« user », définition dans le dictionnaire Littré

user

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

user

(u-zé) v. a.
  • 1Faire usage de ; l'emploi actif en ce sens est ancien, et n'a été conservé qu'en termes d'eaux et forêts : User une vente, en faire l'exploitation.
  • 2 Par extension du sens de se servir, consommer les choses dont on se sert. J'use beaucoup de charbon, d'huile. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons [pour faire des pommades], Molière, Préc. 4.
  • 3Détériorer imperceptiblement les choses en les diminuant à force de s'en servir. User ses souliers. Je te promets cet habit-ci, quand je l'aurai un peu usé, Molière, Scapin, III, 2. Ce sont les chemises d'un certain marquis de Floribel, dont Champagne et moi usons le linge, tandis que les gens du marquis usent celui de notre maître, Legrand, Galant cour. sc. 13.
  • 4 Fig. Détruire peu à peu tout ce que l'on compare aux objets matériels que l'usage détériore. J'ai tout vu, tout fait, tout usé, Beaumarchais, Mar. de Fig. v, 3. Cependant jouissons ; l'âge nous y convie ; Avant de la quitter, il faut user la vie, Chénier, Élég. XX. J'userai jusqu'au bout la trame de ma vie ; Cet effort est plus grand que celui de mourir, Chénier M. J. Gracques, III, 12. Avec elle [l'étude], on traverse les mauvais jours sans en sentir le poids, on se fait à soi-même sa destinée, on use noblement sa vie, Aug. Thierry, Dix années d'études, préface. Enfin quand ce héros du suprême mystère [l'Antechrist] Aura de crime en crime usé ses noirs destins…, Hugo, Odes, IV, 13.

    User ses ressources, les prodiguer et les affaiblir. L'effort qu'il venait de faire pour atteindre Moscou avait usé tous ses moyens de guerre, Ségur, Hist. de Nap. VIII, 7.

    User sa jeunesse auprès de quelqu'un, passer sa jeunesse à servir quelqu'un.

  • 5 Fig. Détériorer les forces d'une personne. Ses campagnes l'ont usé. Rien n'use tant un homme que les excès. Ce prince [Ptolémée Philopator] avait usé par son intempérance et par ses débauches un corps vigoureux et robuste, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 194, dans POUGENS.

    User ses yeux à force de lire, s'affaiblir la vue à force de lire. Il [David] use ses yeux à la lire [la loi] nuit et jour, Bossuet, Élévat. sur myst. XVIII, 8.

  • 6Diminuer par le frottement. User une pierre. User une pointe de couteau.

    Ancien terme de chirurgie. Consumer, corroder. Cette poudre use les chairs.

  • 7 Fig. Amoindrir, affaiblir. Rien n'use tant l'ardeur de ce feu qui nous lie Que le fâcheux besoin des choses de la vie, Molière, Femm. sav. v, 5. C'est comme les longues maladies qui usent la douleur : les longues espérances usent toute la joie, Sévigné, 11 juill. 1672.
  • 8Substantivement, il se dit des choses qui durent longtemps. C'est une marchandise qu'on ne peut connaître qu'à l'user. Certaines étoffes deviennent plus belles à l'user.

    Fig. La violence et l'injustice ne sont pas d'un bon user journalier, Grimm, Corresp. t. I, p. 261.

    Fig. Cet homme est bon à l'user, plus on le connaît, plus on l'apprécie. Je doute qu'il [Pommereuil] soit aussi bon à l'user que votre intendant [de Provence], que vous aviez si bien apprivoisé, Sévigné, 11 déc. 1675.

    On dit aussi : On ne connaît bien les gens qu'à l'user.

  • 9 V. n. Faire emploi de, se servir de. Et, pour ne pas user vers vous d'un mot trop rude, Vous montrez pour Carthage un peu d'ingratitude, Corneille, Sophon. I, 4. Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies, Sacy, Bible, St Paul, 1re épît. à Timoth. v, 23. Vous me semblez tous deux fatigués du voyage ; Reposez-vous : usez du peu que nous avons, La Fontaine, Phil. et Bauc. L'homme, qui ne croit posséder que lorsqu'il peut user et abuser de ce qu'il possède, Buffon, Ois. t. IX, p. 143.

    Absolument. Usez, n'abusez point, Voltaire, Préc. de l'Eccl. User fait le bonheur, abuser le détruit, Delille, Imag. VI.

    En usez-vous ? se dit en présentant une tabatière ouverte, pour offrir du tabac. Le seul moyen dont il s'avisa pour cela, ce fut de tirer sa tabatière, et puis, me la présentant ouverte : Mademoiselle en use-t-elle ? me dit-il, Marivaux, Marianne, 6e part.

