« témoin », définition dans le dictionnaire Littré

témoin

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

témoin

(té-moin ; au XVIIe siècle, on donnait un son plus grave à la finale au pluriel : M. Chapelain a raison de dire que un faux témoin se prononce avec la dernière syllabe brève, et les faux témoins, qui est le pluriel, avec la dernière longue, ce qui les distingue notablement, VAUGEL. Rem. not. Th. Corn. t. II, p. 1024, dans POUGENS) s. m.
  • 1Témoignage, marque, ce qui sert à faire connaître (sens propre et primitif, témoin représentant le latin testimonium, témoignage). Hélas ! cette vertu, quoique enfin invincible, Ne laisse que trop voir une âme trop sensible ; Ces pleurs en sont témoins, Corneille, Poly. II, 2. Le présent conte en est un bon témoin, La Fontaine, Mul. Et j'ai de sûrs témoins de votre trahison, Molière, Mis. IV, 3. Tous ceux qui, comme des hirondelles, viennent chercher votre soleil, en sont de bons témoins [que, l'hiver, le climat de la Provence est meilleur que celui de Paris], Sévigné, 11 janv. 1690. Il cite pour témoin un auteur du temps d'Alexandre, Bossuet, Hist. II, 12.

    Prendre quelqu'un à témoin, le prendre en témoignage, invoquer son témoignage. Je prends d'Hacqueville à témoin de l'état où il m'a vue autrefois, Sévigné, 19. Nous prendrons à témoin le dieu qu'on y révère, Racine, Phèdre, v, 1.

    Dans la locution à témoin, témoin reste invariable, disent les grammairiens ; naturellement, puisqu'il représente témoignage. On demande s'il faut dire : Je vous prends tous à témoins, avec une s, au pluriel ; cette question fut faite dans une célèbre compagnie, où tout d'une voix on fut d'avis qu'il fallait dire : à témoin au singulier, Vaugelas, Rem. t. II, p. 1021, dans POUGENS. Je prends aujourd'hui à témoin le ciel et la terre, que je vous ai proposé la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction, Sacy, Bible, Deutéron. XXX, 19. Je prends à témoin tous les Grignans qui sont ici de la vérité de tout ce que je dis, Sévigné, 2. Tite, touché de leurs maux [des Juifs de Jérusalem], prenait ses dieux à témoin qu'il n'était pas cause de leur perte, Bossuet, Hist. II, 8.

    Fig. Juste postérité, à témoin je t'appelle, Régnier, Sat. II. Je prends à témoin Ces bois, ces prairies, Deshoulières, t. II, p. 89.

    Témoin, au commencement d'une phrase, se prend adverbialement, se dit d'une chose qui sert à prouver ce qu'on vient d'avancer, et demeure invariable quel que soit le mot qui suive, car il signifie témoignage. Ce mot est indéclinable et comme adverbe en cette phrase : témoin tous les anciens philosophes ; car, assurément, il faut dire témoin, et non pas témoins, Vaugelas, Rem. t. II, p. 1023, dans POUGENS. Mais il [le chien] est sot, il est gourmand : Témoin ces deux mâtins qui dans l'éloignement Virent un âne mort, La Fontaine, Fabl. VIII, 25. Luther avait été élevé dans de bons principes, et il ne pouvait s'empêcher d'y revenir de temps en temps, témoin le traité qu'il fit de l'autorité des magistrats en 1534, Bossuet, Var. I, 28. Quand avons-nous manqué d'aboyer au larron ? Témoin trois procureurs dont icelui Citron A déchiré la robe…, Racine, Plaid. III, 3.

    En témoin de quoi, loc. adv. Terme de pratique. En témoignage de quoi. Cette clause si ordinaire : en témoin de quoi j'ai signé la présente, où l'on ne peut pas dire que témoin ne signifie témoignage, Vaugelas, Rem. t. II, p. 1025, dans POUGENS. On dit maintenant : en foi de quoi.

