« remuer », définition dans le dictionnaire Littré

remuer

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remuer

(re-mu-é), je remuais, nous remuions, vous remuiez ; que je remue, que nous remuions, que vous remuiez v. a.
  • 1Changer une chose de place, la mouvoir. De ce que j'ai dans l'âme la volonté que ma main soit remuée, il arrive qu'elle l'est en effet au même moment, Bossuet, Connaiss. III, 2. Nous voulons parler ou chanter ; mais nous ne savons pas seulement quels muscles il faut remuer pour parler ou pour chanter, Malebranche, Rech. vér. V, 3. Les chiens, qui le sentent approcher [Télémaque], n'aboient point, mais remuent la queue ; ce qui fait voir à Ulysse que c'est quelqu'un de connaissance qui est sur le point d'entrer, Racine, Lett. à Boileau, 1693, dernière de l'année. Cousin, il faut ici remuer le gigot [danser], Regnard, le Bal, sc. XVII. Vous voyez que je suis bon Français ; je combats les Anglais à ma façon ; je suis comme Diogène qui remuait son tonneau, pendant que tout le monde se préparait à la guerre dans Athènes, Voltaire, Lett. Mme de Fontaine, 16 avr. 1756. Je voudrais, quand ma volonté remue mon bras ou ma jambe, découvrir le ressort par lequel ma volonté les remue ; car sûrement il y en a un, Voltaire, l'H. aux 40 écus, Mariage. L'Hébreu en riant répondit : Votre Grandeur resterait ici jusqu'à demain, que la pierre ne serait pas encore arrivée, elle est à plus de six milles d'ici, et il faudrait quinze hommes pour la remuer, Voltaire, Zadig, 10. Il ne faut pas une longue expérience pour sentir combien il est agréable d'agir par les mains d'autrui, et de n'avoir besoin que de remuer la langue pour faire mouvoir l'univers, Rousseau, Ém. I. Ordinairement les propriétaires confient la garde de leurs magasins à blé à un boulanger, qui se charge de remuer le blé, Genlis, Maison rust. t. III, p. 52, dans POUGENS. Je voulais voir [à Mycènes] jusqu'à la moindre pierre qu'avait pu remuer la main du roi des rois [Agamemnon], Chateaubriand, Itin. part. I.

    Fig. Remuer toutes les pierres, faire tous ses efforts. M. de Lauzun ne se lassait pas de remuer toutes les pierres pour se rapprocher de la cour, Saint-Simon, 108, 159.

    Familièrement. Remuer ses os, changer de résidence, voyager. Il ne faut point remuer ses vieux os, surtout les femmes, à moins que d'être ambassadrice, Sévigné, Lett. à Coulanges, 8 janv. 1690.

    Il ne remue ni pied ni patte, il est sans mouvement.

    Il ne saurait remuer ni pied ni patte, se dit d'un homme très faible ou très fatigué, et qui ne peut marcher.

    Fig. Il ne faut pas remuer la cendre des morts, il ne faut point rechercher leurs actions et attaquer leur mémoire. Et qu'ont fait tant d'auteurs pour remuer leur cendre ? Boileau, Sat. IX.

    Fig. Il ne faut point remuer l'ordure, il est des choses dont il n'est ni décent ni permis de parler.

    Fig. Plus on remue l'ordure, plus elle pue, il ne faut point parler d'une mauvaise action, il faut la laisser oublier.

    Fig. On a remué sa vaisselle, se disait d'un homme à qui on a envoyé les sergents qui l'ont saisi.

    Fig. Remuer les puces à un enfant, lui donner le fouet.

    Fig. et familièrement. Remuer beaucoup d'argent, faire beaucoup d'affaires d'argent.

    Remuer l'argent à la pelle, avoir beaucoup d'argent, être très riche.

  • 2 Terme de manége. Remuer ou siffler la gaule, faire du bruit de la gaule, pour avertir le cheval quand il se ralentit.
  • 3Remuer un enfant, le démailloter, le nettoyer et lui remettre ses langes.
  • 4Remuer de la terre, la transporter d'un lieu dans un autre.

    Terme de guerre. Remuer la terre, fouir et porter la terre pour faire des retranchements, des mines, etc. La vérité est que notre tranchée est quelque chose de prodigieux, embrassant à la fois plusieurs montagnes et plusieurs vallées… les gens de la cour commençaient à s'ennuyer de voir si longtemps remuer la terre, Racine, Lett. à Boileau, 24 juin 1692.

    Remuer un champ, le bêcher, le fouir, etc. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût ; Creusez, fouillez, bêchez…, La Fontaine, Fabl. V, 9.

