« tendre.2 », définition dans le dictionnaire Littré

tendre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

tendre [2]

(tan-dr'), je tends, tu tends, il tend, nous tendons, vous tendez, ils tendent ; je tendais ; je tendis ; je tendrai ; je tendrais ; tends, qu'il tende, tendons, tendez ; que je tende, que nous tendions ; que je tendisse ; tendant ; tendu v. a.
  • 1Tirer et bander quelque chose. Tendre les chaînes qui ferment un port. Tendre des toiles pour le sanglier. Tendre des filets. Tendre un ressort. De sorte qu'ils [des gens qui bernaient] demeurèrent longtemps en bas tendant la couverture, et regardant en haut, sans se pouvoir imaginer ce que j'étais devenu, Voiture, Lett. 9. Un ancien oracle avait ordonné que Formosante ne pourrait appartenir qu'à celui qui tendrait l'arc de Nemrod, Voltaire, Princ. de Babyl. I. Semblable à l'insecte insidieux qui fabrique ses filets dans l'obscurité, la politique tendit sa toile au milieu de l'Europe, et l'attacha en quelque manière à toutes les cours, Raynal, Hist. phil. XIX, 3. Dans les cieux, à ma voix, la nuit tendra ses voiles, Delille, Én. IV.

    Absolument. Tendre aux bécasses, aux oiseaux, tendre les filets pour les prendre. À la Saint-Jean je tends aux grues, Régnier, Ép. III.

    Tendre le jarret, rendre la jambe aussi droite que possible sur la cuisse. Comme en dansant le menuet, Vous tendîtes le jarret ! Désaugiers, M. et Mme Denis, chanson.

    Fig. Je tendis tous les ressorts de mon esprit pour chercher comment on pouvait guérir d'un polype au cœur, résolu d'entreprendre cette merveilleuse cure, Rousseau, Confess. VI.

    Fig. Donner trop de tension, mettre les choses au point qu'elles semblent prêtes à se rompre. Ce rapport des lois avec ce principe tend tous les ressorts du gouvernement, Montesquieu, Esp. v, 1.

    On dit dans un sens analogue : Cela tendit la situation.

  • 2Tendre une tente, l'établir, la dresser. Il fit tendre son pavillon.

    On dit dans un sens analogue : tendre un lit. Hé bien donc, dit Julie, qu'on lui tende un petit lit dans ma chambre, Rousseau, Hél. VI, 11.

  • 3Tendre un piége, le disposer pour qu'un animal puisse s'y prendre. Ils ont voulu me faire périr dans le piége qu'ils m'ont tendu en secret, Sacy, Bible, Psaum. XXXIV, 7.

    Il se dit de toute espèce de piéges, même de ceux dont on ne tend aucune partie. Tendre une souricière. Tendre des gluaux.

    Fig. Tendre un piége, un panneau à quelqu'un, chercher à abuser, à tromper quelqu'un. Tendre à l'innocence les piéges les plus inévitables du péché, Bourdaloue, Pénitence, 2e avent, p. 268. Un traître y tend pour vous un piége inévitable, Voltaire, Sémiram. v, 4.

    On dit aussi : tendre des embûches. Mercure tendit des embûches à Prométhée, le surprit, et le jeta dans le fond d'un cachot, Diderot, Opin. des anc. phil. (Grecs).

  • 4Tapisser. Tendre une pièce, un appartement. L'église était tendue de noir. Enfin le pauvre homme eut beau faire, il fut convaincu d'être mort, on tendit sa porte de noir, et on vint pour l'enterrer, Voltaire, Lett. Fischer, 5 avr. 1768.

    Absolument. Ce jour-là on tend dans toutes les rues.