  • 2 Par passage du sens abstrait au sens concret, celui, celle qui a vu ou entendu quelque fait, et qui peut en faire rapport. Témoin auriculaire. Témoin à gages. Récuser un témoin. Témoin. Témoin à charge. Témoin à décharge. Assigner, produire des témoins. N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille Comme oculaire témoin, Molière, Amph. I, 1. Déments donc tout Paris, qui, prenant la parole, Sur ce sujet encor de bons témoins pourvu, Tout prêt à le prouver, te dira : je l'ai vu, Boileau, Sat. X. Il viendra me demander peut-être Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin, Et qui jure pour moi lorsque j'en ai besoin, Racine, Plaid. I, 6. Aristote nous dit qu'à Cumes les parents de l'accusateur pouvaient être témoins, Montesquieu, Esp. XII, 2. En Angleterre, on reçoit les témoins des deux parts, et l'affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux, Montesquieu, ib. XXIX, 11. La coutume était de mettre sur l'autel une motte de terre, quand on donnait ses biens à l'Église ; des témoins tenaient lieu de contrat, Voltaire, Mœurs, 46. On ne fait point déposer les témoins en secret [en Angleterre] ; ce serait en faire des délateurs ; la procédure est publique, Voltaire, Dial. XXIV, 15. La loi [au moyen âge] exigeait beaucoup de témoins ; il en fallait soixante-douze contre un évêque, quarante contre un prêtre, plus ou moins contre un laïque, suivant la qualité de l'accusé ou la gravité de l'accusation, Duclos, Œuv. t. I, p. 302. Sénèque parle de ce fait comme un témoin oculaire, Diderot, Claude et Nér. I, 2. Il craignait les témoins, et non pas les remords, Comte de Caylus, Cont. orient. Œuv. t. VII, p. 308, dans POUGENS.

    Fig. Parle maintenant, ô ma conscience, je te rends la parole et la liberté ; c'est le premier témoin qu'il faut ouïr contre ce criminel, c'est-à-dire nous-mêmes contre nous-mêmes, Bossuet, Sermons, Péché d'habitude, 3.

    Il se dit aussi d'une femme, sans changer de genre. Elle a été témoin de ce qui s'est passé ; elle en est un bon témoin.

    Témoins nécessaires, témoins qui ne sont reçus que parce que la chose dont il s'agit n'a pu être connue que d'eux.

    Faux témoin, celui qui assure comme témoin un fait contraire à la vérité. À l'égard des faux témoins qu'on a subornés contre cet Homme-Dieu, Bourdaloue, Exhort. Faux témoign. rendus contre J. C. t. II, p. 22. En France la peine contre les faux témoins est capitale ; en Angleterre elle ne l'est point, Montesquieu, Esp. XXIX, 11.

    Témoin muet, toute chose qui peut servir d'indice ou d'une sorte de preuve. Quelques taches de sang sur ses vêtements furent des témoins muets contre lui.

    Vous m'êtes tous témoins que… se dit pour invoquer le témoignage des personnes présentes.

    Dieu m'est témoin, m'en est témoin, il sait que ce que je dis est véritable. Je vous aime, Le ciel m'en soit témoin, cent fois plus que moi-même, Corneille, Poly. I, 2. Saints autels, vous m'êtes témoins que ce n'est pas aujourd'hui par ces artificieuses fictions de l'éloquence que je mets dans la bouche de M. le Tellier ces fortes paroles, Bossuet, le Tellier. Les dieux nous sont témoins que nous n'avons renoncé à la paix que quand la paix nous a échappé sans ressource par l'ambition inquiète des Crétois, Fénelon, Tél. X.

  • 3Personne dont on se fait assister pour certains actes. Dresser un acte en présence de témoins. Il [le cardinal de Fleuri] m'assura positivement… que ce n'était pas le chevalier de Forbin, mais Bontemps et Monchevreuil qui avaient assisté comme témoins [au mariage de Louis XIV avec Mme de Maintenon], Voltaire, Lett. Roques, 1752. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin, Beaumarchais, Barb. de Sév. IV, 7. Plaisant mariage ! où sont les témoins ? Beaumarchais, ib. IV, 8. Ne pourront être pris pour témoins du testament par acte public ni les légataires, à quelque titre qu'ils soient, ni leurs parents ou alliés au quatrième degré inclusivement, Code civ. art. 975. Les témoins produits aux actes de l'état civil ne pourront être que du sexe masculin, âgés de vingt-un ans au moins, ib. art. 37.

