« néant », définition dans le dictionnaire Littré

néant

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

néant

(né-an) s. m.
  • 1Le non-être. C'est lui qui du néant a tiré l'univers, Rotrou, St Genest, III, 2. Quelque mouvement, quelque nombre, quelque espace, quelque temps que ce soit, il y en a toujours un plus grand et un moindre ; de sorte qu'ils se soutiennent tous entre le néant et l'infini, Pascal, Géométr. 1. Le monde n'a d'autre cause que la seule volonté de Dieu, qui, ne trouvant hors de lui-même que le seul néant, n'y voit rien par conséquent qui l'attire à faire et ne fait rien que ce qu'il veut et parce qu'il veut, Bossuet, Libre arb. 4. Elle [l'âme] voit toujours au-dessous d'elle deux gouffres profonds, le néant d'où elle a été tirée, et un autre néant encore plus affreux, c'est le péché où elle peut tomber sans cesse, Bossuet, la Vallière. L'impossible, qui, par manière de parler, a deux degrés de néant, puisque ni il n'est ni il ne peut être, Bossuet, Ét. d'orais. IX, 2. Que j'occupe peu d'espace dans cet abîme immense du temps ! je ne suis rien ; un si petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant, Bossuet, Sermons, Mort, 1. Le néant absolu n'est pas plus aisé à concevoir que l'infini, Bailly, Hist. astron. mod. t. III, p. 236, dans POUGENS. Quoique le néant ne soit rien en lui-même, cependant ce mot marque une affection réelle de l'esprit : c'est une idée abstraite que nous acquérons par l'usage de la vie, à l'occasion de l'absence des objets et de tant de privations qui nous font plaisir ou qui nous affligent, Du Marsais, Tropes, t. III, p. 246.
  • 2Destruction, anéantissement de l'être vivant. Je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, Pascal, Pens., IX, 1, éd. HAVET. Enfin, après avoir fait, ainsi que des fleuves, un peu plus de bruit les uns que les autres, ils [les hommes] vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où l'on ne trouve plus ni rois, ni princes…, Bossuet, Gornay. Les impies n'ont pas même de quoi établir le néant auquel ils espèrent, Bossuet, Anne de Gonz. Le néant ne peut dormir, ni rêver, ni se tromper, ni ignorer, ni se douter, ni dire peut-être, Fénelon, Dial. des morts anc. dial. 28. Quand tout finirait avec cette vie, ce serait là le seul secret de la passer heureuse et tranquille… je n'y vois pas de plus grand malheur : il retombe dans le néant, et son erreur n'a point d'autre suite, Massillon, Carême, Avenir. Et plus que le néant ils craignent l'infamie, Voltaire, Orphel. V, 5. Du néant tout semble sortir, Dans le néant tout se replonge, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 162. Tous ces rois fainéants qui sous ces voûtes sombres Ont changé de sommeil et qu'a jetés le sort Du néant de leur vie au néant de la mort, Delille, Imagin. VII. Triste comme la mort ? et la mort souffre-t-elle ? Le néant se plaint-il à la nuit éternelle ? Lamartine, Harmon. IV, 11.
  • 3 Terme de palais. Mettre une appellation au néant, à néant, refuser de l'admettre. Sa Majesté leur a ordonné [aux gens du parlement] de mettre leur décret à néant, et leur a défendu de dénoncer des livres, Voltaire, Lett. Audibert, 28 févr. 1776.

    Mettre l'appellation et ce dont est appel au néant, annuler et l'appel, et la sentence dont il a été appelé.

    Mettre néant sur une requête, sur un article de compte, mettre le mot néant au bas d'une requête, à côté d'un article de compte, pour marquer qu'on rejette cette demande, cet article. Ils veulent qu'on mette néant sur la requête, qu'on la mette au greffe, et que cela tienne lieu d'un arrêt qui décide tout, Sévigné, 531.

    Cette locution vieillit, ainsi que l'usage auquel elle se rapporte.

    Fig. et familièrement. Mettre néant à la requête de quelqu'un, refuser ce qu'il demande.

    On dit dans un sens analogue : réduire à néant, annuler, compter pour rien. Cet argument [les variations des premiers siècles de l'Église] est un coup de foudre qui réduit à néant l'argument tiré contre nous [de nos variations], Jurieu, dans BOSSUET 6e avert. 2. Des sacrifices qui réduisent à néant celui de la croix, ID. VI, Vêture, 1.

