« lieu », définition dans le dictionnaire Littré

lieu

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

lieu [1]

(lieu) s. m.

Résumé

  • 1° L'espace qu'un corps occupe.
  • 2° Un espace quelconque considéré sans aucun rapport avec les corps qui peuvent le remplir.
  • 3° Il se dit par rapport à la destination.
  • 4° Mauvais lieu.
  • 5° Lieux d'aisance.
  • 6° Endroit désigné, indiqué.
  • 7° Il se dit des différentes pièces d'une maison, d'une terre, d'une ferme.
  • 8° Signification de lieu en géométrie.
  • 9° Signification de ce mot en astronomie.
  • 10° Rang.
  • 11° Place.
  • 12° Il se dit de la position de la tête du cheval.
  • 13° Maison, famille.
  • 14° Il se dit pour désigner d'une manière vague la femme que l'on aime.
  • 15° Bon lieu, la bonne société ; haut lieu, la cour, le gouvernement ; bon lieu, autorité digne de foi.
  • 16° L'endroit, le temps convenable pour dire, pour faire quelque chose.
  • 17° Occasion, sujet, droit.
  • 18° En lieu de, en occasion de, en mesure de.
  • 19° N'avoir pas de lieu, n'être pas reçu, admis.
  • 20° Avoir lieu, se dit de l'époque d'un événement, et aussi pour s'opérer, se faire.
  • 21° Passage d'un livre.
  • 22° Lieu commun.
  • 23° Au lieu de.
  • 24° Au lieu que.
  • 1L'espace qu'un corps occupe. Tout corps occupe un lieu, remplit un lieu, est dans un lieu. Les mots de lieu et d'espace ne signifient rien qui diffère véritablement du corps que nous disons être en quelque lieu, et nous marquent seulement sa grandeur, sa figure, et comment il est situé entre les autres corps, Descartes, Principes, II, 13. Toutefois le lieu et l'espace sont différents en leurs noms, parce que le lieu nous marque plus expressément la situation que la grandeur ou la figure, et qu'au contraire nous pensons plutôt à celles-ci lorsqu'on nous parle de l'espace, Descartes, ib. 14. Vous [Dieu] avez fait le lieu de la même sorte que vous avez fait le temps ; pour vous, Ô Dieu de gloire et de majesté, vous n'avez besoin d'aucun lieu ; vous habitez en vous-même tout entier, Bossuet, Élévat. sur myst. III, 3.
  • 2Un espace quelconque, considéré sans aucun rapport avec les corps qui peuvent le remplir. Lieu humide, vaste, étroit, resserré. Voici un beau lieu. On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France, Corneille, le Ment. I, 1. Son bras ne dompte point de peuples ni de lieux Dont il ne rende hommage au pouvoir de mes yeux, Corneille, Pomp. II, 1. Vous le trouverez maintenant vers ce petit lieu que voilà qui s'amuse à couper du bois, Molière, Méd. m. lui, I, 5. Je sais que vos appas vous suivent en tous lieux, Molière, Mis. II, 1. N'avez-vous point entendu le cri que j'ai fait ? toute la forêt l'a répété, et je suis trop heureuse d'être en lieu où je n'ai de témoin de ce premier étonnement que les échos, Sévigné, 28 oct. 1676. Prends garde que jamais l'astre qui nous éclaire Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire, Racine, Phèdre, IV, 2. Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goût et les sentiments, La Bruyère, IV. Allez, dis-je, et sachez quel lieu, les a vus naître, Voltaire, Oreste, II, 3.

    Unité de lieu, voy. UNITÉ.

    Fig. Champ, carrière. Ce n'est point ici le pays de la vérité ; elle erre inconnue parmi les hommes… ce lieu est ouvert au blasphème, Pascal, Pens. XXIII, 31.

  • 3Il se dit par rapport à la destination. Un lieu d'assemblée, de récréation. Un lieu public. Le lieu où l'on rend la justice. Le criminel était arrivé au lieu du supplice. Quel est le lieu du rendez-vous ? Le peuple immolait toujours dans les hauts lieux, parce que jusqu'alors on n'avait point encore bâti de temple au Seigneur, Sacy, Bible, Rois, III, III, 2. La Troche a si bien refagoté ses affaires qu'elle s'est établie dans cette bonne ville, y faisant le siége de son empire et le lieu de toutes ses affaires, Sévigné, 236. On change le lieu de la prière et l'asile sacré des pénitents, en une retraite de voleurs et en une maison de trafic et d'avarice, Massillon, Carême, Temples.

