« usage », définition dans le dictionnaire Littré

usage

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usage

(u-za-j') s. m.
  • 1Action d'user de, emploi de. Je ne hais point la vie, et j'en aime l'usage, Corneille, Poly. v, 2. Soumission et usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme, Pascal, Pens. XIII, 2 bis, éd. HAVET. Un peu de patience m'apprendra tout ; mais vous savez que c'est une vertu qui n'est guère à mon usage, Sévigné, 101. Comme je ne sais point l'usage d'une grande chaise, Sévigné, 13 nov. 1675. Mais ce qui couronne la vie de cette princesse [Marie-Thérèse], c'est qu'elle fut toujours égale ; mêmes vertus… même usage des sacrements, mêmes principes, mêmes règles, Fléchier, Mar.-Thér. Vous avez vu cent fois nos soldats en courroux Porter en murmurant leurs aigles devant vous [Agrippine] ; Honteux de rabaisser par cet indigne usage Les héros dont encore elles portent l'image, Racine, Brit. IV, 2. Je demeurai sans voix, et n'en repris l'usage Que par mille sanglots qui se firent passage, Racine, Iphig. I, 1. Non-seulement toutes les viandes cuites avec des ragoûts par des cuisiniers, mais encore le vin, le pain, le sel, l'huile, le lait et tous les autres aliments ordinaires ne pouvaient être de son usage [de Pygmalion], Fénelon, Tél. VIII. Il est moins rare de trouver de l'esprit que des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir celui des autres et le mettent à quelque usage, La Bruyère, II. Laissant à Elvire les jolis discours et les belles-lettres qu'elle met à tous usages, La Bruyère, XII. Son péché renfermait plusieurs désordres ; premièrement un injuste usage de son cœur, qui n'avait jamais été occupé que des créatures, Massillon, Carême, Pécheresse. Quand il s'agit d'une langue vivante, le chemin de l'usage est plus court que celui des préceptes, D'Olivet, Rem. Rac. 81. Le duc de Montausier a réellement fait commenter les meilleurs auteurs latins à l'usage du Dauphin, qui n'en faisait aucun usage, Voltaire, Dict. phil. Aristée. Je vous remercie, madame, de l'avis que vous voulez bien me donner ; on me le donne de toutes parts ; mais il n'est pas de mon usage, Rousseau, Lett. à Mme de Créqui, 7 juin 1762. Pourquoi ? dans quel dessein ? parlez : à quel usage ? Ducis, Othello, v, 4. Il fut [Leibnitz] chargé par M. de Montausier de l'édition de Martius Capella, à l'usage du Dauphin, Diderot, Opin. des anc. philos. (Leibnitzianisme).

    Mettre en usage, faire usage, employer. Il met tout en usage, et prière et menace, Corneille, Poly. I, 1. Il n'y a sorte de calomnie que vous n'ayez mise en usage, Pascal, Prov X. Ah ! qu'il [Pompone] fait un bon usage de sa disgrâce ! Sévigné, 12 juin 1680. Ma fille, il y a des femmes qu'il faudrait assommer à frais communs… la perfidie, la trahison… sont les qualités dont elles font l'usage le plus ordinaire, Sévigné, 28 août 1680. C'est une femme aimable [Mme de la Fayette]… et que vous aimiez dès que vous aviez le temps d'être avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison, Sévigné, 4 janv. 1690. Il n'y a point d'autre parti à prendre que de les souffrir chrétiennement [les tribulations] ; c'est tout l'usage qu'on en doit faire, Sévigné, 20 août 1690. L'âme, déçue par sa liberté, dont elle a fait un mauvais usage, songe à la contraindre de toutes parts, Bossuet, la Vallière.

    Familièrement Ce drap fera beaucoup d'usage, il durera beaucoup ; il devient plus beau par l'usage, il prend, porté, une plus belle apparence.

    Toiles garanties à l'usage, toiles dont on garantit qu'elles dureront.