  • 5Présenter en avançant. Tendre les mains aux chaînes. Tendre son chapeau pour recevoir quelque chose. Tendre la joue. Tendre les mains au ciel, vers le ciel. Laisse à de lâches cœurs verser d'indignes larmes, Tendre aux tyrans les mains et mettre bas les armes ; Toi, tends la gorge au fer, vois-en couler ton sang, Et meurs sans t'ébranler, debout et dans ton rang, Rotrou, Saint-Genest, II, 2. Je saurai, s'il le faut, victime obéissante, Tendre au fer de Calchas une tête innocente, Racine, Iphig. IV, 4. À peu de distance suivaient ses enfants [de Persée mené en triomphe à Rome] avec leurs gouverneurs, leurs précepteurs et tous les officiers de leur maison, qui, fondant tous en larmes, tendaient leurs mains au peuple, Rollin, Hist. anc Œuv. t. IX, p. 163, dans POUGENS. Il tend en souriant un morceau de son pain à une vache blanche qui s'avance vers lui, Diderot, Salon de 1767. Œuv. t. XIV, p. 499, dans POUGENS. L'un tend ses petits bras au papillon qui vole, Delille, Imag. III. Mais il [un aveugle] entend leurs pas, prête l'oreille, espère, Se trouble, et tend déjà les mains à la prière, Chénier, l'Aveugle.

    Fig. En réclamant son titre de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, il [Voltaire] tendait lui-même le bout de la chaîne avec lequel on l'aurait attaché si on avait voulu, Marmontel, Mém. v.

    Tendre la main, avancer la main en signe d'amitié. Septime se présente, et, lui tendant la main, Le salue empereur en langage romain, Corneille, Pomp. II, 2.

    Tendre la main, demander l'aumône. Est-ce à un homme qui a servi vingt ans sa patrie, qui s'est retiré couvert de blessures, et qui depuis n'a cessé de travailler sans relâche, est-ce à lui de tendre la main ? Marmontel, Cont. mor. Lauret. J'ai moi-même été pauvre et j'ai tendu la main, Chénier, Idylles, le Mendiant.

    On le dit, par extension, de celui qui mendie des places, des grâces. Cette façon de demander harmonieusement l'aumône, commence, si je ne me trompe, à Pindare ; on ne peut tendre la main plus emphatiquement, Voltaire, Dict. phil. Flatterie.

    Fig. Tendre la main, se reconnaître vaincu, demander la paix. Et dans ce triste état il faut que les Romains Ou nous tendent la gorge ou nous tendent les mains, Du Ryer, Scévole, III, 2.

    Fig. Tendre la main à quelqu'un, lui offrir du secours, le secourir. Elle courut lui tendre une main favorable, Racine, Bajaz. I, 4. Si tout dresse des piéges à la jeunesse des rois, tout leur tend les mains aussi pour leur aider à les éviter, Massillon, Pet. carême, Malh. des gr. Ma famille me persécute ; on ne me tend la main dans mon désastre que pour me déshonorer, Voltaire, Ingénu, 17. Maître des nations, tendez la main à Cérès [favorisez l'agriculture], relevez ses autels, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 163, dans POUGENS. C'est en France, dans le pays de la politesse, des sciences, des arts, du bon goût, de la philosophie, qu'on nous persécute [nous encyclopédistes] ! et c'est du fond des contrées barbares et glacées du Nord qu'on nous tend la main, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 3 oct. 1762.

    Fig. Tendre la main, faire signe de venir i nous. Saint Paul tend les mains aux gentils, Bossuet, Hist. II, 7.

    Tendre les bras, les ouvrir pour recevoir quelqu'un. Mon fils n'est plus ? hé quoi ! quand je lui tends les bras, Les dieux impatients ont hâté son trépas ? Racine, Phèdre, v, 6.

    Fig. Si nous voulons servir, Sylla nous tend les bras, Corneille, Sertor. I, 1. Un tel homme, dégagé du siècle, qui a mis toute son espérance en la vie future, voyant approcher la mort, ne la nomme ni cruelle ni inexorable ; au contraire il lui tend les bras, Bossuet, Bourgoing. Voilà, lui dit-il, la Sicile qui nous tend les bras, et vous savez de quelle importance est cette île, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VII, p. 365, dans POUGENS.

    Dans un sens tout différent, tendre les bras à ou vers…, implorer du secours. Le pape, à qui il [Charles Martel] était nécessaire, lui tendait les bras, Montesquieu, Esp. XXXI, 11.

  • 6Avancer trop, en parlant de certaines parties du corps. Cette personne tend le cou, tend le ventre. Faut-il tendre toujours le dos, quand vous marchez ? Présentez mieux la gorge et baissez cette épaule, Regnard, Distr. I, 4.

    Terme de manége. Tendre le nez, porter le nez au vent, en parlant du cheval.