    Fig. et familièrement. Remuer ciel et terre, faire beaucoup de démarches, employer toutes sortes de moyens pour réussir. Mais je veux employer mes efforts plus puissants, Remuer terre et ciel, m'y prendre de tous sens, Molière, l'Ét. V, 12. Il [Satan] remue le ciel et la terre pour susciter des ennemis à Dieu, Bossuet, 1er sermon, Démons, 2.

    On dit dans le même sens : remuer toutes choses. Vous remuez toutes choses pour faire croire que…, Pascal, Prov. XVIII.

  • 5Donner le branle. Il a beau se donner de la peine et remuer sa mauvaise fortune…, Guez de Balzac, liv. II, lett. 9. Nous sommes tous bien faibles et bien tremblants sous la main toute-puissante [de Dieu] qui remue l'Europe d'une telle manière présentement…, Sévigné, 22 av. 1689. Pendant qu'il [le cardinal de Retz] voulait acquérir ce qu'il devait un jour mépriser, il remua tout par de secrets et puissants ressorts, Bossuet, le Tellier. Ce grand capitaine [Annibal], réduit à se sauver de son pays, remua l'Orient contre eux [les Romains], Bossuet, Hist. I, 9. La reine remue en vain la France, la Hollande, la Pologne même, et les puissances du Nord les plus éloignées, Bossuet, Reine d'Anglet. Cet homme de grand secours qui n'épargne ni le saint ni le profane pour entrer dans nos desseins, qui sait remuer les intérêts et les passions, ces deux grands ressorts de la vie humaine, Bossuet, Sermons, Ambition, 1. …Demain, quoique tu fasses, Avec ou malgré toi nous remuerons les masses, Delavigne, la Popular. III, 4.

    Absolument. Il [un politique] avait trop de ce qui élève et qui remue, et trop peu de ce qui fonde et qui affermit, Guez de Balzac, De la cour, 4e disc.

  • 6Apporter trouble, innovation. La licence où se jettent les esprits quand on ébranle les fondements de la religion et qu'on remue les bornes une fois posées, Bossuet, Reine d'Anglet. Les sages lui dénoncèrent [à Henri VIII] qu'en remuant ce seul point [l'autorité de l'Église], il mettait tout en péril, Bossuet, Reine d'Anglet. L'obligation de demeurer parfaitement soumis, sans jamais rien remuer contre l'empire, Bossuet, 5e avert. 13.
  • 7S'occuper de, mettre sur le tapis. Flaccius Illyricus, qui remuait cette question, avait un dessein plus caché, il voulait perdre Mélanchthon, Bossuet, Var. VIII, 16. Les matières que votre prédicateur a remuées, Bossuet, Lett. Corn. 123. Si les vérités de pratique ne sont souvent remuées, souvent amenées à notre vue, elles perdent l'habitude de se présenter et cessent par conséquent d'éclairer, Bossuet, 2e sermon, Dimanche de la passion, 2. Jurisprudence, philologie, critique, langues savantes et étrangères, histoire ancienne et moderne, histoire littéraire, traductions, éloquence et poésie, il [le président Bouhier] remua tout, il embrassa tout, D'Alembert, Éloges, Bouhier.

    Remuer une affaire, en reprendre la poursuite. Pour intimider tous ceux qui à l'avenir seraient tentés de remuer cette affaire, Vertot, Rév. rom. III, p. 235.

  • 8Émouvoir. L'amour peut bien remuer le cœur des héros du monde… mais il y a des âmes d'un ordre supérieur à ses lois, à qui il ne peut inspirer des sentiments indignes de leur rang, Bossuet, Mar.-Thér. Remuez nos consciences, et ne souffrez pas qu'elles tombent dans un assoupissement dont elles ne reviendraient plus, Bourdaloue, 9e dimanche après la Pentecôte, Dominic. t. III, p. 186. Que dans tous vos discours la passion émue Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue, Boileau, Art p. III. Hélas ! mon cher Mentor, je sentais bien dans cet inconnu je ne sais quoi qui m'attirait à lui et qui remuait toutes mes entrailles, Fénelon, Tél. XXIV. L'éloquence et la poésie ne prétendent guère que flatter ou remuer l'imagination, Fontenelle, Lagny. Le prince a des passions ; le ministre les remue ; c'est de ce côté-là qu'il dirige son ministère, Montesquieu, Lett. pers. 127. Et moi, je répondais tout bas à l'homme froid que j'avais remué…, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 9 oct. 1759. Tout concourt à prouver, même dans le physique, que l'animal n'est remué que par l'appétit, et que l'homme est conduit par un principe supérieur, Buffon, Nature des anim.