    Lieu de sûreté, lieu où l'on est en sûreté. Le bois le plus funeste et le moins fréquenté Est au prix de Paris un lieu de sûreté, Boileau, Sat. VI.

    En un autre sens. Lieu de sûreté, lieu sûr, prison. On l'a mis en lieu sûr. On mettra toujours une femme en lieu de sûreté, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 5 janv. 1696.

    Le lieu saint, le saint lieu, l'église, le temple. Il [Jésus] court dans ce lieu saint [le temple] venger l'honneur de son Père, Massillon, Carême, Temples.

    Chez les Hébreux, saint lieu, sanctuaire qui précédait le saint des saints.

    Lieux réguliers, les endroits qui sont dans la clôture d'un monastère, et qui servent à la communauté.

    Les lieux saints, les saints lieux, les lieux où se sont opérés les principaux mystères de la rédemption.

    Les hauts lieux, les autels consacrés chez les Juifs aux fausses divinités, ainsi dits parce qu'ils étaient sur des montagnes. Jéhu sur les hauts lieux enfin osant offrir Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir, Racine, Athal. III, 6.

    Fig. Les hauts lieux, les temples, les autels de l'hérésie. Trop zélé sacrificateur du temple de Sion pour souffrir que sous son ministère les hauts lieux se multiplient dans Israël, Massillon, Or. fun. Villars.

    Lieu de plaisance, maison de campagne uniquement destinée à l'agrément.

    Lieu de franchise, lieu d'asile, lieu où, en vertu de quelque privilége, on est à l'abri de certaines poursuites. Les maisons des ambassadeurs sont des lieux de franchise (voy. ASILE, FRANCHISE).

  • 4Mauvais lieu, lieu de débauche. Heureux si ses écrits [de Régnier], craints du chaste lecteur, Ne se sentaient des lieux où fréquentait l'auteur, Boileau, Art p. II. Port-Royal fut détruit avec la fureur qu'on eût employée contre une ville rebelle, et le scandale qu'on déploie dans un mauvais lieu, Duclos, Règne de Louis XIV, Œuv. t. v, p. 121. Cymodocée est condamnée aux lieux infâmes, Chateaubriand, Martyrs, XXII.
  • 5Lieux d'aisances, ou, simplement, lieux, les latrines. Aller aux lieux d'aisances. Aller aux lieux.

    Lieux à l'anglaise, lieux dans lesquels la cuvette est fermée par une soupape qu'on ouvre à volonté.

  • 6Endroit désigné, indiqué. Enfin, exprès, ma sœur, j'ai voulu qu'Hémon même Nous laissât le lieu libre et n'en pût rien savoir, Rotrou, Antig. III, 5. [Le juge] le fera lier [un voleur]… si c'est un Franc ; mais, si c'est une personne plus faible, il sera pendu sur le lieu, Montesquieu, Esp. XXX, 25. Allez chez le magistrat du lieu, rendez plainte, Picard, le Conteur, II, 9.

    Rendez-vous assigné. Prenez entre vous l'ordre et du temps et du lieu ; Je m'y rendrai sur l'heure, et vais l'attendre ; adieu, Corneille, Don Sanche, I, 4.

    Au plur. Terme de pratique. Les lieux, l'endroit dont il s'agit dans une affaire criminelle ou civile. Les juges ordonnèrent une descente sur les lieux.

  • 7Il se prend, sur tout au pluriel, pour les différentes pièces d'une maison, d'une terre, d'une ferme. Voir si les lieux sont en état. Réparer les lieux.

    Vider les lieux, sortir d'un appartement, d'une maison en en ôtant son mobilier.

    État des lieux ou de lieux, écrit qui constate quelle est la condition d'une maison, d'une ferme, etc. au moment où le locataire la reçoit.

    N'avoir ni feu ni lieu, être sans feu ni lieu, être gueux, vagabond, sans domicile. Ici la vertu n'a plus ni feu ni lieu, Boileau, Sat. I.

