« soi », définition dans le dictionnaire Littré

soi

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

soi

(soi), pronom réfléchi de la troisième personne des deux genres et des deux nombres, qui s'emploie comme régime d'une préposition ou quelquefois comme régime direct d'un verbe actif.
  • 1Il se rapporte d'ordinaire à un mot général et indéterminé, tel que on, chacun, quiconque ; il se construit aussi avec un verbe à l'infinitif. L'amour de soi. Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille, Corneille, Cid, I, 6. Tout tend à soi ; cela est contre tout ordre : il faut tendre au général ; et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, Pascal, Pens. XXIV, 56, édit. HAVET. La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi et de ne considérer que soi, Pascal, ib. II, 8. On est comme Mlle d'Aumale : on aime mieux dire du mal de soi que de n'en point parler, Sévigné, 238. M. l'abbé de Louvois sentit plus que jamais, par tant de pertes importantes, combien il est à propos d'avoir un mérite qui soit à soi, Fontenelle, Abbé de Louv. On se trouve même encore actuellement dans des engagements trop vifs, et qu'il n'est point en soi de rompre, Massillon, Avent, Délai de la convers. La honte d'une action rejaillit sur les parents… il est rare qu'on ne fasse du mal qu'à soi, Diderot, Claude ct Nér. II, 23. On ne gagne jamais rien à parler de soi, et c'est une indiscrétion que le public pardonne difficilement, même quand on y est forcé, Rousseau, Rép. au roi de Polog. Des passions la plus triste en la vie, C'est de n'aimer que soi dans l'univers, Florian, la Poule de Caux.

    PROVERBE

    Chacun pour soi, Dieu pour tous.
    Comme l'a dit un certain philosophe, il ne faut pas purger les petits-fils pour la maladie de leur grand-père ; chacun pour soi et Dieu pour tous, Voltaire, Facéties, 1re anecd. sur Bélis.
  • 2Il se rapporte très bien à un mot déterminé, quand c'est un nom de chose. Cet état porte avec soi des obligations, qu'il vous est d'une importance extrême de bien connaître, Bourdaloue, 2e dim. après l'Épiphanie, Dominic. t. I, p. 63. La recommandation que porte avec soi la vertu, Fléchier, Duc de Montausier. Célébrez la gloire immortelle D'un cœur toujours maître de soi, Fontenelle, Endym. II, 11. Le crime traîne toujours après soi certaine bassesse, dont on est bien aise de dérober le spectacle au public, Massillon, Mystères, Visitation. L'esprit de commerce entraîne avec soi celui de frugalité, Montesquieu, Esp. V, 6.
  • 3Il se construit aussi avec un nom de personne pour sujet déterminé ; c'est l'usage des meilleurs auteurs. …Une jeune merveille Seule semblable à soi, Malherbe, V, 21. Qu'il fasse autant pour soi comme je fais pour lui, Corneille, Poly. III, 3. Si quelqu'un s'y joue, Il peut bien prendre garde à soi, Molière, Amph. I, 2. Ils [les princes] sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est, s'il y pense, Pascal, Pens. IV, 3. L'homme n'aime pas à demeurer avec soi, Pascal, Pass. de l'amour. Le plus vil artisan eut ses dogmes à soi [chez les protestants], Boileau, Sat. XI. Phèdre, malgré soi, perfide, incestueuse, Boileau, Ép. VII. Tout cela part d'un cœur toujours maître de soi, Racine, Andr. IV, 5. Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi, Racine, Phèdre, II, 5. Il faut laisser Aronce parler proverbe ; Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines, de ses insomnies, La Bruyère, V. Il n'ouvre la bouche que pour répondre ; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, La Bruyère, VI. Gnathon ne vit que pour soi, La Bruyère, XI. L'homme ne doit le vice et la vertu qu'à soi, Delille, Parad. perdu, III.
  • 4Chez soi, dans sa demeure. Aucun n'est prophète chez soi, La Fontaine, Fabl. VIII, 26. Cette aimable personne A suivi le conseil que mon amour lui donne, N'a plus voulu songer à retourner chez soi, Molière, Éc. des f. V, 2. Il s'assied, il se repose, il est chez soi, La Bruyère, XI. Plus on avance dans sa carrière, et plus on est convaincu que l'on n'est bien que chez soi, Voltaire, Lett. Cideville, 28 mars 1760. C'est depuis Charles-Quint et François Ier que dure cette politique entre les princes catholiques d'armer les protestants chez autrui, et de les poursuivre chez soi, Voltaire, Mœurs, 176. On dort si bien sur une chaise ! On est ici comme chez soi, Marmontel, Zém. et Az. I, 1.

