« sort », définition dans le dictionnaire Littré

sort

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

sort

(sor ; le t ne se lie pas : un sor infortuné ; au pluriel, l's ne se lie pas : des sor infortunés ; cependant quelques-uns la lient : des sor-z infortunés) s. m.
  • 1Destinée, considérée comme cause des événements de la vie, suivant l'idée des anciens. Défions-nous du sort, et prenons garde à nous Après le gain d'une bataille, La Fontaine, Fabl. VII, 13. Chacun songe comment il s'acquittera de sa condition ; mais, pour le choix de la condition et de la patrie, le sort nous le donne, Pascal, Pens. XXV, 80, édit. HAVET. Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance Vient par un coup fatal faire tourner la chance, Boileau, Sat. IV. Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées, Racine, Esth. I, 1. Dans le vulgaire obscur si le sort l'eût placé…, Racine, Ath. II, 7. Montrez-nous, héros magnanimes, Votre vertu dans tout son jour ; Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour, Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Je gémissais du sort qui m'avait amené là, comme si ce sort n'eût pas été mon ouvrage, Rousseau, Confess. II. Quand le sort une fois a marqué sa victime, Rien ne change l'arrêt, injuste ou légitime, Ducis, Macbeth, I, 1. Plus nous sommes heureux, plus le sort nous fait peur, P. Lebrun, le Cid d'And. II, 3.

    On le personnifie quelquefois. Le Sort, de sa plainte touché, Lui donne un autre maître, La Fontaine, Fabl. VI, 9.

  • 2Effet de la destinée, rencontre fortuite des événements. Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures, On pense en être quitte en accusant son sort, La Fontaine, Fabl. V, 11. Je ne crois point que la nature Se soit lié les mains et nous les lie encor Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort, La Fontaine, ib. VIII, 16. Enfin il faut céder à votre sort ; vous avez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine, Bossuet, Reine d'Anglet. De quelle importance, de quel éclat, de quelle réputation au dedans et au dehors il était d'être le maître du sort du prince de Condé ! Bossuet, le Tellier. Les dieux me sont témoins qu'à vous plaire bornée, Mon âme à tout son sort s'était abandonnée, Racine, Mithr. III, 5. Peu faite pour être ouvrière, Dans les cartes cherchons mon sort, Béranger, Cartes.
  • 3Il se dit quelquefois pour vie. Tous les miens, à mes yeux, terminèrent leur sort, Voltaire, Alz. I, 1.
  • 4 Particulièrement. État d'une personne par rapport à la condition, à la richesse. Cette succession améliorera son sort. La splendeur de son sort doit hâter sa ruine, Racine, Ath. II, 7.

    Un sort, une condition, avec l'idée de quelque chose de durable et de définitif. Faire un sort à quelqu'un. Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château ; c'est un fort joli sort, Beaumarchais, Mar. de Figaro, III, 5. Le sort qu'un bon maître assure toujours à un domestique sincèrement affectionné, Genlis, Théât. d'éduc. la March. de modes, sc. 9.