  • 8 Terme de géométrie. Toute surface, tout solide qui contient les différents points propres à résoudre une question indéterminée.

    Proposition qui a pour objet d'exprimer que tous les points qui satisfont à une même condition se trouvent situés sur une droite, un cercle, ou toute autre ligne.

  • 9 Terme d'astronomie. Le point du ciel auquel répond une planète, une comète. Il [M. Halley] avait formé le projet de rassembler une suite complète d'observations sur les lieux de la lune, Mairan, Éloge de Halley.

    Lieu réel d'une planète, le point où elle se trouve sur son orbite, et lieu moyen, celui où elle serait placée dans le même moment, si l'ellipse parcourue en des temps variables était une circonférence décrite d'un mouvement uniforme, et ayant pour diamètre la ligne des absides, Legoarant

    Lieu héliocentrique, le point de l'écliptique auquel on rapporterait une planète vue du soleil. Lieu géocentrique, le point de l'écliptique auquel on rapporte une planète vue de la terre.

  • 10Rang. Nous te sommes si chers, qu'entre tes créatures, Si l'ange est le premier, l'homme a le second lieu, Malherbe, I, 1. Et qui peut nier qu'après Dieu sa gloire… n'ait mérité… Qu'on lui donne le second lieu ? Malherbe, II, 3. Quel vassal à ce lieu s'est jamais vu monté ? Rotrou, Bélis. III, 5.

    Terme de palais. Chaque créancier viendra en son lieu.

    Ancien terme universitaire. Les lieux, les rangs assignés à des concurrents. La licence de Sorbonne expira ; il fut question de donner les lieux, c'est-à-dire de déclarer lesquels ont le mieux fait dans leurs actes, Retz, I, 15.

    Habitation. L'homme ne sait à quel rang se mettre ; il est visiblement tombé de son vrai lieu, sans le pouvoir retrouver, Pascal, Pens. VIII, 12, éd. HAVET.

  • 11Place. Si mon jugement n'est pas hors de son lieu, Malherbe, IV, 9. L'Aquitaine n'était pas réputée une partie de la France, mais une conquête, et elle gardait toujours les lois et la langue des Romains ; celles des Français n'y avaient point de lieu, Mézerai, Abr. de l'Hist. de France, an 770. Que dirai-je du redoutable secret de la réprobation des Juifs pour donner lieu aux gentils ? Bossuet, Médit. sur l'Évang. 2e part. 1er jour. Je le plains, mais le bien qu'en vous le ciel m'envoie Ne laisse dans mon cœur de lieu que pour la joie, Quinault, Agrip. V, 5. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu [dans un poëme], Boileau, Art p. I. Le sort ni les suffrages [pour les magistratures] n'ont aucun lieu dans les gouvernements monarchiques, Rousseau, Contr. IV, 3.

    Terme de pratique. Être au lieu et place de quelqu'un, avoir la cession de ses droits et actions.

    On dit de même : subrogé en son lieu et place. En premier, en second, en troisième lieu, en dernier lieu, premièrement, secondement, troisièmement, enfin.

    Tenir lieu de, remplacer, suppléer. D'une main odieuse ils [les bienfaits] tiennent lieu d'offenses, Corneille, Cinna, I, 2. Soyez-vous à vous-même un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau, Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Mme de R. lui tient lieu de tout, Sévigné, 399. L'approbation tenait lieu de récompense, Bossuet, Hist. III, 6. Il m'aurait tenu lieu d'un père et d'un époux, Racine, Andr. I, 4. J'ai cru que mes serments me tiendraient lieu d'amour, Racine, ib. IV, 5. Un bienfait reproché tint toujours lieu d'offense, Racine, Iph. IV, 6. Il n'y a presque point de province en France où il [Henri IV] n'ait fait des exploits, à la tête de quelques amis qui lui tenaient lieu d'armée, Voltaire, Mœurs, 174.

  • 12 Terme de manége. Porter en beau lieu, se dit du cheval qui tient bien sa tête et relève son encolure avec grâce.
  • 13Maison, famille. Quelque lieu d'où ton sang tire son origine, Tu dois être un rayon de l'essence divine, Rotrou, Bélis. III, 4. On tient toujours du lieu dont on vient…, La Fontaine, Fabl. IX, 7.