  • 4 Par exagération, peu de valeur, infinie petitesse d'une chose. Épargnez-moi, Seigneur ; car mes jours ne sont qu'un néant, Sacy, Bible, Job, VII, 16. Elle [l'âme convertie] commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parents, ses amis, ses ennemis…, Pascal, Convers. du pécheur. Qu'est-ce que l'homme dans la nature ? un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, Pascal, Pens. I, 1, édit. HAVET. Comptons donc comme très court, chrétiens, ou plutôt comptons comme un pur néant tout ce qui finit, Bossuet, le Tellier. Au milieu des grandeurs humaines il en découvrit le néant, Fléchier, le Tell. Il [Dieu] voit comme un néant tout l'univers ensemble, Racine, Esth. I, 3. Les grandeurs de la terre ne lui paraissaient plus qu'un abîme et un néant, Massillon, Or. fun. Madame. J'ai connu son néant [de ma religion], j'ai quitté ses chimères, Voltaire, Alz. II, 4. Ces maux dont vous vous plaignez sont de purs néants, Chateaubriand, René.

    Il se dit aussi des personnes pour exprimer leur infinie petitesse à l'égard de Dieu. Il [un pécheur] ne trouve aucune apparence qu'un Dieu si grand et si bon veuille tyranniser sa créature… longtemps il s'est flatté de cette pensée qu'il n'était pas digne de Dieu de se tenir offensé de ce que faisait un néant, ni de s'élever contre un néant, Bossuet, 4e serm. pour le 1er dim. de carême, 1. Ô vanité, ô néant, ô mortels ignorants de leurs destinées ! Bossuet, Duch. d'Orl. Je ne puis pas soutenir ces grandes paroles [la grandeur et la gloire] par lesquelles l'arrogance humaine tâche de s'étourdir elle-même, pour ne pas apercevoir son néant, Bossuet, ib. Dans tout le cours de sa vie, elle a exprimé ce parfait original… par la connaissance de son néant et de la grandeur de Dieu, Fléchier, Mme de Mont. L'humilité ne voit que son propre néant, Massillon, Prière 2. Je m'anéantis avec vous devant la Providence divine, sachant qu'on n'apporte devant Dieu que trois choses qui ne peuvent entrer dans son immensité, notre néant, nos fautes et notre repentir, Voltaire, Lett. l'évêq. d'Annecy, 29 avr. 1768. Voici Babel déserte et sombre, Du néant des mortels prodigieux témoin, Hugo, Orient. I, 6.

  • 5Néant se dit aussi de l'état d'une âme vide de sentiments et d'affections. Si l'état le pire Est le néant, je ne sais point De néant plus complet qu'un cœur froid à ce point, La Fontaine, Filles de Minée. Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passion, sans affaire… il sent alors son néant… son vide, Pascal, Pens. XXV, 26.

    Terme mystique. Sentiment de nullité, d'anéantissement qui s'empare de l'âme. Ô néant, ô vrai rien, mais pesanteur extrême, Mais charge insupportable à qui veut s'élever, Mer sans rive où partout chacun se peut trouver, Mais sans trouver partout qu'un néant en soi-même, Corneille, Imit. III, 14. On trouve à toutes les pages des livres de nos faux mystiques, que le néant ne pèche plus ; que qui n'a point de volonté ne pèche plus, et cent autres propositions de cette force, Bossuet, États d'oraison, X, 1.

  • 6Nullité, obscurité d'une personne. Ces destins merveilleux Qui tiraient du néant les héros fabuleux, Corneille, D. Sanche, IV, 3. Retourne en ton néant, et rends-moi la toison, Corneille, Tois. d'or, V, 4. Les apôtres et leurs disciples, le rebut du monde, et le néant même, à les regarder par les yeux humains, ont prévalu à tous les empereurs et à tout l'empire, Bossuet, Hist. II, 11. Rentre dans le néant d'où je t'ai fait sortir, Racine, Bajaz. II, 1. Clérambault et Mme du Plessis vécurent dans une grande avarice et fort dans le néant, Saint-Simon, 33, 127. En précipitant de sa place un secrétaire d'État ou un autre ministre de la même espèce, il [Louis XIV] le replongeait lui et tous les siens dans la profondeur du néant d'où cette place l'avait tiré, sans que les richesses qui lui pourraient rester, le pussent relever de ce non-être, Saint-Simon, 406, 80. La souplesse, la bassesse, l'air admirant, dépendant, rampant, plus que tout, l'air de néant sinon par lui [Louis XIV], étaient les uniques voies de lui plaire, Saint-Simon, 406, 75. Un pays [l'Angleterre] où les bâtards du roi sont ce qu'ils ont été partout, c'est-à-dire des néants sans état et sans nom, Saint-Simon, 59, 238. Cet ex-bacha [Pontchartrain] si rude et si superbe occupe son néant à compter son argent, Saint-Simon, 428, 206. Colin sentit son néant et pleura, Voltaire, Jeannot et Colin. Vos guerriers, leurs équipages, leur suite, leurs tambours, leurs trompettes font tout leur être, et, perdant cela, qu'ils vivent ou qu'ils meurent, les voilà néant, Courier, Convers. chez Mme d'Albany.