  • 5 Fig. Condition des choses, comparée au sort des hommes. L'idolâtrie semblait triompher : elle regardait le christianisme comme une nouvelle secte de philosophie qui avait le sort de toutes les autres, Bossuet, Hist. II, 12. Tel fut chez nous le sort du théâtre comique, Boileau, Ep. VII. Le sort que le public a daigné faire à Pyrrhus, tout brillant qu'il a été…, Crébillon, Ép. déd. de Pyrrh. Un homme célèbre qui a assez vécu pour sa réputation, mais trop peu pour le progrès des sciences, Pascal, sentit combien il était important d'assurer le sort de la conception de Torricelli, Condillac, Traité des syst. 16.
  • 6Le sort principal d'une rente, le capital placé (acception vieillie ; on dit : le principal, le capital). Aucun ne leur ouvrit sa bourse [aux trois animaux commerçants] ; Et le sort principal, et les gros intérêts, Et les sergents, et les procès, Et le créancier à la porte Dès devant la pointe du jour…, La Fontaine, Fabl. XII, 7. Si vous voulez m'assurer mon sort principal, Pascal, Prov. VIII.
  • 7 Terme d'antiquité. Le sort ou les sorts, prétendu moyen de connaître l'avenir, à l'aide de dés qu'on jetait. Le sort, qui s'appelle en hébreu phur, fut jeté dans l'urne devant Aman, pour savoir en quel mois et en quel jour on devait faire tuer toute la nation juive, Sacy, Bible, Esther, III, 7. Le sort est l'effet du hasard et comme la décision ou l'oracle de la fortune ; mais les sorts sont les instruments dont on se sert pour savoir quelle est cette décision ; les sorts étaient le plus souvent des espèces de dés sur lesquels étaient gravés quelques caractères ou quelques mots dont on allait chercher l'explication dans des tables faites exprès, Fontenelle, Oracles, I, 18. Les usages étaient différents sur les sorts : dans quelques temples, on les jetait soi-même ; dans d'autres, on les faisait sortir d'une urne, d'où est venue cette manière de parler si ordinaire aux Grecs : le sort est tombé, Fontenelle, ib. Les plus célèbres entre les sorts étaient à Préneste et à Antium, deux petites villes d'Italie, Fontenelle, ib. On consulte aussi l'oracle par le moyen des sorts ; ce sont des bulletins ou des dés qu'on tire au hasard de l'urne qui les contient, Barthélemy, Anach. ch. 36.

    Sort ou sorts homériques ou virgiliens, divination au moyen d'un passage d'Homère ou de Virgile, pris au hasard.

    Sort des apôtres, divination par un passage des Actes des Apôtres

    Sort des saints, pratique par laquelle on cherchait à connaître l'avenir par les premières paroles qui s'offraient en ouvrant l'Écriture sainte.

    Jeter le sort, jeter au sort, se disait autrefois de l'action de jeter les dés pour décider quelque chose, pour faire un partage, etc. On jeta au sort, afin que la dixième partie demeurât dans cette sainte cité, Sacy, Bible, Esdras, II, Néhém. XI, 1. Le sort ayant été jeté pour la famille de Caath, treize villes des tribus de Juda, de Siméon et de Benjamin échurent aux enfants d'Aaron grand prêtre, Sacy, ib. Josué, XXI, 4. Il [David] voit… ses habits partagés, sa robe jetée au sort, Bossuet, Hist. II, 4.

    Fig. Jeter le sort, tirer au sort. Allons jeter le sort pour la dernière fois, Corneille, Androm. I, 3.

    Fig. Le sort en est jeté, le parti en est pris, la chose est décidée. Et quand de mes souhaits je n'aurais jamais rien, Le sort en est jeté, l'entreprise en est faite ; Je ne saurais brûler d'autre feu que du sien, Malherbe, V, 6. Le sort en est jeté, me voilà déclaré piccinniste, Genlis, Veillées du château les Deux réputations.

  • 8Manière de décider une chose par le hasard. Le sort est tombé sur un tel. Tirer au sort. Le sort, dit le prélat, vous servira de loi [pour choisir deux personnes], Boileau, Lutr. I. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne, il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie ; mais, comme il est défectueux par lui-même, c'est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés, Montesquieu, Esp. II, 2. Toutes ces épreuves par le sort qui n'étaient que des superstitions, Voltaire, Dict. phil. Épreuve.
  • 9Le sort des armes, le combat considéré relativement à l'incertitude du succès. Est-ce lui qui naguère aux dépens de sa vie Sauva des ennemis votre empereur Décie, Qui leur tira mourant la victoire des mains, Et fit tourner le sort des Perses aux Romains ? Corneille, Poly. I, 3. Qui sera notre appui, si le sort des batailles Vous rend un corps sans vie au pied de nos murailles ? Corneille, Sophon. I, 4. On ne se servit d'artillerie aux siéges des places que sous le roi de France Charles V ; et les lances firent toujours le sort de la bataille dans presque toutes les actions, jusqu'aux derniers temps de Henri IV, Voltaire, Mœurs, 75.
  • 10Il s'est dit pour chance, probabilité. Un mémoire excellent de M. Daniel Bernoulli sur la mesure du sort, Buffon, Ess. arith. mor. Œuv. t. X, p. 113. Selon les lois de l'analyse des sorts… je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle est possible, Diderot, Pens. phil. 21.
  • 11Paroles, caractères, etc. par lesquels les ignorants croient que l'on peut opérer des maléfices. On dit que ce berger a mis un sort dans l'écurie de son maître, et que cela a fait mourir les chevaux. C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi, Molière, Éc. des f. V, 4. Le peuple romain ne voulait point les prendre [les gerbes recueillies dans les champs de Tarquin], croyant qu'un mauvais sort y était attaché, Staël, Corinne, IV, 5. Crains qu'une vieille, en sa misère, Ne jette un sort sur ton printemps, Béranger, Ch. et laitière. Il paraît que les mauvaises paroles tentent le mauvais sort, et qu'elles portent malheur à ceux qui les disent, Georges Sand, Maîtres sonneurs, 13e veillée.