    Témoins instrumentaires, témoins dont on se fait assister pour certains actes, par opposition à témoins judiciaires, ceux qui déposent en justice.

    Témoin moi-même ou témoin le roi, formule dont se sont servis quelques princes et notamment les rois d'Angleterre, pour ratifier quelques chartes.

  • 4Celui qui accompagne un homme qui se bat en duel. Les témoins essayèrent vainement d'arranger l'affaire. Les témoins mesurèrent le terrain.
  • 5Celui qui voit, qui entend quelque chose, qui en est spectateur. Mais si mon frère était le témoin de ma joie…, Corneille, Rodog. v, 3. Un riche laboureur, sentant sa fin prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins, La Fontaine, Fabl. v, 9. Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger, Pascal, Pens. XXIV, 46, éd. HAVET. Tristes, mais fidèles témoins de ses derniers sentiments [de Mme de Montausier], combien de fois vous a-t-elle dit…, Fléchier, Mme de Mont. Dieu, qui en fut le principe et le seul témoin [des actions de Mme d'Aiguillon], en est lui-même la récompense, Fléchier, Mme d'Aiguil. Parlez, écrivez, agissez, pensez, comme si vous aviez mille témoins ; comptez que tôt ou tard tout est su, Maintenon, Avis à la duch. de Bourg. Que vois-je autour de moi que des amis vendus Qui sont de tous mes pas les témoins assidus ? Racine, Brit. I, 4. Je compris qu'il avait quelque chose de personnel à me communiquer, et que ce qu'il avait à me dire ne demandait point de témoins, Marivaux, Pays. parv. 6e part. En vérité, que des farces si grossières puissent abuser un moment, il faut en être témoin pour le croire, Rousseau, 2e dial. La mort d'un ami ravit à l'homme vertueux un témoin de ses vertus, Diderot, Cl. et Nér. II, 7.

    Fig. Ce fut le soleil à midi qui éclaira le mariage ; la lune a été témoin du reste, Sévigné, 399. Et mon cœur, soulevant mille secrets témoins, M'en dira d'autant plus que vous m'en direz moins, Racine, Andr. IV, 5. Maheureux diadème, Instrument et témoin de toutes mes douleurs, Racine, Mithr. v, 1.

    Mes yeux en sont témoins, se dit d'une chose qu'on a vue soi-même.

  • 6 Au plur. En termes d'arpentage, petits morceaux de tuile, d'ardoise qu'on pose sous les bornes des héritages, pour reconnaître, par la suite, si les bornes ont été déplacées. On accusa ce propriétaire d'avoir déplacé les bornes de son champ ; mais les témoins firent voir qu'il n'en était rien.
  • 7Dans la fouille des terres, on nomme témoins, des hauteurs ou des buttes, qu'on laisse d'espace en espace, pour faire juger combien on a ôté de terre des endroits qui demeurent vides.

    Par extension. Ces montagnes dont la base était plus solidement appuyée, sont restées comme des espèces de témoins et de monuments qui indiquent la hauteur qu'avait anciennement le sol de ces contrées, Buffon, Add. th. terr. Œuv. t. XII, p. 403.