    Vivre chez soi, vivre sans liaisons au dehors. Heureux qui vit chez soi, De régler ses désirs faisant tout son emploi ! La Fontaine, Fabl. VII, 12.

    Familièrement. Avoir un chez-soi, une habitation en propre.

    Il n'y a pas de petit chez-soi, on est toujours mieux chez soi que chez les autres.

  • 5Rentrer en soi, faire de plus sérieuses, de plus sages réflexions.

    Revenir à soi, reprendre ses esprits. Idoménée, revenant à soi, les remercie, Fénelon, Tél. V.

    Fig. Revenir à soi, reprendre son sang-froid, son bon sens. Leur funeste rigueur, qui l'avait poursuivie, Méprisait le conseil de revenir à soi, Malherbe, I, 2.

  • 6Être à soi, ne dépendre de rien, de personne. Quand on est au service de quelqu'un, on n'est plus à soi.

    Être à soi, être en face de ses propres pensées. Possédé d'un ennui qu'il ne saurait dompter [Alexandre], Il craint d'être à soi-même et songe à s'éviter, Boileau, Ép. V.

    N'être pas à soi, signifie aussi avoir perdu le sens. Dans le délire on n'est plus à soi.

    Terme de fauconnerie. Être à soi, se dit de l'état d'un oiseau qui n'a jamais été pris par les fauconniers.

  • 7En certaines tournures, soi est employé comme une sorte de nom et sans servir de régime. On a souvent besoin d'un plus petit que soi, La Fontaine, Fabl. II, 11. Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même, La Fontaine, ib. IV, 22. Cela [la douleur d'estomac] se passe dans un endroit si intérieur et si intime, c'est tellement soi qui souffre, que…, Sévigné, 24 janv. 1680. La vie retirée y contribuait [à son originalité]… on s'accoutume trop dans la solitude à ne penser que comme soi, Fontenelle, Méry. Il n'y a que deux personnes à consulter en telles affaires [explications], soi-même et la personne à qui l'on écrit, Voltaire, Lett. Thiriot, 18 janv. 1739. Il faut être tout à fait comme les autres, ou tout à fait comme soi ; pensez-y, Rousseau, à M. d'Ivernois, Corresp. t. VI, p. 159, dans POUGENS.

    Être soi, garder son caractère. On n'est jamais bien que soi-même ; Et me voilà tel que je suis, Gresset, Ep. Bougeant. Changeons de goûts avec les années, ne déplaçons pas plus les âges que les saisons ; il faut être soi dans tous les temps, et ne point lutter contre la nature, Rousseau, Ém. IV. Qui ne voudrait pas renaître fille et mère, et comment serait-on soi si l'on ne ressentait plus les mêmes amitiés ? Staël, Allem. III, 7.

  • 8De soi, de sa nature. Il est, de soi, si évident que c'est moi qui doute, qui entends et qui désire…, Descartes, Médit. II, 7. Cet accident, de soi, doit être indifférent, Molière, Éc. des f. IV, 8. Qu'ai-je fait, s'il vous plaît, de si brillant de soi, Pour me plaindre à la cour qu'on ne fait rien pour moi ? Molière, Mis. III, 7. Certaines lois fondamentales contre lesquelles on ne peut rien faire qui ne soit nul de soi, Bossuet, 5e avert. 56. L'entendement, de soi, est fait pour entendre, Bossuet, Conn. I, 16.
  • 9En soi, dans sa nature. Chacun pris dans son air est agréable en soi, Boileau, Ép. IX. Il sera toujours vrai, en soi, que la même chose ne peut tout ensemble être et n'être pas, Fénelon, Exist. I, 52.
  • 10Sur soi, sur son corps, sur sa personne. Porter des armes sur soi. La santé demande qu'on soit propre sur soi. Cette diversité dont on vous parle tant, Mon voisin léopard l'a sur soi seulement : Moi je l'ai dans l'esprit, La Fontaine, Fabl. IX, 3. La malpropre sur soi, de peu d'attraits chargée, Est mise sous le nom de beauté négligée, Molière, Mis. II, 5.
  • 11 Familièrement. à part soi, en son particulier. Faire des réflexions à part soi.
  • 12Quant-à-soi, subst. (voy. QUANT 2, n° 2).
  • 13Soi-même, voy. MÊME, n° 12.

    Substantivement. Un autre soi-même, voy. MÊME, n° 12.

    Terme d'art du moyen âge. De soi-même, de sa nature, de sa couleur et de sa masse. Un animal émaillé de soi-même, c'est-à-dire de sa couleur naturelle ; un vase avec les anses de soi-même, c'est-à-dire prises dans la masse, De Laborde, Émaux, p. 502.

REMARQUE

1. L'usage tend continuellement à substituer lui ou elle à soi ; mais il faut résister à cette tendance, soi étant plus clair que lui ou elle.

