« éteindre », définition dans le dictionnaire Littré

éteindre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

éteindre

(é-tin-dr'), j'éteins, tu éteins, il éteint, nous éteignons, vous éteignez, ils éteignent ; j'éteignais, nous éteignions, vous éteigniez ; j'éteignis ; j'éteindrai ; j'éteindrais ; éteins, qu'il éteigne, éteignons ; que j'éteigne, que nous éteignions, que vous éteigniez ; que j'éteignisse ; éteignant ; éteint v. a.
  • 1Étouffer le feu, en arrêter l'activité, l'action. Éteindre un incendie. Éteindre le feu.

    Il se dit aussi de ce qui est allumé. Vous éteindrez la bougie. Éteindre la lumière.

  • 2 Fig. Éteindre l'encens, faire cesser la flatterie. Combien de fois éteignit-il l'encens, dont la douce et maligne odeur aurait empoisonné une imagination encore tendre [du dauphin, fils de Louis XIV] ? Fléchier, Duc de Montausier. Mais après leur trépas que sont-ils [les rois] à vos yeux ? Vous éteignez l'encens que vous brûliez pour eux, Voltaire, Œdipe, I, 3.

    Fig. Éteindre les lumières, empêcher le développement des sciences, l'extension de l'instruction. Ceux mêmes qui se sont efforcés d'éteindre les lumières, n'ont fait que les répandre, D'Holbach, Essai, préj. ch. 14, dans DUMARSAIS, Œuvres. Éteignons les lumières, Et rallumons le feu, Béranger, Missionnaires.

  • 3Éteindre la chaux, mettre de la chaux vive en contact avec de l'eau pour former de l'hydrate de chaux.

    Éteindre le fer, le plonger dans l'eau froide lorsqu'il est chauffé au rouge.

    Éteindre les épingles, les laver dans l'eau fraîche, après qu'elles ont été étamées.

  • 4 Poétiquement. Éteindre la clarté des yeux, rendre aveugle. Le fer n'a pas éteint le cœur de Bélisaire, Éteignant de ses yeux l'immortelle clarté, Rotrou, Bélisaire, v, 8.

    Éteindre la lumière des yeux, faire mourir. Phèdre mourait, seigneur, et sa main meurtrière Éteignait de ses yeux l'innocente lumière, Racine, Phèd. IV, 1.

  • 5Éteindre le feu, faire cesser le feu de l'artillerie ennemie par une artillerie supérieure, par un tir supérieur. La place éteignit plusieurs fois le feu de l'assiégeant.
  • 6Éteindre la vie, faire mourir. Il éteindra ma vie avant que mon amour, Corneille, Œdipe, II, 2. Si le duc est vivant, quelle vie ai-je éteinte ? Rotrou, Venc. IV, 5.

    Il s'est dit aussi quelquefois des personnes mêmes. Berwick découvrit leur cache de poudre et de munitions [des révoltés des Cévennes], et à la fin éteignit tout à fait ces misérables, Saint-Simon, 148, 156.

    Éteindre une famille, une race, n'en laisser subsister aucun membre pour la continuer. Les guerres si meurtrières que les Grecs eurent à soutenir, éteignirent un grand nombre de familles, accoutumées depuis plusieurs siècles à confondre leur gloire avec celle de la patrie, Barthélemy, Anach. introd. part. II, sect. 3.