  • 8Dans les travaux de forage, morceau de roche qui reste après avoir été entamé de tous les côtés, et que l'on détache facilement.
  • 9 Au plur. Feuillets d'un livre que le relieur a laissés exprès sans les rogner, pour faire voir qu'il a épargné la marge autant qu'il lui a été possible ; on les nomme de même quand ils ont été laissés involontairement, par suite d'une feuille cornée quand on a rogné. En rognant à deux fois vous rognez d'autant moins, Et vous êtes plus sûr de laisser des témoins, Lesné, la Reliure, p. 59. Ces témoins sont des feuilles qui ne se trouvent pas tout à fait rognées en queue du livre ; ils sont pour l'ordinaire très inégaux, puisque ce n'est autre chose que la barbe du papier, Lesné, ib. 171.
  • 10 Au plur. Terme de marine. Bouts de toron que les cordiers laissent à chaque bout d'une pièce de cordage.
  • 11Nom donné par les essayeurs au bouton d'argent qu'ils obtiennent par la coupellation du plomb d'œuvre, lorsqu'ils veulent s'assurer de sa qualité avant de coupeller.
  • 12Défauts de la tonte du drap.
  • 13 Terme d'eaux et forêts. Témoins, arbres de lisière et autres qu'il est défendu d'abattre dans les ventes.

SYNONYME

PRENDRE à TÉMOIN, PRENDRE POUR TÉMOIN. Il y a une grande différence entre : je vous prends à témoin, et : je vous prends pour témoin. La première locution signifie : j'invoque votre témoignage ; la seconde signifie : je vous prends, je vous accepte comme témoignant. On peut prendre à témoin les grands, les princes, Dieu même ; mais on ne les prend pas pour témoins.

HISTORIQUE

XIIe s. Qui d'ouir et d'entendre a loisir et talant, Fasse pais, si escout bone chançon vaillant, Dont li livre d'istoire sont tesmoing et garant, Sax. I.

XIIIe s. Se un borgois de Paris ne un forain de dehors, quel que il soit, livre le tesmoing [échantillon] de son grain pour vendre, Liv. des mét. 22. … Si comme se je convenence que je porterai fax tesmong, Beaumanoir, XXXIV, 24. Il est faus tesmoins qui dist à essient menchonge en son tesmongnage après ce qu'il jure, Beaumanoir, ib. XXX, 46.

XVe s. Là estoient les douze pers de France, pour le roy d'Angleterre festoyer, et aussi pour estre personnellement et faire tesmoing à son hommage, Froissart, I, I, 12. Par le tesmoing [témoignage] monseigneur le dalphin, Deschamps, Poésies mss. f° 180.

XVIe s. Puis dit ainsi : loing de nous pour le moins Sont à present regardeurs et tesmoings, Marot, IV, 80. J'appelle ici en tesmoins tous ceux qui ont crainte de Dieu, Calvin, Instit. 1171. Les bestes… tesmoings les chiens qui…, Montaigne, I, 101. Tesmoings les brebis de Jacob, Montaigne, I, 102. Temoins passent lettres [titres, actes], Loysel, 774. Response qui depuis est venue en proverbe, à savoir de celuy qui, estant interrogé de quel mestier il estoit, respondit qu'il estoit du mestier de tesmoing, H. Estienne, Apol. d'Hérod. p. 252, dans LACURNE. Pour tesmoing jamais ennemy N'y soit receu, ny moins amy, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 149. Et cette race a veu (qui l'a plus estonnée ?) Que Dieu à ses tesmoings a donné maintesfois, La langue estant couppée, une celeste voix, D'Aubigné, Tragiques, éd. LALANNE, p. 147.

ÉTYMOLOGIE

Berry, têmoin ; wallon, témon ; provenç. testimoni ; du lat. testimonium, de testis (pour trestis, voy. TESTER), et le suffixe monium, suffixe secondaire formé de mon (comme dans sermo), qui fait des noms d'agent, et ium, io, qui fait des noms d'acte. Testimonium se trouve dès le VIIIe siècle, en un capitulaire, au sens de témoin ; et dès lors les Romans avaient donné un sens concret à ce substantif abstrait.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

TÉMOIN. Ajoutez :

PROVERBE

Témoins passent lettres, les témoignages oraux l'emportent sur les pièces écrites, adage de l'ancien droit français, Rev. histor. t. IV, p. 9.

REMARQUE

À côté de prendre à témoin on dit aussi appeler à témoin. M. de Chartres, dont il appelle à témoin la bonne foi, Bossuet, Rem.