    Il sent le lieu, il se sent du lieu d'où il vient, c'est-à-dire il a les habitudes, les goûts des gens de sa classe. Jupiter eut un fils qui, se sentant du lieu Dont il tirait son origine…, La Fontaine, ib. X, 2.

    Maison, société. En un lieu, l'autre jour, où je faisais visite, Molière, Mis. III, 4.

    Bon lieu, bonne famille. Elle est de fort bon lieu, mon père, Corneille, le Ment. II, 5. En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourrie…, Boileau, Sat. x. [Ils] croient que venir de bon lieu, c'est venir de loin, La Bruyère, XIV. Louville était un gentilhomme de bon lieu dont la mère l'était aussi, Saint-Simon, 15, 168.

    Haut lieu, famille de haute noblesse. Nous qui sommes, De par Dieu, Gentilshommes De haut lieu, Hugo, Ball. XI.

    Bas lieu, basse extraction. Son sang n'était-il point issu d'un lieu trop bas ? Régnier, Élég. IV.

  • 14Lieu se dit pour désigner d'une manière vague la femme que l'on aime, ou que l'on veut aimer. M'en croirez-vous, seigneur ? ne la revoyez point ; Portez en lieu plus haut l'honneur de vos caresses, Corneille, Poly. II, 1. Que me vient-il de dire, et qu'est-ce que je voi ? Cliton, sans doute il aime en même lieu que moi, Corneille, Suite du Menteur, IV, 4. J'ai le cœur trop bon pour lui prêter l'oreille. - Dites le cœur trop bas pour aimer en bon lieu, Corneille, Théod. I, 2. Aimez en d'autres lieux et plaignez Hypsipile, Corneille, Toison d'or, II, 5. J'aime en un lieu, seigneur, où je ne puis atteindre, Rotrou, Vencesl. III, 6. Mézence était amant en même lieu que moi, Quinault, Agrippa, I, 5.
  • 15Bon lieu, la bonne société, la société opulente. Où la science triste, affreuse, délaissée Est partout des bons lieux comme infâme chassée, Boileau, Sat. I.

    Familièrement. On a parlé de vous en bon lieu, on a parlé de vous en bonne compagnie.

    Haut lieu, la cour, le gouvernement. Il en sera question en haut lieu.

    Dans un sens analogue. Il m'assura qu'il en rendrait compte en bon lieu, Sévigné, 107. Il ne cède pas à l'iniquité, sous prétexte qu'elle est armée et soutenue d'une main royale ; au contraire, lui voyant prendre son cours d'un lieu éminent, d'où elle peut se répandre avec plus de force, il se croit plus obligé de s'élever contre, Bossuet, Panég. St-Thomas, 2.

    Bon lieu, source digne de foi, société haut placée et bien informée. Mme de Lavardin m'envoie une bonne relation [de la bataille de Fleurus] plus exacte et prise en bon lieu, Sévigné, juill. 1690. Tout ce détail est de très bon lieu et rien n'est plus vrai, Sévigné, 119. Ce que je vous mande est toujours vrai et vient de bon lieu, Sévigné, 142. À ce qu'on me mande de très bon lieu, Bossuet, Lett. quiét. 393.

    Par extension, personnage distingué, auteur recommandable. Mme de Chaulnes… me paraît transportée d'avoir M. de Fieubet pour commissaire [aux états de Bretagne] ; j'en suis ravie aussi, et j'avoue que je n'eusse jamais cru qu'on eût mis la main en si bon lieu, Sévigné, 8 juill. 1685. Je lis les figures de la sainte Écriture [l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, avec figures]… le style en est fort beau et vient de bon lieu, Sévigné, 28 août 1676. J'ai commencé un livre de piété… c'est un Traité de la prière perpétuelle… la préface est de bon lieu [probablement de Nicole], Sévigné, 10 juill. 1689.

