« tort », définition dans le dictionnaire Littré

tort

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

tort

(tor ; le t ne se lie pas ; au plur. l's ne se lie pas : des tor égaux : cependant quelques-uns la lient : des tor-z égaux) s. m.
  • 1Ce qui est opposé à la raison, à la justice. Il n'y a point de gens qui aient plus souvent tort, que ceux qui ne peuvent souffrir d'en avoir, La Rochefoucauld, Réfl. mor. n° 386. Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite, La Rochefoucauld, Max. 494. Il y a des temps où certaines gens ont toujours raison ; par la raison des contraires, Mazarin avait toujours tort, Retz, Mém. t. II, liv. III, p. 69, dans POUGENS. On est quelquefois empêtré dans son orgueil ; c'est une belle charité que d'en tirer une créature qui ne sent peut-être pas son tort, Sévigné, 441. Faisons la paix, mon pauvre cousin : j'ai tort, je ne sais jamais faire autre chose que de l'avouer, Sévigné, à Bussy, 3 avril 1681. Vous voyez que je n'ai point de tort [dans des lettres retardées], Sévigné, 3 avril 1675. Ainsi les Grecs avaient tort de s'imaginer, du temps de Polybe, que Rome s'agrandissait plutôt par hasard que par conduite, Bossuet, Hist. III, 6. Ca lettre leur donnait le tort à tous deux, Bossuet, Var. 2. C'est ici Madame du Tort : Qui la voit et ne l'aime a tort ; Mais qui l'entend et ne l'adore A mille fois plus tort encore ; Pour celui qui fait ces vers-ci, Il n'eut aucun tort, Dieu merci, Fontenelle, Portr. de Mme du Tort, Œuv. t. x, p. 404, dans POUGENS. Il n'y a rien de plus beau que de dire franchement : j'ai tort, Fénelon, Éduc. filles, 5. Mon héros dit qu'il n'a eu qu'une fois tort avec moi, et que j'ai toujours tort avec lui ; je pense qu'en cela même mon héros a grand tort, Voltaire, Lett. Richelieu, 13 juin 1768. J'ai tort, madame, j'ai très tort ; mais je n'ai pas pourtant si grand tort que vous le pensez, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 10 août 1772. Il [Malesherbes] a bien des torts ; mais il est digne qu'on lui dise ses torts ; c'est le plus grand éloge que je puisse faire de lui, Voltaire, Lett. d'Argental, 10 sept. 1755. Je ne devrais ni planter des jardins, ni faire des vers tendres ; cependant j'ai ces deux torts, et j'en demande pardon à la raison, Voltaire, ib. 8 nov. 1757. Je n'examine point lequel des deux avait tort ; ils l'avaient peut-être tous deux, comme il arrive dans presque toutes les querelles, Voltaire, Jenni, 3. Tu prends ton tonnerre au lieu de répondre, dit Ménippe à Jupiter, lu as donc tort, Voltaire, Mél. litt. Cons. à L. Rac. Une scène violente entre le baron et moi, scène dans laquelle le tort était de mon côté, Diderot, Lett à Mlle Voland 20 nov 1770. Un j'ai tort vaut mieux que cent répliques ingénieuses, Bonnet, Lett. div. Œuv. t. XII, p. 63, dans POUGENS. Ces femmes-là vous font croire aisément que ce sont leurs maris qui ont des torts avec elles, Carmontelle, Prov. posth. Promen. des Tuileries, sc. 2. Je lui cherchais des torts imaginaires ; elle me pardonnait sans cesse des torts réels, Genlis, Veill. du chât. t. I, p. 329, dans POUGENS. Quand les étrangers insultent à ce pays [l'Italie]… quand ils sont sans pitié pour nos torts, qui naissent de nos malheurs, Staël, Corinne, II, 2.

    Il a tous les torts, tous les mauvais procédés sont de son côté.

    Mettre quelqu'un dans son tort, lui faire des propositions qu'il ne puisse refuser sans faire voir qu'il est déraisonnable, avoir pour lui un procédé auquel il ait tort de ne pas répondre. Il [le plénipotentiaire] fait de fausses offres, mais extraordinaires, qui donnent de la défiance et obligent de rejeter ce que l'on accepterait inutilement, qui lui sont cependant une occasion de faire des demandes exorbitantes, et mettent dans leur tort ceux qui les lui refusent, La Bruyère, X. Les politiques dirent que Torcy n'était allé s'humilier à la Haye que pour mettre les ennemis dans leur tort, Voltaire, Louis XIV, 21.