    Absolument. L'un [Corneille] élève, étonne, maîtrise, instruit ; l'autre [Racine] plaît, remue, touche, pénètre, La Bruyère, I. Une jeune beauté, Que j'ai vue au couvent, dont la grâce ingénue Frappe au premier abord, intéresse et remue, Boissy, Deh. tromp. I, 7. S'ils [les sophistes grecs] séduisent quelquefois, ils ne remuent jamais, parce que le paradoxe y tient lieu de la vérité, et la chaleur de l'imagination de celle de l'âme, Barthélemy, Anach. ch. 58.

    Familièrement. Remuer la bile, exciter la colère, l'indignation. Est-ce que ce discours-là ne vous remue pas la bile ? Marivaux, Surpr. de l'amour, I, 7.

  • 9Remuer quelqu'un, le déplacer. Votre petite d'Aix [une fille de Mme de Grignan] me fait pitié, d'être destinée à demeurer dans ce couvent… en attendant une vocation, vous n'oseriez la remuer, de peur qu'elle ne se dissipe, Sévigné, 24 juill. 1680.
  • 10 V. n. Faire quelque mouvement, changer de place. Ne remuez pas de là. Et comme la douleur, un assez long espace, M'a fait, sans remuer, demeurer sur la place, Molière, Éc. des femmes, V, 2. Je suis un peu fâché contre cet Ali d'Égypte, qui ne remue pas plus qu'une momie [dans la guerre des Russes contre les Turcs], Voltaire, Lett. à Catherine II, 14 sept. 1770.

    Fig. Tenter, agir. Les jésuites remuent beaucoup et remueront sans doute à Rome, Bossuet, Lett. quiét. 143. Tant que ma fille n'a eu que sa beauté en partage, aucun n'a remué ; et, maintenant qu'elle a cent mille écus en mariage, vous venez de toutes parts vous offrir en foule, Legrand, Philanthr. sc. 4.

    Exciter trouble, sédition. Il était soupçonné d'avoir voulu remuer, pendant que le roi était aux Indes, Vaugelas, Q. C. IX, 10. Rien ne remuait en Judée contre Athalie : elle se croyait affermie par un règne de six ans, Vaugelas, ib. I, 6. Antiochus fut troublé de la nouvelle qu'il reçut, que les provinces d'Orient et Artaxias, roi d'Arménie, au septentrion, remuaient et étaient prêts de se soulever contre lui, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 669, dans POUGENS.

  • 11Se remuer, v. réfl. Se mouvoir. Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue, La Fontaine, Fabl. III, 4. Quand tout se remue également, rien ne se remue en apparence, comme en un vaisseau, Pascal, Pens. VI, 24, éd. HAVET. Mon cerveau est comme un cabinet de peintures dont les tableaux se remueraient et se rangeraient au gré du maître de la maison, Fénelon, Exist. 48. Je ne puis me remuer ; il y a deux ans que je n'ai mis d'habit, j'ai fermé ma porte à tous les étrangers, Voltaire, Lett. Richelieu, 29 avr. 1772.

    Fig. L'argent se remue, se dit quand il se fait beaucoup d'affaires.

  • 12Se donner du mouvement pour réussir. Hercule veut qu'on se remue, Puis il aide les gens, La Fontaine, Fabl. VI, 18. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous, Molière, Festin, V, 2. Il ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche Je ne me sois non plus remué qu'une souche, Molière, l'Ét. III, 9. En quelque endroit qu'ils [les pélagiens] se remuassent, saint Augustin les prévenait, Bossuet, Déf. de la tradition, V, 12. Dans un temps où tout un royaume se remue pour la conversion des hérétiques, Bossuet, Louis de Bourbon. La Perse se remuait en sa faveur, Bossuet, Hist. I, 8. Une affaire de rien, et qui ne mérite pas qu'on s'en remue, La Bruyère, VIII.

    Avec ellipse du pronom personnel. Entrons plus avant dans ces ressorts secrets et imperceptibles qui font remuer le cœur humain, Bossuet, Sermons, Ambition, 1.

    Faire remuer les puissances ou faire que les puissances se remuent, faire agir les personnes qui ont l'autorité en main.

