sens que mon cœur s'intéresse pour cet homme, sans savoir pourquoi, Fénelon, Tél. XXIV. J'ai vu Bolingbroke rongé de chagrins et de rage ; et Pope, qu'il engagea à mettre en vers cette mauvaise plaisanterie [Tout est bien], était un des hommes les plus à plaindre que j'aie jamais connus, Voltaire, Princ. d'act. XVI. On croit être plaint quand on est écouté, Graffigny, Lett. péruv. v.

    Témoigner de la compassion au sujet de. Je vous plains bien de vos méchantes compagnies, Sévigné, 6 janv. 1672. Je vous ai souvent plainte de la vie ennuyeuse que vous menez depuis huit ans, Maintenon, Lett. à Mme de Ventadour, 20 avril 1712. Tous sont contents d'eux-mêmes et de leur esprit, et l'on ne veut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont, et, ce qui est pire, on en souffre, La Bruyère, V.

    Plaindre de, avec le verbe à l'infinitif. Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, Racine, Athal. II, 5.

    Être à plaindre, mériter d'être plaint. Atys, que vous seriez à plaindre Si vous saviez tous vos malheurs ! Quinault, Atys, I, 6. Non, il n'est homme à plaindre ici que le méchant, Collin D'Harleville, Optimiste, V, 11.

    Vous êtes bien à plaindre, bien digne de compassion. Mme de la Fayette m'a mandé qu'elle allait vous écrire, mais que la migraine l'en empêche : elle est fort à plaindre de ce mal, Sévigné, 76.

    Se dit souvent ironiquement. On vous envoie en province avec une belle place ; vous êtes bien à plaindre !

    N'être pas à plaindre, être dans une condition où l'on ne doit pas être plaint. Il y a beaucoup de jolies sottes, beaucoup de jolies friponnes ; vous avez épousé beauté, bonté et esprit ; vous n'êtes pas à plaindre, Voltaire, Lett. Saurin, oct. 1761. Ainsi elle n'était sûrement pas à plaindre, quoiqu'elle se plaignît toujours, Rousseau, Conf. X.

  • 2En parlant des choses pour lesquelles on témoigne sa pitié. …ô qu'il est doux de plaindre Le sort d'un ennemi quand il n'est plus à craindre ! Corneille, Pomp. V, 1. Ne plaignons plus ses disgrâces, qui font maintenant sa félicité [dans le paradis], Bossuet, Reine d'Anglet. La vieillesse… Toujours plaint le présent et vante le passé, Boileau, Art p. III. Je révoque des lois dont j'ai plaint la rigueur, Racine, Phèdre, II, 2. Votre sort est à plaindre, je l'avoue, Massillon, Carême, Voc.

    Plaindre quelque chose, exprimer des plaintes de la perte, de la privation de quelque chose. Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranler ; J'aime ce qu'il me donne, et je plains ce qu'il m'ôte, Corneille, Hor. II, 3.

    Plaindre que, se montrer fâché que. Il [mon fils] m'en avait parlé le premier… plaignant et regrettant, tout comme nous, que M. le chevalier ne conduisît pas ses premières années [du jeune Grignan], Sévigné, 22 janv. 1690.

  • 3Employer à regret, donner avec répugnance et parcimonie. Sachant très bien qu'en amour comme en guerre On ne doit plaindre un métal qui fait tout, La Fontaine, Coupe. Je crois que mon fils ne plaindrait pas de plus gros gages pour avoir un vrai bon cuisinier, Sévigné, 26 févr. 1685. Que mon âme, en ce jour de joie et d'opulence, D'un superbe convoi plaindrait peu la dépense ! Boileau, Ép. V. On ne plaint pas son argent pour voir un opéra-comique, et on le plaindra pour avoir des aqueducs, Voltaire, Lett. de Parcieux, 17 juill. 1767.

    Se plaindre une chose, s'en passer par avarice. Celui qui amasse injustement des richesses en se plaignant sa propre vie, les amasse pour d'autres, Sacy, Bible, Ecclésiast. XIV, 4. Il ne lui manque aucune de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soi ; et il ne se plaint non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a épousé une riche vieille, La Bruyère, II. Oh ! la belle leçon pour la plupart des pères ! Ils se plaignent souvent les choses nécessaires ; Pour qui ? pour des ingrats, pour des extravagants…, Destouches, Dissip. I, 7.

