« lier », définition dans le dictionnaire Littré

lier

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

lier

(li-é), je liais, nous liions, vous liiez ; que je lie, que nous liions, que vous liiez v. a.
  • 1Serrer avec une corde passée autour de quelqu'un ou de quelque chose. Lier un paquet, un faisceau. Alors l'ange Raphaël prit le démon, et l'alla lier dans le désert de la Haute-Égypte, Sacy, Bible, Tobie, VIII, 3. Mais je ne veux point, monsieur, que l'on me lie, Racine, Plaid. I, 7. Il est dit dans ce décret [de Childebert], que, si le juge trouve un voleur fameux, il le fera lier pour être envoyé devant le roi, si c'est un Franc, Montesquieu, Esp. XXX, 25.

    Par exagération. C'est un fou à lier, c'est un extravagant. Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier, Racine, Plaid. I, 8. Il y a plus de gens à lier dans un pays que dans un autre, Voltaire, Cand. 23.

    Fig. Vous avez besoin d'un lit pour vous y livrer au sommeil qui lie et ensevelit votre raison, Bossuet, Concupisc. 9.

    Fig. Lier les mains à quelqu'un, le réduire à l'inaction dans une affaire. [Sa haine]… Veut lier les mains au destin adouci Qui m'offre en d'autres lieux ce qu'on me vole ici, Corneille, Œdipe, II, 2. Pour me lier les mains lorsqu'il me rompt sa foi ? Rotrou, Antig. I, 6. Je ne crois pas que la nature Se soit lié les mains [par les destinées et les astres] et nous les lie encor…, La Fontaine, Fabl. VIII, 16. La jalousie des chefs lui liait les mains, Hamilton, Gramm. 5. Richelieu envoyait un capucin à la diète pour lier les mains à l'empereur dans les affaires d'Italie, Voltaire, Mœurs, 176.

    Fig. Lier les doigts, empêcher d'écrire. Si la paresse vous lie les doigts, faites-moi écrire par l'ami commun, Courier, Lett. I, 185.

    Fig. Lier la langue, empêcher de parler. Le respect lui liait la langue.

    Absolument, lier, c'est, en agriculture, lier les gerbes ou botteler le foin. Si le beau temps dure, on liera demain.

  • 2 Par extension, attacher avec une corde à quelque chose. Lier un homme à un arbre, à un poteau.
  • 3Lier se dit quelquefois pour fixer un bandage avec des liens. Il est ce Samaritain miséricordieux qui, trouvant en son chemin le pauvre blessé, est touché de miséricorde et s'approche, et ne dédaigne pas de lier ses plaies, Bossuet, Sermons, 3e dim. après la Pentec. 1.
  • 4Faire un nœud. Lier des rubans. Lier les cordons d'un soulier.
  • 5 Terme de fauconnerie. Lier se dit du faucon qui saisit l'oiseau avec ses serres. Le vautour s'en allait le lier [le pigeon], quand des nues Fond à son tour un aigle aux ailes étendues, La Fontaine, Fabl. IX, 2.
  • 6 Terme de marine. Réunir fortement, rapprocher entre elles, soutenir par de certaines pièces de bois toutes les parties d'un navire que l'on construit.

    Un bâtiment est bien lié quand toutes les parties en restent à peu près invariablement à la place qu'elles doivent occuper et ne tendent point à se désunir.

  • 7Joindre ensemble différentes parties par quelque substance qui s'incorpore dans les unes et dans les autres. La chaux et le ciment lient les pierres.

    Terme de cuisine. Lier une sauce, lui donner de la consistance. La farine sert à lier les sauces.

  • 8Lier les lettres, les joindre l'une à l'autre par certains petits traits.

    Lier les mots, les prononcer l'un après l'autre sans interruption et en faisant sentir, quand il le faut, les consonnes finales sur les voyelles initiales.

    Terme de musique. Lier des notes, exécuter deux ou plusieurs notes d'un même coup d'archet, ou d'un seul coup de langue sur un instrument à vent, ou d'un seul coup de gosier en chantant.