  • 13Exciter trouble ou guerre. L'intérêt des gens de qualité ne fut pas aussi la seule cause qui obligea la réforme à se remuer sous François II ou Charles IX ; car ils se seraient remués dès le temps de François Ier et de Henri II, Bossuet, 5e avert. 22.
  • 14Il se dit des mouvements de l'âme, des agitations morales ou politiques. C'est en quoi ces spectacles [du théâtre] sont à craindre, parce que le cœur apprend insensiblement à se remuer de bonne foi, Bossuet, Sermons, Parole de Dieu, 3. Si on lève ces empêchements [la difficulté et la crainte], nos inclinations corrompues commencent à se remuer et à se produire, Bossuet, Serm. Ambition, I. Aussitôt qu'il fut arrivé à cet âge ardent où je ne sais quoi commence à se remuer dans le cœur…, Bossuet, Panégyr. St Benoît, 1. Quelque chose de plus violent se remuait dans le fond des cœurs : c'était un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une démangeaison d'innover sans fin, après qu'on en a vu le premier exemple, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Impersonnellement. Sire, vous savez les besoins de vos peuples… il se remue pour Votre Majesté quelque chose d'illustre et de grand, et qui passe la destinée des rois vos prédécesseurs, Bossuet, Sermons, Devoirs des rois, 2.

HISTORIQUE

XIIe s. E il ne se remuerent, ne une pere [pierre] ne gitierent, Machab. I, 2. E ne remuerai pas [je n'éloignerai pas] tut tun lignage de mun autel, Rois, p. 10.

XIIIe s. Et porce que nos gardons la vielle loi, là où ele ne fu pas remuée [changée], Latini, Trés. p. 53. L'aigue ne la terre n'ont pooir de remuer dou leu où la nature les a establies, Latini, ib. p. 112. Quant Berte l'entendi, tous li sans lui remue, Berte, LII. Que onques puis [elle] ne fu de son lit remuée, ib. LXXXII. Hom qui se remue de vile à autre, et amaine son harnas à Paris, il ne doit paier que un denier de chaucie, Liv. des mét. 278. Si me convint cheoir pasmé Desous ung olivier ramé ; Grant piece i jui [restai couché] sans remuer, la Rose, 1779. Chascun an remueront li borjois ces quatre eschevins, Du Cange, remutare.

XIVe s. Robin Doccie cousin germain dudit Martin, et cousin remué de germain de Colette sa fille, Du Cange, ib. Lequel Colin pour ce qu'il estoit haïs de tout le peuple, aucun mire [médecin] ne cirurgien ne le voult [voulut] aler remuer [soigner], Du Cange, ib.

XVe s. Que chascuns de vous se remue D'y venir bien legierement, Villon, Rep. fr. Lors on feit grande diligence de le prendre, et feut pris et amené en son logis… et ne remuoit ne bras ne jambe, Juvénal Des Ursins, Ch. Vl, 1392. On doit aller guerroier en esté Et ou printemps que l'erbette point drue, Que li chaut vient, et yver se remue, Deschamps, Poésies mss. f° 49. Le trop d'officiers remue [réforme], Que tu as comme oiseaulx en mue ; Et si ne te servent de rien Fors de gaster peuple et le tien, Deschamps, ib. f° 320. Faites le chevalier mettre en une belle chambre, et remuer [panser] ses playes bien et songneusement, Perceforest, t. I, f° 46.

XVIe s. Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert…, Montaigne, I, 14. Pendant que nous nous remuons [vivons]… mais estant hors de l'estre…, Montaigne, I, 14. Remuer les dez, Montaigne, I, 109. Leur religion portoit que les ames estant eternelles ne cessoient de se remuer et changer de place d'un corps à un autre, Montaigne, II, 132. La tribune des harengues regardoit vers la mer ; mais les trente tyrans la remuerent ailleurs pour la faire tourner devers terre, Amyot, Thém. 38. Hannibal se remuoit souvent de lieu à autre, pour voir s'il le pourroit point attirer [Fabius] hors de ceste resolution de ne mettre rien en hasard, Amyot, Fab. 12. Il ne vouloit point des soudards qui remuassent les mains en allant par les champs, ny les pieds en combattant, Amyot, Caton, 17. Les Scythes crevent les yeulx à leurs esclaves, à fin qu'ils leur tournent et remuent leur laict, Amyot, Que la vertu se peut apprendre, 8. À sept ans, aians achevé de remuer [changer] leurs dents, de là en hors autre jugement n'en peut-on faire [de l'âge des chevaux] que par indice, De Serres, 303. Si quelque chose se remue, faites que les advertissements se donnent aussitôt, Bibl. des chartes, 3e sér. t. I, p. 503. De chose perdue le conseil ne se remue, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Re…, et muer ; Berry, remuer, déménager ; provenç. et espagn. remudar ; ital. rimutare. Le sens primitif est changer de nouveau ; de là, déplacer.