    Regretter. Vous avez peut-être regret de m'avoir fait ce bien-là sans y penser ; ne me le plaignez point, aimable Léonore, Scarron, Rom. com. I, 13. Et on plaindra à ces gens-là des grandeurs dont ils font un si bon usage ! Sévigné, 597. Si votre main gauche plaint ce que donne votre main droite, Fléchier, III, 468. Chacun a bien fait son devoir, ne plaignons point quelques moments de trouble, Beaumarchais, Mère coup. V, 8.

    Plaindre sa peine, travailler mollement et sans se donner véritablement de la peine. Tout le mal qu'on dit d'elle [de la langue française] n'est vrai qu'entre les mains d'un homme sans génie ou qui plaint sa peine, D'Olivet, Prosod. franç. V, 1.

    Il ne plaint pas sa peine, ses peines, il est obligeant, actif.

  • 4 V. n. Pousser des plaintes, des gémissements. C'est fait de moi, quoi que je fasse ; J'ai beau plaindre et beau soupirer…, Malherbe, V, 5. Et Cléone et le roi s'y jettent pour l'éteindre [le feu] : Mais, ô nouveau sujet de pleurer et de plaindre, Ce feu saisit le roi ; ce prince en un moment Se trouve enveloppé du même embrasement, Corneille, Méd. V, 1.
  • 5Se plaindre, V. réfl. Se lamenter. Et quiconque se plaint cherche à se consoler, Corneille, Pomp. V, 1. Qu'avons-nous à nous plaindre, lorsqu'il ne plaît pas à Dieu de nous écouter ? Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 90. Mais l'amour qui se plaint le plus N'est pas toujours le plus à plaindre, Quinault, Phaéton, II, 4. La pauvre Fanchon s'est plainte de beaucoup de maux de tête tout le matin, Racine, Lett. XXV, à son fils.

    Poétiquement. Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint, Boileau, Épît. IV.

  • 6Témoigner des regrets, du mécontentement. Mais donnons quelque chose à Rome qui se plaint, Corneille, Nicom. IV, 3. Et si vous vous plaignez de moi, Je ne sais pas de bonne foi, Ce qu'il faut pour vous satisfaire, Molière, Amph. II, 2. Gardons-nous bien de nous plaindre des gens dont nous devons nous louer, Sévigné, 247. Je le plains plus que je ne m'en plains, Maintenon, Lett. à d'Aubigné, 2 sept. 1681. Quand vous me haïriez, je ne m'en plaindrais pas, Racine, Phèdre, II, 5. Il est souvent plus utile de quitter les grands que de s'en plaindre, La Bruyère, IX.

    Se plaindre que, avec l'indicatif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe à l'indicatif n'a rien d'hypothétique). La mouche, en ce commun besoin, Se plaint qu'elle agit seule et qu'elle a tout le soin, La Fontaine, Fabl. VII, 9. Elle se plaint que vous avez fini le premier un commerce qui lui faisait un grand plaisir, Sévigné, 7 sept. 1689. Nous nous sommes plaints que la mort, ennemie des fruits que nous promettait la princesse, les a ravagés dans la fleur, Bossuet, Duch. d'Orl. Parlez ; Phèdre se plaint que je suis outragé, Racine, Phèdre, III, 5. Vous vous plaignez que votre ennemi vous a décrié en secret et en public, Massillon, Carême, Pardon.

    Se plaindre que, avec le subjonctif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe au subjonctif est hypothétique). Combien de fois ne s'est-on pas plaint que les affaires n'eussent ni règle ni fin ! Bossuet, le Tell. Vous-même, monsieur, pouvez-vous vous plaindre qu'on n'ait pas rendu justice à votre dialogue de l'amour et de l'amitié ? Boileau, Lett. à Ch. Perrault. Quelques-uns ont pris l'intérêt de Narcisse, et se sont plaints que j'en eusse fait un très méchant homme, Racine, Brit. Préf.

    Se plaindre de ce que. Ces hérésiarques se sont-ils plaints de ce qu'on leur imposait ce qu'ils ne disaient pas ? Pascal, Lettre de Nic. au P. Annat.