    Mettre quelqu'un dans son tort, faire que quelqu'un ait un tort à notre égard. Il est pénible à un homme fier de pardonner à celui qui le surprend en faute et qui se plaint de lui avec raison ; sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprend ses avantages et qu'il met l'autre dans son tort, La Bruyère, IV. Gardez-vous bien de souffrir qu'il vous mette à son tour dans le tort, Fénelon, Tél. X. Tu vois tout ce que je fais pour la mettre dans son tort, Dancourt, Bourg. à la mode, IV, 7.

  • 2Lésion, dommage qu'on souffre ou qu'on fait souffrir. Réparateur, redresseur des torts. La grêle a fait bien du tort en ce canton. Il ne lui a pas fait tort d'un écu. Je lui demanderai si j'ai fait tort à ***, Guez de Balzac, liv. VI, lett. 5. Ah ! ne me faites pas ce tort de juger de moi par les autres ! Molière, l'Av. I, 1. Et je me vis contrainte à demeurer d'accord Que l'air dont vous vivez vous faisait un peu tort, Molière, Mis. III, 4. Des maximes qui vous font tort dans le monde, Pascal, Prov. XI. Meurtres qui feraient tort à l'État, Pascal, ib. XII. La plus aimable chose du monde est un portrait bien fait ; quoi que vous puissiez dire, celui-là ne vous fait point de tort, Sévigné, 63. Je fais tort au chevalier de vous mander ces sortes de choses [c'était lui qui devait les mander à Mme de Grignan], Sévigné, 417. Adieu, mon pauvre cousin ; ce n'est point ici une belle lettre, ni une réponse digne de la vôtre ; mais on n'est pas toujours en belle humeur ; il y a huit jours que je suis malade ; cela fait tort à ma vivacité, Sévigné, à Bussy, 19 juill. 1655. Ce serait faire tort à la mémoire de cette femme forte, que de montrer de la faiblesse, Fléchier, Duch. de Montaus. Il [M. de Montausier] n'eut pas besoin de réparer, sur ses vieux ans, les torts qu'il avait faits en sa jeunesse, Fléchier, Duc de Mont.

    Faire tort à, être injuste envers. J'ai peur que vous ne soyez abattu ; mais je vous fais tort, et je vous ai vu soutenir de si grands malheurs…, Sévigné, à Bussy, 22 juill. 1685. Il y fallait regarder, élire entre les doctes, sans faire tort aux autres, les deux plus doctes, Courier, Lettre à MM. de l'Académie.

  • 3À tort, loc. adv. sans raison, injustement, sans motif. Apprenez, apprenez La valeur de ce fils qu'à tort vous condamnez, Corneille, Hor. IV, 2. Il a mis à tort ce pape au nombre des hérétiques, Pascal, Prov. XVII. Peut-être tes soupçons à tort m'ont alarmé, Delavigne, Paria, IV, 1.
  • 4À tort et à travers, loc. adv. Sans discernement, sans y regarder. Le juge prétendait qu'à tort et à travers On ne saurait manquer condamnant un pervers, La Fontaine, Fabl. II, 3. J'interrompais leur entretien pour parler à tort et à travers, Lesage, Gil Blas, I, 5. La coutume d'introduire l'amour à tort et à travers dans les ouvrages dramatiques passa de Paris à Londres vers l'an 1660, avec nos rubans et nos perruques, Voltaire, Mél. litt. Tragéd. angl. Presque plus de véritables arts, presque plus de génie [après le siècle de Louis XIV] ; le mérite consistait à raisonner à tort et à travers sur le mérite du siècle passé, Voltaire, Princ. de Babyl. 10. Vous êtes moqueuse à l'excès, inappliquée, légère… vous parlez à tort et à travers, Genlis, Traité d'éduc. la Bonne mère, I, 1.

    On a dit aussi : de tort et de travers. Il en faut discourir de tort et de travers, Régnier, Sat. II.

  • 5À tort et à droit, sans examiner si la chose est juste ou injuste. Il veut ce qu'il veut, à tort et à droit.
  • 6À tort ou à droit, à tort ou à raison, avec droit ou sans droit, avec raison ou sans raison. À tort ou à droit il se prétend lésé.