  • 9 Fig. Unir par des rapports grammaticaux, logiques, nécessaires. Lier les idées, les propositions, les pensées, les parties d'un discours. Lier fortement toutes les parties d'un système, d'une théorie. Ces personnages qui deviennent muets lient assez mal les scènes où ils ont si peu de part qu'ils n'y sont comptés pour rien, Corneille, 3e discours.

    Il ne sait pas lier deux idées ensemble, se dit d'un homme incapable de poursuivre un raisonnement. On voit des hommes qui ne paraissent pas capables de lier deux idées ensemble, et qui cependant font au jeu les combinaisons les plus compliquées, les plus sûres et les plus rapides, Duclos, Consid. sur les mœurs, 12.

    Absolument. L'esprit de l'homme embrasse plus qu'il ne peut lier, Vauvenargues, Max. II. Rien ne lie mieux que la précision, Condillac, Art d'écr. I, 11.

  • 10Servir de passage, d'intermédiaire, de connexion. Les bitumes les soufres lient les terres aux métaux, les vitriols unissent les métaux aux sels, Bonnet, Caus. prem. 7e part. ch. 3.
  • 11Disposer, arranger, en parlant d'une partie de divertissement, de promenade, etc. Au lieu de cet air toujours complaisant que le monde nous inspire, l'esprit de pénitence nous met dans le cœur je ne sais quoi de rude et de sauvage, ce n'est plus cet homme doux et galant qui liait toutes les parties, Bossuet, Sermons, Vérit. convers. 1. On se moqua de ses raisonnements ; la partie fut liée pour le lendemain, et les violons passèrent à la pluralité des voix, Hamilton, Gramm. 4.

    Fig. Il a bien lié, mal lié sa partie, c'est-à-dire il a bien concerté, mal concerté son entreprise.

  • 12Lier amitié avec quelqu'un, contracter amitié avec quelqu'un. C'est au retour de ce voyage que Scipion trouva Polybe à Rome, et lia avec lui cette étroite amitié qui devint si utile à ce jeune Romain, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 574, dans POUGENS.

    Lier conversation, commerce, société avec quelqu'un, entrer en conversation, en commerce, faire société avec lui. Nous lions cependant un commerce d'amitié qui doit durer pendant notre séjour ici, Marivaux, Surpr. de l'amour, II, 5.