  • 7Calmer, en parlant de tout ce qui est comparé à un feu, à une flamme, à un incendie. Éteindre l'ardeur de la fièvre. Enfin je suis sorti d'Europe et j'ai passé ce détroit qui lui sert de bornes ; mais la mer qui est entre vous et moi ne peut rien éteindre de la passion que j'ai pour vous, Voiture, Lett. 40. Tu n'as dans leur querelle aucun sujet de craindre ; Un moment l'a fait naître, un moment peut l'éteindre, Corneille, Cid, II, 3. Et comme tous mes feux n'avaient rien que de saint, L'honneur les alluma, le devoir les éteint, Corneille, Héracl. III, 1. J'ai prévu ce tumulte… Comme un moment l'allume, un moment peut l'éteindre, Corneille, Nicom. v, 1. Un si vaillant guerrier, qu'on vient de nous ravir, Éteint, s'il n'est vengé, l'ardeur de vous servir, Corneille, Cid, II, 9. Oui ; mais cette grâce n'éteint pas peut-être le ressentiment des parents et des amis, Molière, le Festin de P. I, 2. Rien n'est plus doux que d'aller éteindre sa soif dans un clair ruisseau, Fénelon, t. XIX, p. 50. Cette soif de régner que rien ne peut éteindre, Racine, Iphig. IV, 4.
  • 8Détruire, faire disparaître. Aime une ombre comme ombre, et de cendres éteintes Éteins le souvenir, Malherbe, VI, 18. Le premier sang versé rend sa fureur plus forte [de la populace] ; Il l'amorce, il l'acharne, il en éteint l'horreur, Corneille, Nicom. v, 4. Dans votre infâme sang j'éteindrai votre amour, Rotrou, Vencesl. I, 4. Je devrais dans ton sang éteindre ce forfait, La Fontaine, Coupe. L'indifférence éteint en quelque sorte la volonté, Bossuet, Orais. VIII, 23. Il se disposait à venir lui-même, à leur tête, éteindre l'Église et l'empire tout ensemble, et ajouter au meurtre de tant de rois celui du souverain pontife de Jésus-Christ, Fléchier, Panég. Fr. de Paule. Il éteint cet amour source de tant de haine, Racine, Brit. v, 1. Les larmes de la reine ont éteint cet espoir, Racine, Bérén. v, 7. Et les soins de la guerre auraient-ils en un jour Éteint dans tous les cœurs la tendresse et l'amour ? Racine, Iphig. II, 3. [Les âmes dans le Tartare souhaitent] une mort qui puisse éteindre tout sentiment, Fénelon, Tél. XVIII. En qui des mœurs tièdes éteignirent toutes les grâces, Massillon, Car. Prière 2. Un seul mot de César a-t-il éteint dans toi L'amour de ton pays, ton devoir et ta foi ? Voltaire, M. de Cés. III, 2. Le malheur tôt ou tard éteindra ma raison, Ducis, Lear, II, 4. Les lâches courtisans se font une étude d'allumer le vice et d'éteindre la vertu, Chateaubriand, Mart. 124.
  • 9Éteindre une rente, une dette, la rembourser, la payer.
  • 10 Terme de chancellerie. Éteindre et abolir un crime, l'abolir, l'effacer.
  • 11 Terme de peinture. Adoucir, affaiblir. Éteindre les lumières d'un tableau. Éteindre des tons trop crus.
  • 12Il se dit, en un sens analogue, dans le langage ordinaire, d'un éclat qui s'efface. La tristesse avait éteint l'éclat de ses yeux. La mort avait éteint ses yeux, Fénelon, Tél. XVII.
  • 13S'éteindre, v. réfl. Cesser de brûler. Le feu, le flambeau s'éteint.

    Fig. Quiconque maudit son père et sa mère, sa lampe s'éteindra au milieu des ténèbres, Sacy, Bible, Prov. de Salom. XX, 20. Sa lumière s'éteint et son âme s'envole, Corneille, Rodog. v, 4. Une mémoire qui se confond, un cœur qui s'éteint, Massillon, Car. Impén. Tes yeux où s'éteignait la vie Rayonnent d'immortalité, Lamartine, Médit. I, 9.

  • 14Cesser d'être en activité, en parlant des volcans. Les volcans de l'Auvergne se sont éteints bien longtemps avant l'âge historique.
  • 15Perdre son éclat. Les yeux s'allument et s'éteignent en un moment, Pascal, Amour.
  • 16Il se dit des maisons, des dignités qui finissent faute d'héritiers. Cette famille s'est éteinte. Cette pairie s'éteindra par la mort d'un tel.

    Avec suppression du pronom personnel. Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race Éteignit tout le feu de leur antique audace, Racine, Athal. I, 1.