  • 7 Terme d'escrime. Se dit absolument pour allonger le bras raide, au lieu de parer les coups, afin de blesser son adversaire, au risque d'être blessé soi-même.
  • 8 V. n. Aller vers (ce sens neutre dérive du latin qui a dit tendere gressum, et, absolument, tendere, diriger ses pas). Il [l'arc-en-ciel] ne procède que de la façon que les rayons de la lumière agissent contre ces gouttes [d'eau], et de là tendent vers nos yeux, Descartes, Météor. 8. Où tend Mascarille à cette heure ? Molière, le Dép. I, 4. C'étaient de toutes parts des bruits confus de gens… qui couraient sans savoir où tendaient leurs pas, Fénelon, Tél. I. L'homme est né pour l'action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas, Voltaire, Rem. Pens. Pasc. 23. Où tend ce tourbillon rapide, Et quel conducteur intrépide Vole sur un char lumineux ? Malfilâtre, Ode, Élie aux cieux. Je vois bien que vous tendez vers le nord, que vous allez m'y conduire sans que je m'en aperçoive, Bailly, Atlantide, p. 412.

    Fig. C'est un homme qui tend à ses fins, il va constamment, avec adresse, vers le but qu'il s'est proposé.

    Aboutir. Où tend ce chemin-là ?

    Cette maladie tend à la mort, elle est mortelle.

    Le malade tend à sa fin, il est bien près de sa fin.

  • 9 Terme de mécanique. Avoir une tendance vers. M. Huyghens avait prouvé que, selon Descartes, les corps pesants auraient dû tendre, non au centre de la terre comme ils y tendent toujours, mais à différents points de l'axe de la terre, Fontenelle, Saurin.

    Fig. C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir, Rousseau, Contr. soc. II, 11.

  • 10 Fig. Avoir un but, un terme. À quelque heureuse fin que tendent ses projets, Jamais il [un roi] ne fait rien au gré de ses sujets, Rotrou, Vencesl. I, 1. L'autre vit où tendait cette feinte aventure ; If rendit le fer au marchand, Qui lui rendit sa géniture, La Fontaine, Fabl. IX, 1. Pour moi, je crois qu'au ciel tendent tous vos soupirs, Et que rien ici-bas n'arrête vos désirs, Molière, Tart. III, 3. La fausse gloire ne le tentait pas, tout tendait au vrai et au grand, Bossuet, Louis de Bourbon. Les livres sacrés des Romains… ont péri par les mains des Romains mêmes, et le sénat les fit brûler comme tendant à renverser la religion, Bossuet, Hist. II, 13. Je ne sais quelle disposition inquiète et vague au plaisir des sens, qui ne tend à rien et qui tend à tout, Bossuet, Comédie, 8. Nous passons notre vie à tendre au bien et à faire le mal, Maintenon, Lettre à Mme de Glapion, 3 mars 1703. Le trône où vous tendez, Racine, Théb. I, 5 (locution blâmée, à tort, par L. Racine). Où tendait ce discours qui m'a glacé d'effroi ? Racine, Phèdre, III, 6. Le métier et l'exercice des Lacédémoniens était la guerre ; tout tendait là chez eux, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. II, p. 529, dans POUGENS. Peu occupé des grâces légères du discours, et quelquefois même négligeant les règles gênantes de la pureté du langage, il [Bossuet] tend au grand, au sublime, au pathétique, Rollin, Traité des Ét. III, 2. Tout animal est toujours entraîné par un instinct invincible à tout ce qui peut tendre à sa conservation, Voltaire, Traité de métaph. 8. Tout ce qui peut tendre à établir la tolérance chez les hommes, doit être protégé bien fortement par vous, Voltaire, Lett. d'Argental, 27 févr. 1769. Le talent d'un esprit fin, c'est de persuader qu'il ne tend pas à l'être ; et cet artifice est au comble, quand la finesse a l'air de la naïveté, Marmontel, Œuv. t. VII, p. 465.
  • 11Se tendre, v. réfl. Être tendu. Ce papier se tend mal. La peau s'est tendue. Ici, du haut des monts une colonne d'eau Se précipite en masse, ou se tend en rideau, Delille, Trois règ. III.