    En usez-vous ? pour prenez-vous du tabac ? blâmé par Mme de Genlis, Mém. t. v, p. 91. On ne voit pas pourquoi ; en tous cas la locution est déjà dans Marivaux.

    User de sa femme, avoir avec elle des rapports conjugaux. Il n'usait de sa femme que très modérément, et après des préparations relatives à la santé de l'enfant, Diderot, Opin. Des anc. phil. (pythagorisme).

  • 10 Fig. Il se dit de tout ce qui est comparé à un objet matériel dont on se sert. Avez-vous commandé, seigneur, qu'en ma présence Vos tribuns vers la reine usent de violence ? Corneille, Sophon. IV, 3. La colombe aussitôt usa de charité, La Fontaine, Fabl. II, 12. Il faut que ce que j'aime, usant de diligence, Fasse à ce que je hais perdre toute espérance, Molière, Éc. des maris, II, 14. Je l'ai vu, et ne croyez pas que j'use ici d'exagération, je l'ai vu vivement ému des périls de ses amis, Bossuet, Louis de Bourbon. La reine a usé chrétiennement de la bonne et de la mauvaise fortune, Bossuet, Reine d'Anglet. En donnant sa puissance aux princes, Dieu leur commande d'en user, comme il fait lui-même, pour le bien du monde, Bossuet, ib. Voyons comme tu sais user de la victoire, Racine, Alex. v, 3. Il faut, au lieu de force, user de finesse et de patience, attaquer l'erreur indirectement et sans paraître y penser, D'Alembert, Lett. au roi de Pr. 30 avr. 1770.

    User bien ou mal de quelque chose, en faire un bon, un mauvais usage. Ptolémée : L'occasion vous rit, et vous en userez. - Cléopâtre : Si je n'en use bien, vous m'en accuserez, Corneille, Pomp. II, 3. Vous avez mal usé de mon affection, Rotrou, Bélis. IV, 9.

  • 11En user, agir, se conduire de telle ou telle façon. Ne cherchez point cette déesse [la Fortune], Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi, La Fontaine, Fabl. VII, 12. Je veux en user avec toi en père qui chérit sa fille, Molière, Princ. d'Él. II, 4. Et parce que j'en use avec honnêteté, Et ne le veux trahir, lui, ni la vérité, Molière, Mis. v. 1. Je ne sais point encore comme ces gens de guerre en usent à l'égard des pauvres bourgeois, Sévigné, 225. Mais mon injustice est extrême De me plaindre du goût que la cour a pour vous. Est-ce à moi d'en être jaloux, Lorsque, si j'étais roi, j'en userais de même ? Chaulieu, Madrigal pour Mme D. Quelques reproches qui lui étaient revenus de la manière dont il en avait usé à l'égard de l'Académie…, Fontenelle, Hartsoeker. Je vous sais très bon gré de passer votre hiver à la campagne ; on n'est bien que dans son château ; consultez le roi, c'est ainsi qu'il en use, Voltaire, Lett. Mme de Florian, 12 oct. 1767. La multitude des livres effraye ; mais, après tout, on en use avec eux comme avec les hommes, on choisit dans la foule, Voltaire, Lett. Thiriot, 12 juill. 1769.

    En user librement, familièrement avec quelqu'un, avoir avec quelqu'un une manière d'agir libre, familière. Je vous demande pardon si j'en use si librement, si familièrement avec vous.

    En user bien, en user mal avec quelqu'un, agir bien ou mal avec lui. Le maréchal de Saint-André est un jeune favori audacieux qui n'en use pas mieux avec moi que les autres, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuv. t. II, p. 133, dans POUGENS.

  • 12S'user, v. réfl. Se détériorer par l'usage. Ma culotte s'use en deux ou trois endroits, Regnard, le Joueur, III, 7.

    Fig. Les royaumes du monde et toute leur gloire s'useront comme un vêtement, Massillon, Avent, Bonh. des justes.

  • 13Être diminué par frottement. Les marches d'un escalier s'usent à la longue.

    Fig. Hélas ! la vie ne se passe que trop ; elle s'use partout, Sévigné, 6 sept. 1675. Regarde autour de toi ; tout commence et tout s'use, Lamartine, Médit. I, 5.

  • 14Perdre ses forces par les fatigues, les excès, etc. Sachez [Idoménée] que les rois s'usent toujours plus que les autres hommes, Fénelon, Tél. IX. Par quels jeûnes cruels son corps s'est-il usé ? Delavigne, Paria, II, 2.
  • 15Cesser de faire impression. Les plaisirs s'usent, la jeunesse vous échappe, la vie s'enfuit, Massillon, Carême, Mot. de conv.
  • 16Devenir stérile en parlant des terres.
  • 17Perdre son crédit sur l'opinion. Bonaparte vacille, tergiverse, perd et s'use, Papiers saisis à Bareuth, p. 150.