  • 7Former une plainte en justice. Il est allé se plaindre au commissaire.
  • 8Témoigner de la compassion l'un pour l'autre. Comme ceux qui courent le même péril se plaignent les uns les autres par une expérience sensible de leurs communes disgrâces, Bossuet, 1er serm. Nativité, 2.

    Témoigner de la compassion pour soi-même. Il plaignait ceux qui l'aimaient, beaucoup plus qu'il ne se plaignait lui-même, Voltaire, l'Ingénu, 10.

HISTORIQUE

XIe s. Plainums ansemble le doel [deuil] de nostre ami, St Alexis, XXX. Jamais n'ert [ne sera] jur que Charles ne se pleigne, Ch. de Rol. LXXI. Pleindre poons [nous pouvons] France douce la belle, ib. CXXVI.

XIIe s. Et quant je plus plaing et souspir…, Couci, XVIII. À tort s'en plaint li uns, puisque l'autre s'en loue, Sax. XVII. Mult me plaig de ses hummes, sainz Thomas respundié [répondit], Qui nos iglises tienent à force e à pechié, Th. le mart. 142.

XIIIe s. Cil fu durement plains et plorés de Guillaume son frere et des autres barons, Villehardouin, CXI. Et furent mout destroit et irié, et mout durement se plaintrent de ceux qui la mellée avoient faite de l'empereur Baudoin et du marchis de Montferrat, Villehardouin, CXIX. Et se li sires ne veut faire ceste requeste et li parchonier s'en plaignent au sovrain, li sovrains le doit fere fere, Beaumanoir, XXII, 8. Le roy ne requist ne ne prist onques aide [impôt] des siens barons, ne à ses chevaliers, n'à ses hommes, ne à ses bones villes dont en [on] se plainsist, Joinville, 207. Il ne muet pas de sens [il n'a pas de sens] celui ki plaint Peine et travail ki li ert [sera] avantage, Mätzner, p. 23.

XIVe s. Et se j'ai vostre argent, ne me le plaindés jà ; Car si tost que je l'ai, li taverniers l'ara, Baud. de Seb. VIII, 921.

XVe s. Quand il sçut que les François chevauchoient, qui ardoient le pays, et ouït les poures gens pleurer, crier et plaindre le leur, si en eut grant pitié, Froissart, I, I, 111. Les aucuns sages [princes] se sont bien sceu servir des plus apparans [clercs pour conseillers], et les chercher sans y rien plaindre, Commines, II, b. Parler à quelque amy, et hardiment plaindre ses douleurs, Commines, V, 5. Le noble roy de France le plaint [plaignit] et regretta [du Guesclin], comme Charlemagne fit son neveu Roland, Mém. sur du Guesclin. p. 546, dans LACURNE.

XVIe s. L'un va plaignant ses gras bœufs delaisser, Marot, I, 311. Ne plain donc point de laisser mere et pere, Marot, IV, 290. L'un se plainct qu'il luy fault…, Montaigne, I, 79. Le duc René plainsit aussi la mort du duc de Bourgoigne, Montaigne, I, 268. Je plaignois les malades beaucoup plus que je ne me treuve à plaindre moy mesme, Montaigne, II, 52. Je plains le temps que met Platon à ces longues interlocutions, Montaigne, II, 107. On ne plaind jamais ce qu'on n'a jamais eu, Montaigne, IV, 363. Il est fort vieil ; mais au demourant il n'a que plaindre en luy [il est ingambe, sans infirmité], Amyot, Caton, 50. Dieu ne la plaint [la sagesse] à personne qui la luy demande avec fermeté de vive foy, Amyot, Moral. Épît. Il se plaignoit alors de saine teste, comme on dit en commun proverbe, H. Estienne, Apol. d'Hér. p. 218, dans LACURNE. Assez demande qui se plaind, Cotgrave Femme se plaind, femme se deult, femme est malade quand elle veut, Cotgrave Tel est plein qui se plaind, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Wallon, plaind ; Berry, plainer, se plainer ; prov. planher, plagner, plaigner, plaingner, planger, plainer, planer ; anc. cat. planger ; ital. piangere ; du lat. plangere, plaindre, proprement frapper avec bruit, battre, puis se battre soi-même par douleur ; c'est la racine nasalisée plag, qui se trouve dans plaga, plaie (voy. ce mot).