  • 13 Fig. Enchaîner ensemble, unir par des liens moraux. Mais puisque le destin à toi m'a su lier, Régnier, Élég. II. L'âge liait une amitié sincère Entre ces gens ; les deux pères s'aimaient, La Fontaine, Fabl. X, 12. Il est vrai que vous êtes le centre de bien des cœurs et de bien des pays, qui sont liés par vous, Sévigné, 20 juin 1685. Le Fils de Dieu, voulant s'opposer à cette humeur discordante [des hommes]… vient aujourd'hui lier les esprits par les nœuds d'une charité indissoluble, Bossuet, Sermons, vendredi après les Cendres, Préambule. Sur ce principe de religion était bâtie toute la loi [de Moïse], loi sainte, juste, bienfaisante, honnête, sage, prévoyante et simple, qui liait la société des hommes entre eux par la sainte société de l'homme avec Dieu, Bossuet, Hist. II, 3. C'est qu'en effet les hommes mettent ordinairement leur félicité dans les choses qui flattent leurs sens ; et cela même les lie au corps, d'où dépendent les sensations, Bossuet, Connaiss. V, 1. Unissez vos chagrins ; liez vos intérêts, Racine, Brit. I, 4. L'intérêt, la raison, l'amitié, tout vous lie, Racine, Bérén. III, 2. Comme s'ils avaient été liés d'une amitié étroite, Fénelon, Tél. XX. Allez, suivez l'époux à qui le sort vous lie, Voltaire, Orphel. III, 3. Quel est l'objet de la philosophie ? c'est de lier les hommes par un commerce d'idées et par l'exercice d'une bienfaisance mutuelle, Diderot, Claude et Nér. II, 2. Quand j'ai lié mon sort à celui des Valois, Mon âme a tant d'horreurs n'était pas résignée, Chénier M. J. Charles IX, IV, 4.
  • 14Astreindre, obliger. Ah ! plutôt… mais hélas ! j'idolâtre Émilie ; Un serment exécrable à sa haine me lie, Corneille, Cinna, III, 2. Juge ainsi de la haine où mon devoir me lie, Corneille, M. de Pomp. v, 4. Il n'est plus lié par son vœu d'obéissance, Pascal, Prov. VI. Sa parole le lie sans doute, parce qu'il est fidèle et véritable ; mais le lien n'est pas moins volontaire qu'inviolable, Bossuet, Var. VI, § 30. Par les nœuds des serments as-tu lié son cœur ? Voltaire, Fanat. III, 5. C'est en vain qu'il [Sénèque] se propose de lier son élève [Néron] à l'exercice de la clémence et à la pratique des vertus, Diderot, Claude et Nér. I, 41. Il n'aperçut pas qu'un sentiment de délicatesse empêchait Corinne de profiter de l'émotion d'Oswald pour le lier par un serment, Staël, Corinne, VIII, 4. Quel serment ? - J'ai juré. - Non, non, rien ne te lie, Hugo, Hernani, V, 6.
  • 15Dans le langage de l'Église, lier et délier, refuser ou donner l'absolution. Tout ce que vous lierez sur la terre sera aussi lié dans les cieux, Sacy, Bible, Évang. St Math. XVI, 19.
  • 16Se lier, v. réfl. Se serrer, s'attacher soi-même avec une corde, un lien. Il se lia lui-même au poteau.
  • 17Être uni par quelque chose d'incorporé, d'interposé. Ces ingrédients ne se peuvent pas lier. Puis là-dessus entassant encore des arbres et des pierres, le tout venait à se lier en corps, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 278, dans POUGENS.

    Prendre de la consistance. Il faut remuer cette sauce jusqu'à ce qu'elle se lie.

  • 18Être uni par des rapports logiques, grammaticaux. Les scènes de cette pièce se lient mal entre elles.

    Avoir connexion. Le fait que je vous raconte se lie à une aventure dont j'ai connaissance.

    Terme de beaux-arts. Se lier, former un bel ensemble par l'union assortie. Ces couleurs se lient bien.

  • 19 Fig. S'astreindre à, s'obliger à. L'Église catholique, loin de se vouloir rendre maîtresse de la foi, a fait au contraire tout ce qu'elle a pu pour se lier elle-même et pour s'ôter tous les moyens d'innover, Bossuet, Expos. de la doctr. cath. 19. Par les mêmes serments Britannicus se lie, Racine, Brit. V, 5. Aucune de ces sociétés ne connut cette effrayante coutume de se lier par serment au genre de vie qu'elles embrassaient, de se donner des chaînes perpétuelles, de se dépouiller religieusement de la nature humaine dont le premier caractère est la liberté, Voltaire, Dict. phil. Esséniens. Nous nous sommes liés au salut public par le serment de ne nous séparer jamais que la constitution ne fût établie et affermie, Mirabeau, Collection, t. III, p. 272.
  • 20Être uni par des liens moraux. Mais toi, dont la valeur, d'Amurat oubliée, Par de communs chagrins à mon sort s'est liée, Racine, Bajaz. IV, 7.

    Absolument. Se lier, contracter amitié. Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître, Molière, Mis. I, 2. Il me semble que vous croyez que je mens, quand je vous parle de la connaissance de Fagon et de du Chesne [deux médecins] ; ç'a été, ma belle, pendant la blessure de M. de Louvois qu'ils furent quarante jours ensemble, et se sont liés d'une estime très particulière, Sévigné, 29 déc. 1679. Je ne suis guère entrée dans la raison de commencer votre noviciat promptement, de peur que nos filles se liassent avec les anciennes, Maintenon, Lett. à Mme de la Viefville, 24 oct. 1705.