    Fig. Il y a un sort, il semble qu'un sortilége, qu'une mauvaise chance préside à… Savez-vous bien qu'il y a un sort dans ce tourbillon [la cour] qui empêche d'abord de sentir le charme du repos et de la tranquillité ? Sévigné, 12 janv. 1680. Il faut que ce soit un sort, voyez-vous, Dancourt, Maison de camp sc. 4. J'ai écrit maintes lettres à M. Basili ; mais il y a un sort sur toute ma correspondance, Courier, Lett. I, 325.

HISTORIQUE

XIe s. N'i remeindrat ne sorz [sortilége] ne falserie, Ch. de Rol. CCLVIII.

XIIe s. Je dis : li miens Deus tu es, es tues mains les meies sorz, Liber psalm. p. 37.

XIIIe s. Quant Judas deguerpi les disciples par traïson, les autres apostles getierent sors por veoir qui deust estre mis en son leu ; li sors en vint sor Mathias, Latini, Trésor, p. 566.

XIVe s. Ma sors ha esté la premiere ; chascuns des autres, là où sa sort charra [tombera], venra [viendra] en ceste guise, Bercheure, f° 32, verso. E ! royne Calabre, bien i veïstes cler ; Mes peres vous oï bien vo sort declarer, Baud. de Seb. IV, 485.

XVe s. Si disent les sorts de mon pays et les devins d'Egypte, que je dois estre sire et roi de tout le monde, Froissart, II, III, 26. Vous ne menrez [mènerez] les deux pucelles plus avant par vos enchantemens… icy ne vauldront vos sors [sortiléges] ; car il vous fault mourir, Perceforest, t. VI, f° 35. Madame getta son sort [fit ses opérations de divination], mais trouva que ce lignage n'avoit gueres de povoir, et viendroit ung chevalier qui tous les mettroit à mort, ib. t. IV, f° 135.

XVIe s. Puys doncques que tel est ou ma sort ou ma destinée, ma deliberation est servir et es ungs et es aultres, Rabelais, Pant. III, Prol. Or ne sont pas les sieges des damnez Sans quelque sort et jugement donnez, Du Bellay, J. IV, 52, recto. Heureux et trois et quatre fois Le sort des armes et des lois ! Du Bellay, J. IV, 67, recto. Des tesmoings que son bon sort luy fournit tout à propos, Montaigne, I, 255. Par ainsi ne mettoit il pas tout son argent au hasard de la fortune, ains une petite partie de son sort principal [capital] seulement, et en tiroit un bien gros profit de l'usure, Amyot, Caton, 45. Icelle maison est louée à iceluy louandier au sort de l'année precedente par mesme loyer, Nouv. coust. gén. t. IV, p. 903. Apportez moy les œuvres de Virgile, et, par trois fois avec l'ongle les ouvrans, explorerons, par les vers du nombre entre nous convenu, le sort futur de vostre mariage ; car, comme par sorts homeriques, souvent on a rencontré sa destinée, Rabelais, III, 10. Le sort, l'usure et les interetz je pardonne, Rabelais, III, 15.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. sort ; espagn. suerte ; ital. sorte ; du lat. sortem. Sors vient de serere, enfiler ; comparez SÉRIE. Les sortes, suivant Mommsen (tr. fr. I, 242), étaient, dans l'origine, des tailles de bois enfilées d'un cordon, et qui, jetées à terre, tombaient en décrivant diverses figures à peu près comme les runes scandinaves.