    Homme de néant, et, plus rarement, homme du néant, homme obscur, qui n'est rien ni par sa position ni par sa fortune. Quand vous entendez dire de quelqu'un que c'est un homme de néant, ne jugez-vous pas incontinent qu'on parle d'un pauvre ? Bossuet, Sermon pour une profession, 1. Louis le Débonnaire, ayant perdu toute sorte de confiance pour sa noblesse, éleva des gens de néant, Montesquieu, Esp. XXXI, 21. Quand le peuple éleva aux honneurs quelque homme du néant, comme Varron et Marius, Montesquieu, Rom. VIII. On reproche à Louis XI d'avoir employé dans ses affaires des hommes de néant, préférablement à ceux que leur naissance semblait intéresser davantage au bien de l'État, Duclos, Œuv. t. III, p. 359.

  • 7Pour néant, loc. adv. Inutilement. …J'ai maints chapitres vus, Qui pour néant se sont ainsi tenus ; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines, La Fontaine, Fabl. II, 2.

    Pour rien (vieilli en ce sens). On n'a pas mis cet homme en prison pour néant.

  • 8Néant s'emploie familièrement dans un sens négatif pour exprimer que la chose dont on parle n'existe pas. Quant à l'esprit, néant ; il n'a pas pris la peine Jusqu'ici de paraître, et je doute qu'il vienne, Gresset, Méchant, II, 7.

    Il se met aussi pour non. Si c'est une vieille, néant ; je suis loué, Dancourt, Cur. Compiègne, sc. 4. Notre maire, un peu mécréant, à maint sermon répond : néant, Béranger, Mon curé.

HISTORIQUE

XIe s. Et dit al comte : je ne vous aim nient, Ch. de Rol. XXII. Ce dist li quens [le comte] : je n'en ferai nient, ib. LXI. Guenes respont : de bataille est nient, ib. CXXXII.

XIIe s. Encor ne savoit Karles du domage neant, Sax. XI. [L'amour inconstant] Roi en fait [de celui qu'il trompe] et puis neant, Couci, IV. Ne me vout [voulut] pas Diex pour neiant donner Tous les soulas qu'ai eüs en ma vie, ib. XXII. Totes les richesses et tote li gloire del munde, et tot ceu [ce] c'un puet encuvir [souhaiter] el munde, est asi cum ung nianz envers ceste glore, Saint Bernard, 526.

XIIIe s. Pour ce dis-je qu'amours ne vaut nient, De nient vient et à nient retourne, Quesnes, Romancero, p. 86. S'on prent, par droit, d'un larron la justice, Doit-on desplaire as loiaus, de neant ? ib. 89. Bele, ce dist Simons, or ne pleurez noient, Berte, XLVII. Et en la fin fu li paiemens neans, Villehardouin, XCII. On doit uzer des cozes prestées selonc le [la] maniere qu'ele fu prestée, et nient autrement, Beaumanoir, XXXVII, 6. Nule france [libre] personne n'est tenue à servir autre pour noient, Beaumanoir, IV, 21.

XIVe s. Or est venu de nient ; à nient l'en fault r'aler, Guesclin. 15186.

XVe s. Tout ainsi l'avoient en leur imagination et propos jeté les Anglois ; mais tout tourna au neant, Froissart, II, II, 227. Combien qu'elle eust volontiers de cette mesprise excusé son frere le roi de France ; mais neant ; car le comte n'y vouloit rien entendre, Froissart, I, I, 100.

XVIe s. Et jure comme un vieil sergent, Qu'on n'embrasse point son corps gent Pour neant, Marot, III, 177. À ceste heure une parole de neant, ou dite en jeu, attirera un dementir, Lanoue, 247. Le prince eut bien de la peine pour les magasins de vivres, pour ce que les compagnies avoient mis le païs à neant, D'Aubigné, Hist. II, 295. Les escrivains indiscrets de nostre siecle… parmy leurs ouvrages de neant, Montaigne, I, 156. Pour neant demande conseil qui ne le veut croire, Cotgrave Pour neant recule qui malheur attend, Cotgrave Pour neant va au bois qui marrein ne cognoist, Cotgrave Qui voit enfant, il voit neant, Cotgrave À la verité, c'est bien pour neant de debatre si la liberté est naturelle, puisqu'on ne peut tenir aucun en servitude sans luy faire tort, La Boétie, Servitude volontaire. Les petits enfants mourir à la mammelle de leurs meres allangouries, tirants pour neant, et ne trouvants que succer, Sat. Mén. Harangue de M. d'Aubray.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. nien, nein, nient ; ital. niente ; du lat. ne ou nec, et ens, entis, l'être (voy. ENTITÉ). Nient a été un monosyllabe au XIVe siècle.