  • 16L'endroit, le temps convenable pour dire, pour faire quelque chose. Ce n'est pas le lieu de parler de cela. Nous en parlerons en temps et lieu. Va, je reconnaîtrai ce service en son lieu, Corneille, Rodog. III, 1. Quand je verrai M. de Vardes en lieu de le remercier, Sévigné, 24 nov. 1687. Les lieux, les temps, l'occasion, Font votre gloire ou votre chute ; Hier on aimait votre nom, Aujourd'hui l'on vous persécute, Voltaire, Ép. LXVI.
  • 17Occasion, sujet, droit. Dans les délibérations d'État, où un homme d'importance, consulté par un roi, s'explique de sens rassis, ces sortes de discours trouvent lieu de plus d'étendue, Corneille, 1er disc. Ce sont des termes qu'il a si peu expliqués, qu'il nous laisse grand lieu de douter de ce qu'il veut dire, Corneille, ib. Ma valeur n'a point lieu de te désavouer, Corneille, Cid, III, 6. Ne feignez qu'un moment, laissez partir Sévère, Et donnez lieu d'agir aux bontés de mon père, Corneille, Poly. IV, 3. Puisqu'il me donne lieu de ce petit service, Corneille, le Ment. IV, 2. Certes Rome à ce coup pourrait bien se vanter D'avoir eu juste lieu de me persécuter, Corneille, Pomp. III, 2. Et [je] lui veux bien donner tout lieu de me surprendre, Corneille, Rodog. V, 4. Il n'est aucun de nous à qui sa violence N'ait donné trop de lieu d'une juste vengeance, Corneille, Héracl. IV, 6. Carlos a tant de lieu de vous considérer, Que, s'il devient mon roi, vous devez espérer, Corneille, D. Sanche, V, 1. Vous n'avez aucun lieu de rien examiner, Corneille, Sertor. I, 2. Ma sœur, auparavant engagez l'entretien, Et, s'il s'en offre lieu, jouez d'un peu d'adresse Pour votre intérêt et le mien, Corneille, Agés. I, 1. Autrefois j'ai connu cet honnête garçon, Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon, Molière, l'Ét. I, 4. Pourvu qu'on ne donne pas lieu à des meurtres, Pascal, Prov. VII. Sur ce fondement ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal, Pascal, Pens. XI, 10 bis. …Sujets qui tombent sous le sens ou sous le raisonnement : l'autorité y est inutile ; la raison seule a lieu d'en connaître, Pascal, Fragm. d'un traité du vide. Mme de Montglas a marié sa fille à un provincial appelé Tomassin ; ce provincial a une espèce de moulin qui s'appelle Saint-Paul ; cela donne lieu d'appeler cette jeune femme Mme la comtesse de Saint-Paul, Sévigné, 10 sept. 1681. La pauvre Marsillac est désolée ; j'ai envie de vous envoyer sa lettre ; cela vous donnera lieu de lui parler et d'entrer en matière, Sévigné, mai 1690. C'est ce qui donna lieu à la vocation d'Abraham, Bossuet, Hist. I, 2. Ce serait ici le lieu de vous la représenter…, Fléchier, Mme de Montausier. Ah ! qu'un aveu si doux aurait lieu de me plaire ! Racine, Bérén. III, 1. Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer, Des bontés d'Athalie ont lieu de se louer, Racine, Ath. II, 5. Achetons le droit d'être insensibles à leurs censures, en n'y donnant point de lieu, Massillon, Carême, Injust. Quel homme jusque-là avait paru sur la terre qui eût plus de lieu de se glorifier lui-même que Jésus-Christ ? Massillon, Petit car. Passion. Des ministres dont vous avez tout lieu de vous louer, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 26 oct. 1762.

    Impersonnellement. Il y a lieu d'examiner cette question.

  • 18En lieu de, en occasion de, en situation de, en mesure de. Il est en lieu de vous mander les nouvelles beaucoup mieux que moi, Sévigné, 128. Si j'étais en lieu de vous donner des conseils, Sévigné, 239. Vous êtes en lieu de faire précisément tout ce qu'il faut, Sévigné, 1er juill. 1685. Ce que vous dit Favier [célèbre avocat] est admirable ; vous en saurez profiter ; vous êtes en bon lieu pour prendre les meilleurs conseils, Sévigné, 28 janv. 1685. Divertissez-vous de cette jolie enfant [Pauline, fille de Mme de Grignan], ne la mettez point en lieu d'être gâtée, Sévigné, 17 janv. 1680. Luxembourg fut averti de la marche de Tilly avec un corps de cavalerie de six mille hommes, pour se poster en lieu d'incommoder ses convois, Saint-Simon, II, 130.