  • 2Utilité, service. Je ne connais point cette terrasse, où vous êtes toujours ; elle est d'un grand usage, puisqu'elle est à couvert de la bise, Sévigné, 564. Elle [une opinion probable] est de grand usage, Pascal, Prov. VI. Les histoires ne sont composées que des actions qui les occupent [les princes], et tout semble y être fait pour leur usage, Bossuet, Hist. Dessein général. La duplicité y est honorée [dans le monde] comme un talent d'un grand usage, Massillon, Paraphr. Ps. XXIV, V. 11.
  • 3 Terme de physiologie. Usage des organes, chacun des actes exécutés par chaque organe.
  • 4Démembrement du droit de propriété : le droit de se servir personnellement d'une chose dont la propriété est à un autre. En vendant sa bibliothèque, il s'en est réservé l'usage sa vie durant. Les droits d'usage et d'habitation s'établissent et se perdent de la même manière que l'usufruit, Code civ. art. 625. Celui qui a l'usage des fruits d'un fonds ne peut en exiger qu'autant qu'il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille, ib. art. 630.
  • 5 Terme de droit administratif et forestier. Droit qu'ont les voisins d'une forêt ou d'un pacage, d'y couper le bois qui leur est nécessaire ou d'y mener paître leur bétail. On a ôté les usages aux riverains de cette forêt. J'ai droit d'usage, j'ai mon usage dans tel bois.

    Les grands usages comprenaient l'affouage, le maronage, le pâturage ou pacage, la glandée et la paisson. Les petits usages consistaient dans le droit d'enlever les branches sèches, le bois mort et le mort-bois.

  • 6Emploi ordinaire des mots, tel qu'il est dans la bouche du plus grand nombre. Que, pour cet effet [la correction de la langue], il serait bon d'établir un usage certain des mots [pour le style noble, le médiocre et le bas], Pellisson, Hist. de l'Acad. I. L'usage, je le confesse, est appelé avec raison le père des langues ; le droit de les établir, aussi bien que de les régler, n'a jamais été disputé à la multitude ; mais, si cette liberté ne veut pas être contrainte, elle souffre toutefois d'être dirigée, Bossuet, Disc. de récept. Par quelle raison ces mots de propre substance du corps et du sang sont demeurés en usage dans la réformation, Bossuet, Euchar. II, 4. Il me suffit de dire… que l'usage est contraire à tout ce que vous avez dit, et que c'est cet usage, qu'on appelle le tyran des langues vivantes, qui en juge en dernier ressort, Caillères, Mots à la mode, 2e conv. Il y a deux sortes d'usages, le bon et le mauvais, ID. ib. Le bon plaisir de l'usage, maître absolu des langues, D'Olivet, Ess. gramm. III, 1. L'usage malheureusement l'emporte toujours sur la raison ; c'est ce malheureux usage qui a un peu appauvri la langue française, et qui lui a donné plus de clarté que d'énergie et d'abondance, Voltaire, Lett. Beauzée, 14 janv. 1768. L'usage n'est pas aussi peu fondé en raison qu'ils le prétendent ; il s'établit d'après ce qu'on sent, et le sentiment est bien plus sûr que les règles des grammairiens, Condillac, Art d'écr. I, 10. Nous avons vu, en examinant les progrès des langues, que l'usage ne fixe le sens des mots que par le moyen des circonstances où l'on parle, Condillac, Connaiss. hum. II, II, 2. En matière de langue, il est une infinité de nuances imperceptibles et fugitives, qui, pour être démêlées, ont besoin, si on peut parler de la sorte, du frottement continuel de l'usage, D'Alembert, Œuv. t. IV, p. 124. Dans la manière de s'exprimer, comme dans celle de se vêtir, l'usage diffère de la mode, en ce qu'il a moins d'inconstance, Marmontel, Œuv. t. x, p. 406.

    Phrases d'usage, phrases toutes faites qu'on échange dans la conversation. Des phrases d'usage dont on se paye réciproquement, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 7 oct. 1760.

    Emploi particulier qui se fait des mots. L'usage qu'il a fait de ce mot est heureux. L'usage vicieux de cette locution. Cet usage du mot de sceptre se trouve à toutes les pages de l'Écriture, Bossuet, Hist. II, 2.