    PROVERBE

    Il vaut mieux tendre la main que le cou (MONTLUC, la Comédie des proverbes, III, 6), il vaut mieux demander l'aumône que voler et se mettre en danger d'être pendu.

HISTORIQUE

XIe s. Li empereres tent ses mains envers Deu, Ch. de Rol. IX. Dunez li l'arc que vos avez tendut, ib. LX.

XIIe s. Lors me souvient d'une douce dolour Et du douz lieu où mes cuers [mon cœur] tent et bée, Couci, XVII. E li sainz comença mot à mot à prover Où li reis par ces leis voleit tendre e aler, Th. le mart. 57. Tu qui es si crual e fier, Orrible et faus e miserin, Tens si chascon jor à tafin, Benoit de Sainte-Maure, II, 6274.

XIIIe s. Et s'escrierent tuit à une vois et tendant leurs mains en haut, Villehardouin, XVII. Je croi qu'à moi requerre [ils] ont mout petit tendu, Berte, LI. Et alla tant par mer et par terre, que il vinst à Orliens où li rois Philippes estoit, et li tendi la lettre, sans saluer, Chr. de Rains, p. 59. Car tout ainsi comme uns homs tent Un oisel pour autre oisel prendre, Tout autressi convient-il tendre S'amour pour autre amour avoir, Bl. et Jeh. 3303. Et s'à povreté le voit tendre, Il ne doit mie tant atendre Que cil s'aïde li requiere, la Rose, 4725. Li clerc tendi s'arbalestre, et traït, et en feri lui parmi le cœur, Joinville, 209. Miels [mieux] vous venist avoir tendu [des filets] Ou as biches ou as coulons, Fabliaux mss. p. 339, dans LACURNE.

XIVe s. Puis après il [les nerfs optiques] se dessevrent [séparent], et tent chascun à sa propre partie, H. de Mondeville, f° 17. Car puis c'uns hons en femme voet mettre son argu, Ains devendroit diables avoecques Bregibu [Belzébuth], Qu'il n'en vigne à s'entente ; mais tels i a tendu Qui i a esté pris…, Baud. de Seb. VIII, 514.

XVe s. C'est la fin que medecins tendent toujours que avoir grands salaires et profits des seigneurs et des dames, de ceux et celles qu'ils visitent, Froissart, III, IV, 30. Ne vous chaille de tendre à amasser, Mais ne pensez qu'à mener bone vie, Deschamps, Poésies mss. f° 35. … le saige homme Par son sens et par sa clergie Qui sçara l'art d'astronomie, Et qui tend jusques làses voiles…, Deschamps, ib. f° 471. Si n'y ot cely qui ne tendist les oreilles, et qui ne meist toute son entente à l'escouter, J. Chastel. Chr. du duc Philippe, ch. 7.

XVIe s. Or en mon chemin je trovay ung compaignon qui tendoyt aux pigeons, Rabelais, Pant. II, 32. Leur pied mesme s'est venu prendre Au filé qu'ils ont osé tendre, Marot, IV, 243. La raison doibt tendre en somme à nous faire bien vivre, Montaigne, I, 69. Un manteau en escharpe, un bas mal tendu, Montaigne, I, 192. Cettuy cy se peine, se roidit et se tend, pour…, Montaigne, II, 105. Ils faisoient tendre cette immense capacité de voiles de pourpre, Montaigne, IV, 14. Aegeus lui ordonna qu'à son retour il tendist la voile blanche, si son filz estoit eschappé, Amyot, Thés. 20. Pirithous, tendant le premier la main à Theseus, luy dit, Amyot, ib. 38. Ce n'estoit pas la fin ny le but auquel tendoit Lycurgus, que de laisser sa cité commandant à plusieurs, Amyot, Lyc. 65. Il ne feit que tendre et roidir davantage son austerité naturelle, Amyot, Sylla, 64. Plus justice n'estoit aux hommes familiere Comme elle souloit estre, et ne vouloit hanter Le peuple qui desjà tendoit à se gaster, Ronsard, 870. Qui à aise tend, aise luy faut, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Wallon, taind, tendre des filets ; provenç. tendre ; espagn. tender ; ital. tendere ; du lat. tendere ; gaél. teann ; bas-bret. tenna ; sanscr. tana.