2. Soi est de rigueur avec un nom indéterminé, on, chacun, et avec un verbe à l'infinitif.

3. Avec un nom déterminé de personne, on emploie plus souvent lui ou elle que soi ; même des grammairiens prétendent que c'est une faute de mettre soi ; mais on n'a qu'à lire les exemples rapportés, et on verra que l'usage des bons auteurs soutient très bien l'emploi de soi avec un nom de personne.

4. Quand le nom est un nom de chose, soi est préférable à lui ou à elle.

5. Des grammairiens ont prétendu que soi était toujours singulier. C'est une erreur ; de sa nature, soi n'est pas plus singulier que se ; et ces exemples-ci le montrent au pluriel. Ce sont choses, de soi, qui sont belles et bonnes, Molière, Fem. sav. IV, 3. Tant de profanations que les armes traînent après soi, Massillon, Petit carême, Bénéd. des drapeaux.

6. La Fontaine a employé soi au lieu de se : c'est un archaïsme tombé en désuétude. Tant ne songeaient au service divin, Qu'à soi montrer…, La Fontaine, Mazet.

HISTORIQUE

XIe s. Li home mort senz devise [testament], si departent li enfant l'erité entre sei per uwel [égal], Lois de Guill. 36. Ses mellurs homes [il] enmeinet ensemble od sei, Ch. de Rol. XXXVII.

XIIe s. Cil qui pert soi meïsme de son voisin ne jot [ne jouit], Sax. XVII.

XIIIe s. …De sa robe, et la dame entour soi la renoue, Berte, XXXIII. Mais je cuit qu'il me venist miex Li alers que se j'i envoi ; L'en dit : n'i a tel comme soi, Lai de l'ombre. Il s'est atornez por movoir, Soi tierz [lui troisième] de compaignons, sanz plus, ib.

XVe s. Et perdirent plus les Genevois qu'ils n'y gagnerent, ainsi qu'il vient souvent en soi trop follement abandonnant, Froissart, I, I, 173. Les pluyes les plus grandes qu'il est possible de dire, et le pays de soy tant fangeux et mol que à merveilles, Commines, II, 3.

XVIe s. Les seaux qui sont mis et apposez aux lettres et instrumens publiques, prins en soy, ne sont rien, Calvin, Instit. 1029. …Et n'ont le goust ny la couleur si franche, Quand de soy mesme ilz tumbent de la branche, Du Bellay, J. VII, 32, verso. Qui ayme plus grand que soy, Luy mesme se donne loy, Du Bellay, J. VII, 34, recto. Il semble que l'ame se perde en soy mesme, Montaigne, I, 21. Interrogé lequel il estimoit le plus, ou Chabrias, ou soy-mesme, Montaigne, I, 67. Faisant requeste à Dieu de l'appeler à soy, Montaigne, I, 252. Ilz furent contraints de soy retirer au dedans de leurs Alpes, Amyot, Fab. 4. Et en fut l'effroy si grand, qu'il n'y avoit homme qui fust à soy, ne qui eust le sens rassis, Amyot, ib. 8. Mais luy mettant tout son espoir de victoire en soy mesme…, Amyot, ib. 11. La vertu est honorée pour l'amour de soy mesme, et non pour estre joincte à la noblesse, Amyot, Sylla et Lysand. 6. Ce ne fut pas, à considerer la chose en soy, un grand exploit de guerre, Amyot, ib. 7. Il rendit ses citoyens pires que soi, Amyot, ib. 6. Il pouvoit veritablement dire ce que le roy Agamemnon dit de soy mesme en la tragoedie d'Euripides, Amyot, Nicias, 9. On trouve souvent le lendemain les intestins reduits de soy-mesmes, Paré, VI, 15. De tous les animaux qui marchent sur la terre L'homme est le plus chetif ; car il se fait la guerre Luy-mesmes à soy-mesme, et n'a dans son cerveau Autre plus grand desir que d'estre son bourreau, Ronsard, 815.

ÉTYMOLOGIE

Autre forme de se. Moi et me, toi et te, soi et se sont identiques, et ne diffèrent que parce que moi, toi, soi représentent me, te, se latins, avec un reforcement dû à l'accent, tandis que me, te, se, étant proclitiques, sont réduits à l'e muet.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

SOI. Ajoutez :
14Soi pour soi, expression créée par Geoffroy Saint-Hilaire pour désigner la tendance des organes similaires à s'unir. Dans les monstres doubles, les organes se mêlent et se confondent par l'attraction de soi pour soi, expression où il faut voir une figure de rhétorique et non un théorème de mécanique, Dumas, Éloge d'Is. Geoffroy Saint-Hilaire.