« fournir », définition dans le dictionnaire Littré

fournir

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fournir

(four-nir) v. a.
  • 1Procurer une provision de quelque chose ; en ce sens la chose fournie se joint au verbe par la préposition de. Fournir l'armée de blé. On me donnait le soin De fournir la maison de chandelle et de foin, Racine, Plaid. I, 1.

    Fig. Cet amour paternel qui te fournit d'excuses, Corneille, Méd. III, 3.

    Il se dit particulièrement avec une idée d'habitude. Fournir une maison de chandelle. C'était dans ce pays seul [en France] qu'on fabriquait parfaitement les instruments nécessaires [à la chirurgie] ; il en fournissait tous ses voisins, Voltaire, Louis XIV, 33.

    Absolument. Procurer en général les provisions nécessaires. Les marchands de Paris sont flattés de donner des repas aux officiers des régiments qu'ils fournissent, Duclos, Confess. comte de ***, Œuv. t. VIII, p. 68, dans POUGENS.

  • 2Garnir. Fournir une maison de meubles. Fournir un étui de mathématiques de toutes ses pièces.

    Fournir l'action, fournir le théâtre, remplir suffisamment la scène (sens aujourd'hui peu usité). Il ne faut jamais laisser le théâtre sans qu'on y agisse, et l'on n'y agit qu'en parlant ; ainsi Dorante, qui écrit, ne le remplit pas assez ; et, toutes les fois que cela arrive, il faut fournir l'action par d'autres gens qui parlent, Corneille, Suite du Ment. Examen. Ainsi fait M. Corneille dans les Horaces ; il prend le roman après la trêve arrêtée et le combat résolu de trois contre trois de chacun parti ; il fournit assez bien son théâtre par le mariage qu'il suppose de Sabine avec Horace, D'Aubignac, Prat. du théâtre, III, 5.

  • 3Livrer, faire avoir, avec un nom de personne pour sujet ; en ce sens la chose fournie est régime direct, et celui à qui on fournit est régime indirect avec à. Il a fourni presque tout dans l'entreprise. Fournir de l'argent à quelqu'un. L'ouvrier s'engage à fournir les matériaux. Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas, La Fontaine, Fabl. III, 2.

    Avec un nom de chose pour sujet. Les fruits fournissent une nourriture saine et rafraîchissante. L'huile que fournissent les graines du colza. Et que ce scorpion sur la plaie écrasé Fournisse le remède au mal qu'il a causé, Corneille, Médée, V, 5.

    Fig. Fournir matière à des conjectures. Ce livre m'a fourni des textes excellents et des autorités décisives dans la discussion. Les renseignements qu'il m'a fournis. Fournir un aliment à la curiosité publique. Et jamais on n'eût pu fournir Aux intérêts divers de la Seine et du Tage Ni zèle plus savant [que celui de Mazarin et du ministre espagnol] en l'art de réunir Ni savoir mieux instruit du commun avantage, Corneille, Tois. d'or, Prol. sc. 3. Et je mériterais qu'il [le feu, l'amour] me pût consumer, Si je lui fournissais de quoi se rallumer, Corneille, Rodog. III, 4. Les facilités qu'elle [la prospérité] fournit aux passions, lorsque le cœur est déjà corrompu, Massillon, Carême, Prosp. Que vous fournissiez ce malheureux triomphe à vos indignes ennemis, que vous laissiez penser que vous avez été forcé de quitter, c'est ce que je ne souffrirai jamais, Voltaire, Lett. d'Alembert, 8 janv. 1757. Les Adelphes [comédie de Térence] ont fourni tout au plus l'idée de l'École des maris, Voltaire, Vie de Molière.

  • 4 Terme de jurisprudence. Fournir et faire valoir une dette, une rente, la garantir, et la payer soi-même en cas d'insolvabilité du débiteur.
  • 5 Terme de pratique et d'administration. Produire, exposer. Fournir ses dépenses, en justifier et en produire les comptes. Il n'a pas fourni toutes ses pièces. Il en fournira la preuve.
  • 6Parfaire, achever. Il faut encore soixante francs pour fournir la somme entière. Si ce peu que j'ai ajouté quelquefois par la nécessité de fournir une strophe n'est point une liberté qu'il soit à propos de retrancher, Corneille, Imit. Préf. édit. 1651.

    Fournir à peine un lustre, avoir à peine atteint l'âge de cinq ans. Dircé fournissait lors à peine un lustre entier, Corneille, Œd. I, 3.

  • 7 Terme d'escrime. Fournir à quelqu'un un coup d'épée, lui donner un bon coup d'épée.
  • 8 Terme de manége. Fournir son air, se dit du cheval qui exécute ses exercices avec toute la mesure et toute la précision possibles.

    Fournir la carrière, la parcourir tout entière. Quand le prince [Alexandre], après avoir fourni sa carrière, revint tout fier et plein de joie d'avoir réduit ce cheval [Bucéphale] qui avait paru si indomptable, tous les courtisans à l'envi lui applaudirent et le félicitèrent, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 171, dans POUGENS.

    Par extension. Je suis souffrant, et je ne pourrais fournir la course, Marivaux, Legs, sc. 14. Un oiseau de vol court et rasant les rivages ne peut avoir fourni la traversée du vaste océan Atlantique, Buffon, Ois. t. XIII, p. 274.

    Fig. Fournir sa carrière, achever de vivre. Il n'a pas fourni une longue carrière. Pour achever ce qui restait à fournir de sa carrière, Fléchier, Lam. L'un et l'autre a fourni sa course Prescrite par l'ordre éternel, Lamotte, Od. t. I, p. 160, dans POUGENS. Ne songeons plus, mon pauvre Thiriot, qu'à fournir ensemble tranquillement notre carrière philosophique, Voltaire, Lett. Thiriot, nov. 1724.

    Il a bien fourni sa carrière, il a vécu honorablement jusqu'à la fin.

    En un sens contraire. Après avoir mal fourni sa carrière, on ne revient plus sur ses pas pour prendre d'autres routes, Massillon, Avent, Mort du pécheur.

    Fournir une carrière, accomplir quelque travail, achever quelque œuvre. Après avoir surpassé dans sa grande histoire de France tous ceux qui avaient fourni avant lui cette carrière, il [Mézerai] se surpassa lui-même dans son Abrégé, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 198, dans POUGENS. Vous n'avez point eu cette ressource, et cependant vous avez fourni cette longue carrière de cinq actes qui est si prodigieusement difficile à remplir sans épisodes, Voltaire, Mérope, Lettre.

  • 9 V. n. Fournir habituellement les provisions. C'est un tel qui fournit dans cette maison.
  • 10Subvenir, contribuer. Fournir à la dépense, aux frais. Un mari ne veut pas fournir à ses besoins, Boileau, Sat. x. Il [Épaminondas] porta le désintéressement si loin, qu'il ne laissa pas en mourant de quoi fournir aux frais de ses funérailles, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. V, p. 446, dans POUGENS. Sous leur soc triomphant la terre enorgueillie Fournissait avec joie aux besoins de leur vie, Chénier M. J. Gracques, II, 3.

    Absolument. Si notre vue s'arrête là [à l'univers visible], que l'imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir, Pascal, Pensées, t. I, p. 246, éd. LAHURE.

  • 11Suffire. Donnons ordre au présent ; et, quant à l'avenir, Suivant l'occasion nous y saurons fournir, Corneille, Sert. II, 4. Ma foi, me trouvant las, pour ne pouvoir fournir Aux différents emplois où Jupiter m'engage, Molière, Amph. Prol. On voit une petite imagination qui va, qui brille, qui fournit à tout, et qui, avec les grâces de sa jolie personne, ne frappe jamais à faux, Sévigné, 12 fév. 1690. Il faut un corps de fer pour fournir aux plaisirs que le monde vous impose, Massillon, Panég. Ste Agnès.
  • 12 En termes de jeu de cartes, jouer une carte de la couleur qui est demandée. Si vous avez du trèfle, vous êtes obligé de fournir. Au piquet, on ne peut se dispenser de fournir.

    On dit aussi fournir à trèfle, et activement fournir du trèfle.

  • 13Se fournir, v. réfl. S'approvisionner. Il se fournit chez ce marchand.

    PROVERBE

    Il le faut fournir de fil et d'aiguille (voy. FIL).

REMARQUE

On trouve dans les auteurs du XVIIe siècle fréquemment fournir de employé neutralement. Cet emploi de fournir a vieilli. Il fournira pour lui d'excuse légitime, Tristan, Panthée, III, 1. Ne cherchons-nous ici que les occasions De fournir de matière à leurs divisions, Corneille, Agésilas, IV, 3. Bien que j'abrégeasse mon récit, il nous fournit d'entretien jusqu'au château, La Fontaine, Songe de Vaux, fragment VII. Faire un boudin, faire un mariage entre gentilhomme et riche roturière, parce que le mari est le soutien de la maison, et la femme qui est riche fournit de graisse pour l'entretenir, Furetière. Je veux que la valeur de ses aïeux antiques Ait fourni de matière aux plus vieilles chroniques, Boileau, Sat. V. Il fallait qu'un héros… Leur offrît un asile [aux Muses] et fournît de matière à leurs divines voix, Racine, la Renommée aux Muses. Non-seulement il a fait de sa main de très beaux ouvrages, mais il fournit de dessins à plusieurs autres sculpteurs fort habiles, Perrault, Homm. illust. Chauv. Bien des gens pouvant fournir de courage et de résolution l'épée à la main, qui ne sont pas capables de soutenir de sang-froid tout le poids d'un secret important, Vertot, Révol. de Portug.

HISTORIQUE

XIIe s. Ceste besogne sera par moi fornie, Ronc. p. 15. La quinte eschelle [escadron] forniront li Normant, ib. p.132. [L'espée] Dont [il] ot forni maint grant estor champel, ib. p. 144. Tuz ses comandemenz sumes près de furnir, E chastals et citez brisier et asaillir, E perilz de nos cors et des anemes [âmes] suffrir, Th. le mart. 134. Tut cest conseil aveient furni et aturné Li trei prelat qui erent de lur mestier sevré, ib. 130. Li reis prit tut fors tant que li lius ert furnis [garni], ib. 61. L'arcevesque respunt qu'il n'en volt plait tenir ; Jurs ne li ert [était] asis des acuntes furnir, ib. 33. Qui pris est à embler [voler] ou à tel felunie, La justice en seit faite e pleniere e furnie, ib. 26. Biax fix, dist ele, grant vos voi et forni ; Seneschax estes de France, Dieu merci, Raoul de C. 39.

XIIIe s. Le coutel dont il doivent la traïson fournir, Berte, XII. Porquerés messages hastéement, qui bien sacent cest message furnir, H. de Valenciennes, XIX. Quant Renart l'ot, si ot grant joie, Ne set s'il fornira la voie ; Mais comment que il l'en doie estre, La croiz a sor l'espaule destre, Ren. 11162. Et disoit encore qu'il s'estoit présentés à l'ore de mie di, par quoi il voloit son apel avoir furni, Beaumanoir, LXI, 63. Et ne porquant [cependant] noz n'esperons pas en noz le sens par lequel noz puissons furnir cest livre et ceste emprise [entreprise], Beaumanoir, LXI, 12. Se tu le voes [Dieu] de cuer servir, Il t'aidera bien à furnir T'uevre [ton œuvre]…, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 64. Sus un bas cheval bien fourni seoit ; ses renes avoit getées sur l'arçon de sa selle, Joinville, 227.

XVe s. Voulons et ordonnons que pour chacune lance fournie, qui sont sept personnes, nos dits gens de guerre ne pourront prendre par jour que un mouton, Ordonn. oct. 1485. Ilz ne payoient riens et estoient fournis de ce qui leur estoit necessaire, Commines, IV, 9. Malaquin se plaint que aucun chevalier ne le fournist à la jouste [ne lui prête le collet], Perceforest, t. III, f° 11.

XVIe s. Il fault tousjours luy [à l'âme] fournir d'object ou…, Montaigne, I, 21. La memoire leur fournit la chose entiere et presente, Montaigne, I, 34. Une estude [cabinet] fournie de toute sorte de livres, Montaigne, I, 57. On n'a pas le temps, quand Dieu envoye la tempeste, de chercher ce qui fait mestier, et à l'heure ne peut on pas fournir de ce qui est mal ordonné, La Boétie, 177. Le jour est près que mes forces jà vaines Ne pourront plus fournir à mon tourment, La Boétie, 457. Il avoit vingt mille que mulles que mulets travaillans par chascun jour pour fournir à ses engins de baterie, Amyot, Sylla, 26. Il feit coupper les arbres de l'Academie, qui en estoit mieulx fournie que nul autre parc de plaisance, Amyot, ib. Pour fournir à la dissolution des siens, il avoit besoing de grand argent, Amyot, ib. 29. … Que son camp auroit foison de vivres qu'il lui fourniroit de ses païs, Amyot, Crassus, 37. Il allongea un coup d'espée au cavalier qui se trouva armé, de sorte qu'il lui en fournit un second au deffaut de la cuirasse, D'Aubigné, Vie, XXVI. Si le sr de la Magdelaine a envie de fournir sa pointe [se battre en combat singulier], il y a un beau sable entre ce lieu et Nerac, D'Aubigné, ib. XLVII. Et quant à ce, te fourniront de matiere les louanges des dieux et des hommes vertueux, Du Bellay, J. I, 24, verso. Il se presenta pour trouver preuves contre le prince de Condé, desquelles neantmoins il disoit ne pouvoir autrement fournir, sinon que premierement il fust en liberté, Condé, Mémoires, p. 589. Je vous envoye ce gentilhomme present porteur, pour entendre de vous quels moyens vous avez de fournir promptement d'hommes aguerris et armés, pour incontinent les envoyer en ce lieu, Lettre du prince de Condé, J. des savants, fév. 1860, p. 100. Fournir à nature [mourir], Pasquier, Recherches, p. 905, dans LACURNE. Un gentilhomme du nom duquel je fournirai [que je nommerai], si besoin estoit, H. Estienne, Apol. d'Hérod. p. 611, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Berry, fornir ; bourguig. forni ; provenç. fornir, et aussi formir, furmir, fromir, remplir, accomplir ; catal. espagn. et portug. fornir ; ital. fornire, et aussi fronire qui est cité et qui est important pour l'étymologie ; bas-lat. furmimentum, dans un texte provençal du XVe siècle, DU CANGE. On a proposé de le tirer de furnus, four (voy. DU CANGE au mot furnire) ; de sorte que fournir serait rendre, donner comme fait le four dont on tire le pain. Il y a deux formes, fornir et le provençal formir, fromir ; dans cet état, il faut admettre ou que l'm s'est changée en n, ou que l'n s'est changée en m. Diez admet la mutation de l'm en n, c'est-à-dire regarde formir, fromir, comme le véritable thème ; et alors la dérivation se fait sans peine du germanique : anc. h. allem. frumjan, achever, procurer ; goth. fruma, avantage ; allem. mod. frommen, profiter. La mutation de l'n en m étant aussi possible que celle de l'm en n, c'est au sens qu'il faut demander un motif pour se décider. Or avec frumjan le sens est direct et naturel ; avec four il est métaphorique ; et, pour accepter une métaphore aussi éloignée, on aurait besoin de rencontrer des exemples de fournir avec le sens où l'idée de four intervient. Ces exemples faisant défaut absolument, l'origine germanique prend un avantage considérable. De plus, comme, dans une étymologie, on doit tenir compte de toutes les formes romanes, on comprend comment un mot germanique sans relation a pu changer son m en n ; mais on ne comprend pas qu'un mot aussi usuel et aussi connu que four ou forn ait perdu son n, pour prendre une m ; on comprend sans peine par la même raison qu'à côté de fromir, forme correcte, se soit formé formir ; mais on ne comprend pas que de forno l'italien ait fait fronire. Ces raisons semblent décisives en faveur de l'étymologie germanique.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

FOURNIR. Ajoutez :
14Se fournir, se munir. Voulez-vous que votre esprit se fournisse de belles conceptions ? soyez pauvre, ou vivez en pauvre, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.