    Chateaubriand a dit : mettre à lieu de, pour : mettre en mesure de. Votre père doit sentir l'importance d'une position qui peut vous mettre à lieu de réparer le mal que la révolution a fait à votre fortune, Lett. à Chénedollé, 10 prairial, an X, dans Rev. des Deux-Mondes, 1er juin 1849, p. 747. ; sur quoi M. Sainte-Beuve remarque : « Cette expression revient dans ces lettres de Chateaubriand, comme dans celles de sa sœur Lucile ; ce doit être une locution du pays [la Bretagne]. »

  • 19N'avoir point de lieu, n'être pas reçu, admis. Les avertissements n'ont ni force ni lieu, Régnier, Sat. VI. Et mes vœux n'auront point de lieu, Si par le trépas je n'évite La douleur de vous dire adieu, Malherbe, Stances pour M. de Bellegarde. Cette condition n'aura point de lieu, Corneille, Ex. du Cid. Ce grand silence de Jésus-Christ sur les comédies me fait souvenir qu'il n'avait pas besoin d'en parler à la maison d'Israël, pour laquelle il était venu, où ces plaisirs de tout temps n'avaient point de lieu, Bossuet, Lett. Corn. 20.

    Cet emploi vieillit.

  • 20Avoir lieu, se dit en parlant de l'époque d'un événement. Cet événement eut lieu l'an dernier. La séance publique aura lieu à la fin de ce mois.

    Par une extension qui n'est pas fort ancienne, avoir lieu a pris le sens de s'opérer, se faire. La combinaison des deux substances aura lieu si l'expérience est bien faite. Plus elles [les faisanes] avançaient en âge, plus elles devenaient semblables aux mâles, comme cela a lieu plus ou moins dans presque tous les animaux, Buffon, Ois. t. IV, p. 104.

  • 21Passage d'un livre. Il faut marquer d'un trait de plume les lieux où l'on trouvera de la difficulté, et continuer de lire sans interruption jusqu'à la fin, Descartes, Principes, préface, 10. Saint Thomas explique le lieu de saint Jacques sur la préférence des riches, Pascal, Pens. XXV, 103. Pour ce qui regarde les donatistes, il n'y a personne qui ne sache les fureurs de leurs circumcellions (voy. CIRCONCELLIONS) rapportées en tant de lieux de saint Augustin, Bossuet, 5e avert. § 51.
  • 22 Terme de rhétorique. Lieux communs, lieux oratoires, ou, simplement, lieux, sorte de points principaux auxquels les anciens rhéteurs rapportaient toutes les preuves dont ils faisaient usage dans leurs discours.

    Lieux de logique, chefs généraux auxquels on peut rapporter toutes les preuves dont on se sert dans les diverses matières qu'on traite. Lieux métaphysiques, termes généraux convenant à tous les êtres auxquels on rapporte les arguments, comme les causes, les effets, le tout, les parties, les termes opposés.

    Lieux théologiques, les sources où les théologiens puisent leurs arguments.

    Par extension, lieux communs, se dit de traits généraux qui s'appliquent à tout. Et tous ces lieux communs de morale lubrique Que Lulli réchauffa des sons de sa musique, Boileau, Sat. X. Il épuisa tous ses lieux communs à tourner la musique en ridicule, Hamilton, Gramm. 6. L'orateur ajoutera ici un petit lieu commun pour montrer combien il est difficile d'être victorieux et d'être humble tout ensemble, Rollin, Traité des Ét. III, 2. C'est une chose assez singulière que les anciens lieux communs contre les princes et leurs courtisans soient toujours reçus d'eux avec complaisance, comme de petits chiens qui jappent et qui amusent, Voltaire, Pol. et législ. Comm. Espr. des lois. IX. On trouve souvent dans Corneille de ces maximes vagues et de ces lieux communs, où le poëte se met à la place du personnage, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Héraclius, I, 1. Elle ne disait jamais rien de neuf ou de saillant ; mais elle avait perfectionné tous les lieux communs de la conversation, Genlis, Mme de Maintenon, t. I, p. 182, dans POUGENS.