  • 17Cesser d'exister, être détruit. Où le culte de Dieu s'était éteint, Bossuet, Hist. I, 7. Sa loi ne s'éteint pas parmi ces rebelles, Bossuet, ib. II, 4. L'amour de la patrie et le respect des lois s'y éteint, Bossuet, ib. III, 7. Et son feu [d'un auteur], dépourvu de sens et de lecture, S'éteint à chaque pas faute de nourriture, Boileau, Art p. III. Dans l'ombre du secret ce feu [l'amour] s'allait éteindre, Racine, Mithr. IV, 4. Les empires, ainsi que les hommes, doivent croître, dépérir et s'éteindre, D'Alembert, Éloges, Montesquieu. Je languissais, mes ans s'éteignaient dans l'ennui, Chénier M. J. Gracques, I, 4. Les langueurs où s'éteint la vieillesse, Delavigne, Paria, III, 4.
  • 18Mourir doucement. Il s'éteignit enfin le premier mars 1715, âgé de près de 80 ans, Fontenelle, Morin. Si vous brillez à votre aurore, Quand je m'éteins à mon couchant, Voltaire, Ép. LXXXIX. Son agonie [de Mme de Maintenon] fut si douce qu'elle avait l'air d'une personne qui dort tranquillement ; elle s'éteignit à six heures du soir, le 15 avril 1719, âgée de 84 ans, Genlis, Mme de Maintenon, t. II, p. 277, dans POUGENS. Jeune je m'éteindrai laissant peu de mémoire…, Hugo, Odes, v, 1.
  • 19Il se dit en parlant du jour qui finit. Ce jour qui va s'éteindre est le dernier pour moi, Delavigne, Paria, v, 2.
  • 20Expirer en parlant de la voix. Les sons rendus par le timbre ne s'éteignent pas sur-le-champ, Diderot, Lett. sur les sourds et muets. Je sens ma voix s'éteindre et mes genoux trembler, Delavigne, le Paria, III, 2.

HISTORIQUE

XIIe s. Ta digne miseration Esteigne le grant feu de t'ire, Benoit de Sainte-Maure, II, 13497. Puis qu'en vous sont tout mal estaint Et tout bien à droit alumé, Couci, III. Ne de mon cuer [je] ne puis la flame estaindre, ib. X. Esteigniez, fait lor il, ces cirges alumez, Th. le mart. 52.

XIIIe s. Ne por ce, se je veil estaindre La fole amor…, la Rose, 5776. Si comme se [sa] mesons art [brûle] et je l'estaing…, Beaumanoir, XXIX, 12. Quant aucuns a son enfant mort, si comme par fu [feu], ou par yaue, ou parce qu'on l'estaint [étouffe] en dormant, ou par aucune autre malvese garde, Beaumanoir, LXIX, 5. Quant la royne se esveilla, elle vit la chambre toute embrasée de feu, et sailli sus toute nue, et prit la touaille et la jeta en la mer, et prist les touailles et les estaint [éteignit], Joinville, 286.

XIVe s. La gent Fabie desconfite et extaincte, Bercheure, f° 50, verso. Les queles choses se eles ne sont tantost ostées, eles estaindront [feront mourir] le pacient, H. de Mondeville, f° 100, verso.

XVe s. Il y ot aucuns mineurs la-dedans esteints qui oncques ne s'en partirent, car la mine renversa sur eux, Froissart, II, II, 36. On dit, et il est verité, que le grand desir que on a aux choses que elles aviennent, estaind le sens, et pour ce sont les vices maistres et les vertus violées et corrompues, Froissart, III, IV, 28. Et se estaignist le bruyt que nous avions ouy, Commines, II, 3.

XVIe s. Trois cents personnes et davantage esteintes, donnerent le premier exemple aux uns pour tuer impunement, aux autres pour n'esperer point de misericorde, D'Aubigné, Hist. I, 130. Ce temple [de Janus] demoura fermé 43 ans, tant estoient toutes occasions de guerres et par tout esteintes et amorties, Amyot, Numa, 32. Leur monnoye estoit de fer, lequel premierement avoit esté esteinct, venant du feu, avec du vinaigre, Amyot, Lysand. 32. Puis en icelle [lessive] on fera esteindre chaux vive, Paré, XXV, 32.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. estenher, esteinger, extenjer ; espagn. et port. extinguir ; ital. estinguere ; du lat. exstinguere, de ex, et stinguere, éteindre, presser sur, appuyer, comme le prouvent in-stinctus (voy. INSTINCT), et les rapprochements avec stigare (instigare), le grec στίγμα, un point, et l'allemand stechen, piquer. Ex-stinguere, c'est ôter en appuyant.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉTEINDRE. Ajoutez :
21 Éteindre un torrent, mettre obstacle à ce que les eaux entraînent, dans leur cours impétueux, de la boue, des graviers et des rochers, Surell, dans Rev. des Deux-Mondes, 1er juin 1872, p. 459.
22S'éteindre soi-même, procurer sa propre extinction. Radamante : Que la lampe parle. - La lampe : Celles [saletés] qu'il [un tyran] a faites de jour me sont inconnues ; mais, la nuit, j'ai voulu quelquefois m'éteindre pour ne les point voir, Perrot D'Ablancourt, Lucien, le Passage de la barque.