  • 7Pratique reçue généralement. Je viens, selon l'usage antique et solennel, Célébrer avec vous la fameuse journée Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée, Racine, Athal. I, 1. Quoi ? mes frères, ce serait un délassement pour nous de voir la religion anéantie, les maximes de Jésus-Christ effacées, Dieu inconnu, les désordres devenus des usages, Massillon, Confér. Conduite des clercs dans le monde. On n'offense jamais plus les hommes que lorsqu'on choque leurs cérémonies et leurs usages, Montesquieu, Rom. 11. Vous êtes fou… quoi ! le public, l'usage ! - Le comte : L'usage est fait pour le mépris du sage, Voltaire, Nanine, I, 1. Des usages méprisables ne supposent pas toujours une nation méprisable, Voltaire, Dict. phil. Usage. L'usage est le maître de tout, Voltaire, Louis XIV, 13. Y a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang à son gré, sans en rendre la moindre raison ? ce n'est pas l'usage, disent les juges ; eh, monstres ! il faut que cela devienne l'usage, Voltaire, Lettre à d'Argental, 5 juillet 1762. C'est le sort des usages établis, de subsister encore après que les besoins qui les ont fait naître ont cessé, Condillac, Conn. hum. II, I, 2. Il est certain que les anciennes monarchies se sont gouvernées par des usages plutôt que par des lois, Condillac, Hist. anc. Lois, 7. On dit les usages d'un corps et la coutume d'un pays, D'Alembert, Œuv. t. III, p. 294. L'exemple seul amène lentement les nouveaux usages, et, pour les faire admettre, il faut que les faits prouvent que ce qui est aujourd'hui vaut mieux que ce qui était hier, Toulongeon, Instit. Mém. sc. mor. et pol. t. III, p. 110. Nos usages et même notre luxe ne sont pas poétiques, Staël, Corinne, XV, 8.

    L'usage ordinaire, ce qui se fait habituellement dans la vie. Dans l'usage ordinaire, la première question qu'on fait sur une femme c'est ¨ Est-elle belle ? Fontenelle, Didon, Stratonice.

  • 8Pratique particulière. Il a l'usage de dîner de bonne heure. Il veille beaucoup, c'est son usage. Il est dans l'usage de prendre, chaque année, un mois de vacance. Je sais que des sultans l'usage m'est contraire, Racine, Baj. I, 3. Du moins, s'il faut céder, si, contre notre usage, Il faut d'un suppliant emprunter le visage, Racine, Mithr. III, 1.
  • 9Habitude d'user d'une chose, de la pratiquer. En tout indifférent, tout est à son usage, Régnier, Sat. XI. Les peuples qui n'ont pas l'usage des lettres, Bossuet, Hist. II, 3. Le peu d'usage que nous avons de la prière, Massillon, Carême, Prière 1. Les armes de Saül n'étaient pesantes pour David que parce qu'il n'en avait point l'usage, Massillon, Carême, Salut. Il [l'ennemi de mon salut] a un trop long usage de me vaincre, pour que j'aille imprudemment essayer mes forces naissantes contre les siennes, Massillon, Paraphr. Ps. XVII, V. 26. Les proscriptions étaient les armes à son usage [de Philippe II, d'Espagne], Voltaire, Mœurs, 165.
  • 10Connaissance, pratique acquise par l'expérience. Les ministres de Pharaon étaient des vieillards consommés dans les affaires, et formés par un long usage, Bourdaloue, Instruct. Prudence du salut, Exhort. t. II, p. 427. Mais ceux qui de la cour ont un plus long usage, Sur les yeux de César composent leur visage, Racine, Brit. v, 5. Que n'ai-je plus d'usage dans l'art de décrire des victoires et des batailles ! Massillon, Or. fun. Conti. [Le maître d'école du village] Connaît les lunaisons, prophétise l'orage, Et même du latin eut jadis quelque usage, Delille, L'homme des champs, 1.

    Absolument. Ils regardent notre ministère comme un art d'exagération et d'hyperbole, les plus saints mouvements du zèle ne sont dans leur esprit que les tours étudiés d'un artifice humain… les maximes les plus incontestables, des discours où il entre plus d'usage que de vérité, Massillon, Carême, Parole.

  • 11Usage du monde, de la vie, expérience de la société, habitude d'en pratiquer les devoirs, d'en observer les manières. Du beau monde avait quelque usage, La Fontaine, Contr. C'est un homme qui a un grand usage, une grande pratique du monde, Acad. 1762, au mot monde. La mère de Valère est maussade, ennuyeuse, Sans usage du monde, une femme odieuse, Gresset, le Méch. I, 4. Le grand usage du monde qu'il [Moncrif] avait acquis, usage qui suppose, du moins à certain degré, la connaissance des hommes, de leurs passions et de leurs travers, D'Alembert, Élog. Moncrif. On peut avec beaucoup d'usage du monde n'être qu'un sot, Genlis, Veillées du château t. I, p 431.