    Lieux communs se dit aussi d'idées usées, rebattues. Ils [les lâches conseillers] étalent de grands lieux communs sur les louanges de la paix et du repos, Guez de Balzac, De la cour, 5e disc. Gordon se garda bien de lui étaler ces lieux communs fastidieux par lesquels on essaye de prouver qu'il n'est pas permis d'user de sa liberté pour cesser d'être, Voltaire, Ingénu, 20. Le plus grand écueil des arts dans le monde, c'est ce qu'on appelle les lieux communs, Voltaire, Lett. Porée, 15 janv. 1739. À présent tout est lieu commun ; la plupart des auteurs modernes ne sont que les fripiers des siècles passés, Voltaire, Lett. Debure, 19 août 1776. Je connais l'ouvrage sur les lettres de cachet ; il serait meilleur si l'auteur, qui n'est pas Linguet, y avait moins prodigué les lieux communs et les déclamations, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 28 avr. 1782. Ces vérités éternelles que vous appelez des lieux communs, Georges Sand, le Compagnon du tour de France, t. II, p. 392.

  • 23Au lieu, loc. adverb. En la place, en remplacement. …Farre par ce moyen que, si ces balles [réfléchies contre un corps dur] n'ont eu auparavant qu'un simple mouvement droit, elles en perdent une partie et en acquièrent, au lieu, un circulaire, Descartes, Dioptr. 1.

    Au lieu de, loc. prép. À la place de. Prends courage, ma fille, et sache qu'aujourd'hui Le roi te veut servir de père au lieu de lui, Corneille, Cid, II, 9. S'il régnait au lieu d'eux, ce n'était que sous moi, Corneille, Rodog. II, 2.

    Au lieu de, marque aussi opposition, différence. Les grands noms abaissent au lieu d'élever ceux qui ne les savent pas soutenir, La Rochefoucauld, Max. 94. Au lieu de faire un gros livre contre moi, que ne fait-il une Henriade meilleure ? cela est si aisé, Voltaire, Comm. aut. Henriade. Si la terre était le centre du mouvement du soleil comme elle l'est du mouvement de la lune, la révolution du soleil serait de quatre cent soixante et quinze ans, au lieu d'une année, Voltaire, Phil. Newt. III, 5. Mais j'ai trouvé dans cette cour L'intrigue au lieu de l'art de plaire, L'intérêt au lieu du désir, La débauche au lieu du plaisir, Le scandale au lieu du mystère, Desmahis, Poés. p. 92.

  • 24Au lieu que, loc. conjonct. Tandis que, avec un sens d'opposition. Il n'est rien de plus utile à leur instruction [des princes] que de joindre aux exemples des siècles passés les expériences qu'ils font tous les jours, au lieu qu'ordinairement ils n'apprennent qu'aux dépens de leurs sujets et de leur propre gloire à juger des affaires dangereuses qui leur arrivent, Bossuet, Hist. préface. Fût-elle bergère au lieu qu'elle est fille du roi, Fénelon, Tél. XXII. Tu es savant, Gil Blas, avant que d'être médecin, au lieu que les autres sont longtemps médecins, et la plupart toute leur vie, avant que d'être savants, Lesage, Gil Blas, II, 3.

HISTORIQUE

Xe s. Lieu de avant dist, Fragm. de Valenc. p. 469.

XIe s. …en tans lius les avons nous portées [nos épées], Ch. de Rol. CXI. Mais Vaillantif [nom d'un cheval] ont en vint lius navret, ib. CLVIII. Seiez es lius [en place de] Olivier et Rolant, ib. CCXV.

XIIe s. Mais fol desir fait souvent cuer [cœur] penser En si haut lieu qu'il n'i peut avenir, Couci, X. Encor viendra lieus et tens De ma très grant joie avoir, ib. XI. Lors me souvient d'une douce dolor Et du douz lieu où mes cuers tent et bée, ib. XVII. Beaus services ne sera ja peris à fin amant qui en bon lieu l'emploie, ib. p. 124.

XIIIe s. Car à nos tems est perdus li sains lieus, Où Diex souffri pour nous mort glorieuse, Quesnes, Romanc. p. 95. Se vous voliez otroier que mes fils demorast en la terre en mon lieu pour garder la et gouverner, je prenroie maintenant la crois, Villehardouin, XXXIX. Qui l'ont de lieus en lieus çà et là conqueilli [un récit], Berte, I. Et sa cote qui ert [était] en maint lieu despanée, ib. XLVI. De bon lieu [famille] [elle] est venue, ib. XLVII. Et quant lieus en sera, tost [nous] y serons verti [revenus], ib. LIX. Jà fut Berte ma fille en si bon lieu nourrie [en si bonne famille], ib. LXXII. Com est Berte ma fille richement mariée, Et en très noble lieu venue et arrivée, ib. LXXXII. Bien set que honte li fera ; Ja si bien ne s'en gardera, S'il en puet leu ne aise avoir, Ren. 17935. Et sor tout ce, se riens doutés, Faictes i clef, si l'emportés, Et la clef soit en leu d'ostages, la Rose, 2003. Le [la] difference qui est entre le lieu saint et le lieu religieus, Beaumanoir, XI, 1. Celi jour porte l'en croix aus processions en moult de liex, et en France les appele l'en les croiz noires, Joinville, 201.

XIVe s. Aucuns jouvenceaux qui n'estoient pas nez de petit lieu, Bercheure, f° 18, recto.

XVe s. Lors desnuerent leurs chefs, puis s'en allerent à la fontaine laver leurs mains, puis retournerent seoir lez les deux chevaliers qui leur firent lieu [place], Perceforest, t. VI, f° 104. Le roy René l'institua en son lieu, avant que mourir, Commines, VII, 1. En lieu de le recueillir, luy tyrerent de grans coups de canon, Commines, III, 4. Toutes fois cela n'eut point de lieu et l'empeschoit Monseigneur de Ligny, Commines, VIII, 2.

XVIe s. Que droit regne et justice ait lieu, Marot, Psaume 33. Ceste denonciation n'est pas vaine ne frivole, combien qu'elle n'ait pas tousjours lieu, Calvin, Inst. 288. C'est un grand deshonneur si les chiens et les porceaux ont lieu entre les enfans de Dieu, Calvin, ib. 824. Exception d'argent non nombré n'a point de lieu, Loysel, 707. Au lieu de s'animer des bravades de cet ennemy, Montaigne, I, 4. Assigner l'heure et le lieu de la bataille, Montaigne, I, 24. Il n'est lieu d'où la mort ne nous vienne, Montaigne, I, 71. En premier lieu, je te demande…, Montaigne, I, 129. Ils vont semant parmy leurs ouvrages des lieux entiers des anciens, Montaigne, I, 156. Je ne laisse d'aller deux fois de jour par tous vos jardins et edifice, dont je me treuve, en lieu de lasse, fortifiée, Marguerite de Navarre, Lettre LIV. Ce porteur vous saura si bien redire des nouvelles, tant du lieu dont il vient que de cetuy cy, que sa suffisance merite donner lieu à sa parole, Marguerite de Navarre, Lettre LXIV. Ilz amasserent bonne trouppe d'hommes vagabonds, qui n'avoient ne feu ne lieu, Amyot, Rom. 6. M. Caton, dès le commencement que les lettres grecques commencerent à avoir lieu et estre aimées à Rome, en fut mal content, Amyot, Caton, 47.

ÉTYMOLOGIE

Franc-comtois, luë ; bourg. leu, lei ; wallon, lué ; picard, liu ; provenç. loc, luoc, luec ; cat. lloc ; anc. esp. luego ; ital. loco, luogo ; du lat. locus, anciennement stlocus (dans Festus).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

LIEU. Ajoutez :
25 Terme de topographie. Lieu dit, lieu qui porte un nom particulier. Le but vers lequel tend la publication actuelle n'est autre que d'attirer l'attention sur la valeur historique ou géographique des lieux dits, mis en place sur des tableaux, d'après les feuilles cadastrales, et dont la philologie essayera d'expliquer les noms si variés, Peigné-Delacourt, Topographie archéologique des cantons de la France ; Canton de Ribécourt, Oise, Noyon, 1874, p. VI.