SYNONYME

LIER, ATTACHER. Lier, c'est passer un lien autour de quelque chose. Attacher, c'est, comme l'indique la préposition à qui est dans ce mot, fixer à, joindre à, par un lien ; là est l'idée précise de chacun de ces deux mots : on lie un prisonnier ; on attache un chien. Au figuré, attaché à quelqu'un indique qu'on a pour lui de l'attachement, qui peut n'être pas rendu ; au contraire, lié avec quelqu'un indique une relation réciproque d'amitié ; l'idée essentielle de ces deux mots subsiste.

HISTORIQUE

XIe s. Pris et liez serez par poested, Ch. de Rol. XXXII. Les mains [ils] lui lient à courreies de cerf, ib. CCLXXII.

XIIe s. Pieds et poing au felon, lui faites bien lier, Ronc. 201.

XIIIe s. De ses bras li uns l'autre lie, Et en baisier cascuns s'oublie, Fl. et Bl. 2417. Et donna pooir à le vesque Nevelon de Soissons de lier et deslier les pecheeurs, jusques à tant que li cardonaus [le cardinal] vendroit en l'ost, Villehardouin, LV. Les mains lui ont loié par leur desloyauté, Berte, X. Les parties qui se metent en arbitrage se doivent lier el compromis par foi, par pleges, Beaumanoir, XLI, 3. Et s'il y a beste liée et ele romt son lien et va en damace…, Beaumanoir, XXX, 57. Et Mahius Bliaus a pris Rauoul le castelain de Cristople, et l'a fait loier sur un povre roncin, H. de Valenciennes, XXVI.

XIVe s. La maniere de lier et de deslier artificielment et de coustre [il s'agit de bandages], H. de Mondeville, f° 35, verso. Pour lier [relier] les heures le roy et pour paindre dehors les armes de France, De Laborde, Émaux, p. 370. En toutes sausses et potages lians, en quoy l'en broie espices et pain, Ménagier, II, 4. [Le mets] ne doit point estre trop lyant, mais claret ; donques ne convient il que le pain ou les foies pour lier, ib. II, 5. Tantost qu'ils voient que l'esprevier a liée et abatue la perdris, ib. III, 2.

XVe s. Montés sur petites haquenées qui ne sont ni liées ni estrillées, Froissart, I, I, 34. Pour ce qu'il estoit voix et commune renommée que Bernard de la Tapie avoit ensorcelé et lié Guillaume Fors et sa femme, tellement que icellui Fors ne povoit avoir compaignie avec saditte femme, Du Cange, ligatio.

XVIe s. Toutes ces choses là sont liées ensemble, et s'entresuivent l'une l'autre, La Boétie, 200. Estant les racines eschauffées, à raison de la seicheresse de la terre, pour estre lasche et mal liée, La Boétie, 245. Encor Protée, après mainte desfaite, Lier se laisse ; et qui te liera, Puisque le neud de ma foy ne t'arreste ? La Boétie, 502. Grosses pieces de bois quarré liées ensemble à grosses bandes et liures de fer, Amyot, Anton. 84. Il avoit eu l'ame et les aureilles si battues, qu'il se trouva lié [l'aiguillette nouée] du trouble de son imagination, Montaigne, I, 95. Il reçut des lettres de Rome, qui luy lioient les mains, Montaigne, II, 37. La partie ainsi liée [le duel convenu], d'Aubigné se leva de grand matin, D'Aubigné, Vie, LV. La langue liée, l'œil immobile, Paré, VIII, 9. La terebenthine y est mise pour lier les autres choses qui sont seiches, Paré, XVI, 14. On lie bien le sac avant qu'il soit plein, Cotgrave Il ne faut pas lier les asnes avec les chevaux, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Wall. loiî ; Hainaut, loier ; pic. leuyer, loyer ; provenç. liguar, liar ; catal. lligar ; espagn. ligar ; portug. ligar, liar ; ital. legare ; du lat. ligare ; comparez λύγος, osier, λυγίζειν, lier ; sanscr. ling, fléchir (d'après Curtius).