    Absolument. Il manque d'usage. Il a beaucoup d'usage. Il a peu d'usage. Il [Villeroy] avait cet esprit de cour et du monde, que le grand usage donne, Saint-Simon, 392, 62. Telle personne a de l'usage, D'Alembert, Œuv. t. III, p. 294.

    Avoir de l'usage, pour avoir l'usage du monde, n'est ni dans Furetière ni dans l'Académie de 1694. Elle a de l'usage, de quoi ?… on doit dire : elle a de l'usage du monde, Genlis, Mém. t. v, p. 92. Mme de Genlis attribue cette locution au langage révolutionnaire ; mais elle se trompe ; la locution est antérieure à la Révolution, témoin Saint-Simon et d'Alembert.

  • 12 Au plur. Ancien terme de librairie. Livres pour le service divin, tels que bréviaires, rituels, etc.

    PROVERBE

    Usage rend maître, on devient maître, habile, en pratiquant beaucoup une chose.

REMARQUE

Au mot monté, l'Académie, au lieu de dire : il est dans l'usage de faire, dit : en usage de faire. Pautex blâme cette locution, à tort. Disant être dans l'usage de faire, il n'y a aucune raison pour ne pas dire être en usage de faire.

SYNONYME

USAGE, COUTUME. Suivant l'étymologie propre à chacun de ces mots, usage exprime la manière d'user, de se servir des choses de la vie ; et coutume, les habitudes que l'on a de faire telle ou telle chose. Mais on dit indistinctement : c'est la coutume, ou c'est l'usage.

HISTORIQUE

XIIe s. Je l'aim et serf et aor [adore] par usage [par habitude] ; Si ne li os [ose] mon penser descouvrir, Couci, XI.

XIIIe s. La diference qui est entre coustume et uzage, si est que toutes coustumes font à tenir ; mais y a tex [tels] usages que qui vaurroit [voudrait] pledier encontre et mener dusques à jugement, li uzaiges seroit de nule valeur, Beaumanoir, XXIV, 3. Et li commanda que tout cil Qui venissent à Aix manoir, De tous usages [impôts] fusent franc, Du Cange, usaticum. Car tel sont li usaige Qu'on ne peut mais, sans demant, rien trouver, Quesnes, Romancero, p. 84. Li rois et la roïne ont perçu vostre usage [manière d'être], Et bien dient entr'eus que [vous] n'estes mie sage, Audefroi le Bastard, ib. p. 14. Dame qui maine tel usage Le faucon resamble ramage, Lai du conseil. Enfant sont de parler vo lage, Se bien ne sont apris d'usage, ib. Ele avoit ung mauvès usage, Qu'ele ne pooit ou visage Regarder riens de plain en plaing, la Rose, 283. Ne n'an puet cil husage avoir, Liv. de jost. 56.

XIVe s. En françois ces mos meur et moral ne sont pas en usage commun, Oresme, Éth. 33. Et se il avenist que pour ce il perdist usage de raison, Oresme, ib. 25.

XVe s. Le suppliant depuis se mist à bon usaige [s'amenda], Du Cange, usagium.

XVIe s. Pourquoy m'alleguez vous l'usage Et la coustume… ? Marot, IV, 163. J'ay trouvé la fontaine, on m'en oste l'usage ; J'ay cultivé la plante, un autre a le fruitage, Desportes, Diverses amours, XXVI. L'usage des viandes salées, Montaigne, I, 20. L'utilité du vivre est en l'usage [façon d'user], Montaigne, I, 88. J'advisay d'en tirer quelque usage, Montaigne, I, 95. Cela ostoit tout usage d'armes et de membres, Montaigne, I, 362. Simple usage en forest n'emporte que mort bois et bois mort, Loysel, 251. Depuis, ceste parole est demourée en usage entre les Grecs, comme un proverbe commun, Amyot, Pélop. 20. La tempeste l'a prinse [la nef], et faut beaucoup d'usage Pour la mener au port entiere du naufrage, Ronsard, 709.

ÉTYMOLOGIE

Berry, urage, terre communale ; wallon, uzeg ; prov. usatge ; espagn. usage ; ital. usaggio ; du bas-lat. usaticum, dérivé de usus, usage.