REMARQUE

1. Dans le sens de se servir de, l'ancienne langue l'employait souvent activement ; et Régnier a encore cet emploi : Mille autres caresses Qu'usent à leurs amants les plus douces maîtresses, Élég. II.

2. En user pour agir est correct, parce qu'on dit user de quelque chose. Mais en agir, par lequel quelques-uns remplacent en user, ne se dit pas, vu qu'on ne dit pas agir de quelque chose.

HISTORIQUE

XIe s. Il est mult vielz, si ad sun tens uset, Ch. de Rol. XXXIX.

XIIe s. Dunc comença sun cors durement à grever, Et les grosses viandes, chous e nes à user, Th. le mart. 93. Del meillur vin usout [usait] que l'um trover poeit, ib. 102.

XIIIe s. Une estoire vielle et usée, Latini, Trésor, p. 483. Assises que il voudrent que fussent tenues et usées u royaume, Du Cange, usuare. Se j'avoie mon jouvent [jeunesse] tout usé, Si sui-je riche et de moult haut parage, Qu'on m'aimeroit à petit de beauté, Quesnes, Romancero, p. 109. En larmes et en plors [j'] userai ma jouvente, Audefroi le Bastard, Romanc. p. 12. Mais celui qui le gaste et use [son avoir], Et après sa folie encuse, Qu'il la despendu sans mesure, Lai de l'ombre. Si doit on savoir c'on doit uzer des cozes louées selonc ce que on convenencha au louer, Beaumanoir, XXXVIII, 2. Se je languis et au main et au soir, C'est qu'à li [elle] plait qu'ainsi j'use ma vie, Complainte douteuse, Jubinal, t. II, p. 255. Use de ton pain, tu seras frans, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 433.

XIVe s. Desirable chose, c'est user ou jouir de ce que l'on desire, Oresme, Éth. VI, 20. Coutume d'icelle ville [Tournay] usée et gardée de si lonc temps, qu'il n'est memoire du contraire, Du Cange, usuare.

XVe s. Chers seigneurs, vous estes moult vaillans chevaliers et usés d'armes, Froissart, I, I, 320. Sire, vous estes notre capitaine et notre gardien, si devons tous obeir et user par vous, Froissart, I, I, 242. Si vous recommande Charles mon fils, et en usez ainsi comme bons oncles doivent user de leur neveu [Charles V à ses frères], Froissart, II, II, 70. Si se traïrent les plusieurs devers Jean Lyon, et lui demanderent conseil de celle chose, et comment on en pourroit user, Froissart, II, II, 52. Le duc d'Orliens et le duc de Bourbon userent la plus grant partie de leur vie en Engleterre, depuis ce temps, Fenin, 1415. Le povre homme use son cerveau, Et ne scet dont luy vient ce bien, Il songe, il pense ; est-il point mien ? Coquillart, Droits nouv. Usons les uns des autres librement ; Et que chascun sur ce boire excellent Lave son cœur de toute hypocrizie, Basselin, XL. Il usoit de ceste parolle au personnage propre [il disait cela à la personne même], Commines, I, 10.

XVIe s. Si vostre plaisir est de me envoyer quelque lettre de change, j'espere n'en user que à votre service, et n'en estre ingrat on reste, Rabelais, Épi. 12. Vous me feriez tort sy vous n'usiez envers moy comme envers vostre mere, Marguerite de Navarre, Lett. 126. Ce n'est à moy à qui l'on doibt user telles bourdes, Marguerite de Navarre, ib. 141. Je vous prie, mon nepveu, en user [de mon mari] comme de vostre propre frere, Marguerite de Navarre, ib. 165. Il n'affiert qu'aux grands poëtes d'user des licences de l'art, Montaigne, I, 166. Il y a plus de constance à user une chaisne qu'à la rompre, Montaigne, II, 26. Il les appeloit du nom de compaignons, que nous usons encores, Montaigne, III, 168. Ilz n'usent point de fondes en bataille, Amyot, Thés. 5. Tatius le remettoit de jour à autre, et lui usoit tousjours de quelque desfaicte, Amyot, Rom. 36. Publicola mourut ayant usé ses jours en tout ce que les hommes estiment vertueux et honorable, Amyot, Publ. 40. Vous le voyez aller par la ville avec une pauvre robbe toute rompue et usée, Amyot, Arist. 62. Nourrir les chevaulx usez et rompus de travail en nostre service, Amyot, Cat. 11.

ÉTYMOLOGIE

Provenç et espagn. usar ; ital. usare ; verbe dérivé du latin usus, usage (voy. US 1).