PROVERBES

Qui doit a tort, on présume toujours que, quand on plaide, c'est qu'on ne veut pas payer.

Le mort a toujours tort, un homme mort ne pouvant se défendre, on rejette la faute de beaucoup de choses sur lui. On dit dans le même sens : Les absents ont tort.

La mort a toujours tort, se dit pour accuser les médecins, qui rejettent sur le compte de la maladie ce qui pourrait être le fait de leur inhabileté.

REMARQUE

Quoique, dans la locution avoir tort, tort soit sans article, on peut le représenter par le pronom le, quand le sens est clair. Je crois que j'avais tort. - Oui vraiment vous l'aviez, Andrieux, les Étourdis, III, 4.

HISTORIQUE

XIe s. Qui tort eslevera, u faus jugement fera, Lois de Guill. 41.

Si li ad dit : à tort vos curuciez, Ch. de Rol. XXX. Charles respunt : tort fait kil me demandet, ib. LXV. Paien unt tort, e chrestien unt dreit, ib. LXXVII. Devers vos est li orguilz e li torz, ib. CXVIII. Josque li uns sun tor i reconnuisset, ib. CCLXI.

XIIe s. Certes, dame, moult s'honeure Qui courtois est contre tort, Couci, IV. Voirs est [il est vrai] qu'amours m'a à son tort grevé, ib. XI. Du tort et de la honte me vorroie vengier, Sax. XVI.

XIIIe s. Bien savons que [la terre] est tolue à tort à lui et à son pere, Villehardouin, XLIII. Et je ne doute ne tant ne quant que nous n'aions la victoire ; car nous avons droit et il ont tort, Villehardouin, XXV. Et de ce Robiert issirent li Robiertois, qui dient encore que on for fait tort dou roiaume, pour çou que cius [celui-là] estoit ainsnés, ib. p. 3. Li communs pueples vit plus en pais, quant li prevos et li sergans ne leur ozent riens meffere à tort, Beaumanoir, I, 9. Que se il muert à vostre tort [par votre faute], Vostre est la coupe [coulpe] de sa mort, Du Cange, Gloss. français.

XIVe s. De tort et de travers si fiert et frappe et maille ; Touz tue ceulx qu'il fiert de son branc qui bien taille, Girart de Ross. v. 3853. Mielx vault estre en tort cras et aise, Qu'en droit chetif et à malaise, J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 217. Miex vaut homme un denier, puisque loiaument a, Que cent libvres de tort, quant larecin i a, Baud. de Seb. VIII, 1065.

XVe s. Si on nous a fait des torts, nous en ferons aussi, Froissart, II, II, 59. Aucunes foiz, soit droict ou tort, Orléans, Ball. 3. Par voz arts et par vos pratiques Nous faisiez du droict le tort ; Bien estes causes les plusieurs De partie de nos douleurs, Monstrelet, t. I, p. 327, dans LACURNE. À tous deux il tenoit grand tort [il avait de grands torts envers l'un et l'autre], Commines, IV, 3.

XVIe s. Elle abbatit tout le boys, à tordz, à travers, de czà, de là…, Rabelais, Garg. I, 16. Nous ne nous efforcerons point de voller les honneurs par droit ou par tort, par violence ou cautele et autres moyens obliques, Calvin, Instit. 546. Qu'ils facent bien à ceux qui leur tiennent tort et qu'ils prient pour ceux qui mesdisent d'eux, Calvin, ib. 1207. Je ferois tort à l'affecsion que je vous porte, si…, Marguerite de Navarre, Lett. 63. J'experimente tant la bonne voulenté que vous portés à tout ce qui me touche, que je me fays tort quand je vous les recommande, Marguerite de Navarre, ib. 117. Nous avons grand tort d'estimer que…, Montaigne, I, 69. Le peuple s'excusa envers luy du tort qu'il luy avoit ingratement fait, Amyot, Péric. 70. Ilz l'avoient envoyé querir pour aider à celuy qui auroit le droit, à l'encontre de celuy qui auroit tort, Amyot, Pélop. 48. La memoire du tort et injure moult plus que benefice dure, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 325.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, toîr ; provenç. tort ; espagn. tuerto ; ital. torto ; du bas-lat. tortum, injustice, qui est le participe passif tortus, tordu, de torquere (voy. TORDRE). Le tort se trouve dans d'anciens livres de